Intervention de Jean-Philippe Derosier

Réunion du mercredi 22 septembre 2021 à 14h35
Mission d'information visant à identifier les ressorts de l'abstention et les mesures permettant de renforcer la participation électorale

Jean-Philippe Derosier, professeur de droit public à l'université de Lille :

. Merci monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les députés. C'est un honneur d'être présent parmi vous. Contrairement à mon voisin, cet exercice me semble utile. La prise de décision vous appartient. Toutefois, il me paraît raisonnable de faire appel à la sagesse de la science pour éclairer la décision que vous devez prendre.

La question que vous traitez actuellement dans cette mission d'information sur les ressorts de l'abstention et les mesures permettant de renforcer la participation électorale touche un problème épineux de nos démocraties contemporaines. Il s'agit en effet de problèmes partagés à l'échelle quasi mondiale. Toutes nos démocraties font face à ce que nous nommons une crise de la représentation qui se traduit notamment par un désintérêt des électeurs vis-à-vis des questions électorales. Ce désintérêt ne touche pas les questions politiques auxquelles les électeurs s'intéressent, preuve en est leur intérêt pour les débats et leur participation à ces derniers sur les réseaux sociaux ou en direct à la télévision. Cependant, il existe un problème d'attrait de l'électeur envers les urnes. Or face à cette difficulté il n'existe pas de solution miracle. Seule une convergence de facteurs, d'éléments, de réflexions pourrait permettre de l'affronter.

J'identifie trois éléments qui expliquent ce phénomène de l'abstention, permettent d'en cerner les causes et donc d'en éviter les conséquences. Ces trois éléments, je les résume en trois mots clés : connaissance, confiance et conséquence. S'agissant de la connaissance médiate et immédiate du phénomène démocratique, les électeurs éprouvent un certain déficit de connaissance du phénomène démocratique en général. Or cette brèche ne pourrait être comblée au cours d'une heure de formation. Il s'agit d'un processus sur le long court qui a été négligé. Il est grand temps de s'y replonger en assurant dès le plus jeune âge des enseignements sur le fonctionnement de nos démocraties contemporaines afin de sensibiliser les électeurs de demain à la chose publique et démocratique. La connaissance immédiate est celle de l'élection en cause. Lorsque le jeu et les dates de l'élection sont modifiés au dernier moment, même si ces modifications sont portées à la connaissance de tous, cela peut entraîner un trouble. Il est nécessaire de connaître le jour de l'élection et également son enjeu : qui désigne-t-on ? Pour quelles compétences ? Nous touchons alors à la connaissance médiate, à savoir l'apprentissage de ce qu'est un conseiller régional, un conseiller départemental ou encore un député européen.

Ensuite, j'identifie la confiance directe et indirecte dans le processus électoral comme facteurs de l'abstention électorale. L'électeur doit adhérer au processus. Ce dernier doit apporter les gages d'une confiance dans la démocratie, c'est-à-dire d'une transparence, d'une indépendance, d'une absence d'altération de la sincérité du scrutin, de tricherie en amont, en aval ou à l'instant du vote. Lorsque nous évoquons les techniques contemporaines de vote qui ne sont pas encore implantées en France, notamment les modalités électroniques, la confiance dans le processus électoral revêt une importance particulière. Si le vote par internet n'est pas si répandu, c'est pour des raisons de confiance et de carence dans ce processus. À titre anecdotique, il existe une nette différence sociale entre les démocraties européennes et les démocraties d'outre-Atlantique, américaines au sens large, dans la dimension électronique du vote qu'il est nécessaire de distinguer du vote par internet. En France, le vote par machine à voter engendre une certaine suspicion. Le bulletin ne peut pas être touché, recompté tandis qu'il pourrait être manipulé à distance. Il s'agit d'autant d'éléments présents dans l'esprit des populations à qui nous ne pouvons pas donner tort quant à la manipulation à distance. Bien que les machines ne soient pas connectées, cette idée demeure un parti pris. À l'inverse, dans les pays d'Amérique latine, au Brésil notamment, étant entendu que nous passons sous silence la récente campagne de désinformation du président en place, le vote par machine s'avère gage de confiance, car le bulletin ne peut être détruit une fois enregistré. Il s'agit d'un décalage sociologique contre lequel nous ne pouvons que diffuser de la connaissance. Nous en revenons donc au premier point. La confiance indirecte est celle donnée à ceux qui seront désignés, femmes et hommes politiques. Un effort a été entrepris sur la transparence de la vie publique ou plus largement concernant la déontologie des personnes publiques. Il doit être poursuivi. Des réformes ne sont pas nécessaires. Il est préférable que celles entreprises ces dernières années portent leurs fruits.

J'identifie enfin la conséquence personnelle et collective, c'est-à-dire la conséquence du vote comme facteur de l'abstention. Quelle est l'utilité de mon vote ? Mon vote présente-t-il un enjeu ? Ces questionnements expliquent en partie l'abstention. L'électeur ne se déplace que lorsque sa voix implique une finalité connue. Lors d'un référendum sur l'indépendance d'un pays ou d'une région, la Nouvelle-Calédonie par exemple, ou les Comores, la participation est massive, car le vote présente un enjeu, une conséquence directe et immédiate fondamentale pour les habitants du pays ou du territoire concerné. Lorsque nous votons pour une instance qui semble nébuleuse et dont nous ne maîtrisons pas les compétences, telle que le parlement européen, il y a moins d'intérêt à voter.

Ces trois éléments me semblent expliquer l'abstention. Il existe des ressorts qui peuvent être utilisés pour essayer de créer cette confiance, diffuser cette connaissance et faire adhérer les électeurs. Vous soulevez plusieurs questions dans votre questionnaire. J'aurai l'occasion de vous dire ce que je pense du vote par internet (nous y viendrons un jour, mais à ce stade la société n'est pas prête). Le système de vote par anticipation ou par voie postale altère cette confiance, car il diffuse l'instant électoral. Le vote obligatoire ne me semble pas judicieux ; certains pays y ont eu recours et l'ont ensuite abandonné. Je considère que le vote demeure un droit et non un devoir, puisqu'existe également le droit de se taire.

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