Intervention de Gérard Grunberg

Réunion du mercredi 15 septembre 2021 à 14h35
Mission d'information visant à identifier les ressorts de l'abstention et les mesures permettant de renforcer la participation électorale

Gérard Grunberg, directeur de la publication de Télos :

. Il faudra essayer de comprendre les raisons profondes, de long terme, de la crise de la procédure électorale. Bien que le mouvement soit global en France, les scrutins sont différents, les taux d'abstention également, et les solutions pour y remédier le sont aussi.

L'abstention au premier tour de l'élection présidentielle n'a pas évolué depuis 1995 : elle est de 22 %, ce qui est tout à fait correct. Deux questions doivent être posées. L'élection présidentielle de 2022 sera-t-elle touchée par ce mouvement, si l'on continue dans la direction que M. Reynié a indiquée ? J'ai plutôt l'impression que cette élection a « cannibalisé » les autres.

Les élections législatives sont les plus gravement atteintes, pour différentes raisons et depuis longtemps. À partir du moment – et c'est le cas depuis 2002 – où elles se sont tenues après les élections présidentielles, la cannibalisation a été réelle. Comme nous le disons dans nos études, elles sont devenues les troisième et quatrième tours de l'élection présidentielle. Au bout du deuxième tour, à tort, les gens sont déjà fatigués. Ce n'est pas la seule raison, mais elle existe.

De 2012 à 2017, on observe une progression de l'abstention à chaque élection législative, mais en 2017, cette progression est plus forte. Je pense que ces abstentions plus fortes sont dues à l'effet produit par le « phénomène Macron ». En un sens, les gens ne savaient plus où ils étaient. C'est ma première hypothèse sur la question de la perte des repères politiques pour les électeurs.

La deuxième hypothèse s'applique au deuxième tour, mais rejoint ce que j'ai dit sur le premier tour : les deux candidats n'étaient en rien représentatifs du monde d'avant. Les gens étaient habitués à voter au second tour pour les socialistes ou pour LR, et ils se sont retrouvés face à une offre totalement différente, ce qui explique que pour la première fois lors d'une élection présidentielle, l'abstention a, en 2017, augmenté de manière relativement forte entre le premier et le second tour.

Le problème des élections législatives est donc réel. Nous parlerons des éventuels remèdes, mais certains iraient tellement loin qu'ils posent le problème du fonctionnement des institutions de la Ve République.

Depuis 1999, l'abstention aux élections européennes n'a pas évolué, sauf en 2019, où elle a baissé de 8 points. Mon hypothèse est que nous sommes passés de plusieurs circonscriptions à une circonscription nationale unique. Je pense que le fait d'avoir une bataille nationale a permis de mobiliser les gens.

S'agissant des élections locales, l'interprétation des années 2020 et 2021 est très compliquée. Jusqu'à 2017, les élections régionales et municipales n'évoluent pas de la même manière. Aux élections municipales, l'abstention s'est maintenue entre 31 et 36 % au premier tour, tandis qu'aux élections régionales, une différence importante a été observée. Je fais l'hypothèse que les gens savent ce que sont les municipales, mais ne savent pas à quoi servent les autres élections. Quelles sont les fonctions, les missions ? Ils ne le savent pas très bien.

Ce qui est extraordinaire, s'agissant des élections municipales de juin 2020, et alors même que les maires sont assez populaires, c'est cette immense abstention de 55 % au premier tour. Je crois que la crise de la Covid-19 a joué un rôle plus important que je ne le pensais au lendemain de l'élection. Elle n'explique pas tout, mais elle explique en partie cette augmentation de près de 20 points.

L'autre explication, qui ne contredit pas la première, est celle d'une perte des repères politiques. Durant la grande période d'affrontement entre les socialistes et les gaullistes, à la fin des années 1960 et au début des années 1970, l'abstention aux élections municipales était de 20 à 25 %. Ensuite elle a décru, jusqu'à se stabiliser à la fin des années 1990. Contrairement à ce que croient beaucoup d'élus eux-mêmes, la politisation des élections municipales est fondamentale pour faire voter les gens. Dans ma commune, lors des dernières élections, personne ne savait quelles étaient les étiquettes des candidats. Le maire sortant est connu – c'est d'ailleurs la raison pour laquelle les maires sortants ont tous été réélus – mais moi-même j'étais incapable de savoir quelles étaient ces listes et qui étaient ces candidats dans le chef-lieu de canton où j'habite. Il faut faire attention, car dépolitiser les élections locales fait que les gens n'ont plus de repères politiques.

Mes deux hypothèses ramènent à une question très importante dans la crise actuelle de la représentation : celle des partis politiques. Il faudra y revenir.

Nous allons essayer de déterminer les grands facteurs de l'augmentation de l'abstention, mais il faudra à chaque fois regarder le type d'élection, car les raisons et donc les moyens d'y remédier ne sont pas tous exactement les mêmes.

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