Intervention de élisabeth Borne

Réunion du mercredi 29 janvier 2020 à 16h45
Mission d'information commune sur le suivi de la stratégie de sortie du glyphosate

élisabeth Borne, ministre de la transition écologique et solidaire :

C'est la première fois que je m'exprime devant vous au sujet de la sortie du glyphosate : je vous remercie de m'en donner l'occasion.

Le Gouvernement est déterminé à réaliser cette sortie dans les délais qui ont été fixés par le Président de la République et mon ministère est pleinement mobilisé pour y parvenir. Conformément au plan d'action qui a été lancé en juin 2018, nous voulons mettre fin aux principaux usages du glyphosate pour lesquels des alternatives existent d'ici au 1er janvier prochain, et à l'ensemble des usages d'ici au 1er janvier 2023.

Sortir du glyphosate, qui représente environ 30 % des herbicides utilisés à l'échelle nationale, est une demande de nos concitoyens. C'est aussi l'occasion de réinterroger plus largement l'usage et la place des herbicides de synthèse. Je crois sincèrement que nous avons aujourd'hui la possibilité, filière par filière, d'enclencher une dynamique de transition vers des alternatives aux herbicides chimiques plus respectueuses de notre environnement et de nos écosystèmes. La sortie du glyphosate est une affaire de dynamique collective et d'ambitions partagées.

Coordonner les acteurs, mobiliser les territoires, capitaliser sur les initiatives innovantes : autant d'actions indispensables pour réaliser cette transition. Tel est le sens de la mission confiée au préfet Pierre-Étienne Bisch ; je voudrais ici saluer son action et vous confirmer que mes services travaillent étroitement avec lui. La task force qu'il pilote permet de réunir autour de la table tous les acteurs impliqués dans la sortie du glyphosate : l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (INRAE), les instituts techniques agricoles, les chambres d'agriculture, mais aussi les associations environnementales et les organisations professionnelles. Cette mobilisation de tous les acteurs a permis de mettre au jour de nombreuses alternatives au glyphosate. Le réseau des fermes DEPHY le montre bien puisque 78 % des exploitations en arboriculture et 66 % des exploitations en viticulture ont d'ores et déjà drastiquement réduit leurs usages du glyphosate, voire l'ont supprimé, sans dégrader leur résultat d'exploitation – j'insiste sur ce point.

Ces chiffres montrent que la sortie du glyphosate est ambitieuse, mais réaliste, à condition d'accompagner le changement d'échelle. C'est pourquoi le Gouvernement a commencé à lancer des actions concrètes pour essaimer les bonnes pratiques. Un centre de ressources de sortie du glyphosate a été mis en ligne afin de diffuser les alternatives existantes et d'accompagner les agriculteurs dans l'identification des solutions les plus adaptées à leur situation ; les informations qu'il contient pourront bien sûr être enrichies par les initiatives des territoires. Par ailleurs, un accompagnement technique est mis à la disposition des agriculteurs ; il s'appuie sur les expériences éprouvées dans les fermes DEPHY. Depuis 2017, les agences de l'eau ont consacré environ 7 millions par an à cet accompagnement.

Malgré tout, l'utilisation du glyphosate continue à augmenter : les ventes se sont accrues de près de 10 % entre 2017 et 2018. Les professionnels expliquent cette hausse par une anticipation des achats de glyphosate avant l'augmentation de 50 % de la redevance pour pollutions diffuses, intervenue le 1er janvier 2019. Ce phénomène de stockage temporaire avait déjà été constaté en 2014, lors de la dernière augmentation de la redevance. Il n'en reste pas moins que les ventes de glyphosate ont progressivement augmenté de 20 % en six ans. Des progrès ont toutefois été réalisés dans le secteur non-agricole avec l'entrée en vigueur de la loi Labbé, qui a interdit l'usage des produits phytopharmaceutiques pour les personnes publiques depuis 2017 et pour les particuliers depuis le 1er janvier 2019. Avec cette loi, les ventes ont mécaniquement diminué. En outre, et vous l'avez souligné, monsieur le co-rapporteur, le secteur agricole a réduit de 15 % en dix ans l'utilisation des substances cancérigènes les plus préoccupantes, les CMR1.

Ces résultats nous montrent qu'il n'y a pas de fatalité ; il nous faut agir plus rapidement et insuffler une nouvelle dynamique pour atteindre nos objectifs. Je souhaite que nous supprimions l'usage des produits phytopharmaceutiques, dont le glyphosate, dans l'ensemble des lieux de vie, en priorité dans les copropriétés, et dans les espaces ouverts au public tels que les campings, les résidences hôtelières et les terrains de sport. Par ailleurs, lors du COS du plan Écophyto II, nous avons annoncé le lancement d'une stratégie nationale pour le développement du biocontrôle : ce sont des solutions alternatives aux herbicides ayant un impact sur l'environnement, notamment le glyphosate. Cette stratégie fera l'objet d'une consultation dans les semaines à venir.

