Mission d'information visant à identifier les ressorts de l'abstention et les mesures permettant de renforcer la participation électorale

Réunion du mercredi 27 octobre 2021 à 16h15

Résumé de la réunion

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La réunion

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Audition de M. François-Noël Buffet, sénateur, président de la commission des Lois du Sénat.

La séance est ouverte à 16 heures 20.

Présidence de M. Xavier Breton, président.

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Nous avons le plaisir d'accueillir M. François-Noël Buffet, président de la commission des Lois du Sénat et auteur d'un rapport d'information publié en décembre 2020 sous le titre Le vote à distance, à quelles conditions ?. Ce rapport traite certaines des questions qui nous occupent. Il s'appuie sur des analyses de droit comparé très pertinentes, et formule une série de propositions sur lesquelles il me paraissait important de revenir.

Monsieur Buffet, je vous propose de commencer par un propos liminaire. Nous poursuivrons ensuite par un échange avec les députés.

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François-Noël Buffet, président de la commission des Lois du Sénat

La commission des Lois a produit le rapport que vous avez évoqué en décembre 2020, puis un second rapport après les élections départementales et régionales, eu égard aux difficultés rencontrées lors de ces élections.. Ce rapport s'inscrit dans le cadre de la pandémie, qui nous a obligés à nous interroger sur notre processus démocratique. Contrairement à d'autres États, la France a fait le choix de reporter plusieurs échéances électorales, dont le second tour des élections municipales. En réalité, l'épidémie n'est pas la seule cause de l'érosion démocratique. Le taux de participation aux élections législatives est passé de 69,2 % en 1993 à 48,7 % en 2017. Nous avons considéré qu'il fallait réfléchir à un processus électoral et à la façon dont nos concitoyens pouvaient exercer leur droit de vote en sachant que nous ne pourrions modifier les dispositifs pour les élections départementales ou régionales de 2021 ni pour l'élection présidentielle de 2022.

Une mission d'information a été créée pour interroger trois dispositifs différents. Le premier est le vote par procuration, pratiqué en France depuis 1946. Le deuxième est le vote par correspondance papier, abandonné depuis 1975, mais maintenu pour les Français de l'étranger et les détenus. Enfin, le troisième dispositif est le vote par Internet, mis en œuvre pour certains scrutins au bénéfice des Français expatriés.

Nous avons tout d'abord réaffirmé la primauté du vote à l'urne. Le vote est un exercice démocratique qui doit rester un moment important, personnel et confidentiel, bénéficiant de conditions qui assurent sa sécurité. Depuis 1913, l'isoloir protège l'électeur contre les pressions extérieures. Les efforts doivent se poursuivre pour lutter contre la mal-inscription. Sur un corps électoral de 47 millions de votants, plus de 7,5 millions de Français se trouveraient dans cette situation. Nous avons réfléchi aux solutions possibles pour traiter la question de la mal-inscription. Nous avons établi clairement que nous n'étions pas favorables à l'ouverture anticipée des bureaux de vote, pour des raisons d'organisation.

Le vote par procuration est un mode d'expression habituel en France. Seuls sept pays européens le pratiquent. Plus de 3 millions de citoyens ont voté par procuration lors de l'élection présidentielle de 2017. En raison de la pandémie, nous avions prévu par précaution deux procurations par votant. Les élections municipales, départementales et régionales ont montré l'efficacité de ce dispositif. Notre mission a proposé de pérenniser ces assouplissements du droit électoral. Cette double procuration devra être rendue définitive. Les personnes vulnérables devraient pouvoir plus facilement établir leur procuration depuis leur domicile, afin d'éviter les files d'attente dans les gendarmeries. Plus de 83 % des présidents de région et de département ont répondu favorablement à cette proposition, qui semble rentrer dans les principes de fonctionnement du vote par procuration.

