Intervention de Romain Rambaud

Réunion du mercredi 22 septembre 2021 à 14h35
Mission d'information visant à identifier les ressorts de l'abstention et les mesures permettant de renforcer la participation électorale

Romain Rambaud, professeur de droit public à l'université de Grenoble Alpes :

. Merci monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les députés. Permettez-moi de vous remercier d'avoir accepté mon retard et la mise en place de la visioconférence depuis Grenoble.

Au regard du questionnaire reçu, je souhaite vous faire part de certaines appréciations personnelles qui font suite à mes recherches sur les modalités alternatives du vote pendant la crise sanitaire. Une des difficultés demeure celle des limites de nos connaissances quant aux procédés tels qu'ils existent ailleurs. En effet, lors de comparaisons, nous n'atteignons pas le caractère concret des procédures administratives dans les différents pays observés. Il s'agit d'une démonstration effectuée dans le rapport de la mission du Sénat sur le vote à distance. Le niveau de détail n'est pas maîtrisé entièrement. Nos débats généraux gagneraient à s'améliorer au travers de recherches sur les sciences administratives et les opérations électorales. Ces enquêtes requerraient des moyens particulièrement conséquents, car l'accès à l'information et la connaissance des réalités du terrain ne sont pas toujours faciles. Cela explique pourquoi les services du ministère des Affaires étrangères ou le service de droit comparé du Sénat s'en sont emparés.

Lors des dernières élections municipales, un report des élections par voie de décret sans consensus politique aurait été compliqué. Mais l'inertie qui a frappé la France avant les élections départementales et régionales était particulièrement regrettable au regard des expériences menées à l'étranger : en Allemagne, en Suisse avec le vote par correspondance, ou bien aux États-Unis. Dans une moindre mesure, cette inertie n'a pas touché la Pologne, le Royaume-Uni ou le vote par correspondance en Corée du Sud. Nous évoluons dans un univers d'inertie administratif sur ces sujets. Or cet état de fait n'est pas nécessairement étayé par les recherches effectuées. Dans beaucoup de pays dans lesquels il existe des modalités alternatives de vote (correspondance, anticipation), nous savons que la participation électorale s'avère plus élevée. Les études américaines parlent de 2 à 4 points de participation supplémentaire avec des effets de nouveauté très forts au début et qui se stabilisent par la suite. Les études ne sont pas toutes convergentes. Cependant, nous savons que ces processus permettent d'augmenter la participation, notamment au travers du vote de convenance. Ce dernier vise des catégories sociologiques aisées disposant d'une capacité à utiliser leur vote de manière responsable et anticipée.

Dans les pays étrangers qui utilisent ces systèmes de vote, les élections se déroulent relativement bien. En France, pour le vote par correspondance, nous demeurons dans la problématique de 1975. J'ai procédé à une recherche de fraudes dans les pays utilisant cette modalité de vote et j'ai rencontré des difficultés pour les trouver. La question demeure quant à leur marginalité ou leur nombre limité. Il est également envisageable que ces fraudes échappent au radar. Par conséquent, la modestie est de mise quant à ce sujet.

En interrogeant des acteurs électoraux, il m'a semblé que ce processus se déroulait plutôt bien aux États-Unis, en Suisse ou encore en Allemagne. Nous constatons dans ces pays, notamment en Suisse, que les réticences ont existé comme elles existent en France aujourd'hui. En effet, la Suisse a connu dans les années 1970 un débat identique à celui qui se déroule désormais en France quant à la fiabilité du processus postal et au « vote familial ». Ces craintes s'estompent au fil du temps. Désormais, en Suisse, 90 % de la population vote par correspondance. La peur des fraudes n'altère pas la confiance globale de la population dans ce système. Elles sont perçues comme marginales, non suffisantes pour remettre en cause l'intégralité du système qui présente d'autres avantages comme la facilité de l'exercice du droit de vote, ou l'impression de modernité.

J'ai également cherché les fraudes au Royaume-Uni. Les collègues anglais demeurent confiants sur ce type de procédure bien que des cas de fraudes demeurent, notamment en raison du système de la collecte, qui est autorisé. Les partis politiques peuvent aider les électeurs à réaliser leur bulletin par correspondance. Ce phénomène a conduit à des abus de la part de partis politiques vis-à-vis de certaines communautés. Pendant mes recherches sur ce terrain, j'ai cru trouver les fraudes communautaristes dans la communauté originaire du Pakistan. Or il semblerait que ce soient les partis traditionnels qui utilisaient ces communautés à des fins de fraudes électorales dans les années 2000. Le système de collecte pose donc problème. Là où il n'existe pas, comme en Suisse, le vote par correspondance soulève moins de difficulté.

Tous ces pays semblent avoir renoncé à la lutte contre le « vote familial ». Il semblerait que la Suisse ait ainsi renoncé à pénaliser le « vote familial » par correspondance, et qu'en Allemagne un tel vote ne soit pas non plus strictement interdit ; il faudrait toutefois aller plus loin dans les recherches. Un contexte familial peut en effet poser des difficultés ; toutefois, lorsque de telles fraudes sont organisées à grande échelle, cela a tendance à se voir. En France, d'après les standards internationaux, notamment ceux de l'OSCE, les problématiques du « vote familial » se posent en matière de procuration. L'incertitude demeure quant au « vote familial », au secret du vote voire au respect du sens du vote de la personne qui donne procuration. Il s'agit d'une problématique touchant à la sincérité du suffrage qui participe de représentations mentales.

Il existe également des obstacles d'ordre opérationnel comme le démontre la mission sur le vote à distance menée par le Sénat. Elle met en exergue des difficultés techniques liées au nombre de communes ou à la chronologie des tours de vote. S'y ajoute une faiblesse des autorités indépendantes pour gérer ce type de problématiques. Le plus gros frein semble toutefois relever des représentations mentales, des habitudes et des traditions. À titre personnel, je ne pense pas que ces éléments devraient nous empêcher d'avancer sur ce sujet. Je me place dans la lignée de ce qu'Éric Kerrouche et le rapport de la mission d'enquête du Sénat avaient pu proposer en matière de solutions opérationnelles. Ainsi, je suis favorable à une réflexion sur les modalités alternatives de vote qui permettraient de lutter contre l'abstention.

Sur le plan démocratique, il existe des moments où des signaux méritent d'être envoyés aux électeurs. Parmi eux se trouve l'idée de faciliter l'exercice du droit de vote pour tenir compte de l'évolution de la société. Pendant la crise sanitaire, nous avons eu la sensation que les pouvoirs publics favorisaient la sécurisation absolue du vote, la sélection des dirigeants par l'élection le plus traditionnellement et incontestablement possible y compris sur le plan politique, au détriment du souci d'inclusion plus large des électeurs dans des circonstances exceptionnelles. Ce phénomène renvoie l'image d'un pouvoir républicain replié sur lui-même, qui n'aurait pas le souci d'inclure davantage les électeurs dans les processus électoraux.

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