Mission d'information visant à identifier les ressorts de l'abstention et les mesures permettant de renforcer la participation électorale

Réunion du jeudi 21 octobre 2021 à 9h05

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • abstention
  • inscription
  • mobilisation
  • électorale

La réunion

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Table ronde de chercheurs : Mme Céline Braconnier, directrice de Science Po Saint-Germain-en-Laye, professeure de science politique ; M. Jean-Yves Dormagen, professeur de science politique à l'université de Montpellier ; M. Abel François, professeur d'économie à l'université de Lille ; Mme Anne Muxel, directrice de recherches en sociologie et en science politique au CNRS.

La séance est ouverte à neuf heures cinq.

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Nous avons réuni ce matin pour notre mission d'information sur les ressorts de l'abstention et les mesures permettant de renforcer la participation électorale quatre chercheurs spécialisés dans le phénomène de l'abstention, avec une attention particulière aux publics les plus touchés, à savoir les jeunes et les milieux populaires.

Nous avons le plaisir d'accueillir Mme Céline Braconnier, directrice de Science Po Saint-Germain-en-Laye et professeure de science politique, M. Jean-Yves Dormagen, professeur de science politique à l'université de Montpellier, Mme Anne Muxel, directrice de recherches en sociologie et en science politique au CNRS et M. Abel François, professeur d'économie à l'université de Lille en visioconférence.

Nous vous remercions pour votre disponibilité. Cette table ronde, retransmise en direct et ouverte à la presse, fera l'objet d'un compte rendu.

Je propose que, chacun à votre tour, vous interveniez dans un propos liminaire. Nous pourrons ensuite procéder à un échange de questions/réponses.

Madame Braconnier, je vous laisse commencer.

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Céline Braconnier, directrice de Science Po Saint-Germain-en-Laye et professeure de science politique

Je vous remercie de m'avoir invitée à participer à cette réflexion sur l'enjeu important qu'est notre démocratie représentative, abîmée par des taux d'abstention extrêmement élevés. Lors des dernières élections régionales et départementales, le cap atteint a provoqué un électrochoc intéressant, dans le sens où il provoque des questionnements dans de nombreux espaces de notre société.

En tant que chercheurs, M. Dormagen et moi-même travaillons depuis une vingtaine d'années sur la question de la participation électorale, à partir d'outils et d'approches de terrains, différents des sondages, qui croisent des données quantitatives et des entretiens, et surtout l'analyse des listes d'émargement et des comportements réels tels qu'ils sont enregistrés, et non les déclarations. Nous les identifions localement, puis nous travaillons notamment avec l'Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) pour mesurer la diffusion de ces comportements au niveau national.

Nous avons notamment identifié les problèmes d'inscription et le sujet de la mal-inscription pour lequel nous disposons de mesures nationales, grâce au travail mené avec l'INSEE.

Nous travaillons également à partir d'expérimentations. À plusieurs reprises, par exemple, nous avons tenté de mesurer les effets d'une évolution de nos procédures électorales sur les comportements de participation.

Il est important d'expliquer comment nous travaillons pour comprendre que nos analyses à partir de nos travaux peuvent différer des sondages. L'ensemble des questions que nous aborderons mènera à l'analyse de points précis, qui sont le produit de ce type de travaux.

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Jean-Yves Dormagen, professeur de science politique à l'université de Montpellier

Je vous remercie également de m'avoir invité à présenter les résultats de nos expérimentations sur l'abstention, sujet qui nous tient particulièrement à cœur depuis une vingtaine d'années. Nous espérons que nos réponses pourront alimenter le travail de la représentation nationale.

Nous travaillons principalement à partir d'expérimentations et d'observations localisées et nous participons également à l'enquête de l'INSEE dont je tiens à souligner le travail remarquable, qui permet de recueillir des données d'une extrême solidité sur les profils sociaux des abstentionnistes. De ce point de vue, la France est l'un des pays qui disposent d'une des meilleures enquêtes.

Nous sommes tous conscients que le moment est décisif en matière de participation électorale. En effet, des paliers ont été franchis lors des derniers scrutins de 2017. Aujourd'hui, si l'on tient compte des non-inscrits, la participation électorale concerne le tiers des citoyens en âge et en droit de voter. Ces records d'abstention ont été battus lors des élections municipales de 2020, dans un contexte de crise liée au Covid-19, avec des conséquences spectaculaires au niveau local : de nombreux maires de grandes villes ont été élus par moins de 10 % du corps électoral, soit un habitant sur quinze. Ces niveaux très bas de participation ont été à nouveau battus lors des dernières élections départementales et régionales.

Nous sommes face à un problème qui va bien au-delà de la science politique. Il met en cause le fonctionnement même de notre système démocratique, sachant que ces taux d'abstention peuvent dissimuler le fait que certains publics ont totalement disparu de la pratique électorale. Non seulement le corps électoral est réduit, mais il n'est plus du tout représentatif du peuple français dans son ensemble.

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Anne Muxel, directrice de recherches en sociologie et en science politique au CNRS

Bonjour. Je suis également ravie de participer à cette audition.

Je ferai deux remarques liminaires sur lesquelles nous reviendrons en détail.

