Table ronde de responsables de partis politiques : M. Stanislas Guerini, délégué général de La République en marche, M. Raphaël Schellenberger, secrétaire général adjoint des Républicains, M. Patrick Mignola, président du groupe Mouvement démocrate et démocrates apparentés de l'Assemblée nationale, Mme Corinne Narassiguin, secrétaire nationale à la coordination, à la communication et aux moyens du Parti socialiste, M. Philippe Ballard, porte-parole du Rassemblement national, et M. Olivier Henno, secrétaire général de l'Union des démocrates et indépendants.
La séance est ouverte à 14 heures 05.
Présidence de M. Xavier Breton, président.
Nous auditionnons des responsables de partis politiques, pour la plupart parlementaires ou anciens parlementaires.
La France insoumise et le Parti communiste n'ont pas répondu à notre invitation.
La table ronde est ouverte à la presse, retransmise en direct sur le site internet de l'Assemblée, et fera l'objet d'un compte rendu.
Cette table ronde, à laquelle j'ai tenu à prendre part moi-même, est bienvenue, car le sujet dont vous vous occupez, absolument essentiel, mérite toute l'attention des formations politiques. On en parle beaucoup moins qu'au lendemain des élections départementales et régionales : dans le débat politique, on a la mémoire courte, une séquence chasse l'autre ; pourtant, les sondages en vue de l'élection présidentielle auxquels on s'intéresse aujourd'hui n'ont absolument aucun sens, puisqu'ils sont fondés sur une participation qui n'est pas du tout acquise. La corrélation entre élection présidentielle et forte participation n'a en effet rien de garanti.
La qualité du dialogue que nous allons nouer est importante : le sujet doit nous rassembler de façon transpartisane, en tout cas réunir toutes celles et ceux qui croient en la démocratie et souhaitent que les représentants du peuple disposent d'une capacité à agir – je vais revenir sur cette notion.
On constate aujourd'hui un cercle vicieux démocratique. La notion de démocratie doit être au cœur de nos débats, non pour parler institutions et modalités de fonctionnement, mais au sujet de notre capacité à agir. En effet, la faible participation aux élections rogne la légitimité des représentants du peuple. Ce sentiment est très alimenté par certains membres de la classe politique qui peuvent trouver un intérêt à saper les fondements mêmes de la démocratie. Ainsi, au début de notre mandat, la représentativité des élus, particulièrement de la majorité, était systématiquement remise en cause en raison de faibles taux de participation ; c'est dangereux, car c'est alors la capacité à agir des représentants qui est en question, et il y a là un cercle vicieux, car cette idée nuit à la confiance, carburant de la démocratie.
Ainsi, la crise actuelle de la démocratie est avant tout une crise de l'efficacité du politique. Si nous étions plus efficaces pour régler les problèmes quotidiens de nos concitoyens, les questions de démocratie que nous nous posons aujourd'hui passeraient au deuxième ou au troisième plan.
C'est particulièrement vrai des jeunes générations, parmi lesquelles la distance vis-à-vis des scrutins et le très faible taux de participation sont intimement liés à un jugement très dur sur la capacité des politiques à résoudre les problèmes. Frédéric Dabi le montre très bien dans La Fracture. L'idée de démocratie est désormais majoritairement associée par les jeunes à celle d'absence de résultat et à l'échec des derniers quinquennats. Dans ce contexte, il n'est pas étonnant que la tentation autoritaire progresse chez les jeunes générations. Le fait qu'un tiers des jeunes ne verraient pas d'un mauvais œil l'instauration d'un pouvoir autoritaire devrait inciter tous les démocrates à s'interroger.
Au total, les causes de l'abstention sont multiples, les unes conjoncturelles, les autres structurelles. On aurait tort de les limiter à des questions d'outil, même s'il convient de moderniser les scrutins. Certaines sont profondes, sociétales. Dans La France sous nos yeux, Jérôme Fourquet et Jean-Laurent Cassely détaillent ainsi l'avènement d'une société de consommation où le client est roi, une société de bulles qui crée une sorte d'enfermement et alimente parfois une vision consumériste de la démocratie, d'où les taux de participation lors de certains votes. Aux raisons liées à la crise de l'efficacité s'ajoutent la nature et l'organisation du débat politique. Le mot qui revient le plus souvent dans la bouche de nos concitoyens à propos des partis et de la vie politique est celui de dégoût. Il doit nous heurter, nous, responsables politiques. Ce dégoût est inspiré par la violence de nos débats.
Je citerai quatre pistes d'action. Premièrement, la modernisation et la transformation du système électoral. Deuxièmement, l'organisation institutionnelle, en se concentrant sur les questions de responsabilité et de représentativité. Troisièmement, l'efficacité. Quatrièmement, la qualité de nos débats démocratiques.
Merci d'avoir organisé cette table ronde et d'avoir convié les partis politiques à venir y débattre publiquement. En effet, le sujet de l'abstention les concerne constitutionnellement au premier chef, puisque la Constitution leur reconnaît le rôle de concourir à l'expression du suffrage.
Mon propos sera sévère quant à ce qui s'est passé ces dernières années. On a cherché à discréditer le rôle des partis politiques, voire à les rendre responsables de certains dysfonctionnements de l'État, de la décision publique, de son efficacité, bref à faire d'eux des boucs émissaires. C'est l'une des raisons de l'augmentation de l'abstention et du débat qu'a évoqué Stanislas Guerini sur la représentativité et la légitimité de tel ou tel élu. Mais tout cela n'est que la résultante d'un continuum de plusieurs années pendant lesquelles on n'a cessé de taper sur les partis politiques à propos des dysfonctionnements supposés de la démocratie.
Les partis politiques jouent un rôle essentiel dans la construction de la décision publique. Celle-ci correspond à la façon dont nous – opposition et majorité, partis à la conquête du pouvoir ou partis au pouvoir – prenons ensemble des décisions qui concernent le plus grand nombre. Pour cela, nous partons de points différents ; nous devons donc avoir préalablement construit des clivages. Dans un débat politique, les partis politiques, même s'il existe souvent des divisions en leur sein, jouent ainsi le rôle d'outils permettant de construire des positions différentes, solides, qui peuvent ensuite s'opposer publiquement, dans les urnes et dans les hémicycles, pour aboutir à une décision publique.
Or le processus discursif apparu au cours des dernières années chez certains candidats, voire élus, notamment en 2017, a consisté à défaire l'idée même de parti politique, cette idée que la décision publique est le fruit d'une vision de la société, pas toujours partagée – une décision ne peut jamais convenir à tout le monde –, mais pouvant convenir au plus grand nombre. Aucune décision de raison ne s'impose : derrière toute raison, il y a en réalité une idéologie. Ces dernières années, on a cherché à effacer l'idéologie pour la faire passer pour de la raison. C'est l'une des causes principales de la désespérance politique : on a voulu effacer le clivage. Pourtant, il n'y a pas des décisions raisonnables d'une part, irresponsables de l'autre, il n'y a pas des idées que l'on pourrait mettre en œuvre et d'autres qui seraient complètement ubuesques : il y a des visions différentes de la société. Chacun peut considérer que toutes ne se valent pas, c'est le propre de la bataille électorale, mais il faut que chacun puisse structurer sa pensée ; or c'est au sein de partis politiques qu'on le fait, dans le temps long.
Peut-être les partis politiques ont-ils eux aussi une responsabilité dans cette déconstruction. Je songe à la conquête du pouvoir par le discrédit du parti politique ; c'était traditionnellement le propre des partis populistes, contestataires, prompts à désigner comme responsables le système et les partis qu'ils y rattachaient ; mais cela a aussi été la stratégie d'Emmanuel Macron et de La République en marche en 2017, d'où la construction d'un outil de conquête extérieur au système partisan, ce à quoi le problème que nous rencontrons n'est pas sans faire écho.
Les partis politiques sont aussi responsables – on le voit dans le débat politique qui se prépare – d'avoir voulu transformer leur fonction constitutionnelle et institutionnelle en marque électorale. Ainsi La France insoumise, qui avait pris ce nom parce que le Front de gauche ne fonctionnait pas, devient-elle aujourd'hui l'Union populaire.
S'y ajoute la volonté systématique d'effacer les corps intermédiaires – outre les partis, les syndicats, les fédérations, les grandes structures représentatives –, qui contribue à la déconstruction de la représentativité. Celle-ci, en effet, ne provient pas d'une seule assemblée, mais de tout un système institutionnel. Parce que notre société s'accélère, parce que nous nouons plus vite des liens, échangeons plus vite des informations et des idées, on s'imagine que l'on pourrait s'affranchir des corps intermédiaires ; en réalité, cela concourt à déliter ce qui fait sens, ce qui rassemble, comme si ce qui nous est commun était réductible à la somme de nos vies. Les outils de structuration intermédiaire sont pourtant essentiels. Il faut donc réfléchir au rôle des CESER (conseils économiques, sociaux et environnementaux régionaux) et à la place des syndicats et des fédérations.
