Le fait de coupler les élections régionales et départementales a-t-il eu un impact sur la participation ? C'est difficile à mesurer, mais je pense que cela a en tout cas posé un problème de lisibilité et a aussi brouillé la campagne et le message des politiques ; du coup, certains électeurs ont pu confondre les votes et les enjeux.
Quant aux effets des sondages sur les comportements électoraux, nous disposons de nombreuses études sur le sujet, et cela depuis leur apparition. Leurs résultats sont assez contradictoires : certaines concluent qu'elles favorisent plutôt le candidat qui a priori l'emporterait ; d'autres conduisent à penser que, au contraire, les sondages incitent certains électeurs à se mobiliser lorsqu'ils voient que leur candidat est en mauvaise posture. Mais il est évident qu'ils ont des effets, notamment dans la mesure où, je le répète, la manière dont on s'empare des sondages et dont on les commente dans les médias fait partie intégrante de la campagne. Le rôle des instituts est par conséquent déterminant et c'est pourquoi nous sommes très contrôlés, notamment par la Commission des sondages. Nous essayons, autant que faire se peut, d'innover et d'améliorer nos méthodes.
L'utilisation de récits, les nouvelles approches nous tiennent à cœur ; et comme le soulignait Jean-Daniel Lévy, nous avons aussi beaucoup à apprendre du marketing et des sciences comportementales. Je pense que, comme c'est déjà le cas en matière d'achats, de santé ou d'alimentation, on sera bientôt conduit à étudier dans le champ politique ce qui détermine les comportements humains. La crise sanitaire nous a fait développer de nouvelles méthodes de suivi afin de mieux comprendre les logiques à l'œuvre et les cheminements intellectuels. Au-delà des intentions de vote, nous essayons d'analyser au plus près le vécu de nos concitoyens – c'est d'ailleurs un aspect passionnant de notre métier. Nombre de méthodes sont testées, notamment numériques, afin d'essayer de comprendre l'univers des jeunes, et leur façon d'interagir, notamment. Je suis persuadée que nous sommes à l'aube de découvertes très intéressantes dans le domaine des sciences comportementales appliquées au champ politique.
Pour ce qui est de la campagne électorale, deux points de participation en plus, je trouve que c'est déjà très bien, monsieur Cordier ! Il faudrait réfléchir plus avant sur les modes de relations à établir avec les citoyens dans une campagne électorale, mais ce qui est certain, c'est que ceux-ci souhaitent qu'on aille vers eux ; ils attendent plus de proximité de la part des politiques. On dit que le collectif n'existe plus, mais je ne suis pas d'accord ; je crois qu'il a pris des formes différentes, que l'on a encore du mal à analyser. Et pour en revenir à Pierre Rosanvallon, je pense que tout l'enjeu est précisément, au-delà du phénomène d'individualisation, d'arriver à saisir les nouvelles formes d'engagement collectif – notamment à l'occasion des campagnes électorales, et à l'aide d'outils différents de ceux que nous avons l'habitude d'utiliser.