Premièrement, cette expression de l'abstention s'inscrit dans le cadre d'une crise majeure de la représentation politique, d'une crise de confiance envers les institutions. Depuis une trentaine d'années, le rapport au vote considéré comme un devoir d'expression des citoyens s'est érodé et a été affecté par la défiance à l'égard de la démocratie représentative. Le vote intermittent est à présent devenu la nouvelle norme, et peut se transformer chez certaines catégories de la population par une abstention systématique.

L'élection présidentielle est également affectée, même si elle reste encore l'élection qui enregistre les taux de participation les plus élevés. Au premier tour des élections de 2017, un tiers des 18-25 ans n'a pas voté, alors que pour la première fois, l'un des candidats en lice était très jeune et offrait la perspective d'une nouvelle donne politique.

Un nouveau modèle de citoyenneté s'est installé, articulé sur trois piliers que sont la défiance, l'intermittence et une diffusion de la culture politique protestataire. Les citoyens cherchent à s'exprimer par d'autres vecteurs dans le cadre, non pas d'une démocratie représentative, mais d'une démocratie directe sans la médiation des organisations politiques traditionnelles.

Les chercheurs ont vu émerger une abstention de nature critique, qui permet à des citoyens de s'exprimer au travers d'un message politique de colère adressé à l'ensemble de la classe politique. Cette affirmation de la citoyenneté critique représente sans doute la part la plus dynamique de l'abstention qui explique sa montée depuis ces trente dernières années. L'abstention est devenue un outil citoyen parmi d'autres pour s'exprimer.

Deuxièmement, de toutes les formes de participation politique, l'abstention reste la forme la plus répandue, y compris parmi les jeunes et dans les milieux populaires. On vote plus que l'on ne manifeste. Même si les participations non conventionnelles ont gagné en légitimité, elles ne sont pas simplement réservées à la culture politique de gauche. L'opinion soutient très majoritairement les mouvements d'expression protestataire, comme les Gilets jaunes.

Enfin, il n'existe pas de déconnexion entre la participation électorale et les autres formes de participation. Les personnes qui votent participent à d'autres formes de participation non conventionnelle ou protestataire. La palette des usages démocratiques s'est élargie et les citoyens s'en saisissent en fonction des enjeux, afin de mieux se faire entendre. En ce sens, le vote peut se trouver limité.

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Merci beaucoup, madame. J'invite M. Abel François à intervenir.

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Abel François, professeur d'économie à l'université de Lille

Je vous remercie de votre invitation à participer à ces débats qui seront riches.

Mes recherches s'appuient sur un corpus scientifique bien étayé et quantitativement important, en focalisant sur la prise de décision d'aller voter, et les éléments facilitant le vote qui concourent à augmenter la participation et réduire le coût du vote. Il en va de même s'agissant de l'inscription : plus elle est facile, plus la participation sera forte.

Il ne faut pas se focaliser exclusivement sur l'électorat et la population. On explique relativement facilement la participation quantitative des électorats, mais il ne faut pas oublier que les candidats et les partis politiques ont un travail en termes de mobilisation et de stratégie pour intéresser les citoyens et les inciter à aller voter.

En France, nous avons deux gros problèmes. Le premier est le manque d'incitation pour les partis et les candidats à essayer d'accroître la participation, puisque l'on peut emporter une élection avec une participation très faible. Par ailleurs, les partis sont financés par de l'argent public, ce qui ne les incite pas non plus à avoir une base électorale, et donc une base de mobilisation importante.

Le second concerne les outils de mobilisation de l'électorat qui sont extrêmement réduits, encadrés, avec un cadre juridique applicable à la propagande électorale qui n'est pas du tout adaptée aux enjeux de notre époque et à l'usage actuel des mécanismes d'information sur la politique.

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Merci beaucoup.

J'aurais voulu que l'on prenne un temps sur les questions d'inscription. Pourriez-vous nous donner des chiffres ou nous parler de vos expérimentations ?

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Jean-Yves Dormagen, professeur de science politique à l'université de Montpellier

Effectivement, madame Braconnier et moi-même avons travaillé de manière importante et continue sur ces questions. Nous savions évidemment qu'il existait des non-inscrits. À l'occasion d'une enquête de terrain en 2002 dans un quartier de la banlieue nord de Paris, nous avons constaté que les problèmes d'inscription étaient tout à fait spectaculaires : la moitié des Français en âge et en droit de voter qui habitait cette cité n'était pas inscrite sur les listes électorales. Tout laissait à penser que la situation était encore plus problématique quelques années auparavant. Cette moitié de population était composée de deux blocs : les non-inscrits et les mal inscrits (citoyens qui ne sont pas inscrits sur leur lieu de résidence effectif). Cette situation peut recouvrir des réalités diverses (subie ou choisie), et les procédures de radiation étant longues, elle peut perdurer.

Cette mal-inscription nous a intrigués. Nous nous sommes demandé s'il s'agissait d'une spécificité des milieux populaires. Aussi, nous avons souhaité réaliser d'autres enquêtes localisées, et nous avons proposé à l'INSEE en 2012 une mesure de la mal-inscription au niveau national. À cette occasion, nous avons pu constater l'ampleur du phénomène. Sur les 15 % de mal inscrits sur les listes électorales (n'habitant pas à l'adresse de leur recensement), 5 % sont inscrits dans un autre quartier de la commune et 10 % sont inscrits dans une autre commune, parfois dans un autre département ou une autre région.