Enfin, il faut que les électeurs puissent se reconnaître dans les enjeux d'un scrutin, ce qui est devenu difficile s'agissant des élections départementales et régionales – celles dont le fort taux d'abstention a déclenché la création de cette mission d'information. La loi portant nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRe) et la fusion des régions ont contribué à rendre les enjeux imperceptibles par nos concitoyens. Lors des dernières élections, a-t-on entendu beaucoup de candidats défendre avec force des visions différentes de leur territoire ? Quand, aux élections régionales, les bleus disent « on va faire mieux de trains », les rouges « on va faire plus de trains » et les verts « on va faire autrement de trains », quelle différence, de prime abord ? Le problème n'est pas la concomitance des départementales et des régionales, mais la ressemblance entre les projets politiques à des échelles qui ne sont pas toujours pertinentes pour mener des politiques publiques. Les grandes régions ne facilitent pas l'identification territoriale. Or le mot d'identité n'est pas un gros mot en politique ; les identités sont un facteur de mobilisation électorale sur lequel il faut aussi jouer, en construisant des institutions qui soient à la bonne échelle de ce point de vue.
Je vous prie d'excuser l'absence du président Bayrou, que je représente avec Isabelle Florennes, porte-parole de notre groupe. Je vous ai fait distribuer un document présentant le travail réalisé par le Mouvement démocrate sur la lutte contre l'abstention électorale.
Si, comme l'ont très bien dit les deux orateurs précédents, les causes de l'abstention sont multiples, on peut répondre au phénomène – en dehors de la nécessaire réflexion politique qu'il doit susciter sur notre action, ses résultats et la manière de mieux faire vivre notre démocratie – par des propositions pratiques ou techniques. Je rappellerai donc en quelques mots les plus emblématiques des vingt propositions concrètes formulées par le Mouvement démocrate il y a quelques mois, en leur en ajoutant quelques autres qui émanent de notre groupe parlementaire.
Le premier objectif est de faciliter l'inscription sur les listes électorales. À cette fin, nous proposons d'améliorer la procédure de modification de l'inscription – 9 à 10 millions de Français sont mal ou non inscrits.
De ce point de vue, l'automatisation des inscriptions, dans le respect du règlement général sur la protection des données (RGPD), et la notification des modifications à nos concitoyens permettraient de mieux gérer les listes.
De même, au sein des collectivités locales, de l'encadrement des procédures et de la régularité des nettoyages. Peut-être pourrait-on également – à plus court terme, en vue des prochaines échéances – raccourcir le délai maximal entre l'inscription et l'élection, en le ramenant à un mois, ce qui ne nuirait pas à la sincérité du scrutin et permettrait probablement à un plus grand nombre d'électeurs d'y participer.
Nous proposons aussi la création d'un émargement numérique national.
Enfin, parce qu'il s'agit d'un sujet important – de ceux, cités par Stanislas Guerini, dont on parle dans les deux jours qui suivent le vote pour les oublier ensuite –, il faut former et valoriser les présidents et assesseurs des bureaux de vote, qui pourraient être désignés par les élus locaux pour une période donnée plutôt que pour un unique scrutin, ce qui est toujours plus difficile.
Deuxième objectif : la modernisation du vote par des outils répondant aux attentes de nos concitoyens, en tout cas leur permettant de participer davantage au scrutin.
À cette fin, notre première proposition est d'introduire le vote par correspondance, que toutes les grandes démocraties du monde utilisent sans qu'il nuise à la sincérité du scrutin. Cette avancée majeure fait malheureusement partie des objectifs que la majorité à laquelle nous appartenons n'a pas pu atteindre au cours de la législature. Ne ratons plus l'occasion ; il serait difficile de modifier les règles du scrutin d'ici à l'élection présidentielle et aux élections législatives, mais ce devra être fait pendant la prochaine législature.
Quant au vote par internet – dans notre société, nous faisons désormais tant de choses par internet ! –, il devrait être au moins expérimenté, puisque nous n'avons pas le même recul que sur le vote par correspondance s'agissant du risque de fraude. Il est en tout cas absolument incompréhensible, notamment pour les plus jeunes générations, que nous n'ayons pas recours à cette manière d'exprimer notre choix.
Nous proposons ensuite la généralisation des machines à voter pour les communes qui le souhaitent et le peuvent, éventuellement accompagnées par l'État. Certaines communes attendent que le ministère de l'Intérieur émette enfin un avis définitif à la suite d'une expérimentation vieille de douze ans, dont nous devons tirer les conséquences. Cet outil est lui aussi utilisé dans de très nombreuses grandes démocraties.
Enfin, le portage de procuration devrait être ouvert aux citoyens d'un même département et non plus seulement d'une même commune. Cela faciliterait la vie du citoyen électeur.
Pour garantir le pluralisme – troisième objectif –, parce que c'est le fait de se sentir représenté qui donne envie d'aller voter, nous proposons de manière répétée et depuis longtemps – nous n'abandonnerons jamais ce combat – l'introduction d'un nouveau mode de scrutin, plus représentatif : la proportionnelle, dans toutes ses variations possibles, dont la plus juste, la plus équilibrée et celle qui permet de dégager des majorités est le scrutin proportionnel intégral incluant un seuil d'éligibilité à 5 %.
Nous devrons également, sans figer notre position à l'avance, débattre, peut-être à l'occasion de l'élection présidentielle, du vote blanc et du vote obligatoire. La prise en compte du vote blanc pourrait par exemple être expérimenté lors de scrutins locaux au cours de la prochaine législature.
Dans le même esprit, il faut instaurer une banque de la démocratie – l'un des grands engagements du Mouvement démocrate –, car certains partis politiques ou candidats ont du mal à accéder à des moyens bancaires leur permettant de promouvoir leurs idées, alors qu'il n'est pas concevable que ce soit une difficulté d'ordre financier qui empêche de défendre des convictions.
Enfin, il faut réfléchir à l'application de la parité dans les plus petites communes. D'ici aux prochains scrutins, en 2026, il ne devrait plus y avoir de différence à cet égard selon que l'on réside dans une commune de plus ou de moins de 1 000 habitants.
Notre quatrième objectif est de développer l'esprit citoyen, en autorisant la publicité politique dans la presse et sur les réseaux sociaux jusqu'à une date plus proche du scrutin qu'aujourd'hui, en incitant les distributeurs de services audiovisuels, notamment les chaînes de télévision régionales et les radios locales, à diffuser des émissions consacrées à la vie publique et électorale, en généralisant les conseils municipaux de jeunes et les simulations de vote dans les établissements scolaires, enfin en créant une application électorale qui renseignerait chacun sur sa situation de citoyen, son inscription sur les listes électorales et la date des prochaines élections.
Le dernier objectif est d'assurer la participation des plus fragiles, d'abord en introduisant des référentiels de l'accessibilité électorale, celle des bureaux de vote, des bulletins, des capacités, des isoloirs. Car il n'existe pas de référentiel qui s'appliquerait en tout point du territoire pour nos concitoyens en situation de handicap. De même, nous pourrions rendre obligatoire la présence sur les bulletins de vote de la photographie du candidat ou de la tête de liste et d'un code-barres matriciel, que ce soit pour nos concitoyens qui ont des difficultés à lire ou pour ceux qui sont atteints de déficience visuelle. Enfin, il semble absolument indispensable de créer en vue des prochains scrutins un service public de transport vers les bureaux de vote pour les personnes ayant des difficultés à se déplacer ou ne le pouvant pas du tout.
À ces propositions, j'ajouterai quelques réflexions supplémentaires. S'agissant de l'école, il faut que l'instruction civique soit beaucoup plus régulière. Il ne s'agit pas d'en faire une discipline parmi les autres, évoquée une ou deux fois au cours du premier cycle, puis du second cycle, et plus jamais ensuite. Nombre de nos concitoyens ne connaissent pas la différence entre un conseil départemental et un conseil régional, ni même les règles d'organisation de la vie publique.
Enfin, essayons d'être modernes. Comment peut-on imaginer diffuser les professions de foi sans utiliser les outils de médiatisation de toute la société ?
Il faut se soucier dès maintenant de la façon dont elles seront distribuées en mai et juin 2022, compte tenu des dernières expériences malheureuses en la matière. Je le dis ici afin que cela soit inscrit au compte rendu : le ministère de l'Intérieur doit décider soit de mieux choisir ses prestataires délégataires, soit de revenir à la situation antérieure. Nous avons des souvenirs cuisants de professions de foi non ou sous distribuées – parfois, celles de la moitié des candidats seulement sont arrivées à destination.
Quoi qu'il en soit, il est possible de diffuser les professions de foi sur les réseaux sociaux et dans les médias propres à chaque classe d'âge.
Nous aurons aussi besoin d'une application de suivi des politiques publiques, sur le modèle de celle qu'a lancée le Gouvernement, mais à l'échelle locale, pour connaître les effets des mesures prises. La meilleure façon d'être incité à voter, c'est de savoir à quoi cela sert. Or, dans notre société tellement informée qu'elle l'est mal, on a toutes les peines du monde à saisir les effets sur son propre quotidien d'une décision prise il y a six mois.
À cet égard, nous aurons à travailler dans d'autres champs – l'équilibre des pouvoirs, la participation citoyenne, l'extension du recours aux référendums, nationaux et locaux, la simplification du millefeuille territorial. Mais il s'agira d'autres réflexions ; j'ai voulu me limiter pour le moment à des propositions techniques et pratiques.
Il est assez rassurant de constater que, dans les grandes lignes, nos analyses et nos propositions convergent.
