Mission d'information visant à identifier les ressorts de l'abstention et les mesures permettant de renforcer la participation électorale

Réunion du mercredi 29 septembre 2021 à 16h00

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

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  • américain
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  • États-unis
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  • électorale
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La réunion

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Table ronde de professeurs spécialistes des élections aux États-Unis : Mme Elizabeth Zoller, professeure émérite de droit public des pays de common law et de droit constitutionnel comparé à l'université Paris 2 Panthéon-Assas ; M. François Vergniolle de Chantal, professeur de civilisation américaine au Laboratoire de recherche sur les cultures anglophones (unité mixte Université de ParisCNRS) ; M. Olivier Richomme, maître de conférences de civilisation américaine à l'université Lumière Lyon 2.

La séance est ouverte à 16 heures.

Présidence de M. François Cornut-Gentille, vice-président.

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Madame, messieurs, nous sommes heureux de vous recevoir. Nous nous excusons pour l'attente qui a été la vôtre. Nous avions des débats passionnés et passionnants sur la question de l'abstention et de ses causes profondes, objet de nos travaux et de votre audition. Vous êtes spécialistes des États-Unis et nous pensons que regarder les expériences étrangères est intéressant. Cette audition est ouverte à la presse. Elle est retransmise en direct sur le site Internet de l'Assemblée nationale et elle fera également l'objet d'un compte rendu.

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Elizabeth Zoller, professeure émérite de droit public des pays de common law et de droit constitutionnel comparé à l'université Paris 2 Panthéon-Assas

Dans le questionnaire que vous nous avez adressé, vous avez décliné les tâches de votre mission sous six rubriques. Rapportées au cas des États-Unis, quatre d'entre elles sont particulièrement importantes : les causes ; les modalités de vote ; les listes électorales et leur tenue ; et le vote par correspondance. Je n'envisagerai que les problèmes juridiques sous-jacents à ces thématiques.

Concernant les causes de l'abstention, vous avez distingué l'abstention conjoncturelle de l'abstention structurelle. Aux États-Unis, il existait dans les années 1990 des taux d'abstention record, car peu d'Américains étaient inscrits sur les listes électorales. Le Congrès a réagi par deux lois, le National Voter Registration Act de 1993, également dénommé Motor Voter Law, et le Have America Vote Act (HAVA) en 2002. Avec la loi de 1993, le Congrès affrontait le problème singulier des États-Unis : comment faire obéir des États souverains et indépendants ? Les États-Unis sont une somme d'États fédérés. Ce ne sont pas des préfectures. Il est impossible de les commander. Ces États ont été encouragés à proposer à tout Américain qui obtient son permis de conduire la possibilité d'être inscrit sur les listes électorales. À ce jour, seuls 66 % des Américains sont inscrits sur les listes électorales, alors qu'en France nous avoisinons les 80 % d'inscrits. Par ailleurs, à chaque contact d'un administré avec une institution, il lui est proposé d'être inscrit sur les listes électorales.

À propos de l'abstention conjoncturelle, les problèmes concernent principalement le vote par correspondance. Je parle du contentieux que la crise sanitaire a soulevé, car il a donné lieu à de nombreuses jurisprudences dans les différentes cours. Les États ont refusé d'allonger les délais pour retourner les enveloppes. Pour les élections primaires d'avril 2020, la date d'échéance était le 7 avril 2020. Or les instances ont rencontré un retard considérable pour dépouiller les demandes et envoyer ces courriers, tandis qu'une partie de la population a préféré attendre pour ne pas sortir pendant la crise sanitaire. Par conséquent, une demande d'allongement a été déposée. Un juge fédéral a prolongé unilatéralement le délai jusqu'au 13 avril 2020. La Cour suprême a annulé ce changement de date butoir en indiquant qu'un juge fédéral ne pouvait pas réécrire la loi d'un État fédéré.