Le second constat est la mesure de l'impact de cette mal-inscription sur la participation électorale. Aux élections présidentielles et législatives de 2012, les bien inscrits restent des votants, parfois intermittents : moins de 10 % n'ont voté à aucun des quatre tours de scrutin. S'agissant des mal inscrits dans la commune, ils représentent 5 % d'abstention supplémentaire. Avec les mal inscrits dans le département, l'abstention est multipliée par trois. Enfin, 31 % des mal inscrits dans une autre région n'ont pas voté du tout. Les modèles économétriques montrent que la mal-inscription a un effet considérable : elle augmente par quatre les chances d'être un abstentionniste constant.

Dit autrement, nous réduirions de moitié l'abstention constante lors d'une séquence comme les élections présidentielles et législatives si nous résolvions le problème de la mal-inscription.

Nous avons procédé à une nouvelle mesure en 2017. Les résultats étaient sensiblement les mêmes. La mal-inscription est l'un des problèmes majeurs de notre démocratie électorale.

J'insiste sur un second point. La procédure d'inscription d'office des jeunes a eu des effets bénéfiques considérables. À l'époque, environ 30 % de la jeunesse ne s'inscrivaient pas sur les listes électorales. Dans les milieux populaires, les taux de non-inscription étaient tout à fait considérables. Aujourd'hui, nous parvenons à inscrire la quasi-totalité d'une classe d'âge. Pour autant, elle génère la mal-inscription de manière involontaire, car ces jeunes inscrits d'office sont pour la plupart amenés à quitter le domicile parental.

Les chiffres sont spectaculaires : la moitié des 20-25 ans est soit non inscrite, soit mal inscrite. C'est l'un des facteurs des taux d'abstention considérables enregistrés, plus encore dans les scrutins locaux et intermédiaires. Ce problème technique a des effets tout à fait significatifs sur l'abstention.

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Céline Braconnier, directrice de Science Po Saint-Germain-en-Laye et professeure de science politique

Lorsque nous avons travaillé avec l'INSEE, nous avons pu établir un profil sociologique des mal inscrits qui s'éloigne de celui des non-inscrits. Nous avons notamment identifié une surreprésentation des diplômés et des jeunes cadres. En réalité, le facteur essentiel de la mal-inscription est la mobilité. Il existe un décalage entre des procédures électorales héritées de l'histoire et une société de la mobilité dans laquelle les concitoyens se déplacent beaucoup. Le turn-over résidentiel est particulièrement fort dans certaines catégories de la population, dont les étudiants. Nous estimons que s'ils n'avaient pas de problème d'inscription, les étudiants voteraient plus, car ils sont plus prédisposés à voter de manière constante que d'autres catégories de la jeunesse. Ces procédures électorales sont inadaptées, sans que d'autres procédures (vote à distance ou vote électronique) permettent de neutraliser la distance par rapport au lieu d'inscription.

Ces différents facteurs se cumulent pour gêner la participation électorale, très fortement pour certaines catégories de la population.

Je précise que la France est l'une des seules grandes démocraties à maintenir cette étape de l'inscription préalable à l'exercice effectif du droit de vote. Nous ne mettons pas en place la déclaration domiciliaire obligatoire lors de l'installation dans une commune. Il suffirait de généraliser l'inscription d'office, valable pour les jeunes de 18 ans et les Français qui viennent d'acquérir la nationalité, pour supprimer immédiatement l'obstacle de l'inscription à la participation électorale. Nous n'affirmons pas que cela supprimerait l'abstention, bien évidemment, car elle est multifactorielle. Cette question de procédure est relativement facile à résoudre et pourrait rendre les campagnes électorales plus efficaces. Les personnes prêtes à participer au dernier moment ne se retrouvent pas en capacité de voter facilement. Il s'agit d'un vrai problème démocratique.

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Abel François, professeur d'économie à l'université de Lille

Faciliter le vote permet d'accroître la participation, effectivement. Les procédures d'inscription prennent du temps, alors que les citoyens sont très occupés et mobiles.

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J'ai bien entendu le message sur la manière dont nous pourrions agir en tant que législateurs pour améliorer les dispositifs existants.

Quel est le périmètre de vos recherches ? Sont-elles concentrées sur des secteurs urbains et parisiens, ou sur des secteurs d'autres grandes métropoles ? Testez-vous les zones rurales ? Percevez-vous des différences ? S'agissant des 18-34 ans, quels sont les déterminants sociaux constatés sur la forte abstention (90 %) de cette catégorie de personnes, notamment aux dernières élections régionales et départementales ? Comment expliquez-vous ces comportements électoraux ? Comment s'articulent-ils avec d'autres formes d'engagement ? Le fait d'être engagé dans une association est-il un moyen pour ces jeunes de développer une opinion et de construire une conscientisation politique plus facilement que par le vote dont ils pensent qu'il ne servira à rien ou qu'il ne sera pas pris en compte ?

