Nous vous remercions de cette convocation qui nous donne l'occasion de nous exprimer, au nom du syndicat CGT Navale, sur la vente du chantier naval de Saint-Nazaire et surtout sur ses conséquences pour les salariés, ce qui nous préoccupe en tant que premier syndicat représentatif du site. Nous tenons au préalable à présenter nos salutations fraternelles et solidaires à tous les salariés des entreprises protagonistes dans le rachat de STX France, tant les travailleurs de Naval Group que ceux de Fincantieri. Bien que certains cherchent à nous mettre en concurrence, la CGT des Chantiers est convaincue que la division entre salariés n'est artificiellement créée qu'à des fins contraires à leurs intérêts.
Nous avons coutume à la CGT Navale, de dire que l'on ne choisit pas son patron ; qu'importent sa nationalité ou son statut, seule compte la politique qu'il mène dans l'entreprise. De ce point de vue, l'instabilité actionnariale que nous vivons depuis le début des années 2000 est éclairante. D'Alstom, groupe industriel français, à Aker, groupe industriel européen jusqu'à STX groupe industriel coréen, avec une importante participation de l'État à l'actionnariat, c'est pourtant bien la même politique sociale qui a été appliquée par le comité de direction français des Chantiers de Saint-Nazaire.
Au passage, ce comité de direction n'a que très peu changé de visage, en dépit des bouleversements de l'actionnariat ; il est, semble-t-il, assuré de continuer de gérer le chantier naval de Saint-Nazaire après la vente des actions au groupe italien Fincantieri. Cela doit-il nous faire craindre que la même politique salariale et la casse des emplois et du statut social se poursuivent au rythme que nous avons connu ?
Dès l'ouverture du dossier de cette vente, il y a maintenant plus d'un an, la CGT Navale n'a cessé de poser la question : « Quelles conséquences pour les salariés des sites de Saint-Nazaire et Lanester, ex-STX Lorient ? ». Pour STX Lorient, les conséquences ont, malheureusement, été vite connues : 40 licenciements sur 88 salariés et vente du chantier, le 7 octobre 2016, soit un an plus tard, à Kership. Cette unité qui était pourtant capable de fabriquer entièrement un navire de petite taille, de sa conception à sa livraison, a perdu la moitié de ses effectifs et ceux qui restent sont menacés de chômage partiel. Tout cela se produit dans une période de pleine charge pour son ancienne maison-mère de Saint-Nazaire, dont les capacités de production sont dans le rouge.
Même si le site de Lanester ne fait plus partie du dossier puisqu'il a été vendu avant la cession à Fincantieri, cet épisode illustre l'irrationalité de cessions qui détruisent des capacités de production. Alors que le marché se porte bien, on licencie des travailleurs qualifiés à l'heure même où le patronat du secteur prétend ne trouver personne à embaucher.
Au chantier de Saint-Nazaire, les effectifs et les conditions sociales ont connu une dégringolade ininterrompue depuis les années 2000, freinée par la résistance des travailleurs du site. Au début des années 2000, le chantier proprement dit comptait 2 500 ouvriers sous contrats à durée indéterminée (CDI) ; nous sommes plus que 900. On compte 8 000 travailleurs sur le site, dont 2 600 en CDI STX, plus de trois cents entreprises sous-traitantes et 2 000 à 3 000 travailleurs dits « détachés » proviennent de plus de dix pays différents. En l'espace de quelques années, le chantier est devenu un véritable laboratoire de dérégulation sociale. Ce qui a parfois donné lieu à quelques échos médiatiques, et à l'intervention de certains services de l'État pour contrer cette situation.
