Intervention de Jean-Yves Dormagen

Réunion du jeudi 21 octobre 2021 à 9h05
Mission d'information visant à identifier les ressorts de l'abstention et les mesures permettant de renforcer la participation électorale

Jean-Yves Dormagen, professeur de science politique à l'université de Montpellier :

Sur la question de l'abstention des jeunes, je voudrais insister sur plusieurs éléments qui ne sont ni nouveaux ni liés à la conjoncture. Ce qui me fascine tout particulièrement dans la participation électorale, c'est la régularité des courbes. Si vous observez différentes courbes, de différents pays, à différentes époques, elles ont presque toujours la même forme de cloche, même si l'amplitude ou la pente évoluent un peu. La participation augmente avec l'âge, elle atteint un plateau vers 70 ans, puis elle se stabilise en étant légèrement déclinante et elle s'effondre à partir de 83 ans pour basculer vers la très grande abstention. Nous ne pensons peut-être pas assez au vieillissement de nos populations qui est un facteur abstentionniste structurel auquel il conviendra de réfléchir. Le très grand âge est porteur d'abstention. Je formule l'hypothèse que cette abstention est parfois contrainte chez des personnes âgées qui continuent de s'intéresser à la politique, mais qui, pour des raisons d'isolement ou de santé physique, éprouvent une très grande difficulté à voter. Nous devrons réfléchir à des dispositifs qui leur permettraient de rester dans la civilisation électorale.

Pour revenir à la courbe, la participation augmente avec l'âge et plus encore la participation constante. Si nous ne sélectionnons que les électeurs qui votent à toutes les élections, la courbe est presque linéaire. Elle augmente de manière quasi parfaite avec l'âge. Plusieurs explications sont possibles. Je voudrais insister sur l'une de ces explications, précédemment évoquée par mes collègues. Il s'agit de la question de l'habitude, qui est difficile à admettre. Depuis une vingtaine d'années, les chercheurs américains ont beaucoup exploré cette question en montrant que l'habitude exerçait un effet considérable sur la participation. Elle explique entre 20 et 50 % de la participation. En se renforçant avec l'âge, cette prise d'habitude explique probablement une partie des écarts de participation.

Avec une collègue montpelliéraine, nous travaillons depuis plusieurs années sur ce sujet d'habitude. Avec des modèles économétriques, nous arrivons presque à annuler les différences entre classes d'âge. Ces différentes sont principalement et d'abord des différences d'habitude.

La politisation augmente également avec l'âge. Au fur et à mesure de la vie, nous acquérons plus d'information, plus de connaissance, plus de compréhension du jeu politique.

Il y a sans doute des effets générationnels qui sont les plus difficiles à mesurer scientifiquement. Anne Muxel a fait allusion au fait que les normes des nouvelles générations sont très différentes des générations plus anciennes. Le rapport à la norme civique est sans doute différent. Le sentiment d'obligation et le devoir civique étaient certainement plus forts auparavant. Nous savons que la jeunesse est plus individualiste, marquée par un très fort libéralisme culturel. Nous considérons le rapport aux autres plus en termes de droits individuels que de devoirs collectifs.

En conséquence, pour revenir à la question du droit de vote à 16 ans, les jeunes ne le réclament pas, mais il aurait deux effets. Il aurait un premier effet de rééquilibre de l'âge du corps électoral qui aujourd'hui est non seulement âgé, mais beaucoup plus âgé qu'il ne devrait l'être. Par le simple fait de permettre à des plus jeunes de voter, les générations seraient rééquilibrées. Nous savons que les jeunes ne sont pas porteurs des mêmes demandes. Cela aurait sans doute comme conséquence d'améliorer la représentativité globale du corps électoral.

Le deuxième effet serait d'enclencher un processus d'habitude de vote plus tôt, au moment où les jeunes seraient encore scolarisés. J'ouvre une autre question à laquelle je n'apporterai pas de réponse, sur le rôle éventuellement socialisateur de notre système éducatif qui n'accomplit absolument pas cette fonction, si nous considérons que cela devrait être le cas. Ce rôle est laissé aux familles et à des groupes qui sont très inégalement capables et préparés à le faire. On comprend qu'une famille politisée qui suit de près l'information aura plus de chances de socialiser ses enfants à la pratique électorale qu'une famille qui est très éloignée du vote et qui parfois même parle peu ou mal la langue française, ne vote pas en France. C'est l'une des raisons pour lesquelles l'abstention atteint des chiffres considérables dans la jeunesse des quartiers populaires.

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