Sur les autres modalités de vote, quelles ont été vos recherches sur les populations cibles qui sont les vôtres ? Selon moi, ces modalités ne seront pas l'alpha et l'oméga qui permettront de résoudre le problème de la participation électorale. Il s'agirait plutôt de construire un nouveau parcours citoyen à travers la confiance dans le message politique et une expression utile pour chacun.

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Anne Muxel, directrice de recherches en sociologie et en science politique au CNRS

. Nous réalisons de grandes enquêtes électorales ayant une dimension quantitative. Nous développons des panels électoraux portant sur des échantillons très larges. Nous suivons 20 000 électeurs potentiels pour étudier le processus de leur mobilisation électorale. Nous faisons dans le cadre de ces enquêtes longitudinales des observations en matière de mobilisation électorale.

J'ai également beaucoup travaillé sur les jeunes et les formes de politisation de la jeunesse.

Nous observons effectivement une différente entre les zones rurales et les zones urbaines. Malgré tout, la participation est plus importante dans les populations en zones rurales, avec une conception normative du devoir de voter qui s'applique davantage dans les petites communes. C'est une constante que nous avons mise en lumière, même si ces zones sont également touchées par des recompositions de population et ce phénomène de l'abstention.

Lorsque nous sommes confrontés à une abstention des jeunes aussi massive, il existe peu d'effets de sociologie. C'est vrai de l'inscription, comme de la participation. Elle touche des jeunes qui, de par leur profil sociologique, devraient participer davantage.

Nous n'observons pas, parmi les jeunes générations, de recul de l'engagement. Les formes d'engagement se déplacent du champ institutionnel vers le champ associatif ou protestataire au travers de mobilisations collectives.

Je viens de terminer une importante étude sur la génération Z qui portait sur 3 000 jeunes représentatifs de 16 à 18 ans. Lors de cette enquête, j'ai pu vérifier auprès de la tranche d'âge concernée qu'ils ne souhaitaient pas d'inscription sur les listes électorales. Ceci étant dit, 1974, lorsque l'on interrogeait les 18-21 ans en 1974, ils ne voulaient pas non plus !

Je reviens à l'observatoire de la génération Z : 22 % des 16-18 ans disent avoir participé à une marche pour le climat, et 30 % disent avoir déjà participé à une manifestation. De nombreuses enquêtes ont fait état, notamment à partir des attentats de 2015, d'un surcroît d'engagement de la part de la jeunesse, et non pas d'un désengagement. Nous retrouvons des facteurs sociologiques : ces manifestations touchent davantage des jeunes scolarisés, étudiants, que des jeunes déjà actifs qui sont en retrait de ce type de mobilisations.

Il ne faut pas négliger dans certains quartiers le travail d'associations qui se traduit par des initiatives, y compris au sein de la jeunesse populaire. Il faudrait mettre l'accent sur ces engagements de proximité au travers d'un travail associatif qu'il faut continuer à soutenir. La crise du Covid-19 a été l'occasion pour des jeunes notamment ‑ et pour d'autres ‑ de témoigner d'engagements de proximité et d'entraide.

Monsieur le rapporteur, je vous rejoins sur la question des modalités de vote. Il faut évidemment simplifier les procédures d'inscription afin de faciliter le passage à l'acte de vote. Pour autant, ce n'est pas ce qui restaurera ce déficit de confiance envers les institutions et le personnel politique qui est abyssal. Dans certaines démocraties, la facilité d'accès au vote est très importante ; néanmoins, ces pays enregistrent des taux d'abstention parmi les plus importants.

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Abel François, professeur d'économie à l'université de Lille

Il est évident que si nous changions les procédures de vote, nous n'obtiendrions pas 100 % de participation. Pour autant, le fait de faciliter le vote de la jeunesse n'aura que des conséquences positives : il peut être un phénomène déclencheur d'une première étape de socialisation et de vote, et peut avoir à terme des effets plus importants de retour au sein de la vie politique.

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Jean-Yves Dormagen, professeur de science politique à l'université de Montpellier

Sur la question de l'abstention des jeunes, je voudrais insister sur plusieurs éléments qui ne sont ni nouveaux ni liés à la conjoncture. Ce qui me fascine tout particulièrement dans la participation électorale, c'est la régularité des courbes. Si vous observez différentes courbes, de différents pays, à différentes époques, elles ont presque toujours la même forme de cloche, même si l'amplitude ou la pente évoluent un peu. La participation augmente avec l'âge, elle atteint un plateau vers 70 ans, puis elle se stabilise en étant légèrement déclinante et elle s'effondre à partir de 83 ans pour basculer vers la très grande abstention. Nous ne pensons peut-être pas assez au vieillissement de nos populations qui est un facteur abstentionniste structurel auquel il conviendra de réfléchir. Le très grand âge est porteur d'abstention. Je formule l'hypothèse que cette abstention est parfois contrainte chez des personnes âgées qui continuent de s'intéresser à la politique, mais qui, pour des raisons d'isolement ou de santé physique, éprouvent une très grande difficulté à voter. Nous devrons réfléchir à des dispositifs qui leur permettraient de rester dans la civilisation électorale.

