Intervention de Jean-Yves Dormagen

Réunion du jeudi 21 octobre 2021 à 9h05
Mission d'information visant à identifier les ressorts de l'abstention et les mesures permettant de renforcer la participation électorale

Jean-Yves Dormagen, professeur de science politique à l'université de Montpellier :

L'article auquel vous faites référence ne portait pas particulièrement sur l'abstention, mais sur les nouveaux clivages que l'on peut repérer dans certains quartiers, comme celui que nous étudions. Tout au long de nos études de terrain, nous avions été marqués par l'ethnicisation des identités, des représentations, des affrontements, entre groupes qui se définissaient essentiellement par leurs origines ou par des traits ou éléments raciaux.

Si nous raisonnons en termes d'incitation à voter, il est clair que la situation des Français d'origine étrangère est sans doute celle pour laquelle le vote est le plus difficile. Leurs familles ont été socialisées dans d'autres contextes politiques et elles continuent souvent à suivre la vie politique de leur pays d'origine, ce qui est bien évidemment normal. Les enfants bénéficient d'une faible socialisation à la politique française dans leur milieu familial. Cela crée un handicap supplémentaire en termes d'accès à la citoyenneté, que l'éducation civique pourrait venir combler si les dispositifs étaient ajustés à cet objectif, ce qui n'est pas le cas.

Une réflexion devra sans doute être engagée sur la manière dont l'école fabrique des citoyens. Il me semble qu'il s'agit d'un grand sujet démocratique.

Nous avons mené des expérimentations sur les dispositifs de facilitation du vote. Nous avons mesuré l'effet de la quasi-suppression de la procédure d'inscription sur la participation électorale à l'occasion des élections présidentielles de 2012 et des élections régionales de 2015, en collaboration avec La Poste (les facteurs se proposaient de remplir ce service, notamment auprès des nouveaux habitants). Dans les deux cas, les résultats ont été très concluants. Le groupe test, qui probablement se serait peu inscrit ou peu réinscrit, a voté à presque 90 %. Affranchis de la procédure d'inscription, de nombreux citoyens deviennent votants au moins lors de l'élection présidentielle.

La limite du dispositif est son financement. Les maires pouvaient s'en emparer s'ils le souhaitaient, et cela donné des résultats positifs, mais trop peu d'entre eux l'ont fait, malheureusement.

Ces simples expérimentations montrent à quel point faciliter le vote augmente la participation électorale.

La participation est d'abord une réponse à une offre politique. Il faut souligner que l'électorat est aujourd'hui intermittent dans la plupart des démocraties avancées. Il n'existe pas de « divorce » ou de « séparation » entre les citoyens et la pratique électorale. Certaines facilités médiatiques ou journalistiques ne rendent absolument pas compte de la réalité. La quasi-totalité des citoyens continue de voter et est prête à se mobiliser sous réserve que l'offre (la campagne électorale) leur en donne envie. Cette situation n'est pas propre à la France. Les États-Unis ont battu des records de participation électorale lors du duel Trump-Biden. Les Pays-Bas ont récemment voté à 80 %, alors que l'abstention était très élevée quelques mois plus tôt.

Il n'existe pas de solution technique à la question de l'abstention, mais des solutions procédurales qui permettent, à offre constante, d'augmenter la participation. Nous ne pouvons qu'espérer que ces procédures soient mises en œuvre. Nous explorons la question du vote par correspondance ou du vote électronique. À l'ère du numérique, une grande démocratie comme la France doit a minima permettre à ses citoyens d'effectuer des procurations directement en ligne.

La propagande digitale soulève la question plus globale du prix que nous sommes prêts à payer pour la démocratie. La France est un pays qui dépense plutôt peu pour ses campagnes électorales pour diverses raisons. Un débat démocratique doit avoir lieu sur le sujet du coût de la démocratie.

Par ailleurs, une réflexion doit être lancée sur les contraintes juridiques dont la dimension vertueuse est de limiter les fraudes. Aujourd'hui, on limite les capacités de mobilisation et je me demande si cela est souhaitable.

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