Il faut dire qu'au début des années 2000, les affaires liées à une exploitation débridée de la sous-traitance défrayaient la chronique. C'était l'époque de la mise en place de ce que la direction, dans une note de service de 2001 dévoilée par Le Canard enchaîné, qualifiait de « montage exotique » prévoyant l'exploitation de milliers de travailleurs de pays où la vie est plus dure encore. Le 9 février 2006, une quarantaine d'inspecteurs et de contrôleurs du travail montaient à bord du paquebot MSC Musica, en construction aux Chantiers navals de Saint-Nazaire. Au cours de cette opération coup de poing, exceptionnelle par son ampleur, 127 entreprises et 645 salariés ont été contrôlés en trois heures, 16 procès-verbaux ont été dressés et 45 infractions relevées pour prêt illicite de main-d'oeuvre, marchandage, emploi d'étrangers sans titre de travail. En mars 2009, les Chantiers de l'Atlantique étaient mis en examen. La CGT et la CFDT s'étaient portées partie civile, mais la chambre d'instruction a prononcé un non-lieu. La CGT a fait appel, sans résultat.
Nous revivons cette période, mais dans des proportions aggravées.
On entend dire que cette exploitation accrue des travailleurs permet d'obtenir des marchés et donc de continuer à avoir de l'emploi. C'est une façon de voir les choses, mais seuls ceux qui tirent leur épingle du jeu sont capables de défendre de tels discours. Ce sont souvent les mêmes qui mettent en avant les contrats les plus précaires, tel le CDI de chantier, et, en experts, ils disent qu'il faut s'y résoudre.
Étant donné l'importance du carnet de commandes pour les dix ans à venir, on voit pourtant que ce ne sont pas les sacrifices – accord compétitivité, flexibilité, précarité – demandés aux salariés qui font les commandes, mais le fait que le marché de la croisière est en expansion, ou plus précisément dont les armateurs spéculent l'expansion, notamment en Asie.
Pour ce qui nous concerne, outre les garanties industrielles demandées en intersyndicale, nous avons revendiqué un changement de politique et exigé que les futurs acquéreurs du Chantier se prononcent sur les investissements sociaux et industriels nécessaires pour le présent et l'avenir. Le taux de chômage étant de 8,4 % à Saint-Nazaire au début de l'année 2017 avec un recours à l'intérim massif tout au long de l'année, on peut dès maintenant créer un plan massif d'embauches en CDI de plusieurs centaines de salariés, ouvriers et techniciens, parallèlement à un plan massif de formation permettant de transmettre les compétences. La pyramide des âges catastrophique, notamment dans les catégories ouvrières où l'âge moyen est de quarante-trois ans, ne permet plus d'hésiter.
Mais pour cela il faut aussi de l'attractivité, et il n'est pas acceptable de voir de jeunes embauchés quitter l'entreprise après quelques mois faute d'un salaire leur permettant de vivre. Dois-je rappeler que l'on trouve sur le site des travailleurs dont le taux horaire du salaire de base est inférieur au SMIC horaire ? Ce phénomène, qui n'est pas marginal, illustre l'état des salaires de l'ensemble des professions sur le site.
Aucun des protagonistes de la vente des chantiers, pas même l'État, ne s'est prononcé sur ces revendications qui sont pourtant au coeur de la vie des salariés du site. Pour notre part, nous avons tout de suite ressenti que les préoccupations des actionnaires, celles de l'État français compris, n'étaient pas là.
Alors que les capacités de production navale permettent de construire des navires de toutes tailles et de tous types, cette vente illustre le fait que le système économique actuel ne s'intéresse pas aux besoins de la population ni à la manière d'y faire face, mais à ce qui peut se vendre à court terme pour dégager de plus grands profits pour les actionnaires.
À ce jour, la production est orientée vers les paquebots de grandes tailles et les navires militaires de forts tonnages à Saint-Nazaire. Mais qu'en sera-t-il demain, et avec quelles conséquences sociales ? Aujourd'hui, cela se fait en détruisant ailleurs des capacités de production et les emplois correspondants. La CGT Navale réaffirme à ce propos que la destruction des emplois dans les arsenaux n'est pas acceptable.
Pour conclure, la vente des Chantiers a donné l'occasion aux protectionnistes et nationalistes de tout poil de faire de la mousse politicienne à bon compte, sur le dos des salariés. La situation que nous décrivons doit être prise en compte et il doit y avoir une réponse. Pour la CGT Navale, cette réponse ne se fera pas sans l'intervention des salariés eux-mêmes pour défendre leurs emplois et leur capacité à vivre dignement de leur travail.