Pour revenir à la courbe, la participation augmente avec l'âge et plus encore la participation constante. Si nous ne sélectionnons que les électeurs qui votent à toutes les élections, la courbe est presque linéaire. Elle augmente de manière quasi parfaite avec l'âge. Plusieurs explications sont possibles. Je voudrais insister sur l'une de ces explications, précédemment évoquée par mes collègues. Il s'agit de la question de l'habitude, qui est difficile à admettre. Depuis une vingtaine d'années, les chercheurs américains ont beaucoup exploré cette question en montrant que l'habitude exerçait un effet considérable sur la participation. Elle explique entre 20 et 50 % de la participation. En se renforçant avec l'âge, cette prise d'habitude explique probablement une partie des écarts de participation.

Avec une collègue montpelliéraine, nous travaillons depuis plusieurs années sur ce sujet d'habitude. Avec des modèles économétriques, nous arrivons presque à annuler les différences entre classes d'âge. Ces différentes sont principalement et d'abord des différences d'habitude.

La politisation augmente également avec l'âge. Au fur et à mesure de la vie, nous acquérons plus d'information, plus de connaissance, plus de compréhension du jeu politique.

Il y a sans doute des effets générationnels qui sont les plus difficiles à mesurer scientifiquement. Anne Muxel a fait allusion au fait que les normes des nouvelles générations sont très différentes des générations plus anciennes. Le rapport à la norme civique est sans doute différent. Le sentiment d'obligation et le devoir civique étaient certainement plus forts auparavant. Nous savons que la jeunesse est plus individualiste, marquée par un très fort libéralisme culturel. Nous considérons le rapport aux autres plus en termes de droits individuels que de devoirs collectifs.

En conséquence, pour revenir à la question du droit de vote à 16 ans, les jeunes ne le réclament pas, mais il aurait deux effets. Il aurait un premier effet de rééquilibre de l'âge du corps électoral qui aujourd'hui est non seulement âgé, mais beaucoup plus âgé qu'il ne devrait l'être. Par le simple fait de permettre à des plus jeunes de voter, les générations seraient rééquilibrées. Nous savons que les jeunes ne sont pas porteurs des mêmes demandes. Cela aurait sans doute comme conséquence d'améliorer la représentativité globale du corps électoral.

Le deuxième effet serait d'enclencher un processus d'habitude de vote plus tôt, au moment où les jeunes seraient encore scolarisés. J'ouvre une autre question à laquelle je n'apporterai pas de réponse, sur le rôle éventuellement socialisateur de notre système éducatif qui n'accomplit absolument pas cette fonction, si nous considérons que cela devrait être le cas. Ce rôle est laissé aux familles et à des groupes qui sont très inégalement capables et préparés à le faire. On comprend qu'une famille politisée qui suit de près l'information aura plus de chances de socialiser ses enfants à la pratique électorale qu'une famille qui est très éloignée du vote et qui parfois même parle peu ou mal la langue française, ne vote pas en France. C'est l'une des raisons pour lesquelles l'abstention atteint des chiffres considérables dans la jeunesse des quartiers populaires.

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Céline Braconnier, directrice de Science Po Saint-Germain-en-Laye et professeure de science politique

. J'évoquerai en complément le caractère collectif du vote, qui fonctionne à l'entraînement des individus par les petits groupes. Contrairement à ce qu'alimente le mythe de l'isoloir, on vote d'abord en couple, et au-delà, en famille. On continue de le faire autant qu'hier. Ces mécanismes d'entraînement sont explicatifs des taux de participation encore très importants enregistrés lors de l'élection présidentielle. Ils jouent aujourd'hui à plein dans le cercle familial et génèrent de très fortes inégalités de participation électorale.

Trente ans en arrière, il existait d'autres instances de socialisation électorale : le monde du travail, qui était un lieu de politisation par la rencontre de personnes plus politisées que soi-même avec des taux de syndicalisation bien plus importants ; les quartiers et les territoires, qui étaient des espaces où il n'était pas rare de rencontrer des voisins qui étaient plus politisés que soi-même ; et l'école, qui a, dans notre histoire républicaine, joué un rôle de fabrique citoyenne plus important que cela n'est le cas aujourd'hui.

Toutes ces instances de socialisation politique sont en partie neutralisées. L'organisation de nos partis politiques explique que, dans le quotidien, sur le terrain, la politique ne prend plus la forme d'un visage rencontré. C'est quelque chose de plus lointain, qui arrive au moment des élections et qui suscite méfiance, distance.

La question de l'entraînement au vote et des instances d'entraînement au vote se pose de manière tout à fait cruciale, notamment au début de la carrière électorale. M. Dormagen a insisté avec raison sur le fait que le vote était une habitude. Nous devons parvenir à entraîner les jeunes, à accompagner les premières expériences électorales, notamment en repensant le rôle de l'école. En effet, il existe actuellement un décalage entre ce rôle consenti, théorique de l'école, et la nécessité que cet accompagnement soit plus pratique et tourné vers la réalité de la citoyenneté telle qu'elle est mise en œuvre à la majorité.

Je souhaite insister sur le rôle des instances de socialisation, et notamment de l'école, qui doivent pouvoir limiter en partie les inégalités de participation électorale.