S'agissant des modalités de vote, en France, nous élisons une personne. Aux États-Unis lors d'une élection, les électeurs doivent en élire de nombreuses. S'il s'agit d'une élection présidentielle, les Américains doivent voter pour le président, le vice-président, le représentant, le sénateur, puis pour tous les agents élus à des charges électives dans les États, c'est-à-dire le représentant à la chambre de l'État, le représentant à son Sénat, les juges des cours d'appel, ceux de la Cour suprême locale, le super-intendant des écoles, le chef de la police, etc. Dans un contexte pareil, une machine à voter est idéale. Elle assure une fonction essentiellement pratique. Elle a aussi été utilisée pour combattre la fraude. La question des machines à voter se pose aux États-Unis dans un système différent. Il existe les optical scan voting machines avec lesquelles vous disposez d'une trace papier. Il s'agit en effet de noircir des cases qui sont ensuite scannées et dont le lecteur optique donne le résultat. Il existe également le direct recording and electronic voting machine, qui n'offre pas de trace papier, car les touches sont directement sur l'écran. D'après mes lectures, l' optical scan voting machine serait plus fiable.

Un autre point très important pose de nombreuses difficultés aux juristes : la tenue des listes électorales. La loi américaine indique que ceux qui n'ont pas voté pendant deux ans de suite peuvent être rayés d'office des listes électorales. Des électeurs se sont plaints devant la Cour suprême de ne plus pouvoir voter. La Cour suprême a jugé que l'État qui veut procéder à une purge de sa liste électorale le peut sous réserve de l'envoi d'une notification par voie postale avec des enveloppes-réponses préremplies pour que l'électeur puisse répondre. Il est nécessaire que ces deux conditions se cumulent pour qu'un nom puisse être rayé de la liste électorale.

Enfin, un dernier point concerne le vote par correspondance. Il existe trois systèmes : le mail voting, le early voting et le all mail voting. Pour le mail voting, les États envoient des bulletins aux électeurs qui le demandent. Le retour s'effectue par voie postale ou par dépôt dans des dropbox qui se situent dans les supermarchés. Pour le early voting l'électeur reçoit automatiquement un bulletin chez lui. Il dispose selon les États d'une durée différente pour y répondre. Enfin, le all mail voting concerne cinq États : le Colorado, l'Oregon, l'Utah, l'État de Washington et Hawaï. Les bulletins sont envoyés à tous les électeurs qui les retournent par le service postal. Ces États n'offrent que peu de possibilités de vote à l'urne.

Le vote par correspondance ne modifie pas profondément la participation, qui diffère de 2 à 4 % par rapport au scrutin en présentiel. Pour que les électeurs se déplacent, il est nécessaire qu'il existe un enjeu.

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François Vergniolle de Chantal, professeur de civilisation américaine au Laboratoire de recherche sur les cultures anglophones (unité mixte Université de Paris-CNRS)

Les États-Unis sont depuis des décennies confrontés à une crise majeure de la participation électorale, à tel point qu'il s'agit d'un cliché sur la démocratie américaine. Les Américains votent peu. Un Américain sur deux vote pour les élections présidentielles et un Américain sur trois vote pour les élections au congrès, tandis que la participation est inférieure à 20 % pour les élections locales. Les raisons invoquées sont connues : les scrutins se déroulent en semaine et les Américains ont un sentiment de méfiance extrêmement fort vis-à-vis de leurs institutions. Le Congrès demeure l'objet d'une méfiance particulière, comme l'illustrent les événements de janvier dernier. C'est dans ce contexte peu enthousiaste que des initiatives nouvelles ont vu le jour. En effet, les États-Unis ne sont pas uniquement le triste symbole d'une apathie électorale, ils sont également pionniers en termes d'innovation électorale depuis le début du XXe siècle. Les derniers cycles électoraux illustrent cette volonté progressiste et les nouvelles procédures, comme celle du vote par correspondance.

J'aborderai brièvement trois points : la participation électorale, la décentralisation de l'exercice du droit de vote et les modalités concrètes du vote aux États-Unis.

Concernant la participation, un point statistique me semble important à relever. Le calcul de la participation et de l'abstention est différent des autres démocraties. La majorité des évaluations aux États-Unis sont calculées à partir de la population en âge de voter. Cette méthode gonfle artificiellement le taux d'abstention. Les autres démocraties effectuent ce calcul à partir des électeurs inscrits sur les listes électorales. J'ai relevé une étude indiquant clairement la différence entre les deux chiffres. Si nous tenons compte de la population en âge de voter, les États-Unis occupent la trente-cinquième place du classement. Si nous nous intéressons uniquement aux électeurs inscrits, le taux de participation électorale est davantage favorable, puisqu'il atteint 86,80 %. Les États-Unis sont alors au cinquième rang dans le classement des démocraties comparables.

