Mission d'information visant à identifier les ressorts de l'abstention et les mesures permettant de renforcer la participation électorale

Réunion du mercredi 20 octobre 2021 à 14h00

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • abstention
  • génération
  • présidentielle
  • rituel
  • électorale

La réunion

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Table ronde d'universitaires : M. Pascal Perrineau, professeur de science politique à l'Institut d'études politiques de Paris, et M. Vincent Tiberj, professeur de science politique à l'Institut d'études politiques de Bordeaux.

La séance est ouverte à 14 heures.

Présidence de M. Xavier Breton, président.

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Nous recevons, en première audition de cet après-midi, deux grands spécialistes de la participation électorale, M. Pascal Perrineau, professeur de science politique à l'Institut d'études politiques de Paris, et Monsieur Vincent Tiberj, professeur de science politique à l'Institut d'études politiques de Bordeaux.

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Pascal Perrineau, professeur de science politique à l'Institut d'études politiques de Paris

Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les parlementaires, Mesdames et Messieurs, il s'agit aujourd'hui de réfléchir à un problème qui n'est pas nouveau : la montée régulière du phénomène abstentionniste sur tous les types d'élections. Il s'agit d'abord d'interpréter ce phénomène afin d'établir le diagnostic le plus précis possible, puis d'envisager les différentes manières de lutter contre celui-ci. D'après de nombreuses consultations électorales, l'abstention constitue désormais un phénomène majoritaire parmi la population inscrite sur les listes, que les élections soient locales, nationales, ou encore européennes. Une augmentation de l'abstention est ainsi constatée depuis vingt ans, bien que la dernière élection européenne ne s'inscrive pas complètement dans cette tendance. Il est vrai qu'il y a vingt ans, nous étions persuadés qu'il s'agissait d'un cycle dont nous sortirions relativement rapidement. Cependant, ce cycle ne s'est pas achevé et la France semble au contraire s'enfoncer dans l'abstentionnisme. Cela n'avait historiquement jamais été le cas depuis la naissance du suffrage universel direct en 1848, que ce soit sous la Troisième, la Quatrième ou la Cinquième République. Le taux de participation de la France était même plutôt élevé par rapport à la plupart des démocraties.

Nous n'avons néanmoins rien à envier aux démocraties abstentionnistes, qui sont nombreuses sur la surface du globe, et même en Europe. Il suffit de constater la situation de la Suisse. Les taux de participation pour l'élection des assemblées représentatives et pour les votations y sont extrêmement faibles, ce qui ne remet pas en cause la légitimité du système démocratique suisse. Je n'évoque pas la situation de la Suisse afin de rassurer, mais parce qu'elle constitue une réalité.

Lorsque nous essayons de prévoir aujourd'hui le niveau de participation de la prochaine élection présidentielle, à l'aide d'un instrument de prédiction assez fragile, nous nous apercevons que le niveau d'abstention projeté se situe entre dix et quinze points de pourcentage au-dessus de celui mesuré à la même époque en 2016. Ainsi, même l'élection reine de la Cinquième République n'est pas à l'abri d'une surprise abstentionniste, malgré l'intérêt que les Français continuent à avoir pour l'élection présidentielle. Ne croyons pas que ce problème touche en particulier la France, comme nous en avons souvent l'habitude, car il concerne de très nombreuses démocraties.

L'interprétation classique de l'abstention, qui continue d'ailleurs à prospérer, mais qui est un peu limitée, est sociologique. Elle consiste à dire que certains milieux sont plus ou moins exclus socialement, culturellement et économiquement de la vie démocratique et électorale, qui serait réservée aux couches moyennes et supérieures de la société. L'abstentionnisme concernerait ainsi ceux qui sont éloignés culturellement et socialement de la vie politique, du discours politique, des appareils politiques, ainsi que de la classe politique, dont le profil sociologique est tout à fait particulier. En effet, seule une partie infime de la classe politique a une origine sociale populaire. Cette distance des électeurs par rapport aux élus créerait un phénomène abstentionniste quasiment inéluctable et irrépressible, parce que la tâche de redonner à ces Françaises et ces Français un intérêt pour la vie politique ne prendra pas seulement quelques années, mais le temps de deux à trois générations.

Cependant, toutes les bonnes analyses de l'abstention, telles que les travaux assez anciens de Jérôme Jaffré ou encore d'Anne Muxel, démontrent que la progression de l'abstention n'est pas sociologique, mais politique. Ils qualifient la première abstention de « hors-jeu de la politique, des événements et de la conjoncture politique » et appellent la seconde « l'abstention dans le jeu politique ». Cette abstention touche aujourd'hui des électrices et des électeurs intéressés par la politique et par la chose publique, qui ne sont exclus ni culturellement ni socialement. Elle touche absolument tout le monde, même les professions intellectuelles et la « bourgeoisie » telle qu'elle peut être définie par son capital économique ou culturel. Elle touche les étudiants qui disposent d'un diplôme de haut niveau. Je le constate d'ailleurs dans l'école où j'enseigne. J'interroge régulièrement mes élèves avant une élection. Je vous assure qu'auparavant, le taux de participation électorale à Science Po Paris s'élevait quasiment à 100 %, tandis qu'aujourd'hui, environ 40 % des étudiants affirment ne pas avoir l'intention d'aller voter. J'ai fait le test récemment lors des élections régionales : la majorité absolue des étudiants de Sciences Po ne s'est pas rendue aux urnes, comme c'est le cas de 87 % des Français de 18 à 24 ans. Le taux de participation était en effet de 13 %, ce qui permet de réaliser l'ampleur du phénomène.

Afin de donner un sens général à cette abstention politique, nous pouvons nous intéresser à une analyse que j'aime beaucoup et que j'avais lue il y a très longtemps, celle d'un économiste américain maintenant disparu, Albert O. Hirschman. Dans un livre extrêmement intéressant intitulé Exit, Voice and Loyalty, il affirme que, dans toutes les organisations, les « loyautés », ce que les Américains appellent les loyalties, c'est-à-dire les sentiments d'appartenance aux institutions, connaissent une érosion extrêmement forte. Ce n'est pas seulement le cas dans les organisations politiques, mais également dans les entreprises, les universités, les associations ou encore les Églises. Une enquête pourrait même être menée pour étudier le lien entre les élus et l'Assemblée nationale, afin de le comparer à ce qu'il fut dans les années 1960. Je suis certain que l'on constaterait des évolutions, parce qu'il n'y a aucune raison que vous échappiez au phénomène observé.

Le phénomène des loyautés étant en profonde érosion pour différentes raisons, en particulier culturelles, nos sociétés connaissent une individualisation croissante. En effet, le sentiment d'appartenance à un groupe de référence diminue, mais les individus se sentent appartenir à plusieurs microgroupes, qu'ils mettent en concurrence à la manière d'un consommateur sur un marché. Selon Albert O. Hirschman, lorsque les loyautés connaissent des crises, deux stratégies peuvent être appliquées. La stratégie de Voice consiste, pour un individu, à rester dans l'organisation afin de faire entendre son désaccord, son hostilité à l'égard du système et son malaise quant à son appartenance à cette organisation. Le vote protestataire, actuellement très répandu à droite, au centre et ailleurs, en est un exemple. Cette stratégie de Voice se manifeste depuis vingt à trente ans.

