Intervention de Jérémie Peltier

Réunion du mercredi 15 septembre 2021 à 14h35
Mission d'information visant à identifier les ressorts de l'abstention et les mesures permettant de renforcer la participation électorale

Jérémie Peltier, directeur des études de la Fondation Jean-Jaurès :

. Tout le monde sera à peu près d'accord pour dire que l'abstention est protéiforme et que les abstentionnistes ne sont pas tous les mêmes. Tout le monde a en tête les évolutions de l'abstention dans le temps, élection après élection. Tout le monde sera d'accord pour dire qu'il s'agit d'un phénomène grave et dangereux. La question qui se pose est celle des remèdes, des solutions pour résoudre cette problématique d'une démocratie sans électeurs.

Les outils et remèdes sont d'autant plus difficiles à trouver que l'abstention – c'est en tout cas mon hypothèse – est un phénomène qui dépasse largement la politique et que le vote lui-même, en tant que rite, est victime de phénomènes anthropologiques et existentiels beaucoup plus profonds : l'individualisation de la société ; le repli sur la sphère privée et familiale, qui a été accentué pendant le confinement et la pandémie ; la « civilisation du cocon », comme l'a appelée le journaliste Vincent Cocquebert, c'est-à-dire une jeune génération, et plus généralement une civilisation, qui se replie sur sa sphère privée, personnelle.

Selon moi, le débat doit être posé dans les termes suivants : « L'individualisme est-il compatible avec des élections ? Narcisse est-il compatible avec un vote à dimension collective ? » Nous avons trop tendance à analyser le rapport à la politique hors de la société de consommation. L'« amazonisation » de la société, et cette société du sur-mesure, rendent obsolète le rite républicain qu'est le vote. Une partie de l'abstention doit être interprétée à travers le sentiment, pour une partie de la population, et notamment les jeunes, qu'il s'agit de quelque chose d'obsolète. Ce rite est mis à mal, car une société individualiste n'a plus assez de sens civique. L'abstention peut être interprétée à travers l'effondrement du sens civique.

L'exemple de la vaccination est très éclairant. Pour faire vacciner la population, le Président de la République n'a pas activé le levier civique, il a activé, et je pense qu'il avait raison, le levier de la société de consommation, de la société des loisirs : pas de divertissement, pas de sortie, pas de jouissance si vous n'êtes pas vaccinés. Le ressort civique, qui amène à dépasser son petit « moi », est totalement inutile à notre époque.

On répète souvent que la France est un peuple politique. Sans même parler de l'élection présidentielle, les enquêtes indiquent le contraire : environ un Français sur deux dit ne pas s'intéresser à la politique. L'abstention doit aussi être analysée à travers cet élément. J'appelle à beaucoup relativiser l'expression de la France comme peuple politique : ce n'est plus si certain que cela.

Quand un rite est en difficulté, comme cela a été mis en lumière par l'abstention, nous plaidons plutôt, à la fondation Jean-Jaurès, pour le vote obligatoire.

Le sociologue Jean-Claude Kaufmann a publié après le confinement un petit livre très intéressant, intitulé C'est fatigant, la liberté… Il part du principe que la jeune génération, et le peuple en général, n'a jamais eu autant de choix pour gérer sa vie familiale, sa vie personnelle, son lieu d'habitation. Mais plus vous multipliez ces choix, plus vous donnez de la responsabilité aux individus, et plus ils sont fatigués. Jean-Claude Kaufmann indique que le peuple est dans un « ramollissement existentiel », d'où le fait qu'au-delà la peur, il n'y a pas eu de levée de boucliers contre les mesures de confinement, d'énormes moments de colère, alors que tout le monde prédisait qu'il serait difficile de faire accepter aux Français des moments de confinement. Peut-être était-ce la parenthèse désirée depuis longtemps pour un peuple fatigué d'être soi.

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