Depuis plusieurs décennies, la participation électorale aux présidentielles est faible, sauf lors des derniers cycles électoraux. Depuis 2008, la participation électorale est en augmentation. La campagne de 2020 représente le record absolu des dernières décennies avec une participation de 60 %. La participation se décline différemment en fonction des États, au regard des scrutins et selon les groupes dits « ethniques ». L'une des évolutions intéressantes des dernières décennies concerne la participation des électeurs afro-américains, qui est en augmentation très importante depuis 2008.

L'exercice du droit de vote représente l'un des rares domaines entièrement décentralisés aux États-Unis. Selon un dicton très connu dans la vie politique américaine,  all politics is local. La Constitution n'est en réalité que le point de départ pour comprendre le fonctionnement des élections aux États-Unis. Elle renvoie directement aux États la gestion des élections. L'État fédéral intervient de manière ponctuelle, notamment avec le quatorzième amendement et sa clause « equal protection of the laws ». L'État fédéral est aussi intervenu par de grandes lois électorales citées par Mme Elizabeth Zoller. Les trois mille comtés disposent d'un rôle décisif dans l'organisation des élections. S'y ajoutent des municipalités qui, elles aussi, constituent des unités d'organisation des élections. Au total, il existe plus de dix mille juridictions concernées par l'organisation d'élections aux États-Unis. Or leurs pratiques ne font pas l'objet d'une base de données globales. Il est donc particulièrement difficile d'identifier des tendances lourdes.

J'évoquerai un dernier élément : les modalités concrètes du vote, qui peuvent varier d'un extrême à l'autre depuis le vote exclusivement par correspondance jusqu'au vote en présentiel quasiment obligatoire. La notion d' election day a de moins en moins de sens. Il s'agit plutôt d'une election season, les élections se déroulant effectivement sur plusieurs semaines.

Cette décentralisation offre plusieurs garanties. Elle garantit avant tout que des expérimentations seront réalisées : il s'agit là d'une grande caractéristique de la démocratie américaine. Elle garantit ensuite la responsabilité des élus et des administrateurs, puisque les individus qui gèrent les élections sont des élus. Enfin, une telle décentralisation implique que toute tentative de fraude nationale est mécaniquement impossible.

Toutefois, la multiplication des juridictions rend aussi mécanique le fait qu'il existe toujours des erreurs ou des problèmes, qu'ils soient significatifs ou non.

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Je souhaiterais vous entendre concernant l'existence d'expérimentations et de nouvelles initiatives.

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François Vergniolle de Chantal, professeur de civilisation américaine au Laboratoire de recherche sur les cultures anglophones (unité mixte Université de Paris-CNRS)

Historiquement, les États-Unis sont pionniers en la matière avec la mise en place de la démocratie directe en particulier sur la côte Ouest. Il s'agit de procédures qui disposent d'une couverture médiatique très forte, comme les propositions, les initiatives populaires ou la révocation des élus (recall). La volonté des réformateurs progressistes demeure de recréer de la proximité.

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Disposons-nous d'un bilan de ses initiatives ? En France, elles sont toujours très favorablement dans les médias. Toutefois, en pratique, les électeurs y participent encore moins qu'aux élections habituelles.

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François Vergniolle de Chantal, professeur de civilisation américaine au Laboratoire de recherche sur les cultures anglophones (unité mixte Université de Paris-CNRS)

Nous rencontrons exactement le même phénomène aux États-Unis. Les procédures de propositions sont caractérisées par une participation très faible. Certains entrepreneurs politiques les instrumentalisent et se présentent ensuite comme soutenus par le peuple.

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Olivier Richomme, maître de conférences de civilisation américaine à l'université Lumière Lyon 2

À propos des initiatives de réformes populaires, les questions posées aux référendums ne sont pas rédigées de manière claire. Je demeure particulièrement circonspect quant à la démocratie directe.

Le vote demeure le pilier de la souveraineté des États fédérés. Il existe cinquante États, donc cinquante règles électorales. Il s'agit d'une mosaïque. Vous ne trouverez pas d'ouvrage récapitulatif. Localement, la diversité reste extrême. Il existe toute forme d'initiatives. Il s'agit principalement de scrutins uninominaux à un tour avec un problème de pluralité. Il est possible de mettre en place un second tour dans certains États.

