Intervention de Raphaël Schellenberger

Réunion du mercredi 27 octobre 2021 à 14h00
Mission d'information visant à identifier les ressorts de l'abstention et les mesures permettant de renforcer la participation électorale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaRaphaël Schellenberger, secrétaire général adjoint des Républicains :

Merci d'avoir organisé cette table ronde et d'avoir convié les partis politiques à venir y débattre publiquement. En effet, le sujet de l'abstention les concerne constitutionnellement au premier chef, puisque la Constitution leur reconnaît le rôle de concourir à l'expression du suffrage.

Mon propos sera sévère quant à ce qui s'est passé ces dernières années. On a cherché à discréditer le rôle des partis politiques, voire à les rendre responsables de certains dysfonctionnements de l'État, de la décision publique, de son efficacité, bref à faire d'eux des boucs émissaires. C'est l'une des raisons de l'augmentation de l'abstention et du débat qu'a évoqué Stanislas Guerini sur la représentativité et la légitimité de tel ou tel élu. Mais tout cela n'est que la résultante d'un continuum de plusieurs années pendant lesquelles on n'a cessé de taper sur les partis politiques à propos des dysfonctionnements supposés de la démocratie.

Les partis politiques jouent un rôle essentiel dans la construction de la décision publique. Celle-ci correspond à la façon dont nous – opposition et majorité, partis à la conquête du pouvoir ou partis au pouvoir – prenons ensemble des décisions qui concernent le plus grand nombre. Pour cela, nous partons de points différents ; nous devons donc avoir préalablement construit des clivages. Dans un débat politique, les partis politiques, même s'il existe souvent des divisions en leur sein, jouent ainsi le rôle d'outils permettant de construire des positions différentes, solides, qui peuvent ensuite s'opposer publiquement, dans les urnes et dans les hémicycles, pour aboutir à une décision publique.

Or le processus discursif apparu au cours des dernières années chez certains candidats, voire élus, notamment en 2017, a consisté à défaire l'idée même de parti politique, cette idée que la décision publique est le fruit d'une vision de la société, pas toujours partagée – une décision ne peut jamais convenir à tout le monde –, mais pouvant convenir au plus grand nombre. Aucune décision de raison ne s'impose : derrière toute raison, il y a en réalité une idéologie. Ces dernières années, on a cherché à effacer l'idéologie pour la faire passer pour de la raison. C'est l'une des causes principales de la désespérance politique : on a voulu effacer le clivage. Pourtant, il n'y a pas des décisions raisonnables d'une part, irresponsables de l'autre, il n'y a pas des idées que l'on pourrait mettre en œuvre et d'autres qui seraient complètement ubuesques : il y a des visions différentes de la société. Chacun peut considérer que toutes ne se valent pas, c'est le propre de la bataille électorale, mais il faut que chacun puisse structurer sa pensée ; or c'est au sein de partis politiques qu'on le fait, dans le temps long.

Peut-être les partis politiques ont-ils eux aussi une responsabilité dans cette déconstruction. Je songe à la conquête du pouvoir par le discrédit du parti politique ; c'était traditionnellement le propre des partis populistes, contestataires, prompts à désigner comme responsables le système et les partis qu'ils y rattachaient ; mais cela a aussi été la stratégie d'Emmanuel Macron et de La République en marche en 2017, d'où la construction d'un outil de conquête extérieur au système partisan, ce à quoi le problème que nous rencontrons n'est pas sans faire écho.

Les partis politiques sont aussi responsables – on le voit dans le débat politique qui se prépare – d'avoir voulu transformer leur fonction constitutionnelle et institutionnelle en marque électorale. Ainsi La France insoumise, qui avait pris ce nom parce que le Front de gauche ne fonctionnait pas, devient-elle aujourd'hui l'Union populaire.

S'y ajoute la volonté systématique d'effacer les corps intermédiaires – outre les partis, les syndicats, les fédérations, les grandes structures représentatives –, qui contribue à la déconstruction de la représentativité. Celle-ci, en effet, ne provient pas d'une seule assemblée, mais de tout un système institutionnel. Parce que notre société s'accélère, parce que nous nouons plus vite des liens, échangeons plus vite des informations et des idées, on s'imagine que l'on pourrait s'affranchir des corps intermédiaires ; en réalité, cela concourt à déliter ce qui fait sens, ce qui rassemble, comme si ce qui nous est commun était réductible à la somme de nos vies. Les outils de structuration intermédiaire sont pourtant essentiels. Il faut donc réfléchir au rôle des CESER (conseils économiques, sociaux et environnementaux régionaux) et à la place des syndicats et des fédérations.

Enfin, il faut que les électeurs puissent se reconnaître dans les enjeux d'un scrutin, ce qui est devenu difficile s'agissant des élections départementales et régionales – celles dont le fort taux d'abstention a déclenché la création de cette mission d'information. La loi portant nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRe) et la fusion des régions ont contribué à rendre les enjeux imperceptibles par nos concitoyens. Lors des dernières élections, a-t-on entendu beaucoup de candidats défendre avec force des visions différentes de leur territoire ? Quand, aux élections régionales, les bleus disent « on va faire mieux de trains », les rouges « on va faire plus de trains » et les verts « on va faire autrement de trains », quelle différence, de prime abord ? Le problème n'est pas la concomitance des départementales et des régionales, mais la ressemblance entre les projets politiques à des échelles qui ne sont pas toujours pertinentes pour mener des politiques publiques. Les grandes régions ne facilitent pas l'identification territoriale. Or le mot d'identité n'est pas un gros mot en politique ; les identités sont un facteur de mobilisation électorale sur lequel il faut aussi jouer, en construisant des institutions qui soient à la bonne échelle de ce point de vue.

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