Au Parti socialiste, au cours des derniers mois, nous avons eu l'opportunité de réfléchir à des propositions techniques pour lutter contre l'abstention : du fait des circonstances très particulières de l'organisation des élections en période d'épidémie, le ministère de l'Intérieur a mené des consultations et des sénateurs ont pris des initiatives qui se sont notamment traduites par la proposition de loi d'Éric Kerrouche. Il s'agissait du vote par correspondance, mais aussi de l'information publique sur l'utilité des élections et la fonction des collectivités locales. Ces éléments, proposés dans un contexte exceptionnel, indiquent plus généralement l'esprit dans lequel nous abordons la question : ceux qui veulent voter sont empêchés de le faire dans de bonnes conditions et ceux qui ne voient pas encore l'utilité du vote ont besoin d'avoir accès à une information motivante.
Cela étant, nous sommes tous d'accord sur le fait que la situation est très complexe et demande des solutions d'envergure dans le temps long. Outre la question du vote par correspondance, des propositions sont formulées sur la modernisation de l'inscription sur les listes électorales, du changement d'adresse, de l'établissement des procurations ; il faut aussi mettre sur la table le vote par internet, expérimenté depuis longtemps pour les Français de l'étranger, dont j'ai été la représentante, et qui pourrait être utilisé lors d'élections pilotes. Mais il faut avoir conscience de leur coût, ainsi que des enjeux de sécurité, auxquels mon parcours professionnel m'a sensibilisée.
Comment convaincre les gens de voter ? Aux États-Unis, lors de l'élection présidentielle de 2020, alors que le pays connaissait depuis très longtemps un taux d'abstention considérable, véritable plaie pour la démocratie, et que le contexte épidémique était bien pire qu'en France, la participation a atteint un record. Nous pouvons en tirer quelques leçons. Dans les États qui ont accru les moyens de faciliter le vote, par le vote par correspondance, le vote anticipé, l'aide aux déplacements, et là où, en amont, les réseaux associatifs et militants ont beaucoup œuvré pour faciliter l'inscription sur les listes électorales, ces démarches expliquent la forte participation. Surtout, tout le monde comprenait l'enjeu politique de l'élection.
Or, s'il faut continuer d'explorer la manière d'améliorer les processus techniques pour faciliter le vote, le problème auquel nous cherchons en vain des solutions depuis plusieurs décennies est politique. Les citoyens méprisent de plus en plus l'appareil, les représentants, les partis politiques. Certains candidats en jouent en fondant leur campagne sur le dégagisme. En outre, le fait qu'avec l'explosion des réseaux sociaux chacun peut donner son opinion sans filtre, sans différenciation entre les informations vérifiées et les fake news, a créé beaucoup de confusion, accéléré la détérioration du débat démocratique et encore facilité le dénigrement du politique.
Bien que les maires restent les élus les plus épargnés, les plus populaires, car les gens savent à quoi ils servent, le taux de participation tend à baisser même aux élections municipales, y compris avant le covid. C'est lors de l'élection présidentielle qu'il est le plus élevé, parce que tout le monde sait – ou pense savoir – à quoi sert un Président de la République. Pour les autres élections, c'est une question d'éducation civique, ce qui veut dire qu'il y a un travail à faire à l'école, mais aussi vis-à-vis de ceux qui sont déjà votants et qu'il faut ramener vers les urnes. Nous devons y réfléchir collectivement, partis, candidats, élus, mais aussi médias, qui détiennent une responsabilité dans la qualité, la conduite et les sujets du débat démocratique. Il faut s'interroger sur les moyens dont dispose le Conseil supérieur de l'audiovisuel pour garantir l'équité s'agissant de la représentation politique dans les médias. La régulation se heurte au fait que la communication passe désormais beaucoup par les réseaux sociaux, sur lesquels le CSA n'a pas prise. Nous devons également y réfléchir tous, non pour contrôler, mais, au contraire, pour garantir la qualité du débat.
Nous pouvons converger à propos des aspects opérationnels et techniques ; mais, au niveau politique, c'est à chacun de nos partis de prendre ses responsabilités en ce qui concerne la qualité du débat, la pratique de la politique et l'exercice du pouvoir dans le respect des corps intermédiaires et des élus. Parce que nous sommes responsables du délitement de la confiance des électeurs, nous nous devons de la reconstruire, non seulement en exerçant notre mission d'élu, mais aussi en renonçant au populisme et à la facilité du conformisme anti-élus et en assumant la nécessité de revaloriser les élus. Ils font leur travail, pour la plupart d'entre eux, et c'est difficile, surtout pour les élus locaux, qui ne touchent pas beaucoup d'indemnités, et plus généralement parce que l'on prend du temps à sa vie de famille par dévouement à l'intérêt collectif. Cette réhabilitation passe par la parole de chacun d'entre nous.
J'ai l'honneur de représenter ici Jordan Bardella.
Si nous participons à cette mission d'information, c'est parce que l'heure est grave : les élus perdent en légitimité, les taux d'abstention sont très élevés, la représentativité fait cruellement défaut – selon les études qualitatives conduites après les dernières élections départementales et régionales, deux catégories se sont massivement déplacées lors du scrutin : les « CSP+ » et les seniors.
Si l'on continue sur cette pente, si l'on tangente à 25 % de participation, la démocratie est en péril. Cela me touche, car, dans mon ancienne vie, j'ai été reporter dans des pays en guerre civile où, quand on n'était pas d'accord, on prenait une kalachnikov et on se tirait dessus. Ici, alors que nous ne venons pas du tout des mêmes partis, nous dialoguons courtoisement. Mais, si la participation reflue encore davantage, quel moyen d'expression utilisera-t-on ? C'est un signal d'alarme.
Pourquoi en est-on arrivé là ? Beaucoup de signaux ont été envoyés au cours des dernières années. Lors du référendum de 2005, alors que le non l'emporte à 55 %, le pouvoir en place ne trouve rien de mieux à faire que de mettre ce résultat à la poubelle et de passer par un moyen détourné pour parvenir à ses fins. « À quoi sert d'aller voter ? » J'ai entendu cette phrase à de multiples reprises au cours de la campagne pour les élections régionales. J'ai noté les mots qui m'ont le plus marqué : « je n'y crois pas » ; « je n'y crois plus » ; « ça ne sert à rien » ; « tous les mêmes ».
Il y a aussi Bruxelles : nous avons perdu notre souveraineté – c'est un axe fondamental de notre combat politique. Nous avons transféré à Bruxelles de plus en plus de pouvoirs, financier, économique, etc. De même – on l'entend quand on va à la rencontre des Français –, nous avons perdu des marges de manœuvre à cause des marchés financiers. Comme dans la chanson de Dutronc, « fais pas ci, fais pas ça, ou sinon gare à toi » ! Il faut vraiment faire attention à tous ces signaux.
Chaque année, le centre de recherches politiques de Sciences Po (CEVIPOF) demande aux Français de classer les institutions en fonction du degré de confiance qu'ils leur accordent. Sur le podium, on trouve les hôpitaux publics, les services d'urgence et les pompiers – c'est normal –, puis l'armée – à laquelle 70 % à 75 % de nos compatriotes font confiance alors que ce taux était très bas il y a trente ou quarante ans –, les policiers et les gendarmes. À l'avant-dernière place, on trouve les médias, et tout en bas du classement, le personnel politique. Nous devons garder à l'esprit ces données.
Pour notre part, nous souhaitons évidemment l'instauration de la proportionnelle. Est-il normal que le Rassemblement national ne soit représenté à l'Assemblée nationale que par une poignée de députés alors que Marine Le Pen a obtenu 11 millions de voix au second tour de l'élection présidentielle de 2017 ?
Nous sommes également favorables aux référendums, non seulement organisés par l'exécutif, mais également d'initiative citoyenne, lorsqu'une proposition de loi recueille 500 000 signatures.
M. Mignola a appelé de ses vœux la création d'une banque de la démocratie. Est-il normal qu'un parti de premier plan ait du mal à financer une campagne électorale à venir ?
Les problèmes relatifs aux professions de foi ont été évoqués tout à l'heure. Lors des derniers scrutins, certains électeurs ont reçu dans leur boîte aux lettres la propagande électorale de candidats d'autres départements ou d'autres régions. Il est donc légitime de poser cette question.
Enfin, lorsque M. Guerini faisait référence à des livres tout à l'heure, je pensais pour ma part à L'Archipel français de Jérôme Fourquet. Nos concitoyens se sentent désormais membres de communautés. Y a-t-il encore une nation commune ? L'incitation à la participation électorale sera peut-être l'un des remèdes au malaise actuel.
Beaucoup de choses ont déjà été dites. J'aimerais aborder ce sujet avec humilité car j'appartiens à une génération qui, pendant les années 1980 et 1990, ne s'est pas souciée du niveau de la participation électorale. Lorsqu'il baissait, nous n'en faisions pas un drame, considérant que les abstentionnistes avaient délégué leur droit de vote aux électeurs qui s'étaient déplacés.
Aujourd'hui, cependant, nous avons franchi le seuil d'alerte. Aux dernières législatives, le taux de participation avait déjà sensiblement diminué. Aux dernières municipales, on a évoqué la crainte du covid mais on aurait pu croire que les électeurs se seraient davantage mobilisés pour des enjeux locaux – pour encourager la participation, on avance souvent l'argument de la proximité. Aux dernières régionales et départementales, les choses ne se sont pas améliorées. La situation est grave, et je salue la création de votre mission d'information. La baisse de la participation est d'autant plus préoccupante qu'elle ne touche pas toutes les couches de la société. La mobilisation est très différenciée. Le dernier livre de Frédéric Dabi est, à cet égard, assez intéressant : l'analyse des niveaux de participation électorale révèle une fracture sociale, une fracture générationnelle et une fracture territoriale. Au-delà de la crise sanitaire, il y a donc un véritable malaise. À mon sens, l'abstention revêt une signification politique : elle exprime une protestation, et sans doute aussi parfois un désespoir.