Pourquoi l'abstention pose-t-elle un problème dans notre démocratie représentative, même si l'on observe d'autres formes d'engagement parmi la population, et notamment les plus jeunes ? Comme madame Muxel l'a expliqué avec raison, le vote reste la pratique politique la moins coûteuse. Quelle que soit la forme que prend l'engagement, le vote sera le moyen de raccrocher les personnes les plus éloignées des institutions.

Un cumul de répertoire d'actions fait que ceux qui manifestent votent également alors que l'inverse n'est pas vrai. Le vote reste moins coûteux à produire pour quelqu'un qui est resté peu longtemps scolarisé, qui est fragile et isolé. Il est plus simple d'aller voter que de prendre la parole dans une réunion ou que de manifester ou défendre une cause.

Quand l'abstention atteint un niveau très élevé (50 % de la population), les écarts de participation entre les groupes qui votent le plus (65-69 ans) et les groupes qui votent le moins (25-29 ans) sont au maximum. À certaines élections, ils sont de l'ordre de 35 à 40 points. Aussi, l'abstention recouvre de très fortes inégalités. Pour la plupart des scrutins sauf la présidentielle aujourd'hui, une forte abstention signifie que des catégories entières restent à l'écart des urnes.

Entre la présidentielle de 2017 et les législatives de 2017, la participation des jeunes s'est écroulée. Seulement 27 % des 18-30 ans ont participé à l'élection législative, contre 66 % à l'élection présidentielle. Les inégalités de participation électorale atteignent leur maximum lorsque l'abstention avoisine les 50 %.

Ensuite, lorsque l'abstention est très élevée, comme lors des récentes élections départementales et régionales, elle affecte des catégories qui sont habituellement participationnistes. L'écart diminue, mais ne doit pas atténuer l'observation assez générale des inégalités de participation électorale. Les conséquences sont très fortes sur l'offre électorale et sur les politiques publiques. Très logiquement, les candidats s'adressent avant tout à ceux qui votent. Il faut sortir de cet effet en chaîne.

Le sentiment des jeunes de ne pas être représentés ou écoutés est alimenté par le fait qu'ils restent à l'écart des urnes. Nous ne pouvons pas nous contenter de considérer qu'une partie d'entre eux peut s'engager sous d'autres formes. Si nous ne parvenons pas à élargir l'espace de participation des jeunes et à mobiliser d'autres jeunes que ceux qui sont politisés, alors, nos démocraties ont du souci à se faire. Toute une partie de la jeunesse ne peut être mise à l'écart de notre démocratie participative.

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. J'aurais aimé que l'on revienne sur les outils de mobilisation qui sont relativement archaïques. Pour autant, lorsque l'on digitalise la propagande électorale, le nombre d'abstentionnistes est encore plus élevé. Ces nouvelles procédures sont très complexes, à la fois pour les candidats et les électeurs.

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. Avez-vous étudié les comportements socioprofessionnels dans le vote ? Vous expliquiez que le vote avait un caractère collectif. Pour exemple, je suis issu d'un territoire rural où l'on a tendance à dire que chez les agriculteurs, on vote en famille. Quel que soit le choix, la famille émet un même vote. Avez-vous pu faire ce constat avec certaines professions ? Cet effet d'entraînement peut-il avoir une portée particulière sur le résultat d'un vote ?

Nous avons également évoqué l'abstention des personnes âgées de 80 ans et plus, qui pour des raisons de santé et de mobilité, ne peuvent se déplacer. La simplification de l'accès aux procurations ne résout pas tout. Les personnes qui ont 80 ans aujourd'hui font partie d'une génération qui a toujours eu l'habitude d'aller voter. Pensez-vous que la génération des 18-34 ans qui ne vote pas, qui n'a pas pris l'habitude de voter, aura pris conscience que le rituel citoyen est important et qu'elle doit aller voter, ou qu'elle restera absente des urnes sur la totalité de son existence ?

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Madame Braconnier et monsieur Dormagen, vous avez réalisé une étude en 2010 intitulée : le vote des cités est-il structuré par clivage ethnique ? Avez-vous des éléments sur cette dimension ethnique dans la participation électorale ?

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Céline Braconnier, directrice de Science Po Saint-Germain-en-Laye et professeure de science politique

Sur la question des outils de campagne, notre collègue Abel François pourra répondre sans doute de façon plus précise.

On sait que les campagnes électorales ont du mal à produire des effets sur les orientations électorales. En revanche, lorsque les campagnes sont relayées par des médias grand public, elles intéressent les citoyens et produisent un entraînement très fort.

Dans nos grandes démocraties, c'est encore la télévision qui produit les effets les plus massifs de mobilisation et qui est capable de faire participer des individus qui sont très peu politisés et très peu intéressés par la politique au quotidien. Ils sont entraînés dans la participation par les membres de leur entourage qui suivent la campagne électorale telle qu'elle est diffusée quelques semaines avant le scrutin lorsqu'il s'agit d'une élection présidentielle.

Les campagnes électorales sont d'autant plus efficaces et aptes à mobiliser les électeurs qu'elles reposent sur des supports variés et s'adaptent à des populations qui se mobilisent différemment.

