Intervention de Christophe Morel

Réunion du jeudi 30 novembre 2017 à 10h30
Commission d'enquête chargée d'examiner les décisions de l'État en matière de politique industrielle, au regard des fusions d'entreprises intervenues récemment, notamment dans les cas d'alstom, d'alcatel et de stx, ainsi que les moyens susceptibles de protéger nos fleurons industriels nationaux dans un contexte commercial mondialisé

Christophe Morel, élu titulaire au comité d'entreprise (CE), représentant du CE au conseil d'administration, délégué syndical CFDT :

Lors du comité d'entreprise du 18 novembre dernier, la CFDT a rendu un avis favorable au projet de reprise de STX France par le groupe italien Fincantieri. Pour prendre sa décision, la CFDT s'est appuyée, avec l'aide de l'expert du comité d'entreprise, sur plusieurs conclusions.

Cet accord entre l'État, Fincantieri et Naval Group a été âprement négocié et discuté, jusqu'en très haut lieu, par de nombreux interlocuteurs ; mais n'oublions pas que l'accord est aussi le fruit de notre travail syndical. Nous avions souhaité un industriel et non pas un pur financier, et un industriel du secteur connaissant notre métier et ses spécificités et disposant d'une envergure financière qui permette d'accompagner nos projets et nos investissements.

Nous avons agi en rencontrant le ministère de l'économie à de nombreuses reprises, tant en intersyndicale qu'en bilatéral, pour porter nos revendications relatives à l'avenir de notre chantier et de ses salariés. Par le biais de la commission économique du comité d'entreprise et de son expert, SECAFI, nous avons eu accès à de nombreuses informations, dans une transparence permettant de créer un climat de confiance ; selon cet expert, ce n'est pas commun à tous les projets de reprise d'entreprise, tant s'en faut.

Nous avons obtenu le maintien des garanties qui figuraient dans le précédent montage, garanties qui sont même renforcées par les mécanismes de contrôle du respect des engagements à intervalles réguliers. Nous avons aussi obtenu la disparition de la Fondation de Trieste du dossier – et c'est pour partie parce que nous n'étions pas d'accord avec la répartition du capital que nous avions « pris acte » lors de la dernière consultation. Le nouveau montage, avec le prêt de 1 % par l'État français, est un levier important en cas de non-respect des engagements. Nous avons également obtenu l'arrivée des salariés et des entreprises locales au capital ; même si c'est peu, cela va au-delà du symbolique. Nous avions demandé qu'il en soit ainsi il y a deux ans au ministre de l'économie de l'époque, Emmanuel Macron, et nous avons continué de porter cette demande.

Pour ce qui est du naval militaire, nous regrettons le flou qui demeure sur la possibilité de nous positionner sur certains marchés, malgré un accord commercial avec Naval Group, de même que les incertitudes sur les prochains contrats de maintien en condition opérationnelle des bâtiments de la Marine nationale.

L'accord nous a paru équilibré et de nature à présenter de nombreuses garanties pour l'entreprise et ses salariés. C'est pourquoi la CFDT a rendu un avis favorable.

Mais la réflexion des élus CFDT sur la reprise est plus large ; elle porte sur le contexte industriel, la méthode et le dialogue social.

Pour ce qui est du contexte industriel, rappelons que pendant les deux années de mise en vente de STX France, les candidats à la reprise ne se sont pas bousculés, les candidats français moins encore que les autres. Seuls étaient en lice le groupe asiatique Genting, qui a vite compris qu'il n'était pas le bienvenu, le groupe Damen qui a jeté l'éponge au dernier moment faute d'entente avec ses associés potentiels, et nos clients armateurs qui ont finalement laissé Fincantieri être le seul à faire une proposition.

Cela démontre qu'il n'y a pas moyen de trouver en France un ou des acteurs capables de s'interroger sur l'avenir d'un de ses fleurons industriels et de s'unir pour le préserver. Nous manquons d'une structuration par filière de nos industries – une filière regroupant les grands donneurs d'ordres, leurs entreprises coréalisatrices ou sous-traitantes, l'État, les collectivités territoriales où les sites industriels sont implantés et qui, elles aussi, ont leur mot à dire, les organisations syndicales pour y représenter les salariés mais aussi les citoyens qu'ils sont. La CFDT y est prête ; elle a déjà mis en place des comités de filière pour fonctionner au-delà des branches et des fédérations.