À chaque élection day, les Américains répondent en moyenne à dix-sept questions, d'où la nécessité des machines à voter électroniques ou à scanner. Le vote en personne par anticipation est possible : vote 24 heures sur 24, en voiture au drive-in... Il existe deux types de votes par correspondance. Ce que Mme Zoller appelait le mail-in vote, que j'appelle de mon côté l'absentee vote, qui existe depuis la guerre de Sécession pour les militaires. On se souvient de l'anecdote selon laquelle Abraham Lincoln n'avait pas pu voter pour sa propre réélection, en 1864, car l'État de l'Illinois exigeait d'être présent en personne pour pouvoir voter. Ce vote correspond à notre vote par procuration. Il est nécessaire d'en exprimer la demande et de justifier de son incapacité à se rendre au bureau de vote. Cette procédure a été ouverte aux personnes handicapées, au personnel militaire ou aux expatriés. Avec la crise sanitaire, les raisons médicales sont devenues systématiques. Qui plus est, à la suite de la pandémie, de nombreux États réfléchissent au tout mailing. Par conséquent, de moins en moins d'électeurs votent le jour de l'élection. Le vote par correspondance ne cesse d'augmenter depuis une trentaine d'années. Cette tendance s'inscrit d'ailleurs dans le temps au sein des États démocrates.

S'agissant des machines à scanner ou des machines à écran électroniques, un tiers des juridictions fournissent un ticket après le vote. La pluralité du système est telle qu'il s'avère difficile de dégager une tendance lourde. Mme Elizabeth Zoller a évoqué la loi de 2002. Cette dernière fait suite à la débâcle des élections en Floride. Les punch cards étaient alors le système en vigueur. Il fallait appuyer avec un poinçon sur les cases. Cette technique a disparu pour laisser place à l' optical scan, ou à l'écran tactile. Toutefois, le vote par correspondance prend de l'ampleur. En effet, il présente de nombreux avantages. Cependant, à ce jour, il n'a permis qu'une faible augmentation de la participation. La question du coût par rapport au bénéfice demeure épineuse. Les résultats peuvent être attendus pendant longtemps. En Californie par exemple, ils sont obtenus un mois après le jour du vote. Le décompte s'effectue à la main, alors qu'il est difficile de recruter des volontaires. Notons tout de même comme effets négatifs, les possibilités de coercition et la perte de la tradition du rituel civique, qui ne me paraît pas anodin.

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Je m'adresse moins aux spécialistes qu'à la citoyenne et aux citoyens en vous demandant si, au travers de vos expériences, de vos connaissances, de vos appréciations des différences culturelles entre nos pays, il existe des éléments dont nous pourrions nous inspirer. Ou, à l'inverse, existe-t-il des effets pernicieux ?

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J'ai quelques questions techniques et générales à vous soumettre. Aujourd'hui, aux États-Unis, l'évolution numérique et la dématérialisation posent-elles la question du vote électronique à distance ? Où en sont les différents États concernant ce mode de scrutin ? Comment sont contrôlées les machines ? Une commission fédérale en a-t-elle la charge ? Une commission indépendante gère-t-elle ces systèmes de vote ?

Aujourd'hui, les Américains votent pour plusieurs représentants lors des élections présidentielles. Pensez-vous que ce système serait transposable en France ? Pourrions-nous voter pour les élections présidentielle et législatives le même jour, puis laisser une période d'un mois à la nouvelle administration pour se mettre en place ? La France, dans sa pluralité et sa diversité, pourrait-elle accepter un tel système ? Quelles évolutions remarquez-vous dans les quatre derniers scrutins ? Des changements particuliers ont-ils eu lieu ? Quelles sont les différentes modalités de vote utilisé par les électeurs américains ? Existe-t-il une obligation d'inscription sur les listes électorales ? Comment ces listes sont-elles contrôlées et validées ?

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Elizabeth Zoller, professeure émérite de droit public des pays de common law et de droit constitutionnel comparé à l'université Paris 2 Panthéon-Assas

La France n'étant ni un État fédéral ni un pays de common law, une transposition poserait d'immenses difficultés juridiques. Le fédéralisme est à éviter à tout prix. La constitution américaine est admirable. Cependant, elle ne donne des résultats qu'entre des mains américaines. Partout ailleurs, elle a échoué. Elle soulève des difficultés sans nom, comme l'évoquait Alexis de Tocqueville, car elle procède d'une théorie juridique : le fractionnement de la souveraineté. Le résultat est l'éparpillement du pouvoir dans toute la société. Le président Truman avait sur son bureau un panneau indiquant :  the buck stops here. Il s'agit d'un système de délégation du pouvoir fondamentalement opposé à nos traditions et à notre culture. Le problème fondamental des États-Unis, Alexis de Tocqueville le disait déjà, est de savoir comment faire obéir les États souverains et indépendants. La loi HAVA dispose que le gouvernement fédéral donne des dotations à une administration qui est l' election advise commission. Une clause limite le pouvoir réglementaire de la commission qui n'aura aucune autorité pour promulguer un règlement ou toute autre action qui imposerait une décision à une unité ou un gouvernement local.