De la même manière qu'il serait utile de diversifier les modalités de participation électorale, de maintenir le vote à l'urne, rituel du dimanche, il faudrait ouvrir les possibles et permettre un vote sur Smartphone pour les plus jeunes qui neutraliserait l'éloignement du lieu d'inscription le jour du vote. Il faudrait être capable d'adapter nos modalités de vote à la diversité de situations.

De la même façon, il faut être ouvert à la diversité des supports de mobilisation et de campagne électorale. La digitalisation des outils n'a pas fait ses preuves, car elle dépend du type de citoyen visé. La catégorie de population qui s'informe en politique et qui est mobilisée politiquement par des outils digitaux, est une population extrêmement réduite qui diversifie ses moyens de politisation. La grande majorité des citoyens cependant reste assez peu affectée par ces outils.

Anne Muxel pourra compléter ma réponse, car elle a également travaillé sur la question du vote en famille. Bien sûr, nous votons en famille. Des travaux très intéressants aux États-Unis ont même montré que les recompositions familiales et les séparations dans nos sociétés entraînaient mécaniquement de l'abstention. Lorsque des couples se séparent, il est très fréquent que l'un des conjoints cesse de voter, notamment la femme dans les milieux populaires. En revanche, dans les milieux favorisés, la séparation n'a pas d'impact sur la participation électorale.

La participation prolonge en quelque sorte les évolutions structurelles de la société, que nous pouvons essayer de compenser par des procédures de facilitation et des campagnes d'incitation à la mobilisation. Or, en France, nous n'avons pas de tradition de campagne électorale en faveur de la participation, qui débuterait au stade de l'inscription.

Depuis la réforme de 2019, il est possible de s'inscrire jusqu'au sixième vendredi précédant le scrutin, au lieu du 31 décembre de l'année précédant le scrutin. Or, cette réforme n'a pas produit d'effet, car les acteurs politiques et les pouvoirs publics n'ont pas investi ce nouveau calendrier pour inventer des campagnes électorales en faveur de l'inscription. Si nous n'investissons pas ce temps pour inciter les concitoyens à s'inscrire et à voter, avant de voter pour un candidat en particulier, nous nous privons d'un moyen d'entraînement à la participation.

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Lors de votre étude sur les clivages ethniques, aviez-vous étudié la question de l'abstention ?

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Jean-Yves Dormagen, professeur de science politique à l'université de Montpellier

L'article auquel vous faites référence ne portait pas particulièrement sur l'abstention, mais sur les nouveaux clivages que l'on peut repérer dans certains quartiers, comme celui que nous étudions. Tout au long de nos études de terrain, nous avions été marqués par l'ethnicisation des identités, des représentations, des affrontements, entre groupes qui se définissaient essentiellement par leurs origines ou par des traits ou éléments raciaux.

Si nous raisonnons en termes d'incitation à voter, il est clair que la situation des Français d'origine étrangère est sans doute celle pour laquelle le vote est le plus difficile. Leurs familles ont été socialisées dans d'autres contextes politiques et elles continuent souvent à suivre la vie politique de leur pays d'origine, ce qui est bien évidemment normal. Les enfants bénéficient d'une faible socialisation à la politique française dans leur milieu familial. Cela crée un handicap supplémentaire en termes d'accès à la citoyenneté, que l'éducation civique pourrait venir combler si les dispositifs étaient ajustés à cet objectif, ce qui n'est pas le cas.

Une réflexion devra sans doute être engagée sur la manière dont l'école fabrique des citoyens. Il me semble qu'il s'agit d'un grand sujet démocratique.

Nous avons mené des expérimentations sur les dispositifs de facilitation du vote. Nous avons mesuré l'effet de la quasi-suppression de la procédure d'inscription sur la participation électorale à l'occasion des élections présidentielles de 2012 et des élections régionales de 2015, en collaboration avec La Poste (les facteurs se proposaient de remplir ce service, notamment auprès des nouveaux habitants). Dans les deux cas, les résultats ont été très concluants. Le groupe test, qui probablement se serait peu inscrit ou peu réinscrit, a voté à presque 90 %. Affranchis de la procédure d'inscription, de nombreux citoyens deviennent votants au moins lors de l'élection présidentielle.

La limite du dispositif est son financement. Les maires pouvaient s'en emparer s'ils le souhaitaient, et cela donné des résultats positifs, mais trop peu d'entre eux l'ont fait, malheureusement.

Ces simples expérimentations montrent à quel point faciliter le vote augmente la participation électorale.

La participation est d'abord une réponse à une offre politique. Il faut souligner que l'électorat est aujourd'hui intermittent dans la plupart des démocraties avancées. Il n'existe pas de « divorce » ou de « séparation » entre les citoyens et la pratique électorale. Certaines facilités médiatiques ou journalistiques ne rendent absolument pas compte de la réalité. La quasi-totalité des citoyens continue de voter et est prête à se mobiliser sous réserve que l'offre (la campagne électorale) leur en donne envie. Cette situation n'est pas propre à la France. Les États-Unis ont battu des records de participation électorale lors du duel Trump-Biden. Les Pays-Bas ont récemment voté à 80 %, alors que l'abstention était très élevée quelques mois plus tôt.