La stratégie d' Exit consiste à sortir du système électoral, non nécessairement ad vitam aeternam, mais pour des périodes de plus en plus longues. Il s'agit de s'abstenir, de voter blanc ou encore de mettre une insulte à la place du bulletin, ce qui le rendra nul. La stratégie d' Exit touche désormais des personnes qui, vingt ou trente ans auparavant, possédaient toutes les caractéristiques des votants réguliers. Elles sont devenues peu à peu des votants intermittents, voire des abstentionnistes réguliers. Par exemple, je vois apparaître chez les étudiants de Sciences Po, qui constituent un groupe relativement politisé, des profils d'abstentionnistes permanents. Ils tiennent un discours complètement apocalyptique et catastrophiste sur ce que sont la politique, les élus et le système aujourd'hui, affirmant qu'il faut inventer d'autres types de démocratie qui permettraient de dépasser les limites de la démocratie représentative. Il s'agit certes d'une forme de naïveté, mais nous ne pouvons pas la leur reprocher alors qu'ils n'ont que 18 ou 25 ans. Quoi qu'il en soit, cette naïveté a pour conséquence pratique le développement de leur abstentionnisme, qui peut devenir dur, parce que certains d'entre eux sont persuadés qu'il existe d'autres types de démocratie que la démocratie électorale. D'autres pensent qu'un système autoritaire ou illibéral serait finalement peut-être préférable au système que nous connaissons. Ce type d'opinion est rencontré par exemple chez les jeunes avec un faible niveau d'études qui suivent un enseignement professionnel, ont un emploi ou bien sont au chômage. Récemment, j'ai eu accès à une enquête menée au sein des centres d'apprentissage de certificats d'aptitude professionnelle (CAP). Quand les jeunes interrogés ne pratiquent pas le vote protestataire, qui se manifeste d'ailleurs toujours en faveur de l'extrême droite, ils pratiquent massivement l'abstentionnisme. Ils sont devenus des abstentionnistes durs, parce qu'ils pensent que nous perdons notre temps avec la démocratie et qu'il vaut mieux que nous soyons dirigés par un homme qui a de l'autorité.

Environ un Français sur trois répond favorablement aux enquêtes qui interrogent de plus en plus les citoyens sur la question de savoir s'il serait souhaitable qu'un homme fort qui se passe du Parlement soit au pouvoir. Nous pourrions croire que ces individus sont principalement des personnes relativement âgées, nostalgiques des régimes autoritaires d'antan. Au contraire, les plus âgés sont les plus attachés à la démocratie électorale. En revanche, parmi les citoyens âgés de 18 à 30 ans, le pourcentage des personnes qui répondent favorablement est supérieur à la moyenne nationale. Leur paysage démocratique et civique est donc en train de changer.

Il existe la parade récurrente du vote obligatoire. Au sein de l'Assemblée nationale, de nombreuses propositions ont été émises pour introduire le vote obligatoire. Cependant, comme vous le savez en tant que législateurs, les réformes efficaces sont celles qui ont un sens culturel dans un pays. Or le vote obligatoire n'appartient pas à nos mœurs, sauf en ce qui concerne le vote sénatorial. Dès lors, méfions-nous de l'instauration d'une contrainte qui risquerait de ne pas être respectée. Il s'agit donc, à mon avis, d'une fausse solution. Elle est souvent portée par les motivations politiques de ceux qui suggèrent que les résultats électoraux que l'on obtiendrait seraient différents de ceux que l'on a actuellement. Il faut être prudent : les résultats électoraux obtenus avec l'instauration du vote obligatoire pourraient au contraire renforcer les tendances actuelles. Une très ancienne enquête passionnante de l'Institut français d'opinion publique (IFOP) demandait aux Français pour qui ils voteraient si le vote était obligatoire. Le nombre de votes protestataires aurait alors énormément augmenté, ce qui est prévisible, car il existe une correspondance entre l' Exit et la Voice en cas de crise des loyautés.

Les autres solutions consistent à faciliter en effet l'accès au vote. Il ne faut toutefois pas se faire d'illusions excessives sur la capacité de ces mesures, qui ont des avantages et des inconvénients, à provoquer une hausse très sensible de la participation. Souvenez-vous des débats sur le vote par correspondance, qui entraine de la fraude. En France, nous jouissons d'un système assez propre, bien qu'il puisse être amélioré. Souhaitons-nous revenir à un système électoral que nous aurons beaucoup de mal à contrôler ? Je sais qu'il existe à ce propos des rapports intéressants, tel que celui du sénateur Buffet à propos du vote à distance, mais il n'existe pas de solution miracle.

L'autre stratégie, de plus longue haleine, consiste à réintroduire l'apprentissage d'une culture démocratique dès le plus jeune âge, pas simplement dans le verbe et dans le texte, mais également dans les pratiques. Il ne suffit pas que les instituteurs expliquent aux enfants que le vote est nécessaire au fonctionnement de la République et permet de faire partie d'une communauté dont nous devons tous être fiers, etc. Les enquêtes montrent que les jeunes qui participent le plus sont en général ceux qui ont été exposés dès leur plus jeune âge à des pratiques de participation, par exemple lors des conseils à l'école ou dans d'autres structures de participation dans lesquelles ils ont appris à être des citoyens actifs.

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Vincent Tiberj, professeur de science politique à l'Institut d'études politiques de Bordeaux

Comme l'a évoqué Pascal Perrineau, nous observons sur ce graphique la progression de l'abstention tout au long de la Cinquième République, avec des niveaux d'abstentionnisme particulièrement forts lors des dernières élections municipales et régionales. Ils peuvent être dus à des accidents de l'Histoire. Par exemple, les élections municipales n'auraient pas dû susciter autant d'abstentions, puisqu'elles mobilisent habituellement de nombreux Français. Sur le long terme, nous observons moins une progression systématique de l'abstention qu'une variation de plus en plus forte de celle-ci en fonction des différentes élections. Nous constatons tout de même que les élections présidentielles mobilisent toujours une grande partie de la population, ce qui représente aujourd'hui près de 37 millions d'électeurs. Ce nombre a considérablement augmenté depuis 1965. Pour de nombreux électeurs, le vote reste ainsi une action très importante et le seul moyen de participer activement à la politique.

Il est frappant de constater que, dans les années 60 et 70, les électeurs votaient de manière quasiment systématique, quel que soit le type d'élection. Aujourd'hui, leur comportement s'inscrit moins dans une logique d'abstentionnisme systématique que dans ce que François Héran appelle « le vote intermittent ». Nous ne pouvons ainsi jamais être sûrs que ces personnes vont effectivement aller voter, mais nous rencontrons parfois de bonnes surprises, comme lors des dernières élections européennes ou lors des élections régionales de 2004. Le taux de participation comportant une dimension conjoncturelle ; il ne faut pas penser que le système du vote est nécessairement fini.

En revanche, les cultures du vote sont en train d'évoluer. Celles-ci désignent des manières de participer aux affaires publiques et des conceptions de la citoyenneté. Nous disposons désormais d'indicateurs assez fins pour analyser la dimension sociologique de l'abstention, comme dans les enquêtes de participation de l'Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE), qui permettent de suivre la participation effective de grands échantillons de Français. Les chercheurs de l'INSEE sont pour cela allés vérifier que les électeurs s'étaient déplacés aux urnes, notamment pour les deux tours de l'élection présidentielle et pour les deux tours des élections législatives. Les résultats qui ont été obtenus sont assez classiques en termes d'abstentionnisme sociologique, montrant notamment que l'âge est corrélé avec l'abstention. Comme l'a évoqué Anne Muxel dans l'un de ses grands travaux sur la question du moratoire politique, les plus jeunes ont tendance à sous‑voter, d'autant plus lors des élections législatives. Nous pouvons en effet observer sur le graphique qu'en 2017, le taux d'abstention a été supérieur à 60 % parmi les personnes âgées de 18 à 29 ans. L'abstentionnisme est également élevé parmi les plus âgés, mais il s'explique dans ce cas par des difficultés physiques et cognitives à aller voter.