Les autres travaux se sont intéressés au vote papier par correspondance. La France garde un mauvais souvenir de ce dispositif mis en œuvre entre 1946 et 1975 de manière très limitée. Seul 1,58 % des votants aux élections législatives de 1967 ont utilisé ce dispositif, abandonné en 1975 notamment pour des raisons de fraude. Les exemples étrangers, notamment en Suisse et en Allemagne, montrent que des procédures plus sécurisées existent. Le ministère de l'Intérieur évalue à 70 millions d'euros par tour de scrutin le coût de ce dispositif, que les services postaux évaluent quant à eux à 200 ou 250 millions d'euros par tour de scrutin.

La voie postale doit en outre respecter des conditions préalables. Ce dispositif doit rester complémentaire du vote à l'urne. Il pourrait être réservé à une certaine catégorie d'électeurs, comme en Australie, ou en l'absence de vote par procuration, comme en Espagne. Le vote par correspondance nécessite d'organiser la confection et l'acheminement des plis. Le vote postal implique au moins trois flux : la transmission du matériel de vote à l'électeur, l'envoi de l'enveloppe d'expédition des électeurs vers un lieu sécurisé, et l'acheminement des plis dans le bureau de vote correspondant afin de comptabiliser et enregistrer le vote pour sécuriser la procédure. Les représentants de la poste se sont montrés confiants dans leur capacité à relever ce défi lorsque nous les avions interrogés. L'expérience malheureuse de la distribution de la propagande électorale pour les élections régionales et départementales, quelques mois plus tard, a battu en brèche cette conviction profonde. Pour mettre en place le vote par correspondance, il faut aussi garantir la sécurité du dispositif. Plusieurs moyens de vérifier l'identité de l'électeur existent à des niveaux d'exigence variables, allant de l'envoi de la copie des documents d'identité et du justificatif de domicile à la rencontre physique avec un tiers de confiance. Un dispositif de suivi doit être mis en place pour s'assurer du bon acheminement des plis du vote par correspondance et les plis doivent être conservés dans un lieu sécurisé à déterminer. La quatrième condition, qui n'est pas la plus facile, est la refonte complète du calendrier électoral. Le délai d'une semaine entre les deux tours n'est pas suffisant pour envoyer le matériel de vote aux électeurs de manière sécurisée. La seule élection dont les deux tours sont séparés d'une durée de deux semaines est l'élection présidentielle. Enfin, le vote par correspondance nécessite la réorganisation des bureaux de vote et du dépouillement, car, en cas de changement de décision, le votant doit pouvoir voter à l'urne même s'il a déjà voté par correspondance. La durée du dépouillement serait augmentée. La voie postale implique donc d'importantes modifications du dispositif.

Il ressortait des auditions que nous avions menées la certitude que ce dispositif ne pourrait être mis en œuvre pour les élections départementales et régionales. Les auditions soulignaient aussi la nécessité d'expérimenter ce dispositif, en vue de l'adopter ou d'y renoncer, par exemple dans le cadre d'élections locales.

Le vote par Internet est un mode de scrutin spécifique pour les Français de l'étranger. À l'échelle internationale, seule l'Estonie l'utilise massivement. Il nécessite le respect de conditions importantes. Nous devons d'abord pouvoir nous prémunir contre les cyberattaques. La création d'une identité numérique robuste permettra de s'assurer de l'identité des électeurs. Il faudra également garantir l'accessibilité de la plateforme de vote, sachant que 14 millions de Français ne peuvent utiliser les outils numériques. Le vote par Internet nous contraindra également à prendre acte de la suppression du rituel républicain du vote à l'urne. Nous devrons enfin nous assurer de la transparence des résultats. Le vote par Internet ne pouvait être mis en place pour les dernières élections et ne sera pas proposé pour les prochaines élections. Les services de l'État devraient avoir achevé la création de l'identité numérique au début de l'année 2022. Il est certain que les risques de fraude dans ce domaine sont réels si le dispositif ne dispose pas d'une sécurisation absolue.

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Merci pour votre résumé de ces deux rapports. Quelles pistes ont-elles été suggérées pour répondre au problème de la mal-inscription ?

