Intervention de élisabeth Borne

Réunion du mercredi 29 janvier 2020 à 16h45
Mission d'information commune sur le suivi de la stratégie de sortie du glyphosate

élisabeth Borne, ministre de la transition écologique et solidaire :

Les paiements pour services environnementaux n'entrent pas dans la PAC ; ce sont des crédits des agences de l'eau, qui s'élèvent à 150 millions d'euros sur trois ans, dans le cadre de leur onzième programme. Non seulement ils préfigurent ce que devra être la future politique agricole commune, mais ils adressent aussi un message très important aux agriculteurs. Ces derniers jouent évidemment un rôle essentiel pour produire notre alimentation mais, étant donné la place qu'occupe l'agriculture sur notre territoire, ils ont aussi un rôle essentiel à jouer dans la transition écologique : nous ne pourrons pas la réussir sans eux.

Que ce soit au travers des labels bas carbone, qui valorisent les pratiques renforçant le rôle des sols comme puits de carbone, ou des paiements pour services environnementaux, nous reconnaissons la place centrale que joue l'agriculture dans la transition écologique. Au moment où les agriculteurs se sentent attaqués, il est important que nous parvenions à orienter leurs pratiques au point de rémunérer des services environnementaux.

Sans relancer les débats qui ont eu lieu lors du COS, je ne peux pas me satisfaire des résultats du plan Écophyto : alors qu'il a été lancé en 2008 avec l'ambition de réduire de 50 % l'utilisation de ces produits d'ici 2018, cette échéance a été repoussée à 2025. Certes, j'entends que l'évolution constatée en 2018 est liée à l'augmentation de la redevance pour pollutions diffuses, prévue en 2019, mais la tendance générale ne va pas dans le bon sens.

Parce que des produits plus actifs ont été remplacés par des produits moins actifs, certains voudraient en utiliser davantage. En réalité, le nombre de doses unités (NODU), un outil de mesure qui a fait l'objet de longues discussions, prend déjà en compte le fait que, pour un produit moins actif, la quantité autorisée à l'hectare est plus élevée. Il n'y a donc aucune raison d'augmenter les doses.

Si nous avons réduit l'utilisation des produits les plus dangereux pour la santé humaine – la base de visualisation que nous avons mise en ligne le montre –, il n'en est pas de même des produits dangereux pour l'environnement. Nous avons continué à utiliser des produits qui ont une grande incidence sur l'environnement. Si nous nous accordons sur ce constat, nous pourrons peut-être réfléchir à des leviers plus efficaces.

Nous avons prévu d'appuyer le plan Écophyto sur un comité scientifique afin d'évaluer ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas. Certes, nous constatons des résultats dans les fermes DEPHY, mais nous avons beaucoup de peine à changer d'échelle car cela suppose des changements profonds de pratiques. Mieux vaut se le dire et voir comment accompagner les changements pour atteindre ces objectifs. À ce titre, 2020 est une année importante, et même cruciale puisque, dans le domaine de la biodiversité, nous aurons à construire l'équivalent de l'accord de Paris, à l'échelle internationale, pour les dix prochaines années.

Nous devons parvenir à mieux orienter et accompagner les agriculteurs dans ces changements de pratiques. L'aval, je l'ai dit, a un rôle très important à jouer en la matière. Certains industriels agro-alimentaires comme Danone, Bonduelle ou d'Aucy veulent encourager des pratiques limitant l'usage des produits chimiques. Le fait que l'aval soit prêt à rémunérer d'autres pratiques est la meilleure façon de faire évoluer les choses. C'est pourquoi le label HVE3 est essentiel : les consommateurs doivent pouvoir reconnaître les produits qui utilisent moins de substances phytosanitaires.

Les paiements pour services environnementaux, que nous pourrons tester dès cette année, puis la nouvelle politique agricole commune nous permettront d'avancer sur ces questions.

Des tableaux de bord ont été demandés aux agences de l'eau et aux directions régionales de l'alimentation, de l'agriculture et de la forêt (DRAAF). La task force est chargée de rassembler des données consolidées, qui nous donneront une meilleure visibilité sur le fléchage des crédits destinés à réduire les produits phytosanitaires.

Au niveau européen, le débat n'a pas été rouvert, mais certaines initiatives ont vu le jour.

