Intervention de Jean-Daniel Lévy

Réunion du mercredi 1er septembre 2021 à 15h30
Mission d'information visant à identifier les ressorts de l'abstention et les mesures permettant de renforcer la participation électorale

Jean-Daniel Lévy, directeur délégué d'Harris Interactive France :

Sur ce dernier point, tout en sachant que l'exposition médiatique nous sert et nous confère une forme de crédibilité, nous cherchons à tempérer l'utilisation que les médias sont amenés à faire de nos données. De façon générale, nous incitons chacun à consulter les sites internet des instituts, où l'on trouve une note qui accompagne chaque étude. Il y a toujours une prise de parole de la part de l'institut, qui est parfois un peu différente, et même divergente de ce qui est mis en avant par les médias audiovisuels et la presse écrite, y compris ceux qui se revendiquent comme étant de qualité. Ne nous cachons pas derrière notre petit doigt, nous avons tous intérêt à être exposés médiatiquement, mais nous pouvons être déstabilisés par l'exploitation qui est faite de nos sondages, et nous pouvons aussi avoir certains débats avec nos commanditaires.

Oui, nous jouons un rôle ; oui, nous fournissons une information. Ce qui nous frappe, c'est qu'en général, le recours aux sondages pour se déterminer est d'autant plus fort qu'on ne voit pas la différence entre les projets politiques des acteurs. Si l'on ne croit pas suffisamment à ce qui peut être fait par le responsable politique, on utilise le sondage pour savoir si l'on a intérêt à voter pour lui. Cela s'est vu par exemple au cours de la dernière élection présidentielle. Une partie de l'électorat a voté au premier tour en faveur d'Emmanuel Macron, considérant que c'était le plus petit dénominateur commun pour éviter un second tour entre Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon ou François Fillon. Cela a contribué au fait qu'il atteigne les 24 %. Au sein de la gauche, il y a aussi eu un déport d'une partie de l'électorat socialiste de Benoît Hamon vers Jean-Luc Mélenchon, considéré comme celui qui avait le plus de chances d'être au second tour. Au soir du deuxième tour de la primaire socialiste, le 29 janvier, il y avait 16 % d'intentions de vote pour Benoît Hamon et 9 % pour Jean-Luc Mélenchon. Ensuite, l'évolution des courbes a été quasi mécanique ; un débat sur TF1 avait participé à la bascule électorale.

S'il y a donc bien une incidence des sondages, ce n'est pas le seul aspect à prendre en compte. Nous avons tendance à considérer que c'est la faiblesse de la crédibilité du projet politique dans l'absolu qui en renforce l'effet. On emploie parfois les termes de bandwagon et underdog : je vous laisse creuser le sujet dans la littérature, mais cela signifie que certains électeurs courent grossir les rangs du candidat appelé à la victoire et que d'autres cherchent à donner un coup de main à celui qui reste en arrière.

Certains faits sont toutefois déstabilisants. Il arrive, lorsqu'on compare des enquêtes publiques avec d'autres confidentielles, menées pour des acteurs qui ne rendront pas les données publiques, qu'on constate les mêmes distorsions entre les résultats réels et les intentions de vote. On ne peut donc pas considérer qu'il y ait toujours un effet manifeste, dans un sens ou dans l'autre.

Concernant la sociologie de l'abstention, nous avons des éléments que nous pourrons mettre à votre disposition – sachant qu'il s'agit de sondages, avec les forces et les faiblesses que cela implique ! Pour ce qui est des familles politiques, nous avons été surpris, au cours des dernières élections municipales et pour partie des dernières régionales et départementales, par l'abstention plus importante de l'électorat d'extrême droite ou ayant voté pour Marine Le Pen à la dernière présidentielle. Ce n'est pas le seul facteur, mais la crainte de contracter le covid dans les bureaux de vote avait été un peu plus manifeste de la part de cet électorat, notamment pour les municipales. Il est, non pas forcément complotiste, mais plus sceptique face à une parole institutionnelle rassurante que d'autres catégories de population.

Un dernier point : je ne suis pas persuadé que le fait de connaître précisément les ressorts de l'action d'une institution participe du comportement électoral. Et il en est de même pour la relation de proximité. Aux élections municipales précédentes, sans compter celles de 2020, on était autour de 65 % de participation : on voit donc que même si le maire est l'élu préféré des Français, comme le disent toutes les enquêtes, cela ne se traduit pas forcément dans la pratique électorale. Même dans les communes de petite taille, où l'on connaît son maire, il y avait déjà une abstention manifeste. D'autres éléments interviennent : l'indépendance du maire, sa capacité à porter ses ambitions, la présence de structures intercommunales… La dimension de proximité n'est donc pas la seule à prendre en compte, non plus que celle de la simplification, même si elle existe, comme lors de la création des grandes régions en 2015.

Pour caricaturer, la différence entre une route départementale de droite et une route départementale de gauche n'est guère sensible. Donc, se focaliser sur la dimension institutionnelle, suivre l'optique des compétences revient à donner à la décision un caractère administratif et non plus politique. En revanche, lorsqu'il y a une conflictualité politique au sens noble du terme, des projets politiques et des confrontations, l'enjeu apparaît plus important et cela accroît la mobilisation électorale.

Une des difficultés de la dernière campagne électorale fut qu'on ne voit pas toujours les différences de pratique, voire de valeurs, entre les acteurs une fois qu'ils sont aux responsabilités. Cela n'incite pas à se déplacer pour aller voter, sachant qu'on a tendance à individualiser de plus en plus son jugement, parfois en faisant fi du strict cadre des formations politiques traditionnelles. Pour ma part, je pense aussi que les motivations du vote des électeurs ne se basent pas uniquement sur leur intérêt personnel, mais également sur un système de valeurs et une représentation de ce qu'est l'intérêt général. Cette représentation peut varier en fonction de la position sociale ou institutionnelle de chacun, mais elle dépasse largement la simple évaluation coût-bénéfice : on ne se décide pas seulement en fonction de son pouvoir d'achat, de ses impôts, de la garde de ses enfants ou de sa qualité de vie, mais en fonction d'une conception très forte de l'intérêt général.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.