L'abstentionnisme peut également être corrélé aux professions, aux diplômes et au niveau de revenus. Dans les années 2000, Céline Braconnier et Jean-Yves Dormagen, à partir de l'étude qu'ils avaient menée dans la cité des Cosmonautes à Saint-Denis, ont réussi à alerter sur la possibilité que, désormais, la majorité sociale, à savoir les catégories populaires et classes moyennes, devienne une minorité électorale. En effet, l'abstention progresse différemment dans les différents milieux sociaux. Dès lors, nous pouvons nous demander, d'un point de vue social, si les personnes qui s'expriment sont représentatives de celles qui ne s'expriment pas. Le fait que les groupes de personnes qui s'expriment le plus à travers le vote fassent désormais partie de milieux sociaux et de générations ciblées peut exercer une influence sur la couleur politique du pays.

Au-delà de l'âge, une véritable transformation générationnelle s'opère. D'après les enquêtes de participation de l'INSEE en 2002, 2007, 2012 et 2017, le renouvellement générationnel est en train d'apporter une forte transformation du rapport au vote. L'abstention systématique progresse ainsi fortement pour les personnes nées entre 1928 et 1937 en raison de leur âge avancé. Elle est également élevée pour les millennials, c'est-à-dire les individus nés à partir de 1988, mais nous pouvons espérer que cette tendance soit un effet de moratoire politique et qu'à terme leur rapport au vote se portera mieux. Néanmoins, aucune vraie fracture générationnelle n'est observée en termes d'abstentionnisme systématique. En revanche, la réelle différence entre les générations se caractérise par la séparation entre les votants constants et les votants intermittents. La génération du baby-boom s'avère avoir un rapport au vote relativement constant. Parmi les générations suivantes, plus un groupe d'âge est jeune, moins le devoir de se déplacer pour voter est systématiquement rempli. Cela signifie que le rapport au vote change durablement et que l'abstentionnisme risque de perdurer dans les années à venir, au point de devenir une donnée du jeu politique. La question de la légitimité de l'élection pourrait alors devenir beaucoup plus compliquée.

Il peut être considéré qu'il fut un temps où le vote constituait un devoir, accompli non pas nécessairement par intérêt pour la politique, mais parce qu'on le devait à la société et parce que des personnes étaient mortes pour la démocratie. Le vote était considéré comme la pierre angulaire de la démocratie. Cette culture se retrouve chez les générations nées avant le baby-boom et chez les baby-boomers, mais moins chez les générations nées ensuite. Elle est remplacée par deux tendances. Premièrement, ces générations nées après le baby-boom se demandent si le vote constitue réellement un bon moyen de participer aux affaires publiques. Deuxièmement, elles sont sujettes à un phénomène d' Exit qui dépasse largement la question de la participation électorale.

Je souhaite évoquer la typologie que j'ai essayé de construire à partir de l'enquête European Values Study de 2018, qui nous apprend de quelle manière les cultures de la participation évoluent au sein des différentes générations. De nombreux individus nés entre 1932 et 1937 affirment voter de manière systématique à toutes les élections, qu'elles soient locales, européennes ou nationales, mais refusent la participation protestataire, les manifestations et les pétitions. Cette culture, qui serait dirigée par les élites, ressemble beaucoup à celle de la remise de soi, un peu comme l'évoquait Pierre Bourdieu. Cette culture connaît aujourd'hui un recul, au point de disparaître. Elle concerne 33 % des électeurs nés entre 1932 et 1937, mais 5 % des électeurs nés après 1988.

Cette culture est remplacée par deux autres types de participation. D'une part, la participation « multi-positionnée » est particulièrement représentée dans la génération du baby-boom. Les personnes concernées, tels des virtuoses de la participation, utilisent tous les moyens d'action à leur portée. Le vote est ainsi remplacé par d'autres moyens de s'engager et de s'exprimer, tels que les pétitions, les manifestations ou encore le boycott. L'ensemble de ces répertoires d'actions, qui s'étendent d'ailleurs grâce à l'utilisation d'Internet, n'était pas nécessairement en concurrence avec le vote pour les personnes nées entre 1938 et 1967. Cependant, les personnes nées après cette date sont, au mieux, des électeurs intermittents et, beaucoup plus souvent désormais, des électeurs protestataires. Ils utilisent en tout cas d'autres modes d'action pour s'exprimer. Cette tendance est donc significative de la difficulté pour le pouvoir politique et pour la démocratie représentative à saisir les citoyens dans l'ensemble de leur répertoire d'actions. L'absence de participation d'une partie des citoyens n'est pas nouvelle, mais cette enquête de 2018 montre que les non-participants constituent désormais le deuxième groupe le plus important parmi les millenials. Cette tendance peut être un effet de moratoire politique qui va tendre à se réduire lorsque les personnes concernées vont progresser en âge, mais elle peut également être le reflet d'une cassure démocratique beaucoup plus préoccupante. En effet, les millenials concernés sont les moins diplômés d'une génération très diplômée. La plupart du temps, ils ne sont ni étudiants ni employés, mais au chômage, et vivent dans les territoires relégués comme les banlieues populaires ou encore les territoires périurbains. Nous pouvons dès lors craindre une cassure, non seulement avec le système de la démocratie représentative, mais également avec les mouvements sociaux en général.

Le vote des baby-boomers nés dans les années 40 et 50 s'avère peser de plus en plus dans les urnes, tandis que les générations nées ensuite pèsent de moins en moins. J'ai calculé à partir de données proposées par l'IFOP que, lors des élections régionales, la proportion des votes de personnes de plus 65 ans représente 1,4 fois leur poids dans la population, tandis que la proportion des votes des personnes de moins de 35 ans représente la moitié de leur poids dans la population.

D'après les travaux comparatifs, le vote par correspondance peut faciliter géographiquement le vote, l'étaler dans le temps, et peut contribuer à augmenter le niveau de participation, comme le montre notamment l'exemple des États-Unis. Il ne faut cependant pas négliger le fait qu'en France, le vote est ritualisé. D'une certaine façon, l'organisation du vote présente des similitudes avec la messe. Dans l'univers catholique, le confessionnal peut être considéré comme le pendant symbolique de l'isoloir, l'urne celui de l'autel et l'église celui de l'école. Dès lors, faciliter le vote en ouvrant la possibilité de voter par correspondance ou par Internet contribue à le « déritualiser », c'est-à-dire à le rapprocher des autres types de votations sans conséquence auxquelles les individus peuvent être confrontés, tels que les votations dans le cadre de la télé-réalité.

La procuration ne constitue pas une mauvaise idée, mais plusieurs travaux comme ceux de Baptiste Coulmont montrent qu'en réalité, elle permet d'accroître encore un peu plus les inégalités sociales. Baptiste Coulmont montre ainsi que, si la procuration n'existait pas, les cadres participeraient au même niveau que les ouvriers. Autrement dit, la procuration constitue une modalité de vote dont s'emparent les catégories supérieures.