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François-Noël Buffet, président de la commission des Lois du Sénat

La première mesure à mettre en place est la multiplication des campagnes d'information. Depuis la mise en place du répertoire électoral unique, chaque citoyen a la possibilité de vérifier sur www.servicepublic.fr l'adresse de son bureau de vote et de s'inscrire sur les listes électorales jusqu'au sixième vendredi précédant le scrutin. L'inscription peut être facilement modifiée, mais beaucoup de citoyens l'ignorent.

Dans l'hypothèse de la mise en place du vote par correspondance, nous pourrions encourager les électeurs qui en feraient la demande à vérifier leur inscription sur les listes électorales. Il s'agirait d'une autre piste pour traiter le problème de la mal-inscription, mais l'information est la première réponse.

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Certains électeurs ne conservent pas leur carte d'électeur après une consultation électorale. Pourquoi les mairies, en lien avec les préfectures, ne réimpriment-elles les cartes électorales que tous les quatre à cinq ans ? À chaque scrutin, la carte électorale pourrait être envoyée par la poste. En effet, beaucoup d'électeurs pensent que cette carte est obligatoire et ne vont pas voter parce qu'ils l'ont perdue.

La distribution du matériel électoral par Adrexo a eu des conséquences très lourdes lors des élections régionales. Que pensez-vous d'une distribution de ce matériel uniquement prise en charge par La Poste ?

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Pourquoi envoyer la carte électorale à chaque scrutin, puisqu'elle n'a aucune utilité ?

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N'oublions pas que cette carte facilite le déroulement du vote.

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Nous pourrions imaginer un système un peu différent. Les listes électorales pourraient être complétées par les coordonnées numériques des citoyens sur la base du volontariat. La propagande électorale pourrait leur être envoyée par SMS ou par courriel.

Concernant les dysfonctionnements liés à l'envoi des plis lors de l'élection du mois de juin, la mission qui a été menée au sein de l'Assemblée nationale a montré que les torts étaient partagés. Certains citoyens n'ont pas reçu la propagande à temps. Une semaine entre les deux tours est sans doute un délai trop court. Modernisons la carte d'électeur, en la couplant peut-être à la carte d'identité.

Beaucoup de citoyens ignorent qu'il est possible de s'inscrire jusqu'au sixième vendredi précédent le vote. Une campagne télévisuelle grand public diffusée au moment adéquat pourrait contribuer à répondre à ce problème. De manière générale, il me semble que nous ne devons pas craindre les expérimentations, par exemple sur le vote par correspondance.

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François-Noël Buffet, président de la commission des Lois du Sénat

Au sein de notre commission, certains soutenaient qu'une durée de quinze jours entre les deux tours des élections était trop longue.

La carte électorale n'est pas obligatoire. Nous n'avons pas connaissance du nombre de cartes non récupérées par les électeurs dans les bureaux de vote ni du nombre d'électeurs qui votent sans carte électorale. L'intérêt de cette carte est le numéro d'inscription sur la liste qui permet de gagner du temps au bureau de vote. La suppression totale de cette carte n'est sans doute pas la meilleure solution. Sa numérisation, au format SMS ou par courriel quelques jours avant chaque élection, pourrait être une piste intéressante. L'identité numérique en préparation sera peut-être aussi une solution.

Concernant la distribution de la propagande électorale, nous avons constaté lors de l'élaboration de notre rapport une succession de problématiques à l'origine de la situation que nous avons rencontrée. La principale difficulté résidait dans le choix du partage des lots entre les entreprises. La Poste a réalisé un meilleur travail qu'Adrexo, qui ne disposait pas des compétences nécessaires pour remplir sa mission. De plus, au deuxième tour, en moyenne, quatre listes étaient encore en lice, au lieu des trois listes attendues. Les imprimeurs ont dû produire une très grande quantité de papier dans des délais très courts. Une partie de la propagande qui n'était pas encore sèche a bloqué les appareils au moment du routage. La Poste et Adrexo n'ont pas disposé des délais suffisants pour distribuer la propagande à temps.

