Audition de M. Pascal Sciarini, politologue, professeur à l'université de Genève
La séance est ouverte à 10 heures 05.
Présidence de M. Xavier Breton, président.
Nous parvenons à la fin de nos travaux dans le cadre de cette mission d'information. Il nous a cependant paru important de recevoir un éclairage précis sur le déroulement des élections et votations en Suisse. Il se dit en effet que les scrutins y sont très fréquents, que le taux de participation y est variable, parfois assez faible et que les modalités de vote, assez différentes d'un canton à l'autre, peuvent être novatrices (vote à distance, par exemple). Nous souhaiterions donc que vous nous apportiez un éclairage sur ces différents points.
Comme vous l'avez évoqué, le vote est très fréquent en Suisse. Les nombreuses élections et votations de démocratie directe constituent un cas particulièrement instructif. Il faut néanmoins rester prudent sur le plan de la comparabilité ou même de l'exportation des enseignements que l'on peut en tirer. En effet, le nombre élevé de scrutins en Suisse induit des caractéristiques spécifiques de participation sur lesquelles je reviendrai.
Je ne baserai pas mes propos sur la seule observation des résultats d'enquêtes d'opinion, propices aux problèmes de mesure de participation, pour au moins deux raisons que je pourrai exposer tout à l'heure. À Genève, nous avons l'avantage de disposer d'une banque de données de participation réelle. Elle permet de recueillir, pour chaque scrutin et par voie électronique, les informations sur les personnes qui ont participé et sur celles qui se sont abstenues. J'ai moi-même constitué cette base il y a plus de vingt-cinq ans, ce qui me permet de suivre l'évolution de la participation de l'ensemble des citoyens genevois au cours du temps. J'aimerais donc m'appuyer sur ces données pour livrer quelques enseignements.
Il me semble par ailleurs pertinent de distinguer les causes conjoncturelles des causes structurelles de l'abstentionnisme et de son évolution dans le temps.
Au cours du XXème siècle, la Suisse a connu un très fort déclin de la participation politique. De la fin de la Première Guerre mondiale aux années 1930, les élections nationales, ou fédérales, mobilisaient près de 80 % des citoyens. La participation a ensuite commencé à décroître, surtout pour les votations et les élections fédérales, aboutissant à un taux de participation dépassant en moyenne à peine les 40 % dans les années 1970. Ce taux de participation n'a pas évolué depuis, stagnant entre 40 et 50 %. Ainsi, aux dernières élections fédérales – qui ont lieu tous les quatre ans – le taux de participation s'élevait à 45 %. Si l'on calcule la moyenne de participation sur les votations fédérales sur une période de quatre ans, sachant que l'on votre trois à quatre fois par an sur des scrutins de démocratie directe, nous ne dépassons guère les 45 %. Ce chiffre moyen masque toutefois de grandes différences de participation d'un scrutin à l'autre, qui peut en réalité varier entre 30 et 60 %.
Si nous considérons chaque vote isolément, nous pouvons considérer la Suisse comme un pays à faible participation. Mais ce constat est certainement lié au nombre très élevé de scrutins. En d'autres termes, on vote peu parce qu'on vote fréquemment. En se basant sur la banque de données que j'ai constituée et en adoptant une perspective cumulative, longitudinale, on peut observer la participation des individus sur dix votations de démocratie directe successives, c'est-à-dire sur une période de trois à quatre ans. On s'aperçoit alors que les abstentionnistes constants représentent seulement 20 % des individus, soit une minorité. À l'autre extrême, un peu moins de 20 % des citoyens avaient participé à la totalité des scrutins. La majorité de l'électorat genevois – les deux tiers – semble donc s'exprimer plutôt ponctuellement, c'est-à-dire entre une et neuf fois sur dix. En étendant la perspective d'analyse sur trente votes successifs de démocratie directe, le pourcentage d'abstentionnistes constants chute à 10 %, de même que la part des personnes ayant participé à la totalité de scrutins. 80 % des citoyens ont donc participé entre une et vingt-neuf fois. Bien sûr, lorsqu'on ne participe qu'à un, deux ou trois votes sur trente, on se situe très près de l'abstentionnisme. Malgré tout, il est important de relever que les personnes qui s'abstiennent systématiquement ne représentent qu'une très petite minorité, alors que la Suisse arbore une image de pays à faible participation. En réalité, cette dernière est plutôt sélective et intermittente. Le fait de voter très souvent donne l'opportunité aux citoyens de choisir les scrutins auxquels ils souhaitent participer en fonction de leur niveau d'intérêt, de compétence, de l'importance de l'enjeu, etc.
La Suisse constitue donc un cas spécifique puisqu'on y vote très souvent. Cependant, le phénomène de participation sélective est observable dans d'autres pays. Ainsi, en France, où les votes de démocratie directe n'existent pas, les taux de participation peuvent varier très fortement, notamment entre les élections présidentielles et les élections communales. En Suisse, on relève plusieurs facteurs explicatifs du taux de participation. Il s'agit en premier lieu de facteurs sociodémographiques : le taux de participation des jeunes de 18 à 30 ans est deux fois moins élevé que celui des personnes âgées de 60 à 80 ans ; fait très particulier, on constate également un taux de décrochage massif chez les femmes âgées.
