Intervention de François-Noël Buffet

Réunion du mercredi 27 octobre 2021 à 16h15
Mission d'information visant à identifier les ressorts de l'abstention et les mesures permettant de renforcer la participation électorale

François-Noël Buffet, président de la commission des Lois du Sénat :

La commission des Lois a produit le rapport que vous avez évoqué en décembre 2020, puis un second rapport après les élections départementales et régionales, eu égard aux difficultés rencontrées lors de ces élections.. Ce rapport s'inscrit dans le cadre de la pandémie, qui nous a obligés à nous interroger sur notre processus démocratique. Contrairement à d'autres États, la France a fait le choix de reporter plusieurs échéances électorales, dont le second tour des élections municipales. En réalité, l'épidémie n'est pas la seule cause de l'érosion démocratique. Le taux de participation aux élections législatives est passé de 69,2 % en 1993 à 48,7 % en 2017. Nous avons considéré qu'il fallait réfléchir à un processus électoral et à la façon dont nos concitoyens pouvaient exercer leur droit de vote en sachant que nous ne pourrions modifier les dispositifs pour les élections départementales ou régionales de 2021 ni pour l'élection présidentielle de 2022.

Une mission d'information a été créée pour interroger trois dispositifs différents. Le premier est le vote par procuration, pratiqué en France depuis 1946. Le deuxième est le vote par correspondance papier, abandonné depuis 1975, mais maintenu pour les Français de l'étranger et les détenus. Enfin, le troisième dispositif est le vote par Internet, mis en œuvre pour certains scrutins au bénéfice des Français expatriés.

Nous avons tout d'abord réaffirmé la primauté du vote à l'urne. Le vote est un exercice démocratique qui doit rester un moment important, personnel et confidentiel, bénéficiant de conditions qui assurent sa sécurité. Depuis 1913, l'isoloir protège l'électeur contre les pressions extérieures. Les efforts doivent se poursuivre pour lutter contre la mal-inscription. Sur un corps électoral de 47 millions de votants, plus de 7,5 millions de Français se trouveraient dans cette situation. Nous avons réfléchi aux solutions possibles pour traiter la question de la mal-inscription. Nous avons établi clairement que nous n'étions pas favorables à l'ouverture anticipée des bureaux de vote, pour des raisons d'organisation.

Le vote par procuration est un mode d'expression habituel en France. Seuls sept pays européens le pratiquent. Plus de 3 millions de citoyens ont voté par procuration lors de l'élection présidentielle de 2017. En raison de la pandémie, nous avions prévu par précaution deux procurations par votant. Les élections municipales, départementales et régionales ont montré l'efficacité de ce dispositif. Notre mission a proposé de pérenniser ces assouplissements du droit électoral. Cette double procuration devra être rendue définitive. Les personnes vulnérables devraient pouvoir plus facilement établir leur procuration depuis leur domicile, afin d'éviter les files d'attente dans les gendarmeries. Plus de 83 % des présidents de région et de département ont répondu favorablement à cette proposition, qui semble rentrer dans les principes de fonctionnement du vote par procuration.

Les autres travaux se sont intéressés au vote papier par correspondance. La France garde un mauvais souvenir de ce dispositif mis en œuvre entre 1946 et 1975 de manière très limitée. Seul 1,58 % des votants aux élections législatives de 1967 ont utilisé ce dispositif, abandonné en 1975 notamment pour des raisons de fraude. Les exemples étrangers, notamment en Suisse et en Allemagne, montrent que des procédures plus sécurisées existent. Le ministère de l'Intérieur évalue à 70 millions d'euros par tour de scrutin le coût de ce dispositif, que les services postaux évaluent quant à eux à 200 ou 250 millions d'euros par tour de scrutin.

La voie postale doit en outre respecter des conditions préalables. Ce dispositif doit rester complémentaire du vote à l'urne. Il pourrait être réservé à une certaine catégorie d'électeurs, comme en Australie, ou en l'absence de vote par procuration, comme en Espagne. Le vote par correspondance nécessite d'organiser la confection et l'acheminement des plis. Le vote postal implique au moins trois flux : la transmission du matériel de vote à l'électeur, l'envoi de l'enveloppe d'expédition des électeurs vers un lieu sécurisé, et l'acheminement des plis dans le bureau de vote correspondant afin de comptabiliser et enregistrer le vote pour sécuriser la procédure. Les représentants de la poste se sont montrés confiants dans leur capacité à relever ce défi lorsque nous les avions interrogés. L'expérience malheureuse de la distribution de la propagande électorale pour les élections régionales et départementales, quelques mois plus tard, a battu en brèche cette conviction profonde. Pour mettre en place le vote par correspondance, il faut aussi garantir la sécurité du dispositif. Plusieurs moyens de vérifier l'identité de l'électeur existent à des niveaux d'exigence variables, allant de l'envoi de la copie des documents d'identité et du justificatif de domicile à la rencontre physique avec un tiers de confiance. Un dispositif de suivi doit être mis en place pour s'assurer du bon acheminement des plis du vote par correspondance et les plis doivent être conservés dans un lieu sécurisé à déterminer. La quatrième condition, qui n'est pas la plus facile, est la refonte complète du calendrier électoral. Le délai d'une semaine entre les deux tours n'est pas suffisant pour envoyer le matériel de vote aux électeurs de manière sécurisée. La seule élection dont les deux tours sont séparés d'une durée de deux semaines est l'élection présidentielle. Enfin, le vote par correspondance nécessite la réorganisation des bureaux de vote et du dépouillement, car, en cas de changement de décision, le votant doit pouvoir voter à l'urne même s'il a déjà voté par correspondance. La durée du dépouillement serait augmentée. La voie postale implique donc d'importantes modifications du dispositif.

Il ressortait des auditions que nous avions menées la certitude que ce dispositif ne pourrait être mis en œuvre pour les élections départementales et régionales. Les auditions soulignaient aussi la nécessité d'expérimenter ce dispositif, en vue de l'adopter ou d'y renoncer, par exemple dans le cadre d'élections locales.

Le vote par Internet est un mode de scrutin spécifique pour les Français de l'étranger. À l'échelle internationale, seule l'Estonie l'utilise massivement. Il nécessite le respect de conditions importantes. Nous devons d'abord pouvoir nous prémunir contre les cyberattaques. La création d'une identité numérique robuste permettra de s'assurer de l'identité des électeurs. Il faudra également garantir l'accessibilité de la plateforme de vote, sachant que 14 millions de Français ne peuvent utiliser les outils numériques. Le vote par Internet nous contraindra également à prendre acte de la suppression du rituel républicain du vote à l'urne. Nous devrons enfin nous assurer de la transparence des résultats. Le vote par Internet ne pouvait être mis en place pour les dernières élections et ne sera pas proposé pour les prochaines élections. Les services de l'État devraient avoir achevé la création de l'identité numérique au début de l'année 2022. Il est certain que les risques de fraude dans ce domaine sont réels si le dispositif ne dispose pas d'une sécurisation absolue.

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