Intervention de François Vergniolle de Chantal

Réunion du mercredi 29 septembre 2021 à 16h00
Mission d'information visant à identifier les ressorts de l'abstention et les mesures permettant de renforcer la participation électorale

François Vergniolle de Chantal, professeur de civilisation américaine au Laboratoire de recherche sur les cultures anglophones (unité mixte Université de Paris-CNRS) :

Les États-Unis sont depuis des décennies confrontés à une crise majeure de la participation électorale, à tel point qu'il s'agit d'un cliché sur la démocratie américaine. Les Américains votent peu. Un Américain sur deux vote pour les élections présidentielles et un Américain sur trois vote pour les élections au congrès, tandis que la participation est inférieure à 20 % pour les élections locales. Les raisons invoquées sont connues : les scrutins se déroulent en semaine et les Américains ont un sentiment de méfiance extrêmement fort vis-à-vis de leurs institutions. Le Congrès demeure l'objet d'une méfiance particulière, comme l'illustrent les événements de janvier dernier. C'est dans ce contexte peu enthousiaste que des initiatives nouvelles ont vu le jour. En effet, les États-Unis ne sont pas uniquement le triste symbole d'une apathie électorale, ils sont également pionniers en termes d'innovation électorale depuis le début du XXe siècle. Les derniers cycles électoraux illustrent cette volonté progressiste et les nouvelles procédures, comme celle du vote par correspondance.

J'aborderai brièvement trois points : la participation électorale, la décentralisation de l'exercice du droit de vote et les modalités concrètes du vote aux États-Unis.

Concernant la participation, un point statistique me semble important à relever. Le calcul de la participation et de l'abstention est différent des autres démocraties. La majorité des évaluations aux États-Unis sont calculées à partir de la population en âge de voter. Cette méthode gonfle artificiellement le taux d'abstention. Les autres démocraties effectuent ce calcul à partir des électeurs inscrits sur les listes électorales. J'ai relevé une étude indiquant clairement la différence entre les deux chiffres. Si nous tenons compte de la population en âge de voter, les États-Unis occupent la trente-cinquième place du classement. Si nous nous intéressons uniquement aux électeurs inscrits, le taux de participation électorale est davantage favorable, puisqu'il atteint 86,80 %. Les États-Unis sont alors au cinquième rang dans le classement des démocraties comparables.

Depuis plusieurs décennies, la participation électorale aux présidentielles est faible, sauf lors des derniers cycles électoraux. Depuis 2008, la participation électorale est en augmentation. La campagne de 2020 représente le record absolu des dernières décennies avec une participation de 60 %. La participation se décline différemment en fonction des États, au regard des scrutins et selon les groupes dits « ethniques ». L'une des évolutions intéressantes des dernières décennies concerne la participation des électeurs afro-américains, qui est en augmentation très importante depuis 2008.

L'exercice du droit de vote représente l'un des rares domaines entièrement décentralisés aux États-Unis. Selon un dicton très connu dans la vie politique américaine,  all politics is local. La Constitution n'est en réalité que le point de départ pour comprendre le fonctionnement des élections aux États-Unis. Elle renvoie directement aux États la gestion des élections. L'État fédéral intervient de manière ponctuelle, notamment avec le quatorzième amendement et sa clause « equal protection of the laws ». L'État fédéral est aussi intervenu par de grandes lois électorales citées par Mme Elizabeth Zoller. Les trois mille comtés disposent d'un rôle décisif dans l'organisation des élections. S'y ajoutent des municipalités qui, elles aussi, constituent des unités d'organisation des élections. Au total, il existe plus de dix mille juridictions concernées par l'organisation d'élections aux États-Unis. Or leurs pratiques ne font pas l'objet d'une base de données globales. Il est donc particulièrement difficile d'identifier des tendances lourdes.

J'évoquerai un dernier élément : les modalités concrètes du vote, qui peuvent varier d'un extrême à l'autre depuis le vote exclusivement par correspondance jusqu'au vote en présentiel quasiment obligatoire. La notion d' election day a de moins en moins de sens. Il s'agit plutôt d'une election season, les élections se déroulant effectivement sur plusieurs semaines.

Cette décentralisation offre plusieurs garanties. Elle garantit avant tout que des expérimentations seront réalisées : il s'agit là d'une grande caractéristique de la démocratie américaine. Elle garantit ensuite la responsabilité des élus et des administrateurs, puisque les individus qui gèrent les élections sont des élus. Enfin, une telle décentralisation implique que toute tentative de fraude nationale est mécaniquement impossible.

Toutefois, la multiplication des juridictions rend aussi mécanique le fait qu'il existe toujours des erreurs ou des problèmes, qu'ils soient significatifs ou non.

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