Si le vote à 16 ans n'a pas été un franc succès au Brésil, il a plutôt bien fonctionné en Autriche, parce qu'il va de pair avec une véritable culture démocratique et politique enseignée dès le secondaire. Il s'agit, pour eux, d'apprendre non seulement ce que sont les institutions de la République et leurs fonctions, mais aussi ce qu'est la politique en termes d'affrontements, de réflexion et d'antagonismes. Il s'agit également de faire sorte que les élèves soient pris au sérieux lorsqu'ils discutent de sujets politiques. Nous ne pouvons pas attendre des jeunes qu'ils votent si nous ne leur apprenons pas à s'exprimer.

Enfin, comme l'ont souligné les Gilets jaunes à plusieurs reprises, le vote doit-il nécessairement être synonyme d'élection ? L'un des problèmes du vote réside dans le fait qu'une fois que notre voix a été donnée, elle ne nous appartient plus. Si les moyens de participation alternatifs rencontrent autant d'enthousiasme, tels que la participation au niveau local, dans l'associatif, par l'expression d'opinions sur les réseaux sociaux ou encore dans le cadre de conversations, c'est possiblement parce qu'ils nous permettent de garder le contrôle sur notre voix. En France, le vote est trop souvent associé à l'élection d'un candidat et à la perpétuation de la démocratie représentative. Dans quelle mesure pourrions-nous recréer un réel attachement au vote si nous utilisions d'autres modalités d'action telles que le référendum d'initiative citoyenne (RIC) ou d'autres types de référendums, ou encore le recall que pratiquent un certain nombre d'États américains ? La multiplication des référendums a toutefois entrainé une forme de lassitude démocratique en Suisse, où la participation est extrêmement faible.

Au-delà d'une crise du vote, nous traversons une crise de la démocratie. Les citoyens eux-mêmes ne savent pas trop ce qu'ils veulent. Nos études sur les systèmes démocratiques européens montrent qu'il existe une demande de démocratie participative, mais uniquement sur certains sujets et dans certaines conditions. Certains ressentent la tentation de placer un homme fort au pouvoir, voire de mettre en place ce que certains appellent la « démocratie furtive », dans laquelle des experts sont chargés de décider à la place des citoyens. Il existe de nombreuses demandes d'hybridation des systèmes démocratiques, ainsi que des moyens de donner plus de place aux citoyens et de mettre en place plus d'horizontalité. La démocratie participative n'est toutefois pas exempte de biais, comme l'ont notamment démontré Loïc Blondiaux et Yves Sintomer. Nous ne détenons donc pas la solution et il faudra vraisemblablement redoubler d'imagination pour la trouver.

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J'ai pour ma part deux questions. Premièrement, des évolutions institutionnelles telles que la mise en place d'un mode de scrutin proportionnel ou encore une fusion des élections départementales et régionales, seraient-elles susceptibles de changer en profondeur la participation électorale ? Deuxièmement, à la lumière de l' Exit et de la Voice que vous évoquiez, comment interprétez-vous l'existence de deux courants apparemment contradictoires aux élections départementales et régionales, que nous avions déjà constatée aux élections municipales : comment interprétez-vous le fait que, d'une part, ceux qui s'abstiennent affichent un refus du système et que, d'autre part, il existe un légitimisme affirmé pour ceux qui votent ? Ces deux attitudes politiques sont-elles réellement contradictoires ou existe-t-il une forme de continuité entre elles ?

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Nous essayons de comprendre les causes de l'abstention record du mois de juin dernier et de trouver des parades. Il est clair que ces parades ne passent ni nécessairement ni majoritairement par une amélioration ou des modifications de modalités de vote. En effet, la solution ne réside pas uniquement dans la facilitation du vote par procuration ou dans le développement du vote par correspondance ou du vote par anticipation. Je pense qu'il faut davantage porter attention au parcours citoyen et au rituel électoral que vous avez tous les deux mentionnés. Dans quelle mesure ce rituel citoyen doit-il être bousculé, avec, par exemple, une modification des modes de scrutin ? Faut-il effectuer de petites modifications ou changer de République ? Par quels moyens les citoyens peuvent-ils se réapproprier la République et le sens collectif à travers le rituel du vote, a contrario de cet esprit individuel que vous avez souligné ? Quelles sont les motivations particulières des citoyens dans le contexte de l'effondrement de la participation ?

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Pascal Perrineau, professeur de science politique à l'Institut d'études politiques de Paris

Les éventuelles évolutions du mode de scrutin sont un peu des chimères. Le mode de scrutin majoritaire à deux tours, ainsi que le mode de scrutin majoritaire à un tour, que nous ne connaissons pas, sont extrêmement nivelants pour toutes les minorités, même lorsque ces minorités sont importantes. Il suffit de constater le nombre de députés du Rassemblement national (RN) à l'Assemblée nationale, qui ne correspond certainement pas au poids que cette formation a dans la société française. C'est également le cas pour la France Insoumise et pour les Écologistes. Si le retour à une représentation intégralement proportionnelle n'est pas compatible avec le dispositif institutionnel de la Cinquième République, l'introduction d'un correctif proportionnel pourrait néanmoins améliorer la représentation de celles et ceux qui estiment que leur vote n'a pas la même valeur au niveau de la représentation parlementaire. À mon avis, une telle mesure pourrait éventuellement jouer un rôle, mais ne serait pas décisive pour transformer profondément la participation.

Il en va de même pour le regroupement des élections, dont l'idée n'est pas nouvelle. En 1986, les élections régionales avaient été organisées en même temps que les législatives. L'enjeu des élections législatives avait été à l'époque très important, puisqu'elles allaient déboucher sur une cohabitation, ce qui n'est plus le cas aujourd'hui. Cette fusion avait considérablement augmenté le niveau de participation aux élections régionales et il s'agissait de la première fois que les Français votaient pour élire les représentants des régions. Cependant, les autres regroupements d'élections qui ont suivi n'ont eu que très peu d'impact sur le taux de participation. Il n'est certes peut-être pas inutile de limiter le nombre d'élections, mais cette mesure ne serait pas non plus décisive pour lutter contre l'abstention.

Lors des élections locales, c'est-à-dire municipales, départementales et régionales, les votants appartiennent à des minorités, et parfois même à de toutes petites minorités. Celles‑ci sont souvent dans les « loyautés » vis-à-vis du système de partis tel qu'il existe au plan local et vis-à-vis des élus dont les Français sont satisfaits, qu'ils soient de gauche ou de droite, ce qui renvoie à la « prime au sortant ». Traditionnellement, les politistes cherchent toujours à comprendre en quoi les clivages politiques expriment sur la scène politique d'autres clivages historiques, culturels ou religieux. Il s'agit de la théorie des clivages. Or, en France, très étrangement, deux clivages politiques sont à l'œuvre. Il existe, d'une part, le clivage entre la gauche et la droite, qui se porte globalement bien au plan local, en particulier pour la droite qui contrôle environ deux tiers des départements, la majorité des régions et presque 68 % des villes de plus de 20 000 habitants. Le parti socialiste fait preuve quant à lui de résilience et, plus encore, d'une forte résistance dans les territoires dans lesquels il est bien implanté. Devant cette situation, un observateur étranger pourrait penser que rien n'a changé en France. Pourtant, l'élection présidentielle de 2017, les élections européennes, ainsi que les intentions de vote à la prochaine élection présidentielle montrent qu'un autre clivage est à l'œuvre. Il s'agit de ce que les politologues désignent comme le clivage entre la société ouverte et la société de recentrage national, avec d'une part, ceux de droite, de gauche ou d'ailleurs qui considèrent que les avantages de l'ouverture économique, politique et culturelle de nos sociétés qui deviennent de plus en plus cosmopolites l'emportent sur ses coûts, et d'autre part ceux de droite, de gauche ou d'ailleurs également qui considèrent qu'étant donnés les dégâts de l'ouverture, l'heure est venue de se recentrer sur la nation et de mettre en place un protectionnisme à la fois économique, culturel et politique. La seule question de la souveraineté nationale revient de manière massive. J'ai même constaté que cette notion n'a jamais été aussi présente qu'actuellement dans les textes de la coalition tricolore en Allemagne, en particulier en ce qui concerne la souveraineté industrielle, ce qui laisse présager de vives discussions avec nos amis allemands.