Une fois le diagnostic posé, nous devons nous interroger sur les remèdes possibles. Je suis assez dubitatif s'agissant des solutions techniques : il est des repères – le bureau de vote, l'isoloir, l'urne – auxquels il ne faut toucher que d'une main tremblante. Je ne crains pas de paraître vieux jeu sur ces questions. La défiance d'une partie des électeurs résulte-t-elle de difficultés techniques ou est-elle plus profonde ? Quand il y a un scrutin, en démocratie, il faut que les minoritaires acceptent le résultat sorti des urnes, qu'ils le considèrent comme honnête et juste, et qu'ils ne viennent pas le contester. Or, aux États-Unis, beaucoup d'électeurs républicains sont absolument persuadés que le résultat de la dernière élection présidentielle n'est pas équitable. Ce sentiment n'est pas seulement celui d'originaux ou de complotistes : il est très répandu dans la société américaine. Si, en France, le résultat issu des bureaux de vote venait à être modifié par le dépouillement des bulletins reçus par correspondance, je ne suis pas sûr que cela renforcerait l'image et la légitimité des candidats élus ; au contraire, je crains que cela entraîne, comme aux États-Unis, des frictions très fortes et que cela accroisse encore la défiance envers la démocratie. Notre système est sans doute imparfait, mais il a au moins un mérite : la minorité ne remet pas en cause le résultat et accepte la victoire de la majorité.
J'en viens au problème des machines à voter, dont j'ai discuté avec le maire d'Issy-les-Moulineaux, M. André Santini. Nous ne sommes pas dans Le Bureau des légendes, mais si le ministère de l'Intérieur hésite à déployer cette solution, c'est parce qu'il craint que des puissances étrangères aient la capacité technique de modifier voire d'inverser le résultat, ce qui ne ferait qu'accentuer la défiance. Avant de faire de la politique, je travaillais dans le domaine des données personnelles, et je peux vous dire que je partage ces doutes.
Sur le plan des principes, nous sommes condamnés à mener une réflexion institutionnelle. L'élection présidentielle est certes la clé de voûte de la Ve République, mais elle est devenue pour beaucoup de jeunes le seul scrutin qui compte. Nous constaterons sans doute au mois d'avril une participation très forte – si tel n'est pas le cas, la situation sera encore plus inquiétante. Le bloc local est-il suffisamment compréhensible ? N'avons-nous pas accentué le millefeuille administratif ? Il est très difficile de comprendre qu'une école soit gérée par la commune, un collège par le département et un lycée par la région. Reconnaissons que nous avons créé un système complexe et assumons notre part de responsabilité.
S'agissant du calendrier, pouvons-nous vraiment organiser une élection tous les ans ? Ce faisant, ne favorisons-nous pas une forme de lassitude ? Ne devrions-nous pas regrouper toutes les élections du bloc local – les régionales, les départementales et les municipales, sans oublier le niveau intercommunal – en une seule ?
Je suis également favorable à l'instauration de la proportionnelle. Le scrutin majoritaire présente certes de nombreux avantages, notamment en termes de proximité, mais beaucoup d'électeurs considèrent que ce mode de scrutin les empêche d'exprimer un choix qui garantisse la représentation de leurs convictions et attendent donc le second tour pour aller voter.
La défiance envers les partis politiques est très ancienne dans notre pays. En 1980, j'ai fait campagne pour Raymond Barre, qui disait déjà « oui aux partis politiques, mais non à l'esprit de parti ». En 1985, Michel Rocard déclarait : « Les partis politiques sont des sociétés modérément sympathiques dans lesquelles il n'est pas facile de faire réfléchir. » Pour paraphraser l'Ecclésiaste, il n'y a rien de nouveau sous le soleil ! Les partis ont évidemment toute leur place dans la vie politique de notre pays, mais l'heure est à se poser un certain nombre de questions sur nos institutions, sur la représentativité des élus et sur la nécessité essentielle de simplifier la compréhension de notre modèle institutionnel. Voilà ce qui permettra aux élus de retrouver de la crédibilité et de la légitimité pour agir, et de lutter contre le sentiment d'impuissance qui se répand parmi nos concitoyens.
Vous avez partagé vos réflexions concernant le système démocratique, le système institutionnel, le système électoral. Mais quelles réflexions avez-vous sur vos propres structures ? Comment les partis eux-mêmes s'interrogent-ils, s'adaptent-ils, se réorganisent-ils pour répondre à cette crise de la participation ? M. Schellenberger a fait remarquer qu'aux termes de la Constitution, les partis politiques « concourent à l'expression du suffrage » : ils sont donc directement concernés par la question de la participation électorale.
Nos échanges de cet après-midi démontrent, s'il en était besoin, que la politique sait aussi véhiculer des messages de fond. Ils concourent à la relégitimation des partis et de l'ensemble des formations politiques.
Comment ces dernières peuvent-elles encourager la mobilisation électorale ? Quelles mesures avez-vous prises, dans vos formations respectives, pour tenter de ressouder le lien entre les citoyens et la démocratie, voire pour réconcilier, à l'intérieur même du parti, les militants avec l'exercice du vote ? Quel lien faites-vous entre la démocratie représentative dont nous sommes issus et la démocratie participative à laquelle nous devons travailler ? Quelle place voulez-vous faire à cette dernière afin de renforcer la clarté et la qualité du débat public, bien que la représentation demeure le fondement de notre système politique ? Comment faudrait-il faire évoluer les modalités de vote ? Certains d'entre vous ont commencé à nous donner leur point de vue sur cette question. D'autres propositions circulent – je pense par exemple à l'abaissement du droit de vote à 16 ans. Enfin, comment reconstruire le lien entre familles, éducation nationale et associations afin de faire émerger des citoyens éclairés, capables de faire des choix en toute connaissance de cause ?
J'observe avec satisfaction que nous nous rejoignons sur un certain nombre de constats. Nous convenons tous qu'il est nécessaire de mener une réflexion sur la modernisation des outils, que cela ne suffira pas car il existe une abstention de revendication, mais également que l'abstention n'est pas une fatalité. L'érosion du taux de participation touche certes l'ensemble des élections, mais il y a aussi des à-coups. Ainsi, le taux de participation aux élections européennes de 2019 était assez satisfaisant. À mon sens, le niveau de mobilisation dépend notamment de la clarté de la question posée et de l'identification des enjeux. Il s'agit là d'un sujet majeur, sur lequel nous devons travailler.
Contrairement à certains de mes collègues, je ne pense pas que l'élection présidentielle se distingue des autres scrutins. Les études montrent que le taux de certitude d'aller voter, à six mois du premier tour, est aujourd'hui de 10 à 15 points inférieur à ce qu'il était il y a cinq ans. Cela nous incite à penser que l'abstention a en partie changé de nature : nous voyons l'émergence d'une abstention de revendication, de protestation, qui nous renvoie à la question centrale de nos débats, à savoir la volonté de nos concitoyens de participer à la vie politique de notre pays.
Vous nous avez interrogés, monsieur le président, sur le rôle des partis. Je crois aux partis politiques, comme M. Schellenberger, mais à condition qu'ils sachent se réinventer. Il est trop facile de dire que les partis politiques ont disparu parce qu'on leur a tapé dessus – c'est confondre la cause et la conséquence… En 2017, nous avons créé un parti politique nouveau, que nous essayons de faire grandir. Je dois bien reconnaître que nous connaissons aujourd'hui toutes les difficultés des partis de gouvernement, que nous avons des problèmes d'implantation et de représentativité, mais je persiste à penser que nous devons inventer des formes nouvelles de partis politiques. Nos concitoyens continuent de s'engager dans la société : le nombre de signataires de pétitions sur Change.org pourrait faire pâlir d'envie les responsables de formations politiques, et l'engagement associatif est bien vivant, surtout chez les jeunes. Ce serait donc une erreur que de penser que la désaffection des partis politiques proviendrait d'une volonté de désengagement de la vie politique au sens large.
S'agissant du sujet qui nous intéresse aujourd'hui, les partis politiques doivent exercer trois fonctions.
Premièrement, il leur revient de construire un projet de société et de le rendre désirable. Le débat politique est trop construit autour de notions négatives : on se prononce beaucoup contre, mais pas suffisamment pour telle ou telle chose. Les partis politiques doivent proposer à nos concitoyens un chemin de progrès, leur montrer dans quelle société ils souhaitent les projeter.
