Intervention de Gilles Babinet

Réunion du mercredi 8 septembre 2021 à 11h35
Mission d'information visant à identifier les ressorts de l'abstention et les mesures permettant de renforcer la participation électorale

Gilles Babinet, coprésident du Conseil national du numérique :

Exactement.

S'agissant de la confidentialité du vote, je ne peux que vous renvoyer à ce que nous venons de dire : non, celle-ci ne peut pas être garantie avec certitude dans le cadre d'un vote électronique, des failles peuvent apparaître. L'affaire Pegasus a pris tout le monde de court : en se plaçant au-dessus du système d'exploitation des téléphones, il est possible de tout voir ; même si vous avez la messagerie la plus sécurisée qui soit à l'intérieur du système, celui qui est capable de lire ce qui s'inscrit sur l'écran a accès à tout. C'est très problématique. Nous nous heurtons à la même difficulté pour le vote électronique, qu'il soit à distance ou par le biais d'une machine.

En effet, un des aspects de la « démocratie liquide » est la transmission totale de l'expression des citoyens – une personne demande à une autre, sur un sujet particulier, de voter dans le sens qu'elle lui indique. Mais la « démocratie liquide », en faveur de laquelle plusieurs personnes ont milité en France, notamment lors de la dernière élection présidentielle, ne se résume pas à ce principe : elle repose sur un engagement plus direct dans la participation citoyenne, qui peut s'appliquer à la conception des lois, des systèmes de l'État ou des fonctions publiques au sens large.

Quant aux « quadras », j'en conviens, il serait plus commode pour moi, à l'occasion de certaines élections, de voter par voie électronique. Mais, dans la balance entre le risque et le gain pratique, le risque est trop élevé, je le répète. Nous gagnerions 10 % de votants, peut-être 5 % ou 20 % – je ne sais pas – mais le risque est trop grand pour l'instant. Le vote électronique doit être réservé aux cas extrêmes – les personnes définitivement éloignées des bureaux de vote et qui ne peuvent pas établir de procuration comme les Français de l'étranger – et utilisé avec parcimonie.

En ce qui concerne les applications électorales, si je puis les résumer ainsi, et plus généralement l'expérience de l'utilisateur en matière de vote en ligne, j'ai un souvenir de vote électronique pour le collège de Sciences Po où j'enseigne : c'est l'enfer ! L'ancien directeur de l'école m'a expliqué qu'il devait prendre d'importantes précautions pour sécuriser le résultat obtenu.

Je viens d'évoquer la notion de « démocratie liquide ». Le fait de garantir la qualité de l'expérience de l'utilisateur est une exigence démocratique. La technocratie s'oppose à la démocratie. Si vous complexifiez l'expérience de l'utilisateur, vous perdez certains d'entre eux. Les systèmes complexes constituent une violence exercée contre les citoyens. Dans l'expression directe des citoyens qui participent à la construction de la loi et aux outils de fonctionnement des institutions publiques, l'expérience de l'utilisateur est aussi une préoccupation très forte.

Je fais une parenthèse – ce n'est pas mon domaine de compétence – : dans les pays dans lesquels le vote a lieu en semaine, je note que les citoyens sortent du travail bien plus tôt qu'en France. En Estonie que je connais bien, les employés finissent de travailler à trois heures. C'est peut-être la raison pour laquelle les votes sont organisés en semaine.

Les enjeux de souveraineté sont devenus très à la mode. Je me suis beaucoup exprimé il y a quatre ou cinq ans lorsque je travaillais sur le sujet pour l'Institut Montaigne. La restauration de notre souveraineté sera l'affaire d'une génération au moins. Nous l'avons perdue en matière de métaplateformes et de composants critiques électroniques, mais nous avons aussi un peu perdu – il est important de le dire – notre capacité à créer un engagement technologique citoyen. J'ai écrit il y a quelque temps une tribune dans Le Monde à ce propos. C'est une très bonne chose de disposer d'une direction interministérielle du numérique (DINUM), réunissant 200 ou 300 personnes, mais c'est ignorer le potentiel de l'engagement technologique des citoyens, y compris pour éviter que l'État soit victime de hackers. Selon Guillaume Poupard, le directeur de l'ANSSI, l'une des plus grandes forces pour lutter contre les risques de dévoiement de nos systèmes serait un engagement citoyen, qui passerait par une culture de la cybersécurité mais aussi par la possibilité de faire appel à ce que l'on appelle des hackers blancs qui assurent, aux côtés de l'État, l'intégrité des systèmes.

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