Intervention de Sébastien Jaunet

Réunion du mercredi 8 septembre 2021 à 14h30
Mission d'information visant à identifier les ressorts de l'abstention et les mesures permettant de renforcer la participation électorale

Sébastien Jaunet, sous-directeur de l'administration des Français à la direction des Français à l'étranger et de l'administration consulaire du ministère de l'Europe et des affaires étrangères :

Au sein de la sous-direction des Français de l'étranger, nous sommes amenés à organiser les cinq types de scrutins auxquels peut être appelée cette population, qui compte 1,37 million d'inscrits sur les listes électorales consulaires : élections présidentielle, législatives, européennes et des CFE, et consultations référendaires.

Fixées par la loi du 22 juillet 2013 relative à la représentation des Français établis hors de France, les modalités de vote offertes aux Français de l'étranger sont à géométrie variable en fonction des scrutins. Il en existe quatre : à l'urne, par procuration, par correspondance postale et par internet, ces deux dernières ne s'appliquant pas à tous les scrutins.

Génériques, les deux premières sont ouvertes pour tous les scrutins. Le vote par correspondance postale, modalité dont le périmètre va en se restreignant, n'est ouvert que pour la seule élection des députés des Français de l'étranger. Le vote par internet, lui, est proposé pour deux élections : celle des CFE et celle des députés des Français de l'étranger. Nous avons mis en œuvre cette modalité pour les élections consulaires de mai 2021, et cela sera également le cas à l'occasion des élections législatives de mai et juin 2022.

S'agissant de la répartition de la participation en fonction des options proposées, j'ai ici quelques statistiques que je pourrai compléter si vous le souhaitez. Pour l'élection présidentielle, c'est assez simple, puisque sont ouverts, comme en France, le vote à l'urne ou par procuration. Pour les standards d'élections organisées à l'étranger, la participation est assez élevée, même si elle reste, bien sûr, en dessous du niveau national : en 2012 et en 2017, elle a oscillé entre 40 % et 45 %. Cela signifie que près d'un électeur sur deux inscrit sur les listes électorales consulaires vient voter à cette occasion.

Pour les élections législatives, les taux de participation observés en 2012 et en 2017 ont oscillé entre 17 % et 20 %, soit un peu moins de la moitié de la participation nationale. Lors du scrutin de 2012, 45 % des électeurs ont voté à l'urne, 53 % par internet et seulement 2 % par correspondance. Pour les élections législatives de 2017, le vote par internet n'avait pas été proposé ; 94 % des électeurs ont voté à l'urne et 6 % par correspondance.

Pour les élections européennes, qui se sont déroulées selon le schéma général des seuls votes à l'urne et par procuration, le taux de participation s'est élevé, en 2014, à 11 %, contre un peu plus de 42 % au niveau national et, en 2019, à 18 %, contre plus de 50 % au niveau national, soit nettement en dessous de ceux observés en métropole et outre-mer.

Concernant les élections consulaires, la participation totale aux deux derniers scrutins de 2014 et de 2021 a assez peu varié : 16,6 % en 2014 et un peu plus de 15 % en 2021. Même si la perte est effectivement de 1,5 %, compte tenu du contexte et du décalage des élections, retrouver des chiffres aussi proches de ceux de 2014 était incertain.

L'enseignement très intéressant à tirer a trait à la distribution du vote entre urne et internet, qui a radicalement changé entre ces deux scrutins. En 2014, 57 % des électeurs ont voté à l'urne et 43 % par internet ; en 2021, 15 % des électeurs ont voté à l'urne et 85 % par internet. Il faudra, bien sûr, analyser les raisons de cette évolution, les deux facteurs principaux ayant probablement été la crise sanitaire, qui a incité à éviter les déplacements dans les bureaux de vote, et l'appropriation grandissante du vote par internet.

Les avantages et inconvénients respectifs des différentes modalités de vote se comparent d'abord du point de vue technique. Le vote à l'urne et le vote par procuration, en tant que modalités de droit commun, relèvent de la mécanique habituelle, même si, à l'étranger, elles posent parfois des défis logistiques, notamment pour installer des bureaux de vote.

Le vote par correspondance et le vote par internet sont nettement plus compliqués techniquement. Le premier présente plusieurs difficultés, la première étant un risque de fraude non négligeable et donc de détournement éventuel. Je note d'ailleurs qu'il a été écarté en France depuis 1975 précisément pour cette raison. Deuxième difficulté, le vote par correspondance est éminemment tributaire de la qualité et de la fiabilité des services postaux locaux et présente, de ce fait, des résultats extrêmement variables. Ainsi, en 2017, dans les zones où ces services fonctionnent bien et où l'électeur ne vivait pas très loin d'un bureau de poste, c'est-à-dire en Europe ou en Amérique, ce vote a bien marché ; en Afrique ou au Moyen-Orient, les taux de déperdition ont été, en revanche, très élevés. Une troisième difficulté est liée au mode d'emploi très spécifique du vote par correspondance : le bulletin de vote doit être glissé dans une enveloppe de scrutin, elle-même glissée, avec la copie d'une pièce d'identité, dans une seconde enveloppe qui doit être signée. Lors du dépouillement, on constate qu'en moyenne un quart des votes n'est ni exploitable ni comptabilisable dans la liste d'émargement. Il s'agit donc d'une modalité de vote compliquée et potentiellement génératrice de nombreux contentieux. C'est ainsi qu'en 2018, le vote par correspondance a fait partie du faisceau d'irrégularités retenues par le juge électoral pour décider de la tenue d'une élection législative partielle.