Deuxièmement, ils doivent faire preuve d'ouverture sur le réel. Ainsi, l'événement fondateur de La République en marche est l'organisation d'une grande marche, en 2016 et 2017, au cours de laquelle nous sommes allés sans idée préconçue interroger nos concitoyens sur leur perception de la vie du pays, leurs espoirs et leurs craintes. Les partis doivent s'efforcer de maintenir cette ouverture, cette porosité avec ce que l'on appelle parfois, de façon un peu réductrice, la société civile. Ils peuvent le faire en donnant aux gens, qu'ils soient adhérents ou non, la possibilité de défendre des causes et les moyens de faire quelque chose d'utile. Le recensement statique des adhérents à jour de cotisation a vécu. Pour notre part, nous allons continuer à écouter nos concitoyens, de façon très ouverte, et à leur rendre des comptes. Patrick Mignola soulignait la nécessité de créer un baromètre de l'action publique, de déterminer ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas, et de corriger le tir le cas échéant. Je prendrai un exemple récent pour illustrer mon propos. À la suite du grand débat national, le Gouvernement a mis en place une politique publique visant à mieux assurer le recouvrement des pensions alimentaires auxquelles ont droit les parents assurant la garde d'un enfant – en grande majorité des femmes célibataires. Nous nous sommes aperçus que cette mesure ne fonctionnait pas bien car les modalités d'accès à la pension restaient compliquées : nous avons alors corrigé le tir, dans un sens plus proactif, dans le cadre du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2022. Il s'agit là d'un exemple positif d'humilité par rapport à l'action publique.
Troisièmement, les partis doivent concourir à l'organisation du débat et de la vie politiques. Je disais tout à l'heure que l'on observait une forme de dégoût face à la violence du débat, à tous les niveaux. Nous y participons, et nous devons assumer notre part de responsabilité. La République en marche a publié deux documents dans lesquels elle a pris position sur ces sujets : le premier traite des modalités du scrutin et de la modernisation de la vie publique, tandis que le second concerne l'organisation de nos débats, notamment numériques – autrement dit, les modalités d'expression lors des campagnes, la régulation de la parole, la lutte contre la désinformation et les fake news.
Ainsi, nous avons proposé de créer une plateforme de signalement des fake news, sur le modèle de PHAROS, qui pourrait être adossée au CSA. Nous devrions aussi mettre la pression sur les plateformes pour rompre avec l'enfermement algorithmique, de sorte que les usagers des réseaux sociaux sortent de leur bulle et se voient proposer une pluralité de contenus. Surtout, je serais favorable, en tant que délégué général de La République en marche, à ce que toutes les formations politiques se mettent autour de la table pour élaborer une charte de bonne conduite relative à l'usage des réseaux sociaux en vue de la future campagne. C'est ce qu'ont fait les Allemands avant les dernières élections. J'ai écrit, il y a quelques mois, aux dirigeants des différents partis pour leur proposer d'organiser une telle réunion, mais nous n'y sommes pas parvenus. Les engagements pourraient porter sur la lutte contre la désinformation – il s'agirait de mettre en œuvre des moyens nécessaires et proportionnés pour empêcher la diffusion intentionnelle de fausses informations –, sur la lutte contre la haine et la violence en ligne – les campagnes de cyberharcèlement et les raids numériques à fin de déstabilisation politique existent bel et bien –, sur la transparence des campagnes numériques – je pense notamment au sponsoring de contenus – et sur la mise en œuvre de protocoles de réorganisation interne des formations politiques afin de se protéger des cyberattaques et autres opérations de déstabilisation numérique.
Vous avez demandé, monsieur le rapporteur, notre opinion sur une évolution des commodités de vote. À ce propos, j'ai cité tout à l'heure quatre pistes pour favoriser la participation électorale.
S'agissant tout d'abord de la transformation du système électoral, je souscris à de nombreuses propositions énoncées par Patrick Mignola, avec qui j'ai mené un travail conjoint sur ce sujet au sein de la majorité présidentielle. Je cite quelques-unes de ces propositions : organiser un service public des procurations, notamment à l'intention des personnes les plus fragiles, et encourager l'établissement de procurations à domicile ; adapter l'organisation concrète des bureaux de vote ; favoriser le volontariat pour le recrutement d'assesseurs ; autoriser et encourager le recours aux machines à voter ; prendre à bras-le-corps la question de la mal-inscription sur les listes électorales ; repenser les règles relatives à l'accès et à l'utilisation des réseaux sociaux lors des campagnes électorales.
Il est aussi proposé de moderniser les modalités du scrutin. Pour ma part, je suis favorable au vote par correspondance ; nous n'avions pas le temps de le mettre en place aux dernières élections départementales et régionales, et ce n'est plus possible pour la prochaine présidentielle, mais je souhaiterais que ce type de vote soit expérimenté lors des scrutins locaux du prochain quinquennat. Nous aimerions également ouvrir la voie au vote par internet. Certes, cette modalité suscite de nombreuses réserves, et plusieurs pays l'ayant adoptée ont dû revenir en arrière, mais nous devons tirer les leçons de leur expérience et élaborer une feuille de route à ce sujet.
J'en viens aux autres propositions : augmenter les financements de projets de recherche sur la démocratie numérique ; demander à la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) et à l'Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information (ANSSI) d'émettre des recommandations plus ambitieuses pour les entreprises travaillant sur le vote électronique et favoriser la recherche et développement dans ce secteur ; déployer plus rapidement la signature électronique et la carte d'identité numérique. Si cette dernière se développe massivement, elle préparera le terrain à la mise en œuvre du vote numérique. Dès lors, nous pourrons plus facilement permettre un vote anticipé, auquel je suis favorable à condition que l'électeur puisse changer d'avis jusqu'à la dernière minute – car en votant par internet, l'électeur aura toujours la possibilité de trouver un moment où il échappera à la pression de son conjoint, par exemple, comme s'il glissait seul son bulletin dans l'enveloppe derrière le rideau de l'isoloir.
S'agissant ensuite des questions d'organisation institutionnelle et de représentativité, je suis favorable à la proportionnelle. Le type de proportionnelle peut faire débat : si certains sont partisans d'une proportionnelle intégrale, nous souhaitons, pour notre part, l'introduction d'une dose de proportionnelle, que nous avons défendue pendant la campagne électorale. Le prochain quinquennat doit permettre la mise en œuvre de cette réforme importante.
La question que vous avez posée, monsieur le rapporteur, au sujet du dialogue entre les formes de démocratie est absolument essentielle. Il ne s'agit pas de mettre en concurrence la démocratie délibérative et la démocratie représentative ; cependant, il convient de donner une place plus importante à la démocratie délibérative. À ce propos, nous pouvons tirer un certain nombre d'enseignements de la Convention citoyenne pour le climat, qui était une expérimentation nécessaire. Ce n'est pas parce que nous avons perçu ses limites que nous devons abandonner cette formule. Il serait intéressant de créer ce type d'instance sur des sujets plus circonscrits, plus précis, qui puissent faire l'objet d'un travail technique destiné à éclairer les décisions prises par la représentation nationale. Un débat sur une question de société – sur la fin de vie, par exemple – serait une très bonne occasion de mettre en place une nouvelle convention citoyenne.
S'agissant de l'efficacité de la vie politique, j'en appelle à une clarification des compétences. Nous en débattrons utilement lors de l'examen du projet de loi relatif à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l'action publique locale, mais il faudra certainement aller plus loin.
S'agissant enfin de la qualité du débat démocratique, j'ai déjà évoqué quelques pistes de réflexion et propositions.
Qu'avons-nous fait pour améliorer la contribution des partis au bon fonctionnement de la démocratie ? Pas assez, de toute évidence. Un parti politique se doit d'écouter et de voir.
Les expérimentations que nous menons en ce moment même montrent qu'un mouvement politique doit d'abord écouter, plutôt que d'émettre des idées dont il chercherait absolument à convaincre du bien-fondé. Cette écoute ne doit pas être déléguée à des instituts de sondage travaillant sur tel ou tel panel représentatif de la population ; elle doit être la tâche des adhérents, des militants, des sympathisants, qui s'apercevront que les situations de nos concitoyens sont très différentes les unes des autres – Tocqueville expliquait déjà que l'égalitarisme produisait de l'individualisme et que les sociétés modernes conduisaient nécessairement à la singularité des situations, chacune cherchant à être reconnue.
Pour autant, il ne suffit pas d'écouter – un parti n'est pas un institut de sondage qui essaierait de restituer le plus concrètement possible les attentes des électeurs –, il faut aussi voir, c'est-à-dire apporter une vision. De tout ce que l'on a entendu sur le terrain, il faut tirer une philosophie politique. Si les partis politiques sont devenus, à mon sens, des astres morts – mais il faut profiter de la lumière et de la chaleur qu'ils émettent encore pour quelques années pour essayer de les rénover –, c'est précisément parce qu'ils n'ont pas su réhabiliter et actualiser les philosophies politiques. Nous avons le droit d'être de droite, de gauche ou du centre, d'être originaires de la démocratie chrétienne ou du personnalisme, d'appartenir à tel ou tel courant de pensée, sous réserve qu'au-delà de la conviction qui nous a conduits à adhérer à cette philosophie, nous soyons capables de l'actualiser.
C'est donc dans la rencontre entre l'écoute de la société et la philosophie politique qui doit y répondre qu'un parti politique trouve sa légitimité et peut continuer de nourrir la démocratie. Il s'agit d'une tâche à assurer immédiatement. Personnellement, j'explique souvent les défaites électorales subies par les uns ou les autres par le fait que les vaincus, au cours des années précédant le scrutin, ont renoncé à se remettre en question et, sans quitter tout à fait leur ligne doctrinale, ont oublié de faire leur nécessaire aggiornamento, en particulier s'ils exerçaient le pouvoir – il faut donc que nous-mêmes, au Mouvement démocrate, fassions ce travail.
