Intervention de Dominique Reynié

Réunion du mercredi 15 septembre 2021 à 14h35
Mission d'information visant à identifier les ressorts de l'abstention et les mesures permettant de renforcer la participation électorale

Dominique Reynié, directeur général de la Fondation pour l'innovation politique (Fondapol) :

. La fluidité avec laquelle les jeunes générations ont socialisé, et les anciennes resocialisé, explique une partie de l'incompréhension à l'égard de ces procédures lentes et lourdes. Dans les sciences sociales en général, dans les sciences politiques en particulier, beaucoup de travaux montrent l'épuisement de la transmission intergénérationnelle des valeurs et de l'attachement aux procédures. Les générations futures vont moins voter car les anciennes générations transmettent moins, pour diverses raisons. La capacité, le goût, l'intérêt à transmettre sont moins développés. Il s'opère une perte à chaque génération. L'on peut réfléchir à des moyens de contrecarrer ce mouvement, mais cette tendance systémique est préoccupante.

Depuis juin 2014, le législateur a autorisé la comptabilisation des votes blancs. Il fallait faire ce pas. C'est justice de l'avoir fait. Il est très important de donner aux citoyens qui le souhaitent la possibilité d'exprimer leur reconnaissance de la procédure, et cependant de ne pas choisir parmi les candidats qui se présentent. Cela n'a rien à voir avec le bulletin nul, qui peut être parfois le contraire du civisme.

Je ne comprends pas la revendication supplémentaire sur le vote blanc. L'effet serait pernicieux, car cela reviendrait à déclarer les élus moins élus que les mêmes élus en situation de non-reconnaissance du vote blanc dans l'expression des suffrages. Du point de vue de l'Académie française, considérer comme exprimé un bulletin blanc, c'est faire tourner les tables ! Je ne sais pas comment on peut trouver l'expression d'une préférence dans le vote blanc. En général, chacun a sa propre interprétation : l'offre ne me plaisait pas, il n'y avait pas d'enjeu, etc. On invente des explications, qui sont toutes plus ou moins vraies.

Par ailleurs, ce ne serait pas une bonne idée d'amener les électeurs, par des voies incitatives, à aller vers des démarches qui ne seraient pas constructives. Il appartient aux citoyens de chercher des solutions aux problèmes qui se posent. S'il y a une insatisfaction à l'égard de l'offre, on peut l'exprimer à travers le vote blanc, mais on ne peut pas placer celui-ci en majesté à côté d'un suffrage exprimé sans avoir le sentiment de dire aux électeurs qu'ils peuvent protester sans jamais avoir à proposer.

L'implicite du vote obligatoire est problématique, car cela revient pour les élus, le législateur, les gouvernants, à expliquer que le problème vient des électeurs : « C'est parce que vous n'allez pas voter qu'il y a de l'abstention. » C'est une façon de poser le problème, mais les électeurs pourraient répondre : « C'est parce que vous n'êtes pas intéressants. » Le vote obligatoire fait porter entièrement la responsabilité sur les électeurs. C'est une prise de risque. En outre, s'il n'y a pas de sanction, cela ne marchera pas. Or une pénalité est soit invraisemblable, si elle est trop élevée, soit socialement très inégale : si elle est de 50 euros, elle ne posera pas problème à ceux qui ont les moyens.

L'effet du vote obligatoire en termes de participation, si vous êtes capable de discipline et de contrainte, est positif. Vous aurez une participation forte. Mais un risque énorme est pris quant à la nature de la participation, puisque l'on peut forcer les électeurs qui s'abstenaient à choisir un vote protestataire. Dans ce cadre, la Belgique n'a pas manqué de voter très massivement pour des partis fascisants. Il est parfois préférable, pour une démocratie, qu'il y ait un peu d'apathie politique plutôt qu'une participation maximale des électeurs les plus radicalisés.

Je voulais également souligner un paradoxe, dont le législateur est, d'une certaine manière, partiellement responsable, et qui pose une difficulté de taille. Si l'on rompt le lien fiscal, il n'y a plus de lien civique. Or, 57 % des ménages ne sont pas redevables de l'impôt sur le revenu, tandis que 80 % des ménages sont exemptés du paiement de la taxe d'habitation. Si les deux tiers des ménages ne paient plus d'impôts directs, pourquoi demanderaient-ils des comptes aux élus ? Quel est le sens de mon vote si l'enjeu principal est réglé ? Je n'ai pas de raison de protester. Je suis détaché, par l'aspect fiscal, de l'obligation politique. Ces décisions sont animées de bonnes intentions mais produisent des effets problématiques.

Je partage ce qui a été dit sur le vote à distance. Ce serait la fin de la confiance dans la procédure électorale. Cette procédure, dans son archaïsme magnifique, repose sur le fait que les outils sont la propriété collective, et non une machine que nous louons ou achetons à des entreprises privées. Elle nourrit une confiance qui disparaîtrait si les procédures devenaient invisibles.

En Italie, il existe un conflit autour du Mouvement cinq étoiles, car tout se passe sur la plateforme Rousseau, dont personne ne connaît les algorithmes sauf Davide Casaleggio, le fils du fondateur, qui en a la propriété commerciale. Il n'est pas possible de savoir si telle ou telle expression est fidèlement retranscrite ou si elle est modifiée. En France, il peut certes y avoir des doutes sur la transparence et l'honnêteté du suffrage, mais l'on ne peut pas dire que ce soit un phénomène massif.

J'en viens au vote par anticipation. Je me souviens de la phrase de Jean-Marie Le Pen, à la veille du premier tour de l'élection présidentielle de 1988, sur le « détail de l'histoire ». Je ne sais pas ce que ferait un électeur qui a décidé de s'abstenir ou qui décide de voter pour un candidat s'il apprend trop tard une déclaration, un événement, un fait de campagne qui est de nature à modifier son scrutin.

Enfin, il faudrait redire ce qu'est une élection. Cela n'a rien à voir avec l'expression d'une opinion : c'est une décision. Nous sommes invités à décider, pas à faire connaître notre opinion. C'est bien parce qu'il s'agit d'une décision qu'une élection ne peut être que collective pour avoir force de droit. Ce qui irait vers la reconnaissance de l'opinion est un contresens par rapport à l'acte souverain que nous sommes invités à accomplir. Une femme, un homme : une voix. C'est la souveraineté pure et parfaite de la démocratie électorale. Nous n'allons pondérer les votes pour recomposer le résultat en fonction de tel ou tel critère. Cela s'est peut-être perdu ; c'est un effet d'obsolescence. Il reste que nous n'avons pas beaucoup d'alternatives à l'élection.

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