Intervention de Stanislas Guerini

Réunion du mercredi 27 octobre 2021 à 14h00
Mission d'information visant à identifier les ressorts de l'abstention et les mesures permettant de renforcer la participation électorale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaStanislas Guerini, délégué général de La République en marche :

J'observe avec satisfaction que nous nous rejoignons sur un certain nombre de constats. Nous convenons tous qu'il est nécessaire de mener une réflexion sur la modernisation des outils, que cela ne suffira pas car il existe une abstention de revendication, mais également que l'abstention n'est pas une fatalité. L'érosion du taux de participation touche certes l'ensemble des élections, mais il y a aussi des à-coups. Ainsi, le taux de participation aux élections européennes de 2019 était assez satisfaisant. À mon sens, le niveau de mobilisation dépend notamment de la clarté de la question posée et de l'identification des enjeux. Il s'agit là d'un sujet majeur, sur lequel nous devons travailler.

Contrairement à certains de mes collègues, je ne pense pas que l'élection présidentielle se distingue des autres scrutins. Les études montrent que le taux de certitude d'aller voter, à six mois du premier tour, est aujourd'hui de 10 à 15 points inférieur à ce qu'il était il y a cinq ans. Cela nous incite à penser que l'abstention a en partie changé de nature : nous voyons l'émergence d'une abstention de revendication, de protestation, qui nous renvoie à la question centrale de nos débats, à savoir la volonté de nos concitoyens de participer à la vie politique de notre pays.

Vous nous avez interrogés, monsieur le président, sur le rôle des partis. Je crois aux partis politiques, comme M. Schellenberger, mais à condition qu'ils sachent se réinventer. Il est trop facile de dire que les partis politiques ont disparu parce qu'on leur a tapé dessus – c'est confondre la cause et la conséquence… En 2017, nous avons créé un parti politique nouveau, que nous essayons de faire grandir. Je dois bien reconnaître que nous connaissons aujourd'hui toutes les difficultés des partis de gouvernement, que nous avons des problèmes d'implantation et de représentativité, mais je persiste à penser que nous devons inventer des formes nouvelles de partis politiques. Nos concitoyens continuent de s'engager dans la société : le nombre de signataires de pétitions sur Change.org pourrait faire pâlir d'envie les responsables de formations politiques, et l'engagement associatif est bien vivant, surtout chez les jeunes. Ce serait donc une erreur que de penser que la désaffection des partis politiques proviendrait d'une volonté de désengagement de la vie politique au sens large.

S'agissant du sujet qui nous intéresse aujourd'hui, les partis politiques doivent exercer trois fonctions.

Premièrement, il leur revient de construire un projet de société et de le rendre désirable. Le débat politique est trop construit autour de notions négatives : on se prononce beaucoup contre, mais pas suffisamment pour telle ou telle chose. Les partis politiques doivent proposer à nos concitoyens un chemin de progrès, leur montrer dans quelle société ils souhaitent les projeter.

Deuxièmement, ils doivent faire preuve d'ouverture sur le réel. Ainsi, l'événement fondateur de La République en marche est l'organisation d'une grande marche, en 2016 et 2017, au cours de laquelle nous sommes allés sans idée préconçue interroger nos concitoyens sur leur perception de la vie du pays, leurs espoirs et leurs craintes. Les partis doivent s'efforcer de maintenir cette ouverture, cette porosité avec ce que l'on appelle parfois, de façon un peu réductrice, la société civile. Ils peuvent le faire en donnant aux gens, qu'ils soient adhérents ou non, la possibilité de défendre des causes et les moyens de faire quelque chose d'utile. Le recensement statique des adhérents à jour de cotisation a vécu. Pour notre part, nous allons continuer à écouter nos concitoyens, de façon très ouverte, et à leur rendre des comptes. Patrick Mignola soulignait la nécessité de créer un baromètre de l'action publique, de déterminer ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas, et de corriger le tir le cas échéant. Je prendrai un exemple récent pour illustrer mon propos. À la suite du grand débat national, le Gouvernement a mis en place une politique publique visant à mieux assurer le recouvrement des pensions alimentaires auxquelles ont droit les parents assurant la garde d'un enfant – en grande majorité des femmes célibataires. Nous nous sommes aperçus que cette mesure ne fonctionnait pas bien car les modalités d'accès à la pension restaient compliquées : nous avons alors corrigé le tir, dans un sens plus proactif, dans le cadre du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2022. Il s'agit là d'un exemple positif d'humilité par rapport à l'action publique.

Troisièmement, les partis doivent concourir à l'organisation du débat et de la vie politiques. Je disais tout à l'heure que l'on observait une forme de dégoût face à la violence du débat, à tous les niveaux. Nous y participons, et nous devons assumer notre part de responsabilité. La République en marche a publié deux documents dans lesquels elle a pris position sur ces sujets : le premier traite des modalités du scrutin et de la modernisation de la vie publique, tandis que le second concerne l'organisation de nos débats, notamment numériques – autrement dit, les modalités d'expression lors des campagnes, la régulation de la parole, la lutte contre la désinformation et les fake news.