J'ai évoqué tout à l'heure la démocratie participative. Considérer que les élections consistent à signer un chèque en blanc pour cinq, six ou sept ans ne témoigne pas d'un fonctionnement démocratique moderne. Une itération entre démocratie représentative et démocratie participative est donc nécessaire. Nous pouvons nous inspirer non seulement de l'expérience des conventions citoyennes, comme Stanislas Guerini nous y a invités, mais également du travail réalisé par les élus locaux – j'ai eu l'honneur d'être maire pendant dix-sept ans. Les élus issus des mécanismes de la démocratie représentative sont légitimes pour définir les objectifs et le cadre de la réflexion qui sera menée par une instance de démocratie participative ; les citoyens qui participent à cette dernière, soit à titre volontaire, soit parce qu'ils ont été sélectionnés en tant que personnalités qualifiées, peuvent ensuite discuter, enrichir la réflexion et remettre en cause les orientations politiques à l'intérieur de ce cadre – de ce point de vue, la Convention citoyenne pour le climat a réalisé un très bon travail scientifique, dont il faudra continuer à s'inspirer. C'est à cette seule condition que nous pourrons continuer à agir, faute de quoi, bien qu'élus pour cinq ans, notre liberté d'action ne dépassera pas deux ou trois ans !
Pourquoi cette relation entre démocratie représentative et démocratie participative ne fonctionne-t-elle pas ? Parce que la démocratie représentative est terrorisée par sa propre illégitimité, justement liée à un manque de participation électorale. Nous, parlementaires, avons été élus avec 50 % d'abstention. Certains élus locaux n'ont été élus qu'avec 25 % ou 30 % de participation. Du fait de cette crise d'illégitimité, les élus désignés par le scrutin craignent que des citoyens participant à la décision prennent le pas sur leur réflexion et leur capacité d'action.
De ce point de vue, il faudrait se remettre les idées à l'endroit : le pouvoir exécutif n'est pas obligé d'écraser le pouvoir législatif. Le Parlement pourrait prendre une initiative originale, celle de faire la loi ! Quand un texte arrive dans l'hémicycle de l'Assemblée nationale, il vaudrait mieux qu'il soit parfois d'origine parlementaire et que le Gouvernement l'amende, plutôt qu'il soit systématiquement d'origine gouvernementale et que, dans l'indifférence générale, les députés s'efforcent de le modifier en développant des centaines de milliers d'idées fort peu écoutées par ceux que j'appelle les « sous-pentistes ».
Parce que je suis une éternelle optimiste, je préfère voir dans la situation du Parti socialiste après les élections de 2017 un verre à moitié plein : depuis quelques années, tout en respectant notre histoire et en préservant les bons aspects de notre mode de fonctionnement traditionnel, nous avons l'occasion de réfléchir à des choses différentes et de mener diverses expérimentations en ayant les mains beaucoup plus libres.
Nous restons un parti politique et certains principes nous semblent essentiels : ainsi, bien que nous ayons introduit le vote par internet pour certaines élections internes, il nous paraît important que les militants se déplacent pour glisser leur bulletin dans l'urne et se retrouvent physiquement, pour débattre autrement que de manière virtuelle. Les dix-huit mois qui viennent de s'écouler, marqués par le covid, ont été particulièrement difficiles pour le fonctionnement interne du parti.
Nous essayons aussi de retrouver ce qui caractérisait le parti à son origine et que nous avions perdu, expliquant sans doute en partie les défaites que nous avons subies. On peut se détruire très vite, mais se reconstruire prend beaucoup plus de temps ! Il faut savoir reconnaître que nous nous étions un peu refermés sur nous-mêmes et que nous ne travaillions plus suffisamment avec les syndicats, le monde associatif, les mouvements citoyens, les intellectuels et les think tanks ; nous essayons donc de retrouver un esprit de collaboration et d'échanges beaucoup plus ouverts avec ces différents acteurs. Nous tentons aussi de réintroduire l'idée selon laquelle le parti doit former ses militants, car il faut bien admettre que le Parti socialiste, initialement traversé par des courants idéologiques structurants assurant la formation des militants, était malheureusement devenu à la fin du XXe siècle et au début du XXIe siècle un parti d'écuries présidentielles.
Le rôle d'un parti politique n'est évidemment pas de remplacer les syndicats ou les mouvements associatifs défendant des revendications catégorielles, mais d'entendre ces revendications tout à fait légitimes, de les inscrire dans un schéma plus global et de proposer des solutions politiques. Un parti se doit aussi de détecter des talents pour former des candidats, des futurs élus, et d'assurer un rôle d'éducation populaire à l'égard de ses militants et sympathisants afin de structurer le débat démocratique.
C'est cette ambition que nous essayons de retrouver en utilisant le plus possible les nouveaux moyens de communication que sont les réseaux sociaux et les plateformes internet, où nous diffusons des émissions que nous produisons nous-mêmes. Nous engageons un dialogue avec de nombreux think tanks ou mouvements citoyens beaucoup moins structurés que par le passé. Ce travail n'en demeure pas moins très difficile. Nous essayons de repenser aussi notre mode de fonctionnement et nos débats internes, ainsi que notre processus d'adhésion. Nous cherchons à attirer des sympathisants qui n'ont pas forcément envie d'adhérer immédiatement, mais qui aimeraient peut-être débattre et faire un bout de chemin avec nous, voire engager un projet particulier avec le parti – nous n'en sommes encore qu'au stade de l'expérimentation.
Nous observons également ce qui se fait ailleurs, y compris dans les nouveaux partis qui ont émergé à l'occasion de l'élection présidentielle de 2017. Il me semble que nous devons tous reconnaître, en toute humilité, qu'aucun parti n'a encore trouvé un mode de fonctionnement répondant parfaitement aux enjeux du XXIe siècle tout en structurant le débat démocratique et en incitant nos concitoyens à s'engager dans la vie politique. C'est un défi que nous avons identifié et que nous intégrons dans nos objectifs de reconstruction du Parti socialiste.
S'agissant de la démocratie participative, cela fait un moment que nous avons mis des propositions sur la table. Je pense aux amendements d'initiative citoyenne, à la réforme du référendum d'initiative partagée en vue de rendre cette procédure beaucoup plus accessible, ou encore aux budgets participatifs mis en place par de nombreux maires. Ce type de participation locale doit être encore amplifiée. Nous plaidons également pour l'organisation de référendums locaux sur certains sujets bien précis. Quant aux conventions citoyennes, elles sont effectivement un très bel outil, à condition toutefois de leur donner des objectifs clairs et de ne pas dégoûter tout de suite nos concitoyens en ne tenant pas compte du travail réalisé par ces instances – cela contribuerait à décrédibiliser l'action publique, ce qui serait tout à fait contre-productif.
L'instauration de la proportionnelle et la décentralisation posent des questions institutionnelles. Ces mesures contribuaient évidemment à améliorer le fonctionnement de notre démocratie, mais je ne suis pas sûre qu'elles aient un impact direct sur la participation électorale. Ce n'est pas parce que les conseillers régionaux sont élus à la proportionnelle que les Français ont davantage voté aux dernières élections régionales !
La vie d'un parti repose sur les militantes et les militants, qui ne comptent pas leurs heures, distribuent des tracts le week-end et collent des affiches en période électorale. Toutefois, en dépit de scores importants, mon parti se retrouve sans élus dans les assemblées. On voudrait démoraliser les gens que l'on ne s'y prendrait pas autrement ! Pour faire vivre les partis, il faut que ceux-ci soient représentés.
Tenir ses promesses est fondamental. Quand on promet la création d'une banque de la démocratie, comme cela a été fait pendant la campagne présidentielle, il faut tenir cette promesse, sans quoi les électeurs doutent de la parole publique.
Mon vote sert-il à quelque chose ? C'est une question que nous entendons souvent. Tant que nous n'aurons pas retrouvé notre souveraineté, nous courrons toujours le risque de connaître une très forte abstention.
On peut faire des conventions citoyennes mais à condition de savoir sur quoi elles débouchent. Après l'épisode des Gilets jaunes, le chef de l'État avait parcouru la France et les citoyens avaient rempli des cahiers de doléances. Qui peut nous dire ce que sont devenus ces cahiers de doléances ? A-t-on pris en compte ce qui y avait été retranscrit ? Je n'en ai pas souvenir.
Concernant l'organisation territoriale, prenez l'exemple de l'Île-de-France : on y trouve des municipalités, des communautés d'agglomération, des communautés de communes, le Grand Paris, les départements et la région. Interrogez les gens dans la rue et demandez-leur quel est le rôle de chacun d'eux : vous n'obtiendrez pas de réponse claire. Essayons de ne pas organiser deux scrutins le même jour si leurs modalités diffèrent. Ainsi, en juin 2021, il a fallu élire un homme et une femme représentant un canton dans le cadre des départementales, et une liste départementale à la proportionnelle dans le cadre des régionales. Un peu plus de lisibilité serait bienvenue.
Je n'ai pas peur de dire que les partis politiques sont pauvres, dans notre pays, et se sont même appauvris. En outre, ils ont peu de moyens comparés à d'autres pays européens, voire à certains syndicats.
