Intervention de Didier Guillaume

Réunion du jeudi 9 janvier 2020 à 14h30
Mission d'information commune sur le suivi de la stratégie de sortie du glyphosate

Didier Guillaume, ministre de l'Agriculture et de l'Alimentation :

La réduction de l'usage des produits phytopharmaceutiques constitue un enjeu majeur pour notre pays. Celui-ci est porté fortement par le Gouvernement et par le ministère de l'agriculture et de l'alimentation. J'ai déjà eu l'occasion de l'annoncer fermement : la transition agro-écologique est en marche et est irréversible. Les choses doivent être dites clairement : nous devons changer les pratiques, faire évoluer notre agriculture, répondre aux attentes de la société, qui sont aussi celles des agriculteurs qui ne souhaitent pas continuer à utiliser beaucoup de produits phytopharmaceutiques et sont pour la plupart engagés dans cette transition. Déjà 10 % des exploitations agricoles françaises et 7,5 % des surfaces exploitées sont en bio. Il n'y a jamais eu autant de filières en haute valeur environnementale HVE 1 et HVE 2. Les fermes « Démonstration, expérimentation et production de références sur les systèmes économes en phytosanitaires » (DEPHY) fonctionnent. Je souhaite démentir une idée reçue : les agriculteurs, les filières agricoles, le monde agricole ne cherchent pas à freiner cette transition. En même temps, il est compliqué d'aller plus vite pour certains. Le temps de la campagne, le temps des saisons, le temps des plantations et des semailles ne sont pas le temps des réseaux sociaux. Il n'en reste pas moins que cette transition est irréversible.

Nous nous trouvons sur une ligne de crête parce que les demandes sont fortes. Il ne s'agit ni d'interdire les pesticides du jour au lendemain, ni d'attendre la réglementation européenne. Le président de la République a fixé un objectif de sortie du glyphosate début 2021. Son intervention a été d'une clarté limpide et d'un pragmatisme absolu. Nous ne laisserons pas des filières ou des secteurs sans solution, au risque que cette transition environnementale, indispensable, ait un impact économique qui remette en cause des filières ou des exploitations entières. Ce n'est pas ce que veut le Gouvernement. Mais les engagements pris par le président de la République seront tenus ; ils ont été réaffirmés au dernier COS Écophyto : le glyphosate sera interdit pour une majorité d'usages d'ici fin 2020.

Et il ne s'agit pas de se limiter au glyphosate, comme j'ai eu l'occasion de le dire aux questions d'actualité au Gouvernement. Nous devons absolument sortir de notre dépendance à l'ensemble des produits phytopharmaceutiques chimiques. L'objectif du Gouvernement d'une réduction de 50 % de produits phytosanitaires utilisés en 2025 est maintenu.

Le glyphosate est un sujet qui enflamme particulièrement la population, les associations… ainsi que le monde agricole à qui on demande de pratiquer l'agriculture autrement qu'il ne l'a fait depuis des décennies. On peut considérer que cela ne va pas assez vite ; mais il faut souligner qu'aucune autre filière économique dans ce pays n'a autant participé aux transitions que la filière agricole. L'utilisation du glyphosate est déjà interdite pour les traitements en pré-récolte. Le nombre de produits autorisés en France contenant du glyphosate est passé de 190 à 29. La redevance pour pollution diffuse (RDP) sur ces produits a augmenté de 50 %, passant de deux à trois euros. Tout cela n'est pas sans conséquences négatives pour les exploitants. Aujourd'hui, avec Mme Élisabeth Borne, nous souhaitons nous fonder sur une évaluation économique et scientifique et des bases juridiques robustes pour statuer sur les 29 produits encore disponibles sur le marché.

Nous voulons travailler sur deux piliers : la rationalité et la science, et la transparence. Nous avons ainsi mis en place la task force et avons demandé à l'INRAE – que nous lançons officiellement tout à l'heure – et à l'ANSES de travailler ensemble pour permettre à la science d'avancer plus vite, avec des bases actualisées. La science est notre seule référence, comme lorsque nous avons mis en place les zones de non-traitement (ZNT) à 3 ou 5 mètres alors que certains souhaitaient 150 mètres. La transparence est l'autre préoccupation du Gouvernement. Le rapport et les travaux de cette mission d'information commune y contribuent.