Le Luxembourg, où l'agriculture n'a peut-être pas la même place qu'en France, a prévu l'interdiction de toute utilisation de produits phytosanitaires pour les distributeurs et les utilisateurs d'ici au 31 décembre 2020, avec un retrait des autorisations de mise sur le marché au 1er février et un délai d'écoulement des stocks jusqu'au 30 juin. Un soutien important est prévu, avec une prime allant de 30 à 100 euros par hectare selon les types de cultures, ainsi qu'une prime additionnelle de 500 à 550 euros par hectare.

Il importe que ces politiques soient menées à l'échelle européenne, et le fait que certains États adoptent déjà une telle démarche facilitera certainement les discussions.

S'agissant de l'éventuelle évolution du cadre législatif européen et du règlement relatif à la mise sur le marché et à l'utilisation des produits phytopharmaceutiques, la France s'oppose systématiquement au report ou au renouvellement des approbations pour les substances les plus préoccupantes, les fameux CMR1, les perturbateurs endocriniens pour l'homme ou pour l'environnement ainsi que les substances bioaccumulables et toxiques.

Le Gouvernement s'attache à ce que les organismes français fassent évoluer les méthodologies d'évaluation des risques en prenant en compte les problématiques relatives à la santé et à l'environnement de façon globale, notamment les risques chroniques pour les pollinisateurs et les effets cocktail dans l'alimentation. L'ANSES est très impliquée au niveau européen sur ce sujet crucial. La position de la France restera ambitieuse, mais elle continuera de s'appuyer sur l'expertise de l'agence.

Par ailleurs, nous avons saisi l'ANSES pour établir une revue scientifique des substances les plus préoccupantes, connues ou suspectées. Sur la base de ces nouvelles connaissances scientifiques, nous pourrons demander à la Commission de réexaminer les approbations dès que nous pourrons faire valoir des éléments nouveaux. Dans l'intervalle, rien n'empêche de retirer les autorisations de mise sur le marché au niveau national ou d'imposer des restrictions d'usage lorsque c'est nécessaire.

Le caractère potentiellement dangereux du glyphosate a été évalué par différentes agences scientifiques et fait toujours débat. Il importe de s'en remettre à ces agences scientifiques, même si elles ne sont pas d'accord entre elles, et de veiller à leur indépendance et leur neutralité. Sortir d'un cadre évalué par les scientifiques serait très dangereux.

Les divergences existant entre les évaluations des agences doivent être levées. Afin de clarifier la dangerosité du glyphosate et de mieux comprendre son mécanisme d'action et son effet sur l'homme, l'ANSES a lancé un appel à projets de recherche d'1,2 million d'euros à l'automne dernier. Centré sur le caractère cancérogène du glyphosate, il aboutira à la fin de 2021 – le temps de la recherche scientifique est malheureusement long. À ce jour, deux consortiums ont répondu.

Je répète que l'ANSES est une agence précieuse. Nous avons déjà pu le dire lorsqu'il a été question des zones non traitées (ZNT). Je ne sais pas vers quoi nous irions si nous quittions la science au moment de faire des choix de ce type.

Parmi les pays européens, l'Allemagne a annoncé à l'automne 2019 un plan de protection des insectes, dont un volet inclut la sortie complète du glyphosate d'ici à 2023, c'est-à-dire avec l'expiration de l'approbation européenne. L'objectif est de limiter très fortement son usage d'ici à cette date.

L'Autriche a annoncé à l'été 2019 qu'elle interdirait complètement l'utilisation du glyphosate dès janvier 2020. Le 9 décembre, à la suite d'un vice de forme, le gouvernement autrichien est revenu sur cette décision, qui aurait dû être notifiée à la Commission européenne. De nouvelles propositions législatives seront donc présentées en Autriche.

En République tchèque, le ministre de l'agriculture a annoncé en septembre 2018 que l'usage du glyphosate, notamment le Roundup, considéré par l'Organisation mondiale de la santé (OMS) comme cancérogène probable, sera limité à compter du 1er janvier 2019. D'après les informations que nous avons, l'utilisation du glyphosate avait chuté de 935 000 litres à 750 000 litres depuis 2013. Dans l'attente de solutions de remplacement, le ministère a revu ses ambitions à la baisse en 2019 et a restreint l'interdiction totale à quelques cultures de céréales et de colza, qui concernent tout de même de vastes surfaces.

En Lituanie, l'opposition a présenté des propositions allant dans le même sens.

Un mouvement d'ampleur semble donc se dessiner en Europe. Que les ambitions de la France trouvent un tel écho au niveau européen est une bonne nouvelle.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.