Notre troisième axe de travail consiste à appliquer des paiements pour services environnementaux. C'est une manière d'accompagner les agriculteurs qui adoptent des pratiques plus vertueuses pour l'environnement. Les premiers dossiers, notamment ceux qui ont pour but d'arrêter durablement l'utilisation d'herbicides, seront sélectionnés en 2020 par les agences de l'eau. Au total, 150 millions d'euros ont été provisionnés sur trois ans et une vingtaine de projets ont d'ores et déjà été identifiés dans le bassin Adour-Garonne, notamment pour réduire l'utilisation des produits phytosanitaires dans les aires d'alimentation des captages d'eau potable. Cette nouvelle dynamique doit aussi nous amener à encadrer le rôle du conseil stratégique pour les agriculteurs. L'ordonnance du 24 avril 2019 avait introduit la séparation des activités de vente et de conseil à l'utilisation des produits phytopharmaceutiques. Ce conseil devra désormais promouvoir les alternatives et accompagner les agriculteurs dans la transition vers moins d'herbicides.

Enfin, je souhaite que nos travaux pour sortir du glyphosate soient menés avec une parfaite transparence, aussi bien au niveau national qu'au niveau local. J'ai donc souhaité que chacun puisse avoir librement accès aux données territorialisées. Depuis le 1er juillet 2019, les données d'achats de produits phytopharmaceutiques contenues dans la banque nationale des ventes des distributeurs (BNV-D) ont été rendues publiques à l'échelle du code postal. Nous avons mis en ligne ce mois-ci un outil de visualisation géographique permettant d'observer, pour chaque département, l'évolution annuelle des ventes ou des achats de pesticides en général, et de glyphosate en particulier. Cela répond, monsieur le président, à votre préoccupation de disposer de données précises à l'échelle des territoires.

Vous le voyez, le Gouvernement est pleinement engagé dans la sortie du glyphosate. Cette sortie est réalisable, à condition d'accompagner les agriculteurs, filière par filière, pour trouver des solutions adaptées aux situations qui ne présentent pas d'alternative immédiate : j'y serai bien sûr très attentive. La sortie du glyphosate est aussi l'occasion de nous interroger plus globalement sur la consommation d'herbicides synthétiques. Les efforts du secteur agricole devront être valorisés, à travers la reconnaissance des modes de production les plus respectueux de l'environnement : je pense notamment au label HVE3 (haute valeur environnementale niveau trois). Il est important de signaler aux consommateurs les produits qui ont fait l'objet de pratiques plus économes et qui ont un meilleur impact sur l'environnement. Nous devons réconcilier nos ambitions environnementales et nos choix de consommation.

Vous avez pointé des différences selon les filières. L'INRAE a mené un travail pour identifier des alternatives dans le domaine de la viticulture, qui ont déjà été rendues publiques. Un travail similaire se termine, s'agissant de l'arboriculture, et un autre, relatif aux grandes cultures, sera également présenté avant cet été. Les alternatives sont plus difficiles à trouver dans certaines filières, ce qui nécessite des recherches complémentaires. C'est le cas de l'agriculture de conservation des sols, qui se révèle par ailleurs très intéressante pour lutter contre le dérèglement climatique. Mon ministère encourage cette agriculture et souhaite l'encourager encore davantage, en développant les labels bas carbone : les recherches devront donc se poursuivre dans ce domaine. Je ne suis pas agricultrice, mais j'ai eu l'occasion, en tant que préfète d'une région rurale, de beaucoup travailler avec les agriculteurs. Des pistes existent, comme les semis directs sous couvert permanent. Des agriculteurs testent aussi la suppression de produits phytosanitaires à l'échelle de petites parcelles, y compris dans le cadre de l'agriculture de conservation des sols.

En tout état de cause, je suis convaincue que cet accompagnement est indispensable. Il va de soi que la PAC aura un rôle majeur à jouer dans l'orientation des modèles agricoles. C'est bien parce qu'elle a encouragé des modèles utilisant beaucoup de produits phytosanitaires et d'irrigation que cette agriculture perdure dans une partie de notre territoire. Nous avons une ambition environnementale forte, que nous défendons dans le cadre des discussions en cours ; notre souhait est que les objectifs de réduction des produits phytosanitaires, que la France s'est fixés dans le cadre des programmes Écophyto, soient adoptés au niveau européen. Des réflexions sont menées dans le cadre du Green deal – notamment autour du mot d'ordre « de la fourche à la fourchette ».

Il est clair que si la PAC n'allait pas dans le bon sens, alors qu'elle représente environ 7 milliards d'euros par an, les 70 millions que mon ministère consacre au plan Écophyto depuis dix ans pèseraient peu. Il est donc important que la PAC suive la bonne direction. Pour ce faire, nous avons plaidé pour une conditionnalité européenne renforcée, qui pourrait intégrer au schéma de négociation des éléments relatifs à l'utilisation des pesticides et qui pousserait véritablement à la performance environnementale. Enfin, nous souhaitons une incitation différenciante et ambitieuse, qui permette d'orienter des crédits du premier pilier vers la transition agroécologique. Nous sommes également favorables à des mesures efficaces du second pilier, pour accompagner l'évolution à long terme des systèmes de production : ces mesures incluent des aides à l'agriculture biologique, qui sont aujourd'hui sous-dimensionnées. Je suis convaincue que l'harmonisation des pratiques au niveau européen doit accompagner notre action au niveau national.

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