Nous ignorons quelle sera la capacité du clivage gauche-droite à revenir au plan national et dans quelle mesure l'implantation locale de ce nouveau clivage rencontrera des limites, puisque celle de la République en Marche et celle du Rassemblement national n'ont pas été une franche réussite. Lorsque deux clivages aussi prégnants sont à l'œuvre, la scène politique devient alors beaucoup moins lisible, ce qui ne constitue pas un facteur de mobilisation. Lorsqu'en 1958, une coalition s'est formée face au Général de Gaulle et à tous ses alliés, la situation était claire et les citoyens se sont donc mobilisés. De même, en 1981, comme l'affirmait Jacques Lang, les citoyens devaient choisir de voter en faveur du « jour » ou bien de la « nuit ». Il est aujourd'hui très difficile de développer des stratégies de mobilisation des appareils politiques devenus incroyablement faibles.

La perte des rituels, non pas religieux, mais républicains, concerne à peu près toutes les organisations. En effet, il est extrêmement compliqué d'entretenir des rituels d'appartenance dans une société individualiste. Pour autant, il existe une demande confuse de rituels, liée à un sentiment de malaise inhérent à cette société des individus. Les cabinets de psychologues n'ont jamais été aussi nombreux et la consommation de psychotropes n'a jamais été aussi élevée qu'aujourd'hui. Il suffit de constater, à la sortie de la pandémie du Covid-19, l'état de dépression qui touche une grande partie des étudiants en milieu universitaire, qui découvrent la vie et l'engagement à tout point de vue. La société française va extrêmement mal. C'est aussi la manifestation d'une forme de sentiment d'abandon ressenti par les jeunes, d'une perte de repères et du sens des rituels d'appartenance, depuis ceux de la famille jusqu'à des niveaux plus élevés. Comment entretenir, en effet, des rituels familiaux dans une famille recomposée ? J'en ai moi-même fait l'expérience et cet aspect est beaucoup moins aisé que dans les familles traditionnelles. Dans une université catholique dans l'ouest de la France où je me suis récemment rendu pour donner une conférence, les 300 jeunes présents se sont levés à mon arrivée, à la demande du président de l'université. Un tel comportement m'avait beaucoup impressionné. Je n'avais pas eu l'occasion de l'observer depuis environ vingt ans, car il n'existe aujourd'hui plus que dans les terres catholiques. Le rituel consistait simplement à saluer celui qui s'apprête à consacrer bénévolement deux heures de son temps à discuter avec des jeunes, et il constitue ainsi d'une certaine manière une rémunération symbolique. Les jeunes ont paru heureux de m'envoyer ce signal de bienvenue et de reconnaissance.

Il est donc nécessaire d'inventer de nouveaux rituels en compléments des anciens rituels, dont certains méritent d'être conservés. Par exemple, les Français ont recommencé à agiter leur drapeau au moment des attentats, alors que le pays est habituellement très rétif à sortir le drapeau national, contrairement aux États-Unis où tout le monde installe un drapeau dans son jardin. Il était urgent de faire communauté, tout comme lorsqu'il s'agissait de soutenir les métiers de la main et du cœur au début de la pandémie, pendant lequel des rituels ont été inventés, comme le fait d'applaudir les soignants à 20 heures à nos fenêtres. Nous étions alors heureux, quels que soient notre génération et notre milieu, de participer à ce rituel. L'école a d'ailleurs un rôle à jouer dans le maintien des rituels, qu'elle ne joue pas, comme s'il existait une peur de ces rituels, à commencer par celui de l'hymne national. À plusieurs reprises, certaines personnes de tous horizons politiques ont proposé de faire chanter aux jeunes l'hymne national, qui constitue le chant commun aux jeunes dans les écoles. Cependant, ces propositions ont provoqué à chaque fois des réactions de tétanie, comme s'il s'agissait d'une monstruosité.

Comme l'a affirmé tout à l'heure Vincent Tiberj, derrière ces mutations du rapport au vote se cache une mutation des rapports à la citoyenneté. Voilà maintenant de nombreuses années, Sophie Duchesne, une chercheuse de Bordeaux, avait écrit un livre intéressant intitulé Citoyenneté à la française, dans lequel elle distingue, à partir d'entretiens non directifs, deux « modèles citoyens » présents dans l'esprit des Français. D'une part, le modèle d'antan, qui est d'ailleurs encore extrêmement présent chez certaines générations, constitue une citoyenneté par héritage, dans laquelle les citoyens héritent d'un ensemble de droits et de devoir. D'autre part, il existe ce que j'appelle une « citoyenneté contractuelle et épisodique », dans laquelle le lien citoyen est vécu de manière beaucoup plus épisodique. Dans ce modèle, la citoyenneté se compose de davantage de droits que de devoirs : nous choisissons à certains moments d'être citoyen, puis à d'autres de nous retirer de la communauté. Il est donc certes beaucoup plus difficile d'inventer des rites dans le contexte de cette citoyenneté intermittente que dans le cadre d'une citoyenneté par héritage que nous reproduisons tout en l'adaptant d'une certaine manière.

Je pense que cette prise de distance phénoménale avec le politique a commencé dans les années 80 avec une longue période de hausse de l'abstention, de crise de défiance vis-à-vis de la politique et des mouvements de critique des élus. En effet, entre 1945 et les années 80, la politique nationale était encore investie des attributs de la puissance. Les hommes et les femmes politiques, dans leur version parlementaire sous la Quatrième République, puis dans leur version présidentielle et plus exécutive sous la Cinquième République, étaient crédités d'une capacité à prendre des décisions et à changer les choses. Les stratégies de réindustrialisation de Charles de Gaulle puis de Georges Pompidou ou encore les réformes économiques de cette période en sont des exemples. À partir des années 80 cependant, correspondant au début de la mondialisation, un chômage structurel de masse apparaît pour la première fois, lié aux nombreux chocs pétroliers des années 70. Dès lors, l'idée que la politique est le domaine de l'impuissance a commencé à s'installer. Il s'agit selon moi de l'une des causes profondes de la crise. Le politique est de plus en plus assimilé à un théâtre d'ombres dans lequel nous constatons une impuissance à changer profondément les choses, en particulier en ce qui concerne la question préoccupante du chômage structurel de masse, notamment des jeunes, comme l'ont montré les enquêtes à six mois de l'élection présidentielle. Par exemple, à Sciences Po, qui n'est pas un milieu universitaire prolétarien, mais qui rassemble des étudiants d'origines sociales diverses, certains étudiants se trouvent dans une situation insupportable. À la sortie de la crise de la pandémie, ils disposent de 300 à 350 euros par mois pour vivre. Nous devons donc prendre ces problématiques au sérieux, car cette angoisse des jeunes générations remonte vers les anciennes générations, celles de leurs parents et de leurs grands-parents. De manière similaire, l'angoisse que nous avons ressentie lors de la pandémie pour nos grands-parents s'est diffusée dans toute la société. Nous devons ainsi prendre en compte la capacité des peurs et des inquiétudes à enflammer le corps social.