S'agissant des viticulteurs, l'engagement de la filière dans la transition a été clairement annoncé ; mais elle ne sera pas sans difficultés. Or, il ne faut pas que les choix du Gouvernement aient pour conséquence de faire fermer des exploitations agricoles. Il faut donc aider les exploitants. Le Gouvernement compte investir 400 millions d'euros pour accompagner leurs transitions. Parce qu'il sait que le coût pour une exploitation sera beaucoup plus élevé.

Mais également, comme je l'ai indiqué au COS Écophyto, parce qu'il est aujourd'hui possible avec du matériel agricole moderne (des agroéquipements, des buses anti-dérive…) d'utiliser 60 à 90 % de produits phytosanitaires, dont le glyphosate, en moins. Quelle stratégie privilégier ? Aider l'acquisition collective de ces matériels par des aides publiques afin de réduire la consommation des produits phytosanitaires ? Ce soutien enverra-t-il le message que l'on peut continuer à épandre ? Ou donnera-t-il plutôt l'indication qu'en finançant ces nouveaux matériels - donc en mettant les autres de côté – nous diminuerons de 80 % les produits phytosanitaires ? Je pense qu'il faut tenir les deux bouts de la chaîne : non seulement travailler à se libérer de la dépendance aux produits phytosanitaires, mais en même temps accompagner le développement d'une filière d'agroéquipement et l'acquisition de ce type de matériel qui permettrait d'avancer plus facilement vers la sortie du glyphosate. Il y a notamment des endroits difficiles à traiter pour lesquels il est besoin de matériel robotisé, sauf à compliquer davantage le travail.

En termes d'accompagnement, la formation est aussi absolument indispensable. À partir de la rentrée 2020, nous changeons totalement les programmes des lycées d'enseignement technique agricole. Mais l'arrêt du glyphosate est identifié comme l'une des trois priorités de l'année scolaire en cours. Cette dynamique se poursuit dans le cadre du deuxième plan « Enseigner à produire autrement ». Les exploitations des établissements de formation devront répondre à un double objectif : fin 2020, 100 % des exploitations agricoles des lycées devront être sorties du glyphosate. Et en 2025, 100 % de la surface agricole utile (SAU) de ces exploitations devront être conduites en agriculture biologique, « Signe d'identification de la qualité et de l'origine » (SIQO) ou HVE de niveau trois. On ne peut fixer des règles sans les appliquer à soi-même. Tous les nouveaux agriculteurs sortiront ainsi avec des formations de base très fortes.

La task force est une réponse aux débats de plus en plus clivants que l'on voit se développer. J'aimerais que lorsque des instituts ou des chercheurs parlent, on les écoute, sans imaginer qu'ils travestissent les choses. Si l'on ne croit plus à ceux qui ont des connaissances, qui croire ? On ne peut s'appuyer sur des croyances, quelles qu'elles soient, mais sur des données claires. Cette task force se réunit tous les trois à six mois. Parmi les sujets discutés figurent les avancées des plans de filière, l'état d'avancement du plan de sortie et ses difficultés, les axes d'amélioration du plan Écophyto… Elle est animée - fort bien - par le préfet Pierre-Étienne Bisch et réunit l'INRAE, l'Association de coordination technique agricole (ACTA), l'Assemblée permanente des chambres d'agriculture (APCA), l'ANSES, le « Contrat de solutions » et son président, le président de la commission des certificats d'économie de produits phytopharmaceutiques (CEPP), le président du Conseil scientifique d'orientation recherche et innovation, la Cellule d'appui national du réseau DEPHY, le réseau des centres d'initiatives pour valoriser l'agriculture et le milieu rural (CIVAM), l'association France nature environnement (FNE), cinq interprofessions, le Comité national des interprofessions des vins (CNIV), le Comité national interprofessionnel de la pomme de terre (CNIPT), Terres Univia, Intercéréales, le Salon méditerranéen interprofessionnel de la filière des fruits et légumes (MIFFEL) et l'Interprofession de la filière des fruits et légumes frais (Interfel). Tout le monde travaille dans cette direction.

