Intervention de Elizabeth Zoller

Réunion du mercredi 29 septembre 2021 à 16h00
Mission d'information visant à identifier les ressorts de l'abstention et les mesures permettant de renforcer la participation électorale

Elizabeth Zoller, professeure émérite de droit public des pays de common law et de droit constitutionnel comparé à l'université Paris 2 Panthéon-Assas :

Dans le questionnaire que vous nous avez adressé, vous avez décliné les tâches de votre mission sous six rubriques. Rapportées au cas des États-Unis, quatre d'entre elles sont particulièrement importantes : les causes ; les modalités de vote ; les listes électorales et leur tenue ; et le vote par correspondance. Je n'envisagerai que les problèmes juridiques sous-jacents à ces thématiques.

Concernant les causes de l'abstention, vous avez distingué l'abstention conjoncturelle de l'abstention structurelle. Aux États-Unis, il existait dans les années 1990 des taux d'abstention record, car peu d'Américains étaient inscrits sur les listes électorales. Le Congrès a réagi par deux lois, le National Voter Registration Act de 1993, également dénommé Motor Voter Law, et le Have America Vote Act (HAVA) en 2002. Avec la loi de 1993, le Congrès affrontait le problème singulier des États-Unis : comment faire obéir des États souverains et indépendants ? Les États-Unis sont une somme d'États fédérés. Ce ne sont pas des préfectures. Il est impossible de les commander. Ces États ont été encouragés à proposer à tout Américain qui obtient son permis de conduire la possibilité d'être inscrit sur les listes électorales. À ce jour, seuls 66 % des Américains sont inscrits sur les listes électorales, alors qu'en France nous avoisinons les 80 % d'inscrits. Par ailleurs, à chaque contact d'un administré avec une institution, il lui est proposé d'être inscrit sur les listes électorales.

À propos de l'abstention conjoncturelle, les problèmes concernent principalement le vote par correspondance. Je parle du contentieux que la crise sanitaire a soulevé, car il a donné lieu à de nombreuses jurisprudences dans les différentes cours. Les États ont refusé d'allonger les délais pour retourner les enveloppes. Pour les élections primaires d'avril 2020, la date d'échéance était le 7 avril 2020. Or les instances ont rencontré un retard considérable pour dépouiller les demandes et envoyer ces courriers, tandis qu'une partie de la population a préféré attendre pour ne pas sortir pendant la crise sanitaire. Par conséquent, une demande d'allongement a été déposée. Un juge fédéral a prolongé unilatéralement le délai jusqu'au 13 avril 2020. La Cour suprême a annulé ce changement de date butoir en indiquant qu'un juge fédéral ne pouvait pas réécrire la loi d'un État fédéré.

S'agissant des modalités de vote, en France, nous élisons une personne. Aux États-Unis lors d'une élection, les électeurs doivent en élire de nombreuses. S'il s'agit d'une élection présidentielle, les Américains doivent voter pour le président, le vice-président, le représentant, le sénateur, puis pour tous les agents élus à des charges électives dans les États, c'est-à-dire le représentant à la chambre de l'État, le représentant à son Sénat, les juges des cours d'appel, ceux de la Cour suprême locale, le super-intendant des écoles, le chef de la police, etc. Dans un contexte pareil, une machine à voter est idéale. Elle assure une fonction essentiellement pratique. Elle a aussi été utilisée pour combattre la fraude. La question des machines à voter se pose aux États-Unis dans un système différent. Il existe les optical scan voting machines avec lesquelles vous disposez d'une trace papier. Il s'agit en effet de noircir des cases qui sont ensuite scannées et dont le lecteur optique donne le résultat. Il existe également le direct recording and electronic voting machine, qui n'offre pas de trace papier, car les touches sont directement sur l'écran. D'après mes lectures, l' optical scan voting machine serait plus fiable.

Un autre point très important pose de nombreuses difficultés aux juristes : la tenue des listes électorales. La loi américaine indique que ceux qui n'ont pas voté pendant deux ans de suite peuvent être rayés d'office des listes électorales. Des électeurs se sont plaints devant la Cour suprême de ne plus pouvoir voter. La Cour suprême a jugé que l'État qui veut procéder à une purge de sa liste électorale le peut sous réserve de l'envoi d'une notification par voie postale avec des enveloppes-réponses préremplies pour que l'électeur puisse répondre. Il est nécessaire que ces deux conditions se cumulent pour qu'un nom puisse être rayé de la liste électorale.

Enfin, un dernier point concerne le vote par correspondance. Il existe trois systèmes : le mail voting, le early voting et le all mail voting. Pour le mail voting, les États envoient des bulletins aux électeurs qui le demandent. Le retour s'effectue par voie postale ou par dépôt dans des dropbox qui se situent dans les supermarchés. Pour le early voting l'électeur reçoit automatiquement un bulletin chez lui. Il dispose selon les États d'une durée différente pour y répondre. Enfin, le all mail voting concerne cinq États : le Colorado, l'Oregon, l'Utah, l'État de Washington et Hawaï. Les bulletins sont envoyés à tous les électeurs qui les retournent par le service postal. Ces États n'offrent que peu de possibilités de vote à l'urne.

Le vote par correspondance ne modifie pas profondément la participation, qui diffère de 2 à 4 % par rapport au scrutin en présentiel. Pour que les électeurs se déplacent, il est nécessaire qu'il existe un enjeu.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.