Intervention de Jules Nyssen

Réunion du mercredi 20 octobre 2021 à 17h00
Mission d'information visant à identifier les ressorts de l'abstention et les mesures permettant de renforcer la participation électorale

Jules Nyssen, délégué général de Régions de France :

Je constate que l'abstention n'est pas équivalente pour toutes les élections. Les élections présidentielles, locales et européennes constituent trois niveaux pour lesquels cette question de l'abstention s'apprécie différemment. Concernant les élections locales, les élections municipales ont débuté en plein contexte de pandémie, ce qui rend la comparaison difficile. Les élections départementales et régionales ont sans doute été moins affectées par ce phénomène.

Personne ne peut donner assurément les explications de cette situation. Toutefois, du côté des régions, je constate une forme de désenchantement dans l'action publique. Ce désenchantement nourrit l'abstention, qui nourrit à son tour le désenchantement, créant un cercle vicieux. Ce dernier éloigne les Français de l'acte citoyen du vote et amène certains d'entre eux à préférer des modalités différentes d'expression, parfois sous la forme de protestations plus véhémentes.

Ensuite, je note le sentiment que le vote ne permet pas de produire des changements. Pour les élections départementales et régionales, ce sentiment a été très présent. Nos concitoyens se disent peut-être que le vote n'est pas utile puisque les changements ne sont pas visibles. Il est vrai que, lors de l'élection d'un nouveau gouvernement, les changements sont spectaculaires. Ils le sont moins dans un département ou une région. Pourtant, les élections produisent de réelles conséquences, parfois sur un assez long terme. Je pense notamment aux compétences régionales en matière de planification. Plutôt que l'information, c'est la perception des enjeux qui semble être en cause.

Du côté de Régions de France, nous avons essayé de communiquer auprès du grand public pendant la campagne des régionales — avec un succès plus que limité — sur des éléments extrêmement précis. Prenons l'exemple d'un demandeur d'emploi. Les régions consacrent des sommes considérables à la lutte contre le chômage. Pourtant, il est fort possible qu'un demandeur d'emploi ne voie jamais le logo d'un conseil régional pendant tout son parcours. De même, lorsque nous montons dans un train, nous avons affaire à la société nationale des chemins de fer français (SNCF). Il n'y a guère que dans le domaine de l'économie que les bénéficiaires de la politique publique régionale sont en interface directe avec le donneur d'ordre. Toutefois, les chefs d'entreprise représentent un faible pourcentage du corps électoral.

Comme l'ADF, nous avons été mobilisés par France Télévisions pour assurer une formation des rédacteurs en chef des services politiques des chaînes locales. Je trouvais cette initiative plutôt intéressante. J'ai été assez surpris que, même chez ce public, le niveau de connaissance de la réalité des responsabilités de nos collectivités respectives était finalement extrêmement faible, ce qui pose une difficulté dans la capacité de l'expliquer à nos concitoyens.

Pendant les élections régionales, de nombreux sondages ont été réalisés. Il me semble que, pour la première fois, des sondages étaient effectués à la sortie des urnes dans toutes les régions. En principe, les sondages créent le sentiment qu'une compétition se joue et attirent plutôt l'attention des électeurs. Or, dans le cas des régionales, l'attention des électeurs était attirée par l'inscription du rapport de force sur le plan national, ce qui n'a aucun rapport avec le sujet de l'élection. J'ai vu peu de sondages visant à faire exprimer un jugement sur l'action d'un président de région sortant.

Je voudrais mentionner un épisode un peu malheureux d'hésitation sur la date de ces élections départementales et régionales. La possibilité d'un report après l'élection présidentielle a été évoquée. Dans la presse, les commentateurs ont analysé cette hésitation en se demandant si celle-ci pourrait être favorable à un camp au regard des enjeux de l'élection présidentielle. Or le sujet était la prolongation d'un mandat de dix-huit mois.

L'explication majeure de ces difficultés me semble être le manque de clarté du rôle de nos collectivités.