La conséquence des rendez-vous électoraux qui se succèdent chaque année dans notre pays, c'est que les partis politiques se consacrent presque uniquement à la conquête du pouvoir, donc au choix des candidats. Nos concitoyens peuvent légitimement penser que nous sommes des machines tournant à vide. Ceux qui adhèrent à un parti politique parce qu'ils s'intéressent au débat d'idées sont souvent déçus, parce que nous ne passons plus assez de temps à refaire le monde.
Un parti politique exerce trois missions : organiser les élections ; débattre et exprimer une vision ; assurer une formation. Pour ma part, je dois beaucoup à mon parti politique, et je pense en toute modestie que cela m'a fait grandir. À mon époque, dans les années 1980 à 2000, on consacrait plus de temps à la formation et au débat d'idées qu'aujourd'hui. Peu à peu, les partis politiques sont devenus des machines électorales. De plus, les réseaux sociaux poussent à l'outrance, ce qui est nuisible à notre image.
Par ailleurs, nous ne tenons pas toujours nos engagements. Ainsi, la proportionnelle est toujours promise pendant la campagne électorale, puis oubliée une fois l'élection passée, puis, six mois avant les élections suivantes, on dit que c'est trop tard. Vous n'êtes pas les premiers à faire cela et il est normal que cela suscite quelques doutes.
Autre problème : l'articulation entre la démocratie représentative et le légitime appétit de démocratie participative. Les réseaux sociaux appellent à plus d'horizontalité et à un peu moins de verticalité. Nous sommes en période d'apprentissage face à cette réalité nouvelle. Cet immense bouleversement concerne les partis politiques et même toutes les organisations humaines.
Le taux de participation semble être un indicateur du climat dans l'opinion et du lien entre les citoyens et la représentation politique. L'acte de vote, sans être remis en cause, n'obéit plus à un impératif moral et social. En parallèle, on constate une désaffiliation des partis politiques et un électorat plus volatil, ce qui peut nourrir les rangs de l'abstention. Quel engagement moral peut-on attendre des partis politiques pour qu'ils respectent leur parole et rétablissent la confiance ?
En ce qui concerne la démocratie participative, ne faudrait-il pas mettre l'accent sur l'expérimentation locale, qui se pratique déjà pour les petits budgets ? Cela permettrait de démontrer aux citoyens que la démocratie participative est extrêmement complexe à transposer à l'échelle nationale.
Ma question est très simple : que pensez-vous du vote obligatoire ? Personne n'en a parlé ; l'auriez-vous déjà enlevé de vos propositions ?
Il y a eu beaucoup de remises en cause du fonctionnement traditionnel des partis politiques. Pour ma part, j'ai toujours considéré que c'est au sein d'un mouvement politique que l'on peut débattre, que l'on peut confronter ses idées avant de les soumettre aux électeurs.
Le suivi des listes électorales est un sujet que nous devons examiner. S'il peut être simple dans une commune de 1 000 habitants, il est plus compliqué à réaliser dans les grandes villes du fait de la difficulté du suivi des déménagements. Certains, et j'en connais, se servent de cela pour se désinscrire des listes électorales : le débat ne les intéressant plus ou parce qu'ils ne souhaitent pas voter, ils ne disent rien quand ils déménagent, restants de ce fait inscrits dans la commune de départ. Ils finissent par être rayés d'office des listes électorales et ne sont plus inscrits nulle part.
Avant l'adoption de la loi instaurant l'inscription automatique des jeunes de 18 ans sur les listes électorales, en 1997, l'inscription était un geste volontaire : par définition, les gens qui s'inscrivaient s'intéressaient au débat public. Ce n'est plus le cas. Le nombre des électeurs en question étant de plus en plus important, l'abstention croît au fur et à mesure des scrutins.
La présente mission d'information a été organisée à la suite de la faible participation aux dernières élections départementales et régionales. Or celles-ci ont été concomitantes avec un certain nombre d'événements – crise sanitaire, problème de distribution des professions de foi, tergiversations sur l'organisation de ces élections, coïncidence des scrutins départementaux et régionaux qui ont un peu noyé le débat. Il ne me semble pas qu'il faille révolutionner la planète démocratique française au motif que le taux d'abstention à l'occasion de ces deux élections a été important.
Je ne m'attendais pas à un tel consensus entre les représentants de partis politiques si différents. Les six orateurs présents sont favorables à la proportionnelle, qu'elle soit intégrale ou partielle…
Disons qu'avec cinq orateurs sur six, il y a un très large consensus en faveur d'une dose de proportionnelle.
Ma question s'adresse aux représentants des groupes majoritaires à l'Assemblée. Le Président de la République avait promis l'instauration de la proportionnelle et la création de la banque de la démocratie : pourquoi rien n'a-t-il été fait, comme si ce quinquennat n'avait servi à rien en matière de démocratie de proximité ? La crise des Gilets jaunes a pourtant démontré une certaine appétence pour le scrutin ; la participation a progressé aux dernières élections européennes, ce qui est assez rare. Cela signifie que l'abstention n'est pas une fatalité, pour peu que le scrutin soit lisible. Or quand un scrutin régional est organisé en même temps qu'un scrutin départemental, obligeant l'électeur à se rendre dans une partie du bureau de vote pour élire une liste régionale à la proportionnelle, puis dans une autre partie du bureau de vote pour élire quatre personnes – un binôme titulaire et un binôme suppléant –, plus personne n'y comprend rien. Il faut être un initié pour s'intéresser à cela. Qu'en est-il de ce millefeuille administratif et bureaucratique ?
La confiance est le maître mot concernant l'abstention ; or je ne l'ai guère entendu. Pourquoi les électeurs ne veulent-ils plus voter ? Parce qu'ils n'ont plus confiance et pensent que cela ne sert à rien.
On parle de démocratie participative, mais les travaux des états généraux de la bioéthique n'ont absolument pas été pris en compte, contribuant à décrédibiliser cette forme de participation. Pourquoi demander l'organisation de nouveaux états généraux, alors qu'il y a déjà eu le grand débat, les Gilets jaunes, les états généraux de la bioéthique et ceux de la justice ? Si l'on incite les gens à participer mais que l'on ne tient aucun compte de leurs avis, cela nuit à la confiance.
Les techniques modernes sont de fausses bonnes idées. Je ne vois pas pourquoi le droit de vote à 16 ans inciterait les abstentionnistes de 30 ans à voter. Le vote par internet, c'est de la consommation, alors que le vote doit être un engagement. Quant au vote par correspondance, il entraînera évidemment des pressions et des fraudes. La liberté peut-elle être totale ailleurs que dans un isoloir ?
Comment pensez-vous rétablir la confiance ? La réponse est dans l'Assemblée. Selon l'article 27 de la Constitution, tout mandat impératif est nul. Nous ne sommes pas censés représenter les partis mais les citoyens : peu m'importe pour qui ils ont voté, je suis là pour les représenter. En outre, ce qui se passe à l'Assemblée a son importance : tout comme les électeurs se demandent parfois à quoi sert de voter, nous nous demandons à quoi sert d'amender. Les projets de loi arrivent de l'exécutif et doivent être votés en l'état. Les électeurs ne sont pas dupes, et nous non plus !
Si les partis politiques ne sont pas les seuls responsables de la situation, ils y concourent en promettant de changer la vie sans que rien ne change. Pourquoi le volontarisme politique s'exprime-t-il essentiellement pendant les périodes électorales ? Est-ce parce que nous manquons d'idées ? Peut-être. Les partis politiques sont sans doute également tenus par un conservatisme qui les empêche d'exprimer ce qui les rassemble en leur sein.
Comment faire en sorte que le pouvoir technocratique, dont il ne faut pas nier l'existence, ne freine ni les partis politiques ni l'action politique ? Parfois, le pouvoir économique semble prendre le dessus sur le pouvoir politique ; c'est du moins ce que ressentent les gens.
Enfin, ne devrions-nous pas concentrer tous nos efforts sur la politique par la preuve ? On se contente trop souvent de voter sans vérifier comment sont appliqués les textes. Nous ne rétablirons la confiance de nos concitoyens que si les partis politiques sont capables de prouver qu'ils font ce qu'ils disent, et que cela s'applique dans la vie de tous les jours.
Les débats de cette mission d'information sont très intéressants parce qu'ils touchent à des sujets très spécifiques ; certains relèvent même de l'entre-soi, comme le pouvoir d'amendement, très technique et lié à notre vie parlementaire. L'existence des partis politiques est constitutionnelle. Ils jouent un rôle essentiel dans la vie démocratique, mais comment jouer ce rôle quand on dénombre 450 partis politiques, soit seize fois plus qu'en 1990 ? Quels sont ces partis politiques et que font-ils ?
Nous n'avons pas encore parlé de communication. Les partis politiques donnent beaucoup dans la contrition. Certes, ils doivent revoir leur façon de fonctionner, en particulier dans la formation des militants. Il est en effet nécessaire de proposer à ceux-ci un corpus idéologique ; or, avec plus de 400 partis, on s'y perd un peu. Mais les hommes et les femmes politiques doivent être fiers de faire de la politique. La consultation citoyenne fait partie de la vie démocratique, mais les partis politiques font de la politique. Quand retrouverons-nous le goût de faire de la politique et d'aller le dire, par le biais des partis politiques, dans les médias ?
Que peut-on faire pour retrouver de la bienveillance et participer à la vie politique ? On a trop longtemps confondu, dans les partis politiques, les batailles de personnes et les batailles d'idées. Il est temps de renouer avec le travail idéologique – ce n'est pas un gros mot.