Il n'existe pas de solution technique à la question de l'abstention, mais des solutions procédurales qui permettent, à offre constante, d'augmenter la participation. Nous ne pouvons qu'espérer que ces procédures soient mises en œuvre. Nous explorons la question du vote par correspondance ou du vote électronique. À l'ère du numérique, une grande démocratie comme la France doit a minima permettre à ses citoyens d'effectuer des procurations directement en ligne.

La propagande digitale soulève la question plus globale du prix que nous sommes prêts à payer pour la démocratie. La France est un pays qui dépense plutôt peu pour ses campagnes électorales pour diverses raisons. Un débat démocratique doit avoir lieu sur le sujet du coût de la démocratie.

Par ailleurs, une réflexion doit être lancée sur les contraintes juridiques dont la dimension vertueuse est de limiter les fraudes. Aujourd'hui, on limite les capacités de mobilisation et je me demande si cela est souhaitable.

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Anne Muxel, directrice de recherches en sociologie et en science politique au CNRS

Je retiens deux points : la question des instances de socialisation et des facteurs contextuels de la participation politique. Je rejoins les propos de madame Braconnier. La famille est tout à fait décisive pour comprendre la participation politique, dans la fabrique des identités politiques, et continue de jouer un rôle malgré cette relative déstructuration à laquelle elle est confrontée. Elle reste un creuset des identités politiques, voire des habitudes de vote ou de non-vote.

S'agissant du vote en famille, il existe effectivement un effet d'entraînement sur la participation électorale. Pour autant, ce qui se transmet, ce n'est pas forcément le choix de vote, mais plutôt des filiations politiques ou idéologiques qui continuent de se structurer au sein de la famille. La famille reste un lieu important de construction de l'expérience démocratique. Elle est une « mini-démocratie ». J'ai beaucoup travaillé sur la place de la politique dans l'intimité et les relations familiales. Le rapport au vote se construit dans cet espace affectif, mais ne se traduit pas forcément par le même vote.

Je souhaiterais insister sur l'école en tant qu'espace public de l'éducation du citoyen. Très certainement, des leviers sont à mobiliser dans l'apprentissage du rapport au vote.

Je reviens sur la question de l'intermittence du vote, qui restera probablement durablement installée. Si l'on croit à l'incidence de l'effet de période sur la fabrique des identités politiques, il est clair que pour les nouvelles générations qui font leur apprentissage politique dans un contexte de forte abstention et de forte défiance, ces dispositions pérennes risquent de se mettre en place. On peut considérer que le vote intermittent est un élément de vitalité démocratique, qui ne débouche pas forcément sur de l'anomie. On peut également envisager que notre démocratie doive s'accommoder de ce vote intermittent.

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Abel François, professeur d'économie à l'université de Lille

. Je ne sais pas, de l'école ou des associations, quelle instance est la plus légitime aux yeux des jeunes pour les mener sur le chemin de l'inclusion politique. Je ne suis pas certain que l'école soit la plus efficace, alors qu'elle est souvent un lieu de confrontation avec l'autorité. La perception de cette instance peut être négative chez les jeunes.

S'agissant de la propagande, la réglementation en France est construite sur un schéma extrêmement daté, où le citoyen était considéré comme un rentier avec une appétence très forte à la « chose publique ». Or, la vie moderne du citoyen n'est plus du tout la même qu'au XIXe siècle : il est très occupé et a peu de temps pour s'intéresser à la politique.

Les associations et partis politiques sont privés d'un nombre incroyable d'outils de propagande. Ils sont obligés de passer par les médias, et notamment la télévision, et sont en compétition pour accéder à ces médias. Ils ne peuvent pas mettre en place une stratégie qui s'appuierait sur une base militante importante et, au final, ont pour activité principale la diffusion de tracts. Or, je connais peu de monde qui lise un tract en entier. Bien que les candidats et les partis aient une base financière intéressante grâce aux mécanismes de financement existants, leurs outils de campagne sont très restreints et les empêche de développer des stratégies plus ambitieuses de mobilisation des électeurs potentiels.

C'est l'une des raisons pour lesquelles les associations et les partis ne se sont pas approprié l'allongement de la durée d'inscription sur les listes électorales.

Enfin, les modalités de calcul du financement public des partis n'incitent pas les partis à mobiliser l'électorat. Il conviendrait simplement, dans ces modalités de calcul, de mettre des objectifs de participation électorale. Les partis politiques sont aujourd'hui sanctionnés lorsqu'ils ne respectent pas la parité hommes-femmes. Nous pourrions imaginer, non pas un système de sanction, mais plutôt d'incitation positive pour développer la participation électorale. Le calcul du financement public pourrait également être étendu à d'autres élections que les élections législatives.

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Mesdames et messieurs, je vous remercie pour ces échanges très nourris et très riches.

La séance est levée à dix heures quarante.

Membres présents ou excusés

Présents. - M. Erwan Balanant, M. Bruno Bilde, M. Xavier Breton, Mme Marion Lenne, M. Stéphane Travert

Excusé. - Mme Muriel Roques-Etienne