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Vincent Tiberj, professeur de science politique à l'Institut d'études politiques de Bordeaux

Je pense qu'il faut tenir compte, dans notre analyse, du fait que nous avons vécu récemment des moments très particuliers et que les élections municipales de 2020 et les élections régionales de 2021 n'auraient vraisemblablement pas suscité autant d'abstention si une réelle campagne électorale structurée avait été menée. Il est donc possible de mobiliser les gens lorsque les campagnes se déroulent normalement. Bien que de nombreuses personnes affirment ne pas s'intéresser à l'Europe, le référendum sur le traité constitutionnel européen a suscité 69 % de participation. Ce score non négligeable a été obtenu grâce à des campagnes et à la présence d'alternatives, bien que les arguments proposés n'étaient pas tous bons. Ce constat nous montre l'importance de la polarisation. Les rituels sont effectivement omniprésents aux États-Unis, ce qui transparaît dans les séries et les films, mais la situation du pays en termes de participation électorale est encore plus alarmante que celle de la France, à l'exception de la dernière élection présidentielle. Les records de participation obtenus lors de cette élection s'expliquent par une campagne extrêmement forte, et par la présence d'enjeux politiques de société et de civilisation. Pour la même raison, l'élection présidentielle en France continue à mobiliser les citoyens malgré la faiblesse du politique et la distance au milieu politique que Pascal Perrineau mentionnait. En effet, les médias considèrent qu'il s'agit d'une élection essentielle parce que les citoyens s'en emparent. Daniel Gaxie et d'autres ont qualifié ce phénomène « d'effervescence électorale » : nous nous mettons à discuter de politique dans les interactions personnelles au sein de différents milieux dans lesquels le sujet de la politique est habituellement peu abordé, sinon dans un registre de mise à distance ou de dénonciation.

Nicolas Sauger souligne que la défiance de la France à l'égard de son personnel politique s'explique en partie par les trop nombreuses promesses lors des élections présidentielles. Les choix de société que nous effectuons tous les cinq ans sont-ils réellement appliqués ? Avec la campagne, des attentes sont créées, les citoyens se mobilisent et redonnent de l'importance à la politique avant d'être déçus. Les électeurs de François Hollande ont par exemple été déçus par le non-respect de ses promesses lors de son mandat. Ce phénomène ne concerne bien entendu pas seulement le parti socialiste.

Martial Foucault et plusieurs de ses collègues ont proposé un modèle en ce qui concerne les élections municipales. Ils ont montré qu'elles constituent des élections locales, mais également des élections nationales. En effet, le contexte national pèse notamment sur le camp du Président de la République sortant. Un gouvernement de gauche qui rencontre du succès auprès de la population amènera par exemple des victoires pour la gauche au niveau local, et inversement. Cet effet a été neutralisé lors des élections municipales de 2020, car le contexte ne coïncidait pas avec la fin d'un mandat présidentiel, ce qui a abouti à une prime au sortant pour la gauche et la droite. Les résultats ont reflété le fait que la droite avait été favorisée lors des élections de 2014 et de 2015.

Le faible niveau de participation conduit à de réels problèmes de représentativité. Les modèles explicatifs des élections locales américaines nous ont appris que le plus important désormais n'est pas de mobiliser les électeurs, mais uniquement de mobiliser ses soutiens, ce qui pose des questions en termes de légitimité et de capacité à gouverner.

La force de l'individualisme est une limite au vote sociotropique, c'est-à-dire dans l'intérêt des autres. Les citoyens se rendaient auparavant aux urnes pour eux-mêmes, mais également dans l'intérêt des classes sociales, groupes religieux ou minorités auxquels ils appartenaient. Par exemple, les Afro-américains continuent à voter fortement, notamment en faveur des démocrates. Cependant, pendant une crise de l'intégration sociale, cette dynamique fonctionne moins bien, même si certaines préoccupations collectives perdurent. En effet, des volontés de se mobiliser pour les autres se créent, notamment à travers d'autres types de citoyenneté comme la participation associative ou la participation caritative. Martine Barthélémy avait souligné, à propos de la loi de 1901, que les militants associatifs, à la différence des militants partisans ou même des électeurs, peuvent observer immédiatement le résultat de leurs actions. Lorsque nous effectuons une maraude ou lorsque nous participons à une distribution de denrées alimentaires, nous avons immédiatement l'impression d'être utiles. Les organisations partisanes comportent de moins en moins de militants, qui sont pour la plupart des élus et des professionnels des sondages, de la communication et des affaires juridiques. Les partis sont de moins en moins irrigués par la société.

Je pense qu'un troisième clivage se structure autour des questions d'environnement et de mode de vie, dont certains candidats à la présidentielle s'emparent désormais. Le nombre de membres du parti Europe Écologie Les Verts (EELV) représente aujourd'hui une tête d'épingle par rapport au nombre de militants qui composent l'ensemble du mouvement écologiste, avec notamment de nombreux mouvements locaux, des associations pour le maintien d'une agriculture paysanne (AMAP) et autres associations. La distanciation à l'égard de la politique dépasse donc la question du vote sur de nombreux aspects.

Je travaille avec plusieurs collègues sur des questions de politique comparée. Nous avons constaté que ce que certains appellent la dutifulness citizenship (citoyenneté du devoir), qui renvoie à la citoyenneté par héritage de Sophie Duchesne, tend à disparaître en France, en Europe ou encore aux États-Unis. Russell Dalton affirme qu'elle est remplacée soit par une citoyenneté des engagements, notamment locaux, soit par une citoyenneté assertive, dans laquelle les individus osent prendre la parole. Comme l'a évoqué Pascal Perrineau, nous vivons une transformation extrêmement forte et difficile, qui a commencé dans les années 80. Nous n'avons jamais eu autant de citoyens diplômés, qui ont accès à l'information, mais nous n'avons jamais eu autant de citoyens qui ne participent pas électoralement et qui utilisent d'autres moyens d'action. Laissons-nous toutefois à ces citoyens la possibilité de jouer leur rôle ?

Je partage le point de vue de Pascal Perrineau en ce qui concerne la possibilité de regrouper les élections. Cette mesure ne suffirait vraisemblablement pas à mobiliser les citoyens, à qui nous devons donner la possibilité de réellement comprendre les enjeux grâce aux campagnes électorales.

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Les Français ne se mobilisent-ils finalement pas que pour des élections qui ont d'après eux une réelle influence ? En effet, le niveau de participation à l'élection présidentielle se maintient à un très haut niveau, tandis que le niveau de participation aux élections européennes, historiquement faible, augmente à mesure que les Français se rendent compte de l'ampleur des enjeux de la gouvernance européenne. Le taux de participation aux élections législatives diminue au contraire avec la progression de l'idée que le Parlement sert de moins en moins. Enfin, les Français n'ont jamais réellement compris l'utilité des élections régionales et départementales, pour lesquelles le taux de participation reste à un niveau extrêmement faible.