Quant au vote par internet, c'est une modalité assez compliquée à mettre en œuvre pour des raisons purement techniques. Notamment, il doit garantir la sécurité, répondre à certains critères pour être homologué et être suffisamment fiable dans des environnements très différents, ce qui le rend tributaire, dans chaque pays, des opérateurs de télécommunications. On sait néanmoins faire aujourd'hui, même si cela demande un important travail technique préparatoire. Cela a très bien fonctionné lors des élections consulaires, et nous espérons qu'il en sera de même s'agissant des élections législatives de 2022.

A-t-on observé des variations entre circonscriptions en matière de participation ? Les chiffres des élections consulaires de mai 2021 ont rendu compte d'un taux de participation inférieur à 1 % des inscrits dans soixante-trois bureaux de vote – il est vrai qu'au cours de cette élection, 2,13 % seulement des inscrits ont voté à l'urne. Cela nous a d'autant plus surpris que ce chiffre a été observé dans des pays où précisément le dispositif de bureaux de vote était très étoffé. Dans la circonscription de Lausanne, notamment, huit bureaux de vote avaient été ouverts et le taux de participation a été de 0,5 %. Dans d'autres villes où nous nous étions interrogés sur la nécessité de maintenir un bureau de vote, comme Bilbao ou Gérone en Espagne, Namur en Belgique ou Mayence en Allemagne, les taux de participation ont de la même façon été de l'ordre de 0,5 %. La mise à disposition de bureaux de vote ne serait donc pas une garantie de participation.

À l'inverse, quelques bureaux de vote, en Biélorussie, aux Comores, au Burkina Faso ou au Salvador se sont singularisés par une participation supérieure à 10 %, voire 20 %, mais ils ne concernaient qu'une portion extrêmement réduite d'électeurs. Quelques pays combinent un nombre d'électeurs inscrits assez important et une participation assez élevée : il s'agit en général de pays à communautés binationales, comme le Liban, le Maroc, l'Algérie, la Mauritanie, le Niger ou le Sénégal, où les taux de participation sont deux à quatre fois plus élevés qu'au niveau mondial.

Il est impossible d'exclure que les circonstances exceptionnelles qui ont motivé le report des élections consulaires de mai 2020 à mai 2021 aient influé sur la participation : elles ont été préparées dans une très grande incertitude, et ce jusqu'au dernier moment. Ces circonstances ont nécessairement joué. Deux facteurs conduisent cependant à tempérer ce constat, le premier étant la perte de 1,5 % de participation entre 2014 et 2021, soit une baisse aux proportions très limitées. Le deuxième indicateur, c'est le nombre de candidatures aux élections consulaires qui est passé de 396 en 2014 à 546 en mai 2020 pour, finalement, aboutir à 605 en 2021, date à laquelle ces élections ont été reportées. Cette augmentation témoigne d'un particulier engouement pour ce scrutin.

Par ailleurs, il est évident que le rôle des conseillers des Français de l'étranger est mal connu, même si les textes sont très clairs. Nous aurions trois pistes de réflexion pour mieux faire connaître leur action.

Tout d'abord, nous avons l'impression que le ministère des Affaires étrangères est le seul interlocuteur des élus. C'est logique, car ces élections sont du ressort du secrétariat d'État de M. Jean-Baptiste Lemoyne, mais de nombreux sujets mériteraient d'être portés au niveau interministériel. Je vous donne deux exemples. Le premier est celui des certificats de vie. Bien évidemment, nous sommes en contact avec la direction de la sécurité sociale ou le groupement d'intérêt public Union retraite pour faire évoluer les règles, mais, là encore, le sujet doit être porté au niveau des ministères concernés. Le deuxième exemple est celui du renouvellement des titres d'identité de nos compatriotes établis hors de France. La double comparution personnelle, si elle ne pose pas de problème particulier en France, peut être beaucoup plus compliquée à appliquer à l'étranger. Nous essayons d'aménager cette obligation, par l'intermédiaire des consuls honoraires ou des tournées consulaires, mais l'on nous demande régulièrement d'être encore plus flexibles. Nous en discutons avec le ministère de l'Intérieur mais les élus pourraient aussi y réfléchir avec les autres administrations.

Il faudrait ensuite définir de quelle manière l'Assemblée des Français de l'étranger pourrait s'approprier ces sujets interministériels. Elle a déjà commencé puisque des représentants de l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger (AEFE) ou du GIP Union retraite sont régulièrement invités à ses travaux, mais, au-delà, il serait intéressant de recueillir l'avis du ministère de l'Économie sur certains sujets de fiscalité ou celui du ministère des Armées sur l'adaptation de la journée défense et citoyenneté à l'étranger. Si je puis me le permettre, je vous suggèrerais d'étudier avec l'Assemblée des Français de l'étranger comment porter au niveau interministériel les difficultés que rencontrent les Français de l'étranger.

Enfin, même si j'ai bien conscience que beaucoup d'élus consulaires ont une autre activité et n'ont pas toujours le temps, ni les ressources, voire le goût, de communiquer plus amplement, il serait souhaitable que certains ne s'en tiennent pas à la seule mise à disposition d'une adresse internet pour échanger. Bien sûr, cette possibilité a le mérite de permettre une discussion sans intermédiaire mais parfois, en fonction des situations ou de la disponibilité des élus, l'usage des médias sociaux ou le partage d'une feuille d'informations permettrait de mutualiser les efforts d'élus de même sensibilité. Des Français de l'étranger demandent en effet que les élus communiquent davantage autour de leurs actions.

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