Ainsi, nous avons proposé de créer une plateforme de signalement des fake news, sur le modèle de PHAROS, qui pourrait être adossée au CSA. Nous devrions aussi mettre la pression sur les plateformes pour rompre avec l'enfermement algorithmique, de sorte que les usagers des réseaux sociaux sortent de leur bulle et se voient proposer une pluralité de contenus. Surtout, je serais favorable, en tant que délégué général de La République en marche, à ce que toutes les formations politiques se mettent autour de la table pour élaborer une charte de bonne conduite relative à l'usage des réseaux sociaux en vue de la future campagne. C'est ce qu'ont fait les Allemands avant les dernières élections. J'ai écrit, il y a quelques mois, aux dirigeants des différents partis pour leur proposer d'organiser une telle réunion, mais nous n'y sommes pas parvenus. Les engagements pourraient porter sur la lutte contre la désinformation – il s'agirait de mettre en œuvre des moyens nécessaires et proportionnés pour empêcher la diffusion intentionnelle de fausses informations –, sur la lutte contre la haine et la violence en ligne – les campagnes de cyberharcèlement et les raids numériques à fin de déstabilisation politique existent bel et bien –, sur la transparence des campagnes numériques – je pense notamment au sponsoring de contenus – et sur la mise en œuvre de protocoles de réorganisation interne des formations politiques afin de se protéger des cyberattaques et autres opérations de déstabilisation numérique.

Vous avez demandé, monsieur le rapporteur, notre opinion sur une évolution des commodités de vote. À ce propos, j'ai cité tout à l'heure quatre pistes pour favoriser la participation électorale.

S'agissant tout d'abord de la transformation du système électoral, je souscris à de nombreuses propositions énoncées par Patrick Mignola, avec qui j'ai mené un travail conjoint sur ce sujet au sein de la majorité présidentielle. Je cite quelques-unes de ces propositions : organiser un service public des procurations, notamment à l'intention des personnes les plus fragiles, et encourager l'établissement de procurations à domicile ; adapter l'organisation concrète des bureaux de vote ; favoriser le volontariat pour le recrutement d'assesseurs ; autoriser et encourager le recours aux machines à voter ; prendre à bras-le-corps la question de la mal-inscription sur les listes électorales ; repenser les règles relatives à l'accès et à l'utilisation des réseaux sociaux lors des campagnes électorales.

Il est aussi proposé de moderniser les modalités du scrutin. Pour ma part, je suis favorable au vote par correspondance ; nous n'avions pas le temps de le mettre en place aux dernières élections départementales et régionales, et ce n'est plus possible pour la prochaine présidentielle, mais je souhaiterais que ce type de vote soit expérimenté lors des scrutins locaux du prochain quinquennat. Nous aimerions également ouvrir la voie au vote par internet. Certes, cette modalité suscite de nombreuses réserves, et plusieurs pays l'ayant adoptée ont dû revenir en arrière, mais nous devons tirer les leçons de leur expérience et élaborer une feuille de route à ce sujet.

J'en viens aux autres propositions : augmenter les financements de projets de recherche sur la démocratie numérique ; demander à la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) et à l'Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information (ANSSI) d'émettre des recommandations plus ambitieuses pour les entreprises travaillant sur le vote électronique et favoriser la recherche et développement dans ce secteur ; déployer plus rapidement la signature électronique et la carte d'identité numérique. Si cette dernière se développe massivement, elle préparera le terrain à la mise en œuvre du vote numérique. Dès lors, nous pourrons plus facilement permettre un vote anticipé, auquel je suis favorable à condition que l'électeur puisse changer d'avis jusqu'à la dernière minute – car en votant par internet, l'électeur aura toujours la possibilité de trouver un moment où il échappera à la pression de son conjoint, par exemple, comme s'il glissait seul son bulletin dans l'enveloppe derrière le rideau de l'isoloir.

S'agissant ensuite des questions d'organisation institutionnelle et de représentativité, je suis favorable à la proportionnelle. Le type de proportionnelle peut faire débat : si certains sont partisans d'une proportionnelle intégrale, nous souhaitons, pour notre part, l'introduction d'une dose de proportionnelle, que nous avons défendue pendant la campagne électorale. Le prochain quinquennat doit permettre la mise en œuvre de cette réforme importante.

La question que vous avez posée, monsieur le rapporteur, au sujet du dialogue entre les formes de démocratie est absolument essentielle. Il ne s'agit pas de mettre en concurrence la démocratie délibérative et la démocratie représentative ; cependant, il convient de donner une place plus importante à la démocratie délibérative. À ce propos, nous pouvons tirer un certain nombre d'enseignements de la Convention citoyenne pour le climat, qui était une expérimentation nécessaire. Ce n'est pas parce que nous avons perçu ses limites que nous devons abandonner cette formule. Il serait intéressant de créer ce type d'instance sur des sujets plus circonscrits, plus précis, qui puissent faire l'objet d'un travail technique destiné à éclairer les décisions prises par la représentation nationale. Un débat sur une question de société – sur la fin de vie, par exemple – serait une très bonne occasion de mettre en place une nouvelle convention citoyenne.

S'agissant de l'efficacité de la vie politique, j'en appelle à une clarification des compétences. Nous en débattrons utilement lors de l'examen du projet de loi relatif à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l'action publique locale, mais il faudra certainement aller plus loin.

S'agissant enfin de la qualité du débat démocratique, j'ai déjà évoqué quelques pistes de réflexion et propositions.

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