Intervention de Jean-Philippe Derosier

Réunion du mercredi 22 septembre 2021 à 14h35
Mission d'information visant à identifier les ressorts de l'abstention et les mesures permettant de renforcer la participation électorale

Jean-Philippe Derosier, professeur de droit public à l'université de Lille :

. Merci monsieur le rapporteur pour ces différentes questions. Concernant les procurations, leur établissement doit nécessairement demeurer simple et sécurisé afin de rester accessible. Je suis heureux que le système passé nécessitant la production d'un justificatif expliquant l'impossibilité à aller voter soit révolu. La sécurité ainsi que des vérifications en amont s'imposent. Ainsi, nous devons nous assurer, lorsqu'un électeur se présente avec une procuration, que son mandant est une personne physique en droit de voter. Je ne suis ni technicien ni ingénieur, par conséquent je ne suis pas en mesure de me prononcer quant aux possibilités de dématérialisation.

Désormais, de nombreuses démarches administratives, notamment les plus essentielles comme les déclarations fiscales ou les remboursements de la sécurité sociale s'effectuent par voie dématérialisée. Établir une procuration devrait également pouvoir être effectué de manière dématérialisée sans passage obligé dans un commissariat pour enregistrer une procuration, étape qui est plus aisée dans une grande ville qu'en province.

En revanche, concernant le nombre de procurations, la règle d'une procuration a été portée à deux procurations par personne en raison de la pandémie que nous traversons. Il ne serait pas judicieux d'aller au-delà, car le risque de manipulation serait trop important. Il ne faudrait pas qu'un électeur se présente dans un bureau de vote avec une valise de procurations, alors qu'il est un proche d'un des candidats. Le système d'une ou deux procurations maximum par électeur me semble raisonnable.

Concernant la question du vote par correspondance, vous avez indiqué que soixante millions d'Américains y avaient recours. Abordons maintenant plusieurs éléments techniques. En France, nous disposons de scrutins à deux tours alors que les scrutins américains n'en comprennent qu'un. Cette organisation pose une difficulté pratique réelle pour organiser un vote par correspondance, a fortiori lorsque les deux tours sont espacés d'une seule semaine. J'avais été auditionné par la mission d'information du Sénat sur le vote par correspondance. L'une des réponses était de porter à deux semaines l'écart entre les deux tours. Je crains que ce ne soit pas suffisant et que trois semaines soient le délai le plus raisonnable si nous devions nous acheminer vers un vote par correspondance. Cependant, j'émets les plus sérieuses réserves vis-à-vis du vote par correspondance. Je préfère un vote à l'urne plutôt qu'un vote par correspondance, mais je préfère un vote par correspondance à l'abstention. Lorsque nous sommes face à des circonstances exceptionnelles telles que pour les deux derniers scrutins en 2020 et 2021, le recours au vote par correspondance se justifie. Le vote à l'urne présente d'inévitables avantages, à savoir d'une part le respect de l'instant démocratique en lien avec l'apprentissage de la citoyenneté. L'acte de citoyenneté revêt une certaine solennité, une importance. D'autre part, l'implication d'un tiers pour distribuer, recueillir et acheminer le courrier pose un problème de confiance. Il n'est pas toujours digne de confiance et des dysfonctionnements peuvent apparaître. Il est à noter que je ne porte aucun jugement sur l'épisode que nous avons connu. Nous avons constaté que des troubles existaient, du moins lors d'un vote particulièrement problématique. Le vote par correspondance a existé en France. Il a cessé à une époque où les PTT étaient largement dominées par un syndicat qui n'était pas forcément favorable au pouvoir en place.

En revanche, le vote par correspondance diffuse dans le temps l'instant du vote. En ce sens, je cite toujours le meilleur exemple qui soit à mon sens, puisqu'il a eu des conséquences mondiales. Il s'agit de l'élection présidentielle américaine de 2016. Donald Trump l'a remportée face à Hillary Clinton qui était issue de l'administration Obama et, alors, empêtrée dans un scandale autour de ses e-mails. Cette affaire, classée en juillet 2016 par le FBI, a été rouverte quelques jours après le début des votes par correspondance par le même FBI justifiant de faits nouveaux. Finalement, une dizaine de jours après cette réouverture d'enquête, l'affaire a de nouveau été classée sans suite à l'avant-veille du scrutin. Un certain nombre d'analystes nord-américains ont démontré que les électeurs qui ont voté par correspondance pendant ces dix jours où subsistait un doute quant à une mauvaise gestion de ses e-mails par Hillary Clinton, ont fait basculer le vote en faveur de Donald Trump. C'est en ce sens que j'évoque des conséquences mondiales. Nous nous souviendrons de l'élection de Donald Trump tout autant que de sa défaite. La proposition de loi déposée au Sénat par le sénateur Éric Kerrouche présentait un avantage : le vote par correspondance pouvait être modifié par un vote à l'urne. Si nous devions introduire à nouveau ce système, il serait bénéfique face à l'abstentionnisme.

Quant à l'apprentissage de la citoyenneté, il doit être opéré dès le plus jeune âge. Nous disposons pour cela de programmes d'éducation civique. Cependant, je crains qu'ils ne soient pas toujours pris au sérieux ni par les élèves ni par les enseignants eux-mêmes qui en profitent parfois pour assurer un autre cours. Ces dernières années, nous avons connu un petit rebond d'engouement pour cette matière. Cette tendance devra se confirmer. Pour autant, nous n'observerons ses effets que dans dix ou quinze ans, lorsque les élèves concernés voteront. Il est nécessaire d'agir à ce niveau, dès l'école maternelle ou élémentaire. À chaque niveau correspondrait un apprentissage de ce qu'est un maire, un État, un département, en usant chaque fois du vocabulaire adéquat aux différents âges des enfants. Ainsi, ils prendraient conscience que la citoyenneté représente l'inclusion dans la société qui est la leur et qu'ils disposent du droit de s'y exprimer. À compter du moment où ils bénéficieront du fonctionnement de cette société, ils s'empareront d'une forme de devoir moral de s'y impliquer. En nous exprimant par le vote et par d'autres voies politiques, nous pouvons prendre part à cette vie citoyenne.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.