Jamais autant n'a été fait et pourtant, la courbe d'achat des produits phytosanitaires continue à monter. Il faut analyser cette évolution. Il ne s'agit pas d'abandonner l'indicateur du nombre de doses unités (NODU) comme ne valant rien. Je fais partie de ceux qui pensent qu'on doit l'associer à d'autres critères. En 2018, comme en 2014, des stocks ont été constitués lorsque la RPD a été augmentée, mais cela n'explique pas tout. Il est aussi important de relever que dans le même temps, l'achat ou la vente de produits CMR 1 et 2 a baissé. Peut-être serons-nous amenés à aller plus loin d'ailleurs. Or, nous savons, pragmatiquement et scientifiquement, qu'en utilisant des produits moins toxiques, là où il suffisait d'un passage, il faut en faire trois maintenant. De fait, on constate que les substances dont les volumes augmentent beaucoup sont les moins toxiques. Cette évolution ne me réjouit pas, mais elle traduit aussi l'avancée de la transition agro-écologique. D'après les chiffres publiés, le glyphosate représente près de 10 % des produits phytosanitaires vendus, derrière le soufre qui est la substance la plus vendue et est utilisé même en agriculture biologique. Les quantités de glyphosate vendues ont certes augmenté de 10 % entre 2017 et 2018, passant de 8 800 à 9 700 tonnes. Toutefois, cette augmentation n'est pas spécifique à la substance. Les ventes de l'ensemble des produits phytosanitaires ont augmenté de 21 % sur la même période, alors qu'elles avaient diminué de 3 % entre 2016 et 2017. Le phénomène du stockage compte, mais il faut aussi regarder quel type de substance est concerné.

S'agissant de la problématique remontée par Monsieur Fugit, je suis personnellement favorable à ce que l'on puisse avoir du bio et du non-bio sur une même exploitation. Il y a des endroits en effet où l'on n'arrivera pas à faire du bio, mais d'autres où cela est possible. Or, tout ce qui va dans le sens de la transition agro-écologique, même partielle, est mieux que de ne pas y aller du tout. Comment organiser cette mixité ? Ce n'est pas si simple. J'ai demandé aux services ministériels de travailler sur le sujet. Cela concerne essentiellement la viticulture. D'ailleurs, nous ignorons quel est le pourcentage de pentes où cela ne fonctionne pas ; j'ai interrogé l'INRAE et l'ANSES, mais je n'ai pas encore la réponse.

Quant aux négociations PAC, la France soutient très fortement la Commission ; il était le premier pays favorable aux eco-scheme du premier pilier, obligatoires pour tous les États. En revanche, la France est défavorable à la proposition de la Commission actuelle de baisser le budget. Contrairement à ce qui se dit, le président de la République et le Gouvernement se battent contre cette orientation. Nous sommes encore une majorité qualifiée bloquante au sein du conseil des ministres de l'agriculture européens qui refusons d'« aborder l'intérieur de la PAC tant que nous n'avons pas le cadre financier pluriannuel (CFP) », à la hauteur de ce qu'il est aujourd'hui sans les Britanniques. Les services ministériels y travaillent tout de même à travers les programmes stratégiques nationaux. En tout état de cause, il est évident que les echo-scheme dans le premier pilier, la transition agro-écologique dans le deuxième pilier seront essentiels. L'Europe aussi doit muter, dans le cadre de sa diversité.

Il nous est parfois reproché de rajouter des normes ou de les sur-transposer. C'est faux. Il n'en reste pas moins que lorsque le glyphosate sera interdit à la fin de l'année, d'autres pays continueront à l'autoriser. Nous sommes confrontés à la même problématique sur le bio : j'ai pris la décision, assumée, de refuser ce label aux tomates cultivées sous serre en janvier parce que le bio ne fait pas du contre-saisonnal. Pourtant, nous recevons depuis longtemps ce type de tomates de Hollande ou d'ailleurs avec l'étiquette « bio ». Il existe une concurrence déloyale entre États membres ; aussi luttons-nous pour que ceux qui ont les standards les plus élevés fassent monter les autres. Je me suis rendu en Europe centrale et orientale, en Espagne et en Allemagne, j'ai rencontré le groupe de Visegrád en leur disant : «  vous avez tout intérêt à ce que vos exigences montent. Parce que si tout le monde monte, vos agriculteurs gagneront mieux leur vie et vos consommateurs auront une agriculture et une alimentation plus tracée. »

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