Dans son intervention, Raphaël Schellenberger laissait penser qu'avec En marche !, nous aurions voulu mettre fin aux clivages politiques : je n'y crois pas ! Les clivages politiques étaient devenus factices. Au sein des partis politiques, il existait des fractures assez profondes sur des sujets fondamentaux : le rapport au travail, à la liberté ; l'Europe, qui continue de diviser certains partis politiques. Nous avons voulu créer un espace politique différent, sur la base de nouveaux clivages structurants, entre déclinisme et progressisme. Nous devons mener ce travail idéologique et faire en sorte que le combat d'idées reprenne le dessus sur les combats de personnes ou sur la conquête du pouvoir.
Je ne suis pas favorable au vote obligatoire. Ce n'est pas par la contrainte qu'on va répondre aux questions fondamentales qui sont posées. De même, le débat sur le droit de vote à 16 ans ne me paraît pas prioritaire. Ce le sera peut-être un jour, mais tant qu'on n'aura pas répondu aux questions plus fondamentales du rétablissement de la confiance dans la vie politique et de la participation des jeunes adultes, cette question me semble être secondaire. En revanche, la prise en compte du vote blanc ne me semble pas inintéressante pour certaines catégories d'élections, à la proportionnelle, ou pour le premier tour de certains scrutins à deux tours.
L'instauration de la proportionnelle n'était pas qu'une promesse électorale : nous avons démarré une réforme constitutionnelle au cours de ce quinquennat. Sans rouvrir le débat partisan, il faut rappeler qu'elle a été torpillée : nous avons été empêchés d'aller au bout de nos intentions. Si nous n'avions pas voulu de la proportionnelle, nous n'aurions pas entamé une réforme constitutionnelle.
Quoi de mieux que l'isoloir ? S'il faut garantir l'absence de toute pression sur un scrutin, il est essentiel de pouvoir changer son vote jusqu'au dernier instant. Cela vaut pour le vote par correspondance comme pour le vote par internet. Si l'on peut garantir que l'on pourra exercer son devoir démocratique sans subir de pression, en étant seul, on répond à cette question. Il ne me semble pas que l'argument des procurations soit valable car, même dans ce cadre, des pressions peuvent être exercées.
Il est possible d'améliorer considérablement l'inscription sur les listes électorales, en utilisant par exemple les référentiels fiscaux. Cela doit passer par une loi et respecter les règles du RGPD, mais c'est tout à fait possible, pour peu que l'on informe nos concitoyens qu'ils ont été désinscrits et réinscrits.
La question du millefeuille administratif mériterait une mission spécifique. Je dirai simplement que je ne crois pas à un modèle institutionnel unique appliqué sur tout le territoire de la République, quelles que soient les spécificités locales. Il faut une liberté d'organisation selon les territoires et leurs problématiques.
Le vote à 16 ans lors des élections locales peut être un apprentissage de la citoyenneté, même si cela ne fera pas davantage voter les plus de 18 ans.
Je ne suis pas d'accord non plus avec le fait que le vote par internet ne serait que de la consommation, alors qu'il devrait être un engagement. Quand on achète un appartement en signant son acte notarié à distance, on réalise l'achat d'une vie : c'est un engagement plus grand que d'élire un quadrinôme de conseillers départementaux ou, du moins, cela me paraît au moins aussi important.
Toute forme d'expression du scrutin comporte un risque de fraude. Quand on amène mamie dans l'isoloir en lui mettant le bulletin dans l'enveloppe, pendant que les assesseurs détournent le regard, c'est une forme de pression, et peut-être même de fraude. Le rôle du législateur est précisément de trouver les voies et moyens pour éviter cela. Sur des millions de votes par correspondance, il peut exister des tentatives de fraude mais, comme on le dit des poissons volants, elles ne constituent pas la majorité du genre.
Enfin, vous avez beaucoup parlé de confiance. Au fond, je pense qu'il n'y a pas de défiance de nos concitoyens, mais de la déception. La France est un grand pays politique, et c'est parce que les gens y attendent beaucoup de la politique et de leurs élus qu'ils sont parfois déçus.
Il nous manque trois choses : le leadership, tout d'abord. C'est le rôle des partis politiques de faire émerger des personnalités qui inspirent la confiance.
La politique par la preuve, ensuite : si nous disposons d'indicateurs de suivi de l'action publique, cela sera déjà beaucoup plus facile à contrôler. Au terme de cinq années de législature, nous ne pouvons pas dire que nous n'avons rien produit : tout n'est pas positif mais nous avons tout de même adopté quelques mesures qui ont changé la vie.
Enfin, il nous manque d'assumer que le politique n'est pas seulement un thuriféraire ou un serviteur de tel ou tel intérêt corporatiste : il porte une ambition et une espérance. Nous n'osons plus le dire, quand nous sommes sur les plateaux des chaînes d'information continue, par peur de nous faire moquer par tous ceux qui préfèrent traiter la démocratie par l'ironie. Or il faut l'assumer : s'il n'en reste que quelques-uns, nous devons être ceux-là.
Nous sommes favorables à une expérimentation sur le vote blanc, qui nous paraît plus envisageable que le vote obligatoire. L'obligation de voter ne nous paraît pas être une bonne solution : cela risque d'encourager encore plus le vote de rejet et ne résoudra pas le cœur du problème, qui est d'inciter les gens à voter, non pas par défaut ou par rejet, mais sur le fondement d'un choix politique.
L'existence de 450 partis politiques est une question en soi ; elle tient au financement des partis politiques, qui incite à la multiplication des micropartis. La volatilité de l'électorat est de plus en plus forte, les gens se décident de plus en plus tard. En 2017, deux tiers des électeurs ont changé d'avis dans les deux à trois mois avant le scrutin. Ceux qui se décident dans l'isoloir sont de plus en plus nombreux. Cela pose la question de la clarté des différentes offres. Je continue à croire au clivage gauche-droite, et je crois que les Français aussi, même s'ils donnent l'impression contraire. Dans tous les sondages, quand on demande à nos concitoyens de se situer sur l'échelle gauche-droite, ils savent très bien le faire, et quand on leur demande d'y situer les personnalités ou les partis politiques, ils le font aussi. Le clivage existe, mais les citoyens ont arrêté de penser que les partis politiques incarnent ce clivage et les valeurs qu'ils prétendent défendre. C'est à nous de recréer le lien de confiance, de les convaincre à nouveau que nous défendons bien des idéaux.
Pour rétablir la confiance, il faut aussi travailler sur la participation à l'évaluation des politiques publiques, par exemple dans le cadre d'organismes indépendants qui consultent les citoyens dans ce but.
La crédibilisation du politique par l'exemple n'est pas facilitée par l'organisation de la vie parlementaire : les semaines de contrôle, qui ne sont pas suffisamment prises au sérieux, sont désertées ; les moyens de contrôle des députés sont insuffisants ; les propositions de loi sont examinées dans le cadre de niches parlementaires, l'ordre du jour du Parlement étant fixé par le Gouvernement. Il n'est pas nécessaire de changer de République pour réformer le droit de fixer l'agenda du Parlement.
Nous devons également assumer les dégâts que nous avons causés nous-mêmes en allant dans le sens du populisme, en faisant croire que les élus ne sont pas des gens dignes de confiance, qu'ils coûtent cher et ne servent à rien, en donnant par défaut toujours plus de pouvoir à la technocratie. En acceptant, par électoralisme, d'avoir moins de moyens pour fonctionner, nous nous sommes déconsidérés. Comment voulez-vous rétablir la confiance si vous acceptez d'entrer dans ce jeu ? Cela fait partie des choses sur lesquelles il faut qu'on s'interroge.
Le respect des engagements est fondamental, mais comment l'assurer dans la mesure où nous n'avons plus notre entière souveraineté ? On en est au point où toute proposition devrait s'accompagner d'une promesse de réforme constitutionnelle pour pouvoir être adoptée !
Nous sommes contre le vote obligatoire et le vote à 16 ans. En revanche, il est envisageable de prendre en compte le vote blanc. Nous sommes contre le vote à distance, par voie postale, et contre le vote électronique. Du reste, de plus en plus d'entreprises ont recours au vote par internet pour les élections professionnelles, sans que cela ne fasse augmenter le taux de participation. De plus, cela pose un problème de sécurité.
Permettre le vote dans un autre bureau que celui dans lequel on est inscrit est beaucoup trop risqué. Les horaires élargis ne seraient d'aucune utilité dans la mesure où le taux d'abstention est quasiment similaire que l'on ferme les bureaux de vote à dix-huit heures ou à vingt heures. Nous sommes également contre l'ouverture des bureaux de vote un jour en semaine. Quant à étendre les possibilités de procuration, nous n'y sommes pas opposés par principe, à condition de limiter leur nombre à deux maximum. Enfin, nous sommes favorables à l'automatisation de l'inscription sur les listes électorales en cas de déménagement.
La séance est levée à 16 heures 15.
Membres présents ou excusés
Présents. - M. Bruno Bilde, M. Xavier Breton, M. Jean-René Cazeneuve, M. François Cornut-Gentille, Mme Isabelle Florennes, Mme Monique Iborra, Mme Marion Lenne, Mme Jacqueline Maquet, M. Sylvain Templier, M. Stéphane Travert