Intervention de Bruno Daugeron

Réunion du mercredi 22 septembre 2021 à 14h35
Mission d'information visant à identifier les ressorts de l'abstention et les mesures permettant de renforcer la participation électorale

Bruno Daugeron, professeur de droit public à l'université Paris Descartes :

Bien que rejoignant sur certains points l'opinion de mon collègue et ami Jean-Philippe Derosier, je poursuivrai ma démonstration que je pense importante dans cette opération. Vous avez distingué, monsieur le rapporteur, deux aspects, l'un technique, l'autre sociopolitique. Je concède que des questions techniques peuvent améliorer la participation électorale, notamment la simplification du vote par procuration comme le disait Jean-Philippe Derosier. À mon sens, ce phénomène ne réenchantera pas l'acte de vote. Il permettra uniquement de le simplifier. Par ailleurs, les autres possibilités qui sont offertes : vote par correspondance, machines à voter et pire encore le vote par internet ne constituent pas des solutions pérennes, car toutes ces éventualités concernent les « inclus », c'est-à-dire des individus qui s'intéressent à ces questions. Ces personnes sont déjà dans le processus électoral ; elles n'ont pas fait sécession. En outre, ces possibilités présentent des inconvénients.

Nous avons évoqué au travers de l'exemple des États-Unis à quels problèmes pourraient conduire le vote par correspondance. Je le corrèle également au vote par anticipation qui entraîne une distorsion des temporalités et une introduction du vote par correspondance plus ou moins mécaniquement liée. Le vote par correspondance implique l'intervention de tiers plus ou moins de confiance dans le processus électoral. Nous avons pu constater les écueils de l'acheminement de la propagande électorale lors des dernières élections régionales à la suite de la mise en œuvre d'une logique gestionnaire néo-libérale de délégation à des opérateurs privés censés mieux fonctionner que les services de l'État. Je considère ce processus avec méfiance. La dématérialisation du vote entraîne la perte de la trace mécanique du vote pour les électeurs. Une fois de plus, ils doivent se fier à des machines.

Dans l'imaginaire collectif, il s'agit de remettre son destin de citoyen à un robot dont nous ne maîtrisons pas le sort qu'il réservera au vote. Ce n'est pas un signe de méfiance envers la technique. La cour constitutionnelle allemande a interdit ce processus en 2009, car il portait atteinte au processus d'intégration politique. Le suivi de la procédure d'élection doit aussi être une tâche du citoyen. L'électeur doit pouvoir en voir les étapes de manière fiable, sans connaissance technique antérieure. Jean-Philippe Derosier évoquait la confiance. Il me semble, en tant que citoyen, qu'une défiance existe vis-à-vis des institutions et de la politique en général. Est-il judicieux de la renforcer avec des procédures qui susciteront la méfiance ? Certes, à l'étranger, il existe des mécaniques d'expert pour vérifier que la procédure électorale demeure conforme au code de bonne conduite. Cependant, si nous prenons le cas de l'Estonie, les experts citoyens ne peuvent pas demander l'intégralité de la procédure aux sociétés, car cela causerait une atteinte au secret industriel. Le monde des robots et de l'industrie intercalerait un écran inutile entre le citoyen et la politique.

Je pense qu'un recours à la technique dans le cadre des procurations serait positif. Néanmoins, concernant d'autres éléments du processus, ce recours contribuerait à un phénomène de désenchantement de la politique et de désacralisation de cet acte citoyen. Lorsque nous nous rendons un dimanche dans un bureau de vote, quelque chose relie les citoyens entre eux, un lien important et essentiel au centre d'une sorte de rituel républicain. Je pense qu'il n'est pas souhaitable que ces rencontres soient remplacées par l'intervention de robots qui conduirait à précipiter le dernier rituel républicain dans les eaux glacées du divertissement technicien.

Je me permettrais un dernier point sur la question sociologique. De nos premiers échanges, j'ai le sentiment que nous parlons entre nous comme si le monde des institutions était un monde à part. Or la société a tendance à prendre le pas sur les institutions. Elle fait perdre de vue ce que peut être la citoyenneté, ses modalités d'expression, et valorise d'autres priorités que le vote, de sorte que la question de l'éducation civique devient particulièrement importante. Il est essentiel de sacraliser ces enseignements et de former les enseignants à ce type d'instruction afin que le sentiment d'une collectivité et d'une citoyenneté commune existe sans le médium technicien qui transforme le vote en un divertissement comme un autre. En quelques mots, je ne suis pas favorable à diluer la citoyenneté.

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