Je commencerai par la question relative à la création d'un champion européen. La construction d'un « Airbus de la navale » a beaucoup été évoquée ces derniers temps. Je voudrais vous mettre en garde contre une comparaison un peu rapide.
Dans l'industrie aéronautique, au moment du lancement d'une série d'avions, le coût principal repose sur la mise au point des prototypes et des démonstrateurs, qui se cassent parfois, et du processus de construction, appelé à être répété de nombreuses fois sur de longues années. Le coût de l'outil industriel proprement dit est relativement faible.
Dans la construction navale, c'est quasiment l'inverse : la valeur, c'est ce qu'on fait. Chaque chantier a une infrastructure, un processus de construction, des outils intellectuels d'ingénierie et de fabrication qui lui sont propres. Tout cela structure la manière dont il va construire les navires et même concevoir l'offre. Il est extrêmement difficile de dupliquer le processus de construction d'un bateau. Le paquebot Oasis avait déjà été construit en deux exemplaires sur des chantiers finlandais, mais les plans que nous avons récupérés étaient pratiquement impossibles à transposer – nous avions déjà vécu cette expérience pour la construction d'un ferry. C'est encore plus compliqué dans le domaine militaire : chaque marine a ses propres besoins, ses propres modes de fonctionnement, ses propres outils et produits – moteurs, pompes – et ses propres systèmes.
Soyons donc très prudents sur l'idée de copier ce qui a été fait avec Airbus pour l'industrie navale. Ce qui ne signifie pas pour autant qu'il faille renoncer à construire un champion européen.
Pour la structuration, M. Girardin nous a demandé quel modèle il fallait prendre. Pour la CFE-CGC, il ne s'agit pas de s'inspirer d'une autre filière industrielle en France, mais de la filière navale allemande qui fonctionne magnifiquement. Ce n'est pas un fait nouveau : l'industrie allemande exporte beaucoup et chasse en meute. C'est dans leur mode de fonctionnement… En 2006, j'ai assisté aux Assises européennes de la construction navale alors que les Allemands avaient la présidence du Conseil de l'Union européenne : ils les avaient organisées au beau milieu du pays, en Franconie, pour bien montrer que toute l'industrie allemande était au service de la navale. Je crois que nous en sommes loin en France.
Quant aux comités stratégiques de filière, ils sont une excellente chose, mais ce sont des comités d'industriels.
Pour les financements, encore faut-il savoir duquel on parle. Un projet de navire suppose trois types de financement. Premièrement, il faut aider le client à trouver un financement dans les meilleures conditions. Deuxièmement, il faut que le chantier naval soit à même de financer ses besoins de construction, sachant que la quasi-totalité du paiement du bateau intervient à la livraison, et dans des conditions de négociation parfois difficiles. La troisième est ce qu'on appelle la garantie de restitution d'acomptes : il faut trouver quelqu'un qui garantisse que les acomptes reçus par le chantier seront remboursés.
Ces dernières années, l'État a beaucoup travaillé à nos côtés pour nous aider à monter des financements performants ; il faut poursuivre cette action. Parmi les exigences que j'ai énumérées, il y a la nécessité de ne pas partager avec Fincantieri les modes de financement, car nous sommes devenus plus performants qu'eux – c'était le contraire autrefois.
L'une des clés du financement est la confiance. Nous avons signé avec la CFDT un pacte de compétitivité qui a contribué, pour partie, à la reprise des commandes. Cela a donné confiance aux clients, aux pouvoirs publics, aux milieux financiers. Pour la construction de l'Oasis 3 – qui représentait 5 milliards d'euros –, nous avions dû réuni un pool bancaire français, ce qui n'a pas été évident, loin de là. Pour son sistership, nous avons trouvé le financement beaucoup plus facilement sur le marché international.
La construction navale a souvent été considérée comme une activité à risque, extrêmement complexe. Il faut que nous puissions dire, collectivement, que tous les acteurs peuvent avoir confiance dans notre capacité de construction.
Sur la propriété intellectuelle, je ne suis pas compétent pour vous répondre. L'actif immatériel est en grande partie non écrit. Il repose sur le savoir-faire, le fonctionnement en réseau de l'entreprise et des sous-traitants. Il m'apparaît difficilement valorisable.
Pour ce qui est de la sous-traitance, notre chantier doit fonctionner comme pilote de filière et non comme donneur d'ordres. C'est ce qui se fait de plus en plus. L'idée de réintégrer certaines activités ne me semble pas d'actualité aujourd'hui dans la stratégie de la direction de STX – vous pourrez lui poser la question directement. Cela étant, Fincantieri a commencé à réintégrer certaines activités. Cela s'est déjà fait par le passé : autrefois, la réalisation des cabines de paquebot était presque intégralement sous-traitée ; désormais, elle est assurée par le chantier, via une filiale.