S'agissant du vote électronique, avec le système des listes électorales imposées aux États, les Américains ont fourni beaucoup de données personnelles. Or ces listes ont été piratées par les Russes, entrainant de graves difficultés et de l'inquiétude. Le vote électronique n'existe pas à ma connaissance, sauf pour les militaires. Ce mode de scrutin n'est pas répandu, car il présente trop de risques.

Le contrôle des machines n'est pas très poussé. Les sociétés privées ne se laissent pas investiguer. Elles disposent de leur autonomie.

Vous avez évoqué la possibilité d'organiser l'élection du président de la République et des députés le même jour. Cela est une fausse bonne idée. Le président de la République n'est pas un chef de parti. Aux États-Unis, la présidence a été construite pour ne pas être l'instrument d'un parti politique. Or, elle l'est devenue, avec la réforme électorale de 1802, qui a supprimé le système de filtrage qui faisait que les hommes du type de Washington pouvaient accéder à la présidence. Bien entendu, dès qu'ils sont élus, les présidents américains tentent de sortir de leur appartenance partisane, mais il existe une différence importante, qui fait qu'ils ne disposent pas de la même légitimité que le président français : dans notre pays, le second tour reste systématique. Le président de la République est élu en France avec la majorité est absolue, tandis qu'aux États-Unis, cette majorité n'est que relative, et on n'imaginerait pas le président de la République élu en France à la majorité relative ! Nous avons peu d'institutions. Ce sont des « pouvoirs neutres », comme dirait Benjamin Constant, il est nécessaire de les conserver. Le président de la République, le président de l'Assemblée nationale et celui du Sénat sont au-dessus des partis politiques. Aux États-Unis, si vous dites que vous n'êtes pas partisan, personne ne vous croit.

Le gouvernement fédéral intervient très peu. L'amendement décisif en matière électorale est le quinzième amendement, qui dit que les États ne pourront pas refuser le droit de vote à un citoyen américain pour des raisons de race ou de couleur. Le 1er juillet dernier, la Cour suprême a reconnu l'absence de facilités de votes pour une population amérindienne qui ne dispose pas de voting center. Ils représentent 0,1 % de la population. Il a donc été décidé que leur vote n'était pas nécessaire. Nous ne pourrions pas agir de la sorte en France. Nous ne classons pas les individus par leur race.

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François Vergniolle de Chantal, professeur de civilisation américaine au Laboratoire de recherche sur les cultures anglophones (unité mixte Université de Paris-CNRS)

J'ai de la sympathie pour la démocratie américaine. Toutefois, les pratiques électorales américaines illustrent les pièges de la démocratisation. Le sociologue du début du XXe siècle Roberto Michels évoquait la loi d'airain et de l'oligarchie. En démocratisant à tout prix, une partie du pouvoir revient aux mains d'entrepreneurs politiques. Je reste particulièrement sceptique à toute importation de ce côté-ci de l'Atlantique.

Par ailleurs, le principal problème de la démocratie américaine, qui nourrit le cynisme absolu des Américains pour leurs institutions, demeure le financement des campagnes électorales. Le maigre système public s'est effondré au cours des derniers cycles électoraux. Il existait depuis les années 1970 un financement optionnel pour les présidentielles. En 2008, Barack Obama jouant de sa popularité auprès de ses électeurs a abandonné le financement public. Ce financement existe toujours, mais il n'est pas utilisé par les candidats.

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Connaît-on tous les donateurs des partis politiques ?

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François Vergniolle de Chantal, professeur de civilisation américaine au Laboratoire de recherche sur les cultures anglophones (unité mixte Université de Paris-CNRS)

Il existe une culture de la transparence réelle et statutaire. Néanmoins, cette loi n'est pas solide. Certaines associations peuvent financer des candidats ou des campagnes sans avoir à indiquer quelles sont leur source de financement. Nous ne savons pas exactement ce qui se passe. Certaines fondations indépendantes telles que Open Secrets essayent de compiler les données brutes issues de la Fédéral Election Commission. Toutefois, il existe des limites au système. Le système américain revient à ne pas se faire prendre la main dans le sac. Beaucoup d'Américains considèrent que les élus achètent leur siège.