Toutefois, je voudrais aussi formuler une distinction. Lorsque nous votons pour élire le Président de la République, nous imaginons que ce dernier pourra régler tous les problèmes de la vie courante. Après l'élection, les électeurs lui accordent en général une majorité à l'Assemblée nationale. Il existe une cohérence du corps électoral. Nous ne pouvons pas dire que les Français sont de mauvais citoyens. Au niveau communal, le taux de participation est assez élevé — hormis en 2020 où des circonstances exceptionnelles sont survenues — et une vraie responsabilité est attribuée aux maires, sans que ses missions soient forcément connues. Néanmoins, pour les départements et les régions, personne ne sait précisément à quoi servent ces collectivités, ce qui pose évidemment une vraie difficulté.

Concernant l'abstention, une exception peu commentée mérite d'être relevée. En Corse, le taux de participation a été nettement plus élevé que pour toutes les autres régions de France hexagonale mais aussi d'outre-mer. La raison de cette participation importante semble être l'enjeu politique fort autour du statut d'autonomie de la collectivité. Cet enjeu s'est exprimé dans le débat politique. Je ne pense pas que les Corses soient plus ou moins bons citoyens que les Français du continent.

Régions de France n'a pas d'avis, si ce n'est un avis très réservé, concernant le regroupement de toutes les élections locales le même jour. Soulignons que ce regroupement pose un problème logistique puisqu'il oblige à ouvrir un bureau de vote par niveau d'élection. Nous avons déjà constaté les difficultés opérationnelles créées par l'élection simultanée pour les départements et les régions. Par ailleurs, ce regroupement pose une difficulté d'identification des compétences de chacun. Ce sujet mériterait de faire l'objet d'une analyse. Il nous semble que, dans certains cas, la concomitance des élections départementales et régionales a pu entraîner un effet positif, sans doute au bénéfice des élections départementales dans les zones urbaines et au bénéfice des élections régionales dans les zones rurales, où les conseillers départementaux sont mieux identifiés. Regrouper les trois élections en un seul jour nous paraît un peu compliqué, au regard de notre système de vote.

Un autre sujet est la facilitation de l'acte de voter. À ma connaissance, aucun président de région ne soutient l'idée du vote obligatoire. En revanche, l'hypothèse d'un rappel individuel, un peu en amont des élections, auprès des citoyens inscrits sur les listes électorales avait été évoquée. Un acte d'information pourrait être assez efficace. Par ailleurs, le système des doubles procurations a semblé donner des résultats positifs.

Concernant le vote à distance, le Sénat avait envoyé un questionnaire. Le sujet est controversé. Néanmoins, une majorité de régions étaient plutôt favorables au développement d'un système de vote à distance. Notons que le vote par correspondance pose un problème de délai entre le premier et le second tour, notamment pour des élections régionales où la problématique d'une fusion de liste peut se poser. Par ailleurs, ce vote pose la question de la fiabilité du système de distribution du courrier.

Le vote électronique avait recueilli le soutien d'un certain nombre de présidents de régions, au motif que nous gérons tous nos dossiers fiscaux par voie électronique sans que ce procédé pose de problème majeur. Toutefois, chacun mesure bien le problème de confiance posé par ce système.

La réponse au problème de l'abstention est peut-être à trouver dans l'évolution de notre système institutionnel et la clarification des compétences. Je crois que nous formaliserons tous, sous des appellations diverses, des propositions afin de les porter au débat dans le cadre de l'élection présidentielle. La clarification des compétences apparait comme un élément important, de même que celle de la réalité des pouvoirs donnés aux collectivités locales.

Au moment du congrès des régions de France, nous avons donné les résultats d'un sondage, réalisé par l'Ifop et la Fondation Jean-Jaurès sur un échantillon d'environ 3500 personnes. Ce sondage démontre l'existence d'une aspiration à plus de décentralisation. J'ignore à quel point les personnes interrogées mesurent la réalité qui se cache derrière ce mot. En réponse à une question complémentaire, une majorité importante de personnes interrogées ont déclaré que, si la région avait davantage de pouvoir, ils iraient plus volontiers voter. Ce point mérite d'être approfondi. Des pistes assez prometteuses existent sur ce sujet. Notre démocratie, un peu verticale, pourrait se porter mieux si nous lui redonnions de l'oxygène par l'échelon des collectivités locales.

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