Intervention de Vincent Tiberj

Réunion du mercredi 20 octobre 2021 à 14h00
Mission d'information visant à identifier les ressorts de l'abstention et les mesures permettant de renforcer la participation électorale

Vincent Tiberj, professeur de science politique à l'Institut d'études politiques de Bordeaux :

Si l'élection présidentielle mobilise autant de citoyens, c'est en effet parce qu'elle est considérée par beaucoup, et à juste titre, comme l'élection la plus importante, ce qui produit un effet de délégitimation des élections législatives. En effet, dans les années 70 et 80, il existait, d'une part, les élections législatives de mi-mandat qui mobilisaient beaucoup (comme celles de 1978, 1986 et 1993) et, d'autre part, les élections législatives de confirmation des élections présidentielles qui mobilisaient relativement moins (comme en 1981 et 1988). La mise en place d'élections législatives de confirmation constitue donc un réel problème. Cet enjeu peut être remis en perspective à travers l'inversion du calendrier et l'absence de prise en compte de la possibilité d'une élection simultanée. Le Congrès américain tire sa légitimité et sa capacité à s'opposer aux politiques présidentielles de la Constitution des États-Unis, mais surtout du fait que son élection ne procède pas du rapport au Président.

Une des manières de simplifier le millefeuille serait de faire en sorte que les élections régionales et départementales soient axées autour d'autres thématiques. En 2021, un certain nombre d'acteurs se sont exprimés sur les questions d'immigration et de sécurité, alors même que ces compétences n'appartiennent pas aux régions. Dès lors, les élections locales risquent de se politiser. Cela devrait être accompagné par le développement de systèmes médiatiques qui permettraient aux électeurs de s'informer des différents projets et de se rendre compte que des politiques de droite et de gauche peuvent être compatibles dans la gouvernance régionale. Les intercommunalités sont devenues des échelons qui pèsent de plus en plus dans les politiques locales, mais leur légitimité d'un point de vue démocratique peut être remise en question, car leur élection est indirecte, sauf à Lyon. L'attribution de responsabilités à ces intercommunalités pose un réel problème. Par exemple, si je ne suis pas d'accord avec les politiques locales dans la métropole de Bordeaux, contre qui dois-je voter ?

La radicalité croissante des discours, certes très problématique, mais hors de nos champs de compétence, est liée à l'évolution des systèmes médiatiques. La polarisation politique américaine est désormais extrêmement marquée, au point que les démocrates côtoient de moins en moins de républicains, et inversement. Au niveau individuel, le clivage entre deux Amériques se forme peu à peu, renforcé par les médias. Avec l'ouverture des bouquets de chaînes, des chaînes telles que Fox News Channel ont désormais la possibilité de se concentrer sur des publics restreints. Le développement des médias affinitaires sur Internet et les algorithmes limitent les interactions virtuelles à des groupes de personnes qui se ressemblent en termes de génération, mais également en termes d'attitude à l'égard du genre, de l'homosexualité, de l'environnement, de la redistribution, etc. Le système médiatique actuel ne permet plus réellement la confrontation des différents points de vue, mais donne aux opinions minoritaires de plus en plus de visibilité. Fox News a d'ailleurs été l'objet d'une série récente intitulée The Loudest Voice (la voix la plus forte).

Nous pouvons alors nous demander dans quelle mesure la France est susceptible de prendre le même chemin que les États-Unis sur ce sujet, avec notamment des chaînes d'information continue qui font des choix éditoriaux similaires. Les chiffres d'audience de ces chaînes sont certes largement inférieurs à ceux des feuilletons sur France 3, mais le fait que ce sujet soit peu abordé pose un réel problème de débat démocratique. N'oublions pas, néanmoins, que les électeurs sont de plus en plus capables de s'informer, s'ils maîtrisent bien les outils. Il y a vingt ans, nous n'aurions pas eu la possibilité d'organiser la présente commission à distance et dès lors, peu de personnes auraient pu avoir accès à son contenu. Internet permet d'une part aux citoyens de mieux s'informer et d'autre part d'avoir accès au pire avec notamment le complotisme, la dénonciation des scientifiques et les différentes attaques racistes, antisémites ou encore homophobes.

Je pense que notre système institutionnel n'est pas prêt pour la mise en place du RIC et que celui-ci ne s'inscrit pas dans notre culture. Les demandes de mise en place du RIC s'accompagnaient notamment du souhait de pouvoir remettre en question les élus par des référendums révocatoires, équivalents à ce que les Américains appellent les recalls. Ces référendums sont présents dans certains États américains depuis très longtemps, notamment en Californie. La plupart des tentatives de recall n'ont pas abouti à la démission de l'élu concerné. Cette culture électorale donne moins de marge de manœuvre aux élus que le système français. Il s'agit d'une réelle question philosophique : les élus doivent-ils être sanctionnés s'ils n'appliquent pas le programme pour lequel ils ont été choisis ou doivent-ils au contraire disposer d'une marge de manœuvre plus importante ? Les revendications des Gilets jaunes témoignaient d'une volonté de reprise de contrôle de la démocratie élective, ce qui n'est pas toujours souhaitable. En effet, les élus ont des niveaux d'information, de culture et de réflexion que des citoyens n'ont pas nécessairement.

Mon point de vue quant au mode de scrutin proportionnel rejoint celui de Pascal Perrineau. La culture politique de la Cinquième République a favorisé la mise en place d'une démocratie gouvernée plutôt que d'une démocratie représentative. En effet, le Président de la République française dispose de pouvoirs institutionnels que le Président américain rêverait d'avoir, toutefois au détriment de la démocratie représentative. En effet, le RN, EELV et la France Insoumise sont peu ou pas assez représentés.

Certains États comme les pays scandinaves réussissent avec beaucoup plus de facilité à mobiliser leurs jeunes citoyens, y compris en ce qui concerne la sphère électorale. Les travaux de Tom Chevalier démontrent que l'intégration politique des jeunes nécessite de leur faire confiance. Or la force des pays scandinaves réside dans leur capacité à préserver les jeunes afin de leur permettre de prendre des risques et de prendre le temps de devenir des acteurs de la société, de choisir leurs études, leur parcours professionnel et finalement leur citoyenneté.

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