S'agissant du vote électronique, il est peu utilisé, car il représente un danger technique évident.

La suggestion de monsieur le rapporteur autour du vote concentré sur le même jour est très intéressante. Spontanément, je répondrais que ce système n'est pas importable en France. Les Américains considèrent les pouvoirs comme égaux : ils doivent s'équilibrer les uns les autres. Il n'existe pas de hiérarchie entre les pouvoirs. Or dans la Ve République, il existe une hiérarchie entre les pouvoirs. Qui plus est, le système américain s'avère très coûteux en temps, en énergie et en argent. Il cause de nombreuses déperditions. L'abbé Sieyès, au début du XVIIIe siècle parlait de la constitution américaine comme d'un combat absurde de gladiateurs, l'exécutif et le législatif s'échangeant des coups sans qu'aucun des deux puisse véritablement l'emporter.

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En France, nous assistons à une crise des partis politiques, sans doute en lien avec la baisse de la participation électorale. Le clivage gauche/droite est en difficulté. Comment le clivage est-il vécu aux États-Unis ? Existe-t-il une crise des partis politiques américains ?

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Olivier Richomme, maître de conférences de civilisation américaine à l'université Lumière Lyon 2

Les États-Unis nous envient notre centralisation. Le vote par correspondance ne résout pas le problème de l'abstention. Toutefois, il peut participer à l'augmentation de la participation. Ce mode de scrutin rend le vote plus pratique, pour les personnes handicapées par exemple. Le système postal est tout à fait capable de produire un tracé, un suivi c'est-à-dire un système fiable. La frilosité n'est pas de mise à ce sujet.

Les États-Unis rêveraient de disposer de nos listes électorales centralisées. En Californie, l'inscription est systématique dès 18 ans. D'un point de vue pratique, nous pourrions nous inspirer du système d'inscription sur les listes électorales et du vote à distance par voie postale.

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François Vergniolle de Chantal, professeur de civilisation américaine au Laboratoire de recherche sur les cultures anglophones (unité mixte Université de Paris-CNRS)

Les partis politiques américains ont évolué le sens d'une plus forte polarisation depuis les années 1960. Ils se sont écartés l'un de l'autre. Le Parti républicain est devenu un parti conservateur voire, pour certains éléments, un parti d'extrême droite. Le Parti démocrate a observé une évolution similaire à gauche sachant que cette polarisation américaine est qualifiée d'asymétrique. Le Parti démocrate a moins dévié vers la gauche. En son sein, il existe une branche centriste et une branche progressiste. Une administration démocrate rencontrera plus de difficultés à négocier avec son parti qu'une administration républicaine. Les démocrates sont toujours confrontés à un problème de gouvernance. Cette polarisation ne va pas de pair avec un renforcement organisationnel sur le terrain. Les partis sont relativement absents du terrain, ils composent avec des lobbys.

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Dans son ouvrage, Barack Obama évoque les difficultés rencontrées dans son propre camp pour trouver des soutiens concernant certains textes sociaux ou environnementaux.

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Je suppose que les GAFAM financent largement les campagnes présidentielles. Ils disposent de revenus immenses. Le directeur général de l'ANSSI nous expliquait que nous n'avions pas les moyens de sécuriser le vote électronique. Êtes-vous d'accord avec lui ?

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Olivier Richomme, maître de conférences de civilisation américaine à l'université Lumière Lyon 2

Nous n'avons pas les moyens de financer la sécurité du vote électronique. Chaque expérimentation s'est soldée par un piratage. Il existe une forte demande aux États-Unis également, mais personne ne peut garantir la sécurité du scrutin. Cette question n'est pas à l'ordre du jour en dépit des moyens financiers et techniques.

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Auriez-vous une bibliographie à nous recommander ?

La séance est levée à 17 heures 55.

Membres présents ou excusés

Présents. - M. François Cornut-Gentille, Mme Monique Iborra, Mme Marion Lenne, M. Pacôme Rupin, M. Stéphane Travert

Excusés. - M. Xavier Breton, M. Pierre Cordier