L'idée émise par le président à propos de la fusion des élections ne concernait pas simplement la date des élections, mais également la possibilité de réduire le nombre d'élections, de sorte que, par exemple, les élus municipaux soient également élus au niveau départemental et même régional, comme il avait été suggéré à une époque avec le concept de « conseiller territorial ». Doit-on ainsi réduire le nombre d'élus afin que ces derniers aient plus de pouvoir, de sorte que les citoyens se mobilisent davantage ?

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Plus qu'avant, nous avons aujourd'hui l'impression que seul le discours radical est écouté, et qu'il est difficile de faire entendre un discours politique conciliant. Comment expliquez-vous cette radicalité omniprésente, y compris dans les médias ?

Jusqu'à présent, nous avions l'impression que les ancrages locaux ne suffisaient pas à déterminer les rapports de force nationaux, et que, par exemple, le résultat des élections locales pouvait aller dans un sens différent du résultat au niveau national. Ne pensez-vous pas qu'il existe des raisons institutionnelles structurelles au fait que les élections présidentielles mobilisent plus que les élections locales ? L'idée de millefeuille qui a été évoquée me paraît d'autant plus importante qu'il est très complexe d'expliquer les politiques nationales que nous mettons en place. Les politiques locales sont quant à elles plus faciles à expliquer, parce qu'elles sont souvent dénuées d'enjeux politiques. En effet, les clivages politiques importent beaucoup moins au niveau de la présidence d'un conseil départemental ou régional que lors d'une élection nationale. En revanche, au moment des élections locales, les sujets qui sont abordés ne concernent plus les compétences des différentes catégories de collectivités, mais les enjeux de politique nationale qui ne correspondent pas à leurs champs de compétences. Cette concurrence entre le niveau local et le niveau national me paraît réellement préoccupante. Je ne suis pas du tout certaine que le renforcement de la décentralisation pourrait régler ce problème. En effet, nous n'avons pas tout à fait cette culture de la décentralisation en France, bien que nous en souhaitions davantage.

Enfin, vous avez évoqué le fait que le développement d'un programme national n'est pas toujours suivi de sa mise en place opérationnelle. La plupart du temps, ce n'est effectivement pas le cas, non pas en raison d'un problème de cohérence du discours au niveau national, mais parce que nos organisations administratives ainsi que la technocratie, qui existe en France beaucoup plus qu'ailleurs, empêchent parfois la mise en œuvre opérationnelle de nos politiques. La résolution de ce problème nécessiterait de nombreuses réformes potentiellement difficiles à mener.

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Lors de la crise des Gilets jaunes, deux revendications majeures ont été portées au niveau institutionnel : le référendum d'initiative citoyenne (RIC) et l'adoption d'un mode de scrutin proportionnel. Ces deux revendications seraient-elles susceptibles de réduire l'abstention ? Par ailleurs, pensez-vous que nous votons à de trop nombreuses reprises en raison du nombre considérable d'échelons (la région, le département, les municipalités, l'Europe) ? Cet aspect constitue-t-il un facteur d'illisibilité ayant pour conséquence le désintérêt des citoyens à l'égard des élections ? Enfin, j'ai consulté les listes d'émargement du premier tour des élections régionales et départementales, dont le taux de participation a été catastrophique. J'ai constaté que jamais le taux de l'abstention n'a été aussi élevé, tant dans les quartiers bourgeois que les quartiers populaires. L'unique critère commun aux différentes zones était la participation massive des personnes âgées de plus de 50 ans et l'abstention quasiment totale des personnes de moins de 50 ans. Cet abstentionnisme ne concerne pas seulement les citoyens de 18 à 25 ans, mais également les personnes âgées d'une quarantaine d'années, qui votent habituellement. Cette tendance, qui m'a profondément choqué, est selon moi nouvelle. Avez-vous également remarqué ce clivage générationnel et qu'en concluez-vous ?

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Vincent Tiberj, professeur de science politique à l'Institut d'études politiques de Bordeaux

Si l'élection présidentielle mobilise autant de citoyens, c'est en effet parce qu'elle est considérée par beaucoup, et à juste titre, comme l'élection la plus importante, ce qui produit un effet de délégitimation des élections législatives. En effet, dans les années 70 et 80, il existait, d'une part, les élections législatives de mi-mandat qui mobilisaient beaucoup (comme celles de 1978, 1986 et 1993) et, d'autre part, les élections législatives de confirmation des élections présidentielles qui mobilisaient relativement moins (comme en 1981 et 1988). La mise en place d'élections législatives de confirmation constitue donc un réel problème. Cet enjeu peut être remis en perspective à travers l'inversion du calendrier et l'absence de prise en compte de la possibilité d'une élection simultanée. Le Congrès américain tire sa légitimité et sa capacité à s'opposer aux politiques présidentielles de la Constitution des États-Unis, mais surtout du fait que son élection ne procède pas du rapport au Président.

Une des manières de simplifier le millefeuille serait de faire en sorte que les élections régionales et départementales soient axées autour d'autres thématiques. En 2021, un certain nombre d'acteurs se sont exprimés sur les questions d'immigration et de sécurité, alors même que ces compétences n'appartiennent pas aux régions. Dès lors, les élections locales risquent de se politiser. Cela devrait être accompagné par le développement de systèmes médiatiques qui permettraient aux électeurs de s'informer des différents projets et de se rendre compte que des politiques de droite et de gauche peuvent être compatibles dans la gouvernance régionale. Les intercommunalités sont devenues des échelons qui pèsent de plus en plus dans les politiques locales, mais leur légitimité d'un point de vue démocratique peut être remise en question, car leur élection est indirecte, sauf à Lyon. L'attribution de responsabilités à ces intercommunalités pose un réel problème. Par exemple, si je ne suis pas d'accord avec les politiques locales dans la métropole de Bordeaux, contre qui dois-je voter ?

La radicalité croissante des discours, certes très problématique, mais hors de nos champs de compétence, est liée à l'évolution des systèmes médiatiques. La polarisation politique américaine est désormais extrêmement marquée, au point que les démocrates côtoient de moins en moins de républicains, et inversement. Au niveau individuel, le clivage entre deux Amériques se forme peu à peu, renforcé par les médias. Avec l'ouverture des bouquets de chaînes, des chaînes telles que Fox News Channel ont désormais la possibilité de se concentrer sur des publics restreints. Le développement des médias affinitaires sur Internet et les algorithmes limitent les interactions virtuelles à des groupes de personnes qui se ressemblent en termes de génération, mais également en termes d'attitude à l'égard du genre, de l'homosexualité, de l'environnement, de la redistribution, etc. Le système médiatique actuel ne permet plus réellement la confrontation des différents points de vue, mais donne aux opinions minoritaires de plus en plus de visibilité. Fox News a d'ailleurs été l'objet d'une série récente intitulée The Loudest Voice (la voix la plus forte).

