Intervention de Dominique Reynié

Réunion du mercredi 15 septembre 2021 à 14h35
Mission d'information visant à identifier les ressorts de l'abstention et les mesures permettant de renforcer la participation électorale

Dominique Reynié, directeur général de la Fondation pour l'innovation politique (Fondapol) :

Je voudrais dire combien nous sommes heureux d'être associés à ces travaux, qui portent sur une question essentielle, à quelques mois d'une élection majeure. Je voudrais faire état d'un paradoxe et dire dans quel contexte notre fondation essaie d'inscrire ses réflexions sur l'abstention.

Pour expliquer l'abstention, il est nécessaire de mobiliser des facteurs très différents, comme le type d'élection, le mode de scrutin, les enjeux, la nature de la mobilisation. Il existe une palette d'éléments déterminants dont les effets varient sur le résultat et peuvent rendre difficile une évaluation globale du problème de l'abstention.

Votre interrogation est liée à une sorte de choc provoqué par une abstention historique qu'il faudra d'ailleurs spécifier. Le deuxième tour des élections municipales en 2020 a été spectaculairement abstentionniste. Nous n'avons pas suffisamment dit à ce moment-là que le précédent record de l'abstention à des élections municipales datait des élections précédentes, en 2014, qui n'ont bien évidemment pas été concernées par l'épidémie de Covid-19.

Nous nous poserons ensemble la question d'une montée significative de l'abstention, avec la possibilité d'un non-retour aux taux de participation que nous connaissions dans le passé. Chacun aura remarqué que l'élection présidentielle n'est plus épargnée par l'abstention, même si les niveaux ne sont pas les mêmes que pour les autres scrutins. Même au second tour de l'élection de 2017, l'abstention est, hors année 1969, a atteint un niveau record. Les votes blancs, qu'il faut associer à la compréhension de l'abstention, se situent à un niveau très élevé.

Le paradoxe qui me vient à l'esprit est le suivant. Depuis 1945, le suffrage est devenu universel, puis nous avons abaissé la majorité électorale à 18 ans ; le système a donc été inclusif. L'accès à l'école est universel, même si l'universalité n'est jamais réelle, et l'accès à l'université n'a jamais été aussi massif. La presse est libre, même si elle est en difficulté par des raisons qui tiennent à la digitalisation, et abondante. L'information, par les réseaux sociaux, est devenue accessible gratuitement ; il n'est pas difficile de s'informer. La globalisation comme phénomène historique nous fait entrer dans une phase saturée de questions majeures, de défis géopolitiques, scientifiques, démographiques, économiques, culturels, climatiques – la liste serait longue. Ces enjeux sont théoriquement de nature à mobiliser les électeurs, à intéresser les individus. Cependant, par hypothèse, nous aurions le résultat contraire : une abstention orientée à la hausse.

Je crois qu'il faut faire l'hypothèse d'une crise historique de la procédure électorale. Celle-ci a fonctionné de façon magnifique ; elle s'est montrée d'une grande efficacité et d'une grande force symbolique ; elle nous a réunis sur de longues périodes pour régler les conflits de manière pacifique – mais peut-être ne fonctionne-t-elle plus. Nous avons le sentiment que les élus n'ont plus de pouvoir, que le vote n'est pas véritablement utile, au sens où il ne produit pas les résultats espérés, qu'il y a un trouble s'agissant de la démocratie représentative, qui ne paraît plus constituer le cœur du régime politique, notamment quand on voit la façon de mettre en avant des procédures alternatives qui relèvent de la démocratie participative. Je pense au tirage au sort, exhibé lors de la convention citoyenne, qui faisait l'économie de l'élection et donnait l'impression que le législateur issu des urnes était déclassé par rapport au citoyen tiré au sort. Les membres de la Convention citoyenne ont été reçus à l'Élysée le 29 juin 2020, au lendemain du second tour des élections municipales qui avait donné lieu à une abstention massive, comme s'il y avait eu une passation de pouvoir entre l'élection et le tirage au sort. Le tirage au sort a un grand intérêt, et la démocratie participative a de nombreuses vertus, mais ils présentent une certaine ambiguïté.

Quid de la sanction électorale ? Quid de la sanction politique ? Pour prendre un exemple récent, la mise en cause de Madame Agnès Buzyn pour sa gestion de la crise sanitaire est une défaite de la responsabilité politique, ce qui signifie un déclassement du suffrage. Ces signes se multiplient, et peuvent expliquer les difficultés à croire dans la procédure électorale, ou à la trouver mobilisatrice.

Il y aurait également la crise des partis. Certains se sont réjouis de les voir disparaître car ils constitueraient des formes archaïques, mais sans eux, une démocratie a probablement beaucoup plus de mal à mobiliser ses propres électeurs.

Un phénomène m'intrigue. À l'occasion d'une étude internationale, nous avons demandé aux panels que nous interrogeons si le suffrage universel était une bonne idée, et s'il fallait réserver le droit de vote à ceux qui sont informés et savent de quoi il est question. Dans les 42 pays que nous avons testés, une minorité s'est prononcée pour le suffrage capacitaire, mais elle représente tout de même 38 % chez les 18 ans et plus, et 48 % chez les moins de 35 ans. C'est un indicateur qu'il me paraît nécessaire de suivre pour ne pas se tromper d'époque. En France, 24 % des 18 ans et plus, et 29 % des moins de 35 ans, sont favorables au suffrage capacitaire. Ce n'est pas résiduel.

Dans la contribution de la Fondapol au rapport qui nous a été demandé par le Président de l'Assemblée nationale, nous mettrons l'accent sur l'hypothèse d'une crise de la procédure électorale, et donc sur un problème fondamental et structurant, lié à l'époque, aux nouvelles générations mais aussi aux générations déjà installées, qui sont peut-être dans une forme de retrait par rapport à l'élection, ainsi que sur les formes alternatives d'abstention. Je propose à ce titre d'appeler le vote blanc « abstention civique ». Il comporte une dimension protestataire que l'on retrouve nettement dans l'abstention : elle est pour beaucoup désintérêt et incompréhension ; elle est aussi protestation, ou attente de l'efficacité de la procédure.

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