Intervention de Céline Braconnier

Réunion du jeudi 21 octobre 2021 à 9h05
Mission d'information visant à identifier les ressorts de l'abstention et les mesures permettant de renforcer la participation électorale

Céline Braconnier, directrice de Science Po Saint-Germain-en-Laye et professeure de science politique :

. J'évoquerai en complément le caractère collectif du vote, qui fonctionne à l'entraînement des individus par les petits groupes. Contrairement à ce qu'alimente le mythe de l'isoloir, on vote d'abord en couple, et au-delà, en famille. On continue de le faire autant qu'hier. Ces mécanismes d'entraînement sont explicatifs des taux de participation encore très importants enregistrés lors de l'élection présidentielle. Ils jouent aujourd'hui à plein dans le cercle familial et génèrent de très fortes inégalités de participation électorale.

Trente ans en arrière, il existait d'autres instances de socialisation électorale : le monde du travail, qui était un lieu de politisation par la rencontre de personnes plus politisées que soi-même avec des taux de syndicalisation bien plus importants ; les quartiers et les territoires, qui étaient des espaces où il n'était pas rare de rencontrer des voisins qui étaient plus politisés que soi-même ; et l'école, qui a, dans notre histoire républicaine, joué un rôle de fabrique citoyenne plus important que cela n'est le cas aujourd'hui.

Toutes ces instances de socialisation politique sont en partie neutralisées. L'organisation de nos partis politiques explique que, dans le quotidien, sur le terrain, la politique ne prend plus la forme d'un visage rencontré. C'est quelque chose de plus lointain, qui arrive au moment des élections et qui suscite méfiance, distance.

La question de l'entraînement au vote et des instances d'entraînement au vote se pose de manière tout à fait cruciale, notamment au début de la carrière électorale. M. Dormagen a insisté avec raison sur le fait que le vote était une habitude. Nous devons parvenir à entraîner les jeunes, à accompagner les premières expériences électorales, notamment en repensant le rôle de l'école. En effet, il existe actuellement un décalage entre ce rôle consenti, théorique de l'école, et la nécessité que cet accompagnement soit plus pratique et tourné vers la réalité de la citoyenneté telle qu'elle est mise en œuvre à la majorité.

Je souhaite insister sur le rôle des instances de socialisation, et notamment de l'école, qui doivent pouvoir limiter en partie les inégalités de participation électorale.

Pourquoi l'abstention pose-t-elle un problème dans notre démocratie représentative, même si l'on observe d'autres formes d'engagement parmi la population, et notamment les plus jeunes ? Comme madame Muxel l'a expliqué avec raison, le vote reste la pratique politique la moins coûteuse. Quelle que soit la forme que prend l'engagement, le vote sera le moyen de raccrocher les personnes les plus éloignées des institutions.

Un cumul de répertoire d'actions fait que ceux qui manifestent votent également alors que l'inverse n'est pas vrai. Le vote reste moins coûteux à produire pour quelqu'un qui est resté peu longtemps scolarisé, qui est fragile et isolé. Il est plus simple d'aller voter que de prendre la parole dans une réunion ou que de manifester ou défendre une cause.

Quand l'abstention atteint un niveau très élevé (50 % de la population), les écarts de participation entre les groupes qui votent le plus (65-69 ans) et les groupes qui votent le moins (25-29 ans) sont au maximum. À certaines élections, ils sont de l'ordre de 35 à 40 points. Aussi, l'abstention recouvre de très fortes inégalités. Pour la plupart des scrutins sauf la présidentielle aujourd'hui, une forte abstention signifie que des catégories entières restent à l'écart des urnes.

Entre la présidentielle de 2017 et les législatives de 2017, la participation des jeunes s'est écroulée. Seulement 27 % des 18-30 ans ont participé à l'élection législative, contre 66 % à l'élection présidentielle. Les inégalités de participation électorale atteignent leur maximum lorsque l'abstention avoisine les 50 %.

Ensuite, lorsque l'abstention est très élevée, comme lors des récentes élections départementales et régionales, elle affecte des catégories qui sont habituellement participationnistes. L'écart diminue, mais ne doit pas atténuer l'observation assez générale des inégalités de participation électorale. Les conséquences sont très fortes sur l'offre électorale et sur les politiques publiques. Très logiquement, les candidats s'adressent avant tout à ceux qui votent. Il faut sortir de cet effet en chaîne.

Le sentiment des jeunes de ne pas être représentés ou écoutés est alimenté par le fait qu'ils restent à l'écart des urnes. Nous ne pouvons pas nous contenter de considérer qu'une partie d'entre eux peut s'engager sous d'autres formes. Si nous ne parvenons pas à élargir l'espace de participation des jeunes et à mobiliser d'autres jeunes que ceux qui sont politisés, alors, nos démocraties ont du souci à se faire. Toute une partie de la jeunesse ne peut être mise à l'écart de notre démocratie participative.

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