Intervention de Jean-Philippe Derosier

Réunion du mercredi 22 septembre 2021 à 14h35
Mission d'information visant à identifier les ressorts de l'abstention et les mesures permettant de renforcer la participation électorale

Jean-Philippe Derosier, professeur de droit public à l'université de Lille :

Je souhaite apporter quelques éléments de réponse aux nombreuses questions posées. En premier lieu, gardons-nous de nous illusionner de mirages. La Suisse qui a été citée par mon collègue affiche un taux de participation inférieur à 50 % en moyenne aux élections chaque année, voire même plus proche des 40 %, soit des taux d'abstention supérieurs à 50 %.

Par ailleurs, nous disposons d'ores et déjà d'un laboratoire testant le vote par internet ou par correspondance lors du vote par les Français de l'étranger, qu'il s'agisse des élections législatives ou pour la désignation de leurs représentants consulaires. L'élection qui mobilise le plus demeure l'élection présidentielle pour laquelle les conditions de vote sont similaires aux nôtres. Il n'existe en effet qu'une seule circonscription pour l'élection présidentielle. Les modalités demeurent identiques, peu importe le lieu de résidence. Entre les élections législatives de 2012 et celles de 2017, le taux de participation a baissé d'un point alors qu'en 2012, le vote par internet existait. Lors des élections pour les délégués consulaires entre 2014 et 2021, le taux de participation a diminué alors que le recours au vote par internet avait été instauré. Par conséquent, je ne pense pas qu'il s'agisse là du remède à l'abstention. Nous y viendrons un jour ou l'autre. Cependant, à ce stade, les électeurs ne sont pas prêts. Cette modification des modalités de vote nécessitera au préalable un travail d'apprentissage, de confiance et de culture.

Deuxièmement, par rapport au vote électronique en général, et en particulier l'usage des machines à voter, effectivement monsieur le député Balanant, la question culturelle demeure le principal point de blocage. Il en existe d'autres, davantage conjoncturels, tels que le coût des machines à voter. Nous disposons de près de 70 000 bureaux de vote en France. Or une à deux machines par bureau seraient nécessaires, soit un coût substantiel plus élevé qu'une urne et des bulletins papier. Notons également les besoins d'entretien des machines, d'où le moratoire de 2008 qui suspendait le développement des machines à voter. Il s'agit là d'éléments à prendre en considération. Je reconnais la profondeur idéologique quant à la volonté de tout bouleverser. Il ne s'agit pas forcément de mon positionnement, je suis un conservateur de la Ve république, même si elle mérite certaines adaptations. Un bouleversement général ne permettrait pas un ré-enchantement de la vie démocratique. En revanche, des clarifications et une évolution pourraient être réalisées. Je suis partisan d'un regroupement des instances électorales, non pas de l'ensemble, mais d'une partie : d'une part, un regroupement des échéances nationales et, d'autre part, celui des échéances locales afin qu'elles aient lieu le même jour (municipale, départementale et régionale). Cet assemblage mettrait en évidence un enjeu local. Je sais que les élus locaux n'y sont pas favorables, car les questions politiques peuvent différer selon les niveaux. Parallèlement, je suis favorable à regrouper les élections présidentielles et législatives. En outre, je défends un alignement sur le modèle nord-américain, afin que les élections s'effectuent suffisamment en amont du début du nouveau mandat pour que la nouvelle administration puisse se mettre en place.

Troisièmement, je souhaite faire un point à propos du Mexique, pays intéressant dans lequel j'ai été observateur d'opérations électorales lors des dernières élections et des précédentes. Ce pays souffre d'un regard extérieur qui le range parmi les pays du tiers monde et le dote d'une démocratie vérolée. Concernant les opérations électorales, j'ai rarement trouvé un pays aussi exemplaire. Quatre-vingt-dix millions d'électeurs sont appelés à voter. Certains résident parfois dans des lieux particulièrement reculés où l'acheminement des bulletins s'effectue à dos d'âne. Le pays compte 170 000 bureaux de vote soit 1,5 fois plus que la France. Les bureaux de vote sont partout, dans les maisons individuelles notamment, les habitants prêtant leur jardin et leur maison. Un million et demi de personnes sont affectées aux bureaux de vote soit environ dix personnes par bureau de vote : représentants de parti politique, scrutateurs, président du bureau… Ils disposent tous d'une conscience démocratique et participent ainsi de 8 heures à 18 heures à l'instant démocratique.

Enfin, concernant le ré-enchantement des rôles des conseils départementaux et régionaux, je crains que nous sortions du champ de notre mission d'information. Notre « mille-feuilles » territorial et la répartition des compétences entre nos collectivités territoriales sont un autre sujet. Je ne suis pas convaincu que la réécriture de la carte régionale qui a été opérée il y a cinq ans était positive. Il est nécessaire d'apporter de la clarification, de la diffusion d'informations. Nous en revenons à mon premier point, la connaissance, l'apprentissage dès le plus jeune âge : qu'est-ce qu'un département, une région ? Quelles sont les activités de leurs représentants ? En regroupant les trois élections le même jour — certes cela poserait des difficultés politiques au regard des alliances électorales — l'électeur se déplacerait en connaissance de cause pour les instances locales : son maire qu'il connaît et identifie et les représentants départementaux et régionaux.

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