Intervention de Pascal Sciarini

Réunion du jeudi 25 novembre 2021 à 10h10
Mission d'information visant à identifier les ressorts de l'abstention et les mesures permettant de renforcer la participation électorale

Pascal Sciarini, politologue, professeur à l'université de Genève :

Comme vous l'avez évoqué, le vote est très fréquent en Suisse. Les nombreuses élections et votations de démocratie directe constituent un cas particulièrement instructif. Il faut néanmoins rester prudent sur le plan de la comparabilité ou même de l'exportation des enseignements que l'on peut en tirer. En effet, le nombre élevé de scrutins en Suisse induit des caractéristiques spécifiques de participation sur lesquelles je reviendrai.

Je ne baserai pas mes propos sur la seule observation des résultats d'enquêtes d'opinion, propices aux problèmes de mesure de participation, pour au moins deux raisons que je pourrai exposer tout à l'heure. À Genève, nous avons l'avantage de disposer d'une banque de données de participation réelle. Elle permet de recueillir, pour chaque scrutin et par voie électronique, les informations sur les personnes qui ont participé et sur celles qui se sont abstenues. J'ai moi-même constitué cette base il y a plus de vingt-cinq ans, ce qui me permet de suivre l'évolution de la participation de l'ensemble des citoyens genevois au cours du temps. J'aimerais donc m'appuyer sur ces données pour livrer quelques enseignements.

Il me semble par ailleurs pertinent de distinguer les causes conjoncturelles des causes structurelles de l'abstentionnisme et de son évolution dans le temps.

Au cours du XXème siècle, la Suisse a connu un très fort déclin de la participation politique. De la fin de la Première Guerre mondiale aux années 1930, les élections nationales, ou fédérales, mobilisaient près de 80 % des citoyens. La participation a ensuite commencé à décroître, surtout pour les votations et les élections fédérales, aboutissant à un taux de participation dépassant en moyenne à peine les 40 % dans les années 1970. Ce taux de participation n'a pas évolué depuis, stagnant entre 40 et 50 %. Ainsi, aux dernières élections fédérales – qui ont lieu tous les quatre ans – le taux de participation s'élevait à 45 %. Si l'on calcule la moyenne de participation sur les votations fédérales sur une période de quatre ans, sachant que l'on votre trois à quatre fois par an sur des scrutins de démocratie directe, nous ne dépassons guère les 45 %. Ce chiffre moyen masque toutefois de grandes différences de participation d'un scrutin à l'autre, qui peut en réalité varier entre 30 et 60 %.

Si nous considérons chaque vote isolément, nous pouvons considérer la Suisse comme un pays à faible participation. Mais ce constat est certainement lié au nombre très élevé de scrutins. En d'autres termes, on vote peu parce qu'on vote fréquemment. En se basant sur la banque de données que j'ai constituée et en adoptant une perspective cumulative, longitudinale, on peut observer la participation des individus sur dix votations de démocratie directe successives, c'est-à-dire sur une période de trois à quatre ans. On s'aperçoit alors que les abstentionnistes constants représentent seulement 20 % des individus, soit une minorité. À l'autre extrême, un peu moins de 20 % des citoyens avaient participé à la totalité des scrutins. La majorité de l'électorat genevois – les deux tiers – semble donc s'exprimer plutôt ponctuellement, c'est-à-dire entre une et neuf fois sur dix. En étendant la perspective d'analyse sur trente votes successifs de démocratie directe, le pourcentage d'abstentionnistes constants chute à 10 %, de même que la part des personnes ayant participé à la totalité de scrutins. 80 % des citoyens ont donc participé entre une et vingt-neuf fois. Bien sûr, lorsqu'on ne participe qu'à un, deux ou trois votes sur trente, on se situe très près de l'abstentionnisme. Malgré tout, il est important de relever que les personnes qui s'abstiennent systématiquement ne représentent qu'une très petite minorité, alors que la Suisse arbore une image de pays à faible participation. En réalité, cette dernière est plutôt sélective et intermittente. Le fait de voter très souvent donne l'opportunité aux citoyens de choisir les scrutins auxquels ils souhaitent participer en fonction de leur niveau d'intérêt, de compétence, de l'importance de l'enjeu, etc.

La Suisse constitue donc un cas spécifique puisqu'on y vote très souvent. Cependant, le phénomène de participation sélective est observable dans d'autres pays. Ainsi, en France, où les votes de démocratie directe n'existent pas, les taux de participation peuvent varier très fortement, notamment entre les élections présidentielles et les élections communales. En Suisse, on relève plusieurs facteurs explicatifs du taux de participation. Il s'agit en premier lieu de facteurs sociodémographiques : le taux de participation des jeunes de 18 à 30 ans est deux fois moins élevé que celui des personnes âgées de 60 à 80 ans ; fait très particulier, on constate également un taux de décrochage massif chez les femmes âgées.

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