Mais une filière doit avoir de véritables moyens, y compris par un accès à des financements, parce que le nouvel enjeu, en France et en Europe, est devenu la compétitivité financière de nos industries, confrontées à des conglomérats asiatiques, pour ne pas dire chinois, aux crédits quasi illimités. Un exemple criant, même si l'aspect réglementaire y est certainement pour beaucoup : les énergies marines renouvelables, dont les acteurs sont dispersés, certains ayant déjà disparu alors qu'à ce jour, aucune éolienne n'est installée en mer, loin s'en faut ! Heureusement, notre entreprise est allée chercher ses relais d'activité dans ce domaine à l'exportation; en aurait-il été autrement que nous aurions un bel atelier tout neuf, mais rien à y construire.

Mais ce doit aussi être une filière installée dans le temps, dont la perspective n'est pas la prochaine échéance électorale. Un calendrier industriel ne peut être calé sur un calendrier électoral : le rythme n'est pas le même. Sans recréer un Commissariat au Plan, il est essentiel de donner une vision à long terme à ces filières. Il suffit de regarder, une nouvelle fois, du côté de la Chine pour voir qu'avec leur Plan à eux, ils parviennent à monter une filière complète et largement compétitive en quelques dizaines d'années seulement… Nous avons donc toute raison de craindre pour notre avenir sur le marché des paquebots.

Pour ce qui est de la méthode, l'État étant déjà actionnaire, même minoritaire, depuis 2008, il a pu peser de l'intérieur dans les négociations en utilisant les moyens à sa disposition dont le droit de préemption dont il a su faire usage en dernier recours. Nous reconnaissons aussi la compétence de ses acteurs, leur connaissance de notre industrie, et en particulier du dossier STX. Nous reconnaissons aussi une écoute des organisations syndicales lorsque celles-ci apportent des éléments factuels à prendre en compte.

Enfin, le montage final, avec le prêt de 1 % à Fincantieri pour lui donner une courte majorité de gouvernance peut être qualifié d'astucieux : cette gouvernance reste soumise à l'éventualité de nombreuses possibilités de véto de l'État, et surtout au contrôle régulier du respect des engagements pris. Nous avons d'ailleurs obtenu d'être partie à ces audits, puisque nous, organisations syndicales, sommes des relais du terrain. Mais, en cas de manquement, l'État devra remplir son rôle et activer les leviers à sa disposition dans le pacte d'actionnaires. Dans notre dossier, l'État a choisi l'interventionnisme ; il a décidé d'être acteur plutôt que spectateur. Nous nous en félicitons. Cessons, en France et en Europe, de faire preuve d'angélisme vis-à-vis du reste du monde en matière économique et industrielle !

Enfin, le dialogue social a été un élément déterminant de la conclusion de cet accord, certaines garanties transcrites dans le pacte d'actionnaires étant issues de remarques, voire de revendications de notre part : maintien de l'activité sur site, de certains secteurs-clés de l'entreprise, de l'emploi et des compétences ; garanties en matière de propriété intellectuelle, d'investissements, de diversification – autant de revendications que nous avons portées à tous les niveaux de l'État.

Ajoutons qu'il existe dans notre entreprise une véritable culture du dialogue social qui nous permet de travailler en confiance et d'avoir accès à un très haut niveau d'informations économiques et sociales, en comité d'entreprise comme en conseil d'administration. De plus, un accord de méthode signé avec la direction, nous donne des moyens, dont la possibilité d'être accompagnés durant tout le processus de cession par un expert économique. Cette loyauté et cette transparence ont permis à cet expert d'avoir accès à l'intégralité du contenu du futur pacte d'actionnaires, abstraction faite des éléments relevant du « Secret défense ». C'est aussi sur ses conclusions que nous nous sommes appuyés pour rendre notre avis final.

Cette confiance réciproque est un élément déterminant pour la CFDT. Elle doit se construire entre des partenaires sociaux qui se respectent et ont la volonté de travailler ensemble, même s'ils ne sont pas toujours d'accord, parce qu'une entreprise compétitive est aussi une entreprise où les salariés sont reconnus, non comme un coût mais comme une richesse – bien que cela soit peut-être difficile à entendre pour certains patrons. Ils devront effectivement nous entendre, mais les salariés doivent aussi s'emparer des moyens qui leur sont donnés. C'est pourquoi la présence des salariés au capital et d'un administrateur salarié au conseil d'administration, même si nous regrettons qu'il n'ait pas les mêmes droits que les autres administrateurs, est un premier pas vers la codétermination, voire la codécision que nous appelons de nos voeux.

La CFDT considère que les salariés doivent être acteurs de leur avenir et que les organisations syndicales sont bien leurs représentants dans l'entreprise, quelles que soient les instances demain.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.