Intervention de Jean-Yves Dormagen

Réunion du jeudi 21 octobre 2021 à 9h05
Mission d'information visant à identifier les ressorts de l'abstention et les mesures permettant de renforcer la participation électorale

Jean-Yves Dormagen, professeur de science politique à l'université de Montpellier :

Effectivement, madame Braconnier et moi-même avons travaillé de manière importante et continue sur ces questions. Nous savions évidemment qu'il existait des non-inscrits. À l'occasion d'une enquête de terrain en 2002 dans un quartier de la banlieue nord de Paris, nous avons constaté que les problèmes d'inscription étaient tout à fait spectaculaires : la moitié des Français en âge et en droit de voter qui habitait cette cité n'était pas inscrite sur les listes électorales. Tout laissait à penser que la situation était encore plus problématique quelques années auparavant. Cette moitié de population était composée de deux blocs : les non-inscrits et les mal inscrits (citoyens qui ne sont pas inscrits sur leur lieu de résidence effectif). Cette situation peut recouvrir des réalités diverses (subie ou choisie), et les procédures de radiation étant longues, elle peut perdurer.

Cette mal-inscription nous a intrigués. Nous nous sommes demandé s'il s'agissait d'une spécificité des milieux populaires. Aussi, nous avons souhaité réaliser d'autres enquêtes localisées, et nous avons proposé à l'INSEE en 2012 une mesure de la mal-inscription au niveau national. À cette occasion, nous avons pu constater l'ampleur du phénomène. Sur les 15 % de mal inscrits sur les listes électorales (n'habitant pas à l'adresse de leur recensement), 5 % sont inscrits dans un autre quartier de la commune et 10 % sont inscrits dans une autre commune, parfois dans un autre département ou une autre région.

Le second constat est la mesure de l'impact de cette mal-inscription sur la participation électorale. Aux élections présidentielles et législatives de 2012, les bien inscrits restent des votants, parfois intermittents : moins de 10 % n'ont voté à aucun des quatre tours de scrutin. S'agissant des mal inscrits dans la commune, ils représentent 5 % d'abstention supplémentaire. Avec les mal inscrits dans le département, l'abstention est multipliée par trois. Enfin, 31 % des mal inscrits dans une autre région n'ont pas voté du tout. Les modèles économétriques montrent que la mal-inscription a un effet considérable : elle augmente par quatre les chances d'être un abstentionniste constant.

Dit autrement, nous réduirions de moitié l'abstention constante lors d'une séquence comme les élections présidentielles et législatives si nous résolvions le problème de la mal-inscription.

Nous avons procédé à une nouvelle mesure en 2017. Les résultats étaient sensiblement les mêmes. La mal-inscription est l'un des problèmes majeurs de notre démocratie électorale.

J'insiste sur un second point. La procédure d'inscription d'office des jeunes a eu des effets bénéfiques considérables. À l'époque, environ 30 % de la jeunesse ne s'inscrivaient pas sur les listes électorales. Dans les milieux populaires, les taux de non-inscription étaient tout à fait considérables. Aujourd'hui, nous parvenons à inscrire la quasi-totalité d'une classe d'âge. Pour autant, elle génère la mal-inscription de manière involontaire, car ces jeunes inscrits d'office sont pour la plupart amenés à quitter le domicile parental.

Les chiffres sont spectaculaires : la moitié des 20-25 ans est soit non inscrite, soit mal inscrite. C'est l'un des facteurs des taux d'abstention considérables enregistrés, plus encore dans les scrutins locaux et intermédiaires. Ce problème technique a des effets tout à fait significatifs sur l'abstention.

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