Nous défendons la nécessité absolue d'envoyer la propagande électorale à tous nos citoyens. Les maires et présidents de conseils départementaux et régionaux ont soutenu que la propagande électorale intéresse un grand nombre de citoyens qui prennent réellement le temps de la lire.

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Je voudrais remercier le président Buffet pour son éclairante synthèse du rapport sénatorial. Ce rapport recoupe les auditions que nous avons faites. Votre rapport témoigne de votre volonté de ne pas vous fermer aux évolutions de la société, tout en restant extrêmement prudents. Le vote n'est pas anodin. C'est un acte qui engage le citoyen, doté d'une valeur presque sacrale.

Des clivages se sont-ils manifestés au sein de la mission ? L'équilibre a-t-il rapidement été atteint ? Des propositions fortes ont-elles été écartées par la majorité ?

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François-Noël Buffet, président de la commission des Lois du Sénat

La mission rassemblait tous les partis politiques présents au sein de la Commission. La surprise générale a sans doute été l'accent mis sur l'utilité de la propagande électorale. Chacun a fini par considérer qu'elle était absolument nécessaire. M. Éric Kerrouche s'est distingué en soutenant activement le vote par correspondance et nous ne sommes pas parvenus à le convaincre de la difficulté de la mise en place de ce dispositif. Cependant, nous avons souhaité rester ouverts et avons donc proposé d'en faire une expérimentation, même si elle pourrait conduire à finalement rejeter ce dispositif.

La mission a globalement vu émerger un consensus. Chacun s'est montré soucieux de conserver le vote à l'urne sans aucune exception. Les autres modalités de vote pourraient être complémentaires, mais elles ne doivent pas être généralisées. Les expériences à l'étranger confirment cette idée.

L'idée de voter durant une seule journée, comme la France le propose, est un symbole fort. L'ensemble du corps électoral est convoqué dans un même espace de temps. Il ne faut pas négliger la puissance de la mobilisation des citoyens pour aller élire ses représentants. Nous défendons donc l'idée que l'élection se tienne sur une seule journée. Cela nous apparaît comme un grand principe républicain.

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J'aime employer l'expression de liturgie républicaine. L'élection a d'ailleurs lieu le dimanche. Dans le parcours de citoyen, le dimanche est un jour important, où la société se met à l'arrêt pour un temps. Cette unité de temps permet également la publication des résultats le soir même. Je suis partisan de l'expérimentation de nouveaux types de vote, mais cette unité du jour de vote et du résultat me paraît essentielle. Elle participe en outre à la sérénité démocratique, comme le montre bien l'exemple américain. En Angleterre, le vote a lieu le jeudi. Même si les gens travaillent désormais davantage le dimanche, ce jour me paraît toujours un choix plus judicieux.

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François-Noël Buffet, président de la commission des Lois du Sénat

Le système de procuration est désormais tellement assoupli qu'il règle les éventuels problèmes. Aucune justification n'est désormais requise pour voter par procuration.

Le vote sur une seule journée signifie aussi que la campagne électorale prend fin le vendredi à minuit. La journée du samedi représente un temps où tout s'apaise. Tout, dans notre système, est doté d'une signification et joue un rôle. Toute modification doit s'accompagner de grandes précautions afin d'en respecter l'équilibre. La commission des Lois a montré son attachement au dispositif actuel.

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Nos échanges sur le rituel électoral m'évoquent les travaux de l'anthropologue Marc Abélès, qui avait publié Un ethnologue à l'Assemblée et qui regardait le vote comme un rituel. Monsieur Buffet, je vous remercie pour la présentation de votre rapport et pour cet échange.

La séance est levée à 17 heures.

Membres présents ou excusés

Présents. - M. Erwan Balanant, M. Bruno Bilde, M. Xavier Breton, M. François Cornut-Gentille, Mme Jacqueline Dubois, Mme Monique Iborra, Mme Muriel Roques-Etienne

Excusé. - M. Stéphane Travert