Nous pouvons alors nous demander dans quelle mesure la France est susceptible de prendre le même chemin que les États-Unis sur ce sujet, avec notamment des chaînes d'information continue qui font des choix éditoriaux similaires. Les chiffres d'audience de ces chaînes sont certes largement inférieurs à ceux des feuilletons sur France 3, mais le fait que ce sujet soit peu abordé pose un réel problème de débat démocratique. N'oublions pas, néanmoins, que les électeurs sont de plus en plus capables de s'informer, s'ils maîtrisent bien les outils. Il y a vingt ans, nous n'aurions pas eu la possibilité d'organiser la présente commission à distance et dès lors, peu de personnes auraient pu avoir accès à son contenu. Internet permet d'une part aux citoyens de mieux s'informer et d'autre part d'avoir accès au pire avec notamment le complotisme, la dénonciation des scientifiques et les différentes attaques racistes, antisémites ou encore homophobes.

Je pense que notre système institutionnel n'est pas prêt pour la mise en place du RIC et que celui-ci ne s'inscrit pas dans notre culture. Les demandes de mise en place du RIC s'accompagnaient notamment du souhait de pouvoir remettre en question les élus par des référendums révocatoires, équivalents à ce que les Américains appellent les recalls. Ces référendums sont présents dans certains États américains depuis très longtemps, notamment en Californie. La plupart des tentatives de recall n'ont pas abouti à la démission de l'élu concerné. Cette culture électorale donne moins de marge de manœuvre aux élus que le système français. Il s'agit d'une réelle question philosophique : les élus doivent-ils être sanctionnés s'ils n'appliquent pas le programme pour lequel ils ont été choisis ou doivent-ils au contraire disposer d'une marge de manœuvre plus importante ? Les revendications des Gilets jaunes témoignaient d'une volonté de reprise de contrôle de la démocratie élective, ce qui n'est pas toujours souhaitable. En effet, les élus ont des niveaux d'information, de culture et de réflexion que des citoyens n'ont pas nécessairement.

Mon point de vue quant au mode de scrutin proportionnel rejoint celui de Pascal Perrineau. La culture politique de la Cinquième République a favorisé la mise en place d'une démocratie gouvernée plutôt que d'une démocratie représentative. En effet, le Président de la République française dispose de pouvoirs institutionnels que le Président américain rêverait d'avoir, toutefois au détriment de la démocratie représentative. En effet, le RN, EELV et la France Insoumise sont peu ou pas assez représentés.

Certains États comme les pays scandinaves réussissent avec beaucoup plus de facilité à mobiliser leurs jeunes citoyens, y compris en ce qui concerne la sphère électorale. Les travaux de Tom Chevalier démontrent que l'intégration politique des jeunes nécessite de leur faire confiance. Or la force des pays scandinaves réside dans leur capacité à préserver les jeunes afin de leur permettre de prendre des risques et de prendre le temps de devenir des acteurs de la société, de choisir leurs études, leur parcours professionnel et finalement leur citoyenneté.

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Pascal Perrineau, professeur de science politique à l'Institut d'études politiques de Paris

Sous la Cinquième République, la mobilisation des citoyens se polarise sur deux élections : celle à grande échelle, l'élection présidentielle, et celle à toute petite échelle, l'élection municipale. En effet, les Français ont deux « loyautés » prédominantes, l'identité nationale et le sentiment d'appartenance à la patrie locale. Il importe donc de proscrire tout système qui négligerait l'importance de cette patrie communale, dans un souci de rationalisation du millefeuille. Comme nous l'avons constaté récemment, les municipalités constituent la colonne vertébrale de la République française lorsqu'il y a de fortes turbulences. Face aux refus du Président de la République actuel, les Gilets jaunes se sont en effet tournés vers les maires et étant donnée la prise de distance des élus locaux vis-à-vis du Président de la République, la situation aurait pu prendre une autre tournure.

Certaines réformes de rationalisation peuvent être mises en place. La réforme Sarkozy de fusion entre le département et la région, qui avait à l'époque révolté certaines personnes, constituait en réalité une manière assez souple et douce de simplifier le millefeuille territorial, qui semble peut-être trop complexe au regard des comparaisons que l'on peut établir avec d'autres pays. Le fait que le politique soit identifié à la distance et non pas à la proximité est une des raisons de la montée de la défiance. C'est pourquoi les réformes ne doivent pas porter atteinte à la proximité.

Le discours radical que vous évoquez n'est pas nouveau. Il existe depuis toujours en France, ce que le remarquable historien du communisme François Furet appelait la « culture révolutionnaire ». Le Parti communiste a presque disparu en France et son candidat ne rassemble plus que 1,5 % d'intentions de vote, mais la « culture révolutionnaire » dont il était porteur est restée très prégnante dans l'opinion publique française. Quel que soit notre bord politique, il existe toujours l'idée que notre bulletin de vote et notre engagement politique peuvent ouvrir la voie, plus qu'à une alternance, à une réelle alternative radicale. Notre action politique peut changer profondément les règles du jeu économique, social et politique. Cette culture révolutionnaire fait partie intégrante de notre vision, de la droite extrême à la gauche extrême, en passant d'ailleurs par d'autres familles politiques en apparence plus paisibles. En tant que candidat à l'élection présidentielle, Emmanuel Macron dressait une alternative radicale entre un vieux monde dont il fallait se séparer et un nouveau monde dont l'action politique de son programme allait accoucher. Le livre d'Emmanuel Macron, s'intitulait d'ailleurs Révolution, ce qui ne constitue pas un hasard.

Les représentations proportionnelle et majoritaire ont chacune des avantages et des inconvénients. La représentation proportionnelle est plus juste dans la mesure où elle représente plus fidèlement la diversité des électeurs, mais elle peut se révéler très injuste lorsque le résultat n'est pas clair, comme c'était souvent le cas par exemple sous la Quatrième République ou à l'heure actuelle avec le mode de scrutin mixte en Allemagne. La représentation proportionnelle donne aux tout petits partis un rôle charnière. L'Espagne, par exemple, est gouvernée tantôt à gauche, tantôt à droite, au gré des décisions des partis autonomistes. En Allemagne, si le Parti libéral-démocrate (FDP) s'était rallié à droite, le gouvernement serait de droite. Les membres du FDP sont d'ailleurs tellement satisfaits que leur rôle soit décisif qu'ils abandonnent de nombreuses revendications, en particulier sur le terrain fiscal.

Le mode de scrutin majoritaire est certes injuste, mais permet que les coalitions se forment avec davantage de transparence pour les électeurs entre les deux tours. Dès lors, lorsque nous votons au second tour, nous savons à peu près quels sont les potentiels gouvernements. En Allemagne, le scrutin mixte est en réalité très lié au fédéralisme. En France, les élections régionales et municipales fonctionnent avec un mode de scrutin mixte, ce qui permet aux minorités d'être représentées sans empêcher la formation de coalitions. En effet, un mode de scrutin ne constitue pas une photographie représentant les différents groupes de la population, mais doit permettre de dégager une majorité pour gouverner. Il est ainsi difficile de trouver le bon équilibre. Le scrutin mixte est donc selon moi une bonne idée.

Enfin, je partage l'analyse Vincent Tiberj en ce qui concerne le clivage générationnel de la participation électorale.

La séance est levée à 15 heures 45.

Membres présents ou excusés

Présents. - M. Bruno Bilde, M. Xavier Breton, M. Jean-René Cazeneuve, M. François Cornut-Gentille, Mme Isabelle Florennes, Mme Monique Iborra, Mme Marion Lenne, Mme Jacqueline Maquet, M. Sylvain Templier, M. Stéphane Travert