Sur quels types de votations les jeunes s'expriment-ils le plus ? Pourriez-vous par ailleurs approfondir la question du vote des personnes âgées ? En France, se produit à partir de 80 ans une désaffection du vote liée à des problèmes de mobilité ou de santé. Quel est votre éclairage sur la question ?
Je souhaiterais par ailleurs évoquer la place des sondages. Comment sont-ils formalisés dans chaque canton ? Quelle place leur accorde-t-on ? Comment sont-ils financés ?
Quelle pédagogie l'État pratique-t-il pour inciter les populations à se rendre aux urnes ? Qu'en est-il au niveau des cantons ?
Sur quels types de votations avez-vous pu relever des marqueurs éventuels d'insincérité du scrutin ? Existe-t-il des réticences pour valider la fiabilité de ceux-ci ? Certains sont-ils réalisés à distance par voie électronique ou via l'utilisation de machines à voter ?
Le déclin de la participation au cours du XXème siècle, que j'ai mentionné précédemment, est lié au renouvellement générationnel, qui s'est développé de pair avec une diminution du sens civique et de l'intérêt pour la politique. Ceci n'est pas propre à la Suisse mais a été observé dans d'autres pays. On constate parallèlement une augmentation de la participation avec l'âge, phénomène imputable à la fois à l'intégration sociale, qui suit l'évolution professionnelle et familiale, et à l'augmentation progressive de l'expertise politique, particulièrement importante en Suisse du fait du nombre élevé de scrutins. Les jeunes votent donc moins en raison de leur intégration sociale et de leur expertise politique moindres. Ne s'intéressant pas autant que leurs aînés à la question politique, ils éprouvent des difficultés à comprendre l'utilité de voter. D'après nos études, les jeunes sont en outre surreprésentés parmi les abstentionnistes constants, mais cela a tendance à évoluer avec l'âge.
Cependant, ainsi que l'a observé monsieur le rapporteur, dans le grand âge, on peut observer un phénomène inverse, à savoir que, pour des raisons de mobilité, de santé, voire de discernement, les personnes très âgées ne votent plus.
Comme je l'ai déjà évoqué, nous assistons en Suisse à un phénomène supplémentaire caractérisé par un détournement de la politique plus précoce chez les femmes âgées que chez les hommes. L'écart de participation commence ainsi à se creuser entre 60 et 70 ans. Cela est imputable à un facteur compositionnel : parmi les personnes très âgées, on compte proportionnellement plus de veuves que de veufs, puisque les femmes ont une espérance de vie plus longue. Or le veuvage constitue un facteur d'isolement social et, par conséquent, de non-participation. Une autre explication à ce phénomène pourrait être de type institutionnel, reposant sur l'octroi tardif du droit de vote féminin en Suisse (en 1971 sur le plan national et en 1960 à Genève). Une femme âgée de 90 ans aujourd'hui n'a donc obtenu le droit de vote qu'à l'âge de 40 ans. Une femme âgée de 70 ans a obtenu le droit de vote à 20 ans mais elle n'a pas été préparée à voter dans sa jeunesse. On considère que ce facteur pèse encore aujourd'hui sur la participation des femmes les plus âgées.
Il est très important de préciser qu'il existe en Suisse un vote par correspondance simplifié. Concrètement, chaque canton, par ailleurs responsable de la mise en œuvre du système de vote, propose cette modalité très simple, pour laquelle aucune demande de la part des votants n'est requise. Les citoyens reçoivent donc par courrier le matériel de vote ainsi qu'une enveloppe de retour, ce qui leur permet de choisir entre le renvoi du bulletin par la poste ou le déplacement dans le local de vote, avec le matériel reçu, pour voter à l'urne. Le taux de vote par correspondance avoisine désormais les 80 % à l'échelle nationale et plus de 90 % dans le canton de Genève. La tradition du déplacement au bureau de vote ne se conserve plus guère qu'en milieu rural, où elle participe à la vie sociale.
Des études ont été réalisées sur l'ensemble des cantons proposant le vote par correspondance simplifié, avant et après l'introduction de celui-ci. Elles ont conclu que l'avènement de ce mode de vote s'était traduit par une augmentation de trois ou quatre points du pourcentage de participation.
Nous avons aussi largement expérimenté le vote par internet, en particulier dans le canton de Genève. Ce mode de vote, à Genève comme à Zurich, n'a pas eu d'effet sur le taux agrégé de participation. En revanche, dans une étude que j'ai publiée récemment, j'ai pu montrer que l'offre du vote par internet avait un effet mobilisateur sur la participation des personnes qui votent habituellement très peu, quel que soit leur âge. Le cas de Genève n'est toutefois certainement pas représentatif dans la mesure où, le vote par correspondance y représentant déjà une solution extrêmement facile, l'introduction du vote par internet n'a pas conduit à un changement qualitatif majeur. Or il convient d'évaluer les effets de la proposition d'un nouveau mode de vote en fonction des conditions initiales. En fait, le vote par internet s'est plutôt substitué au vote par correspondance, choix plébiscité par 20 % des votants. Au contraire, on pourrait imaginer que dans un contexte d'absence de mode de vote par correspondance, ou dans le cas où cette modalité serait complexe et mal organisée, l'introduction du vote par internet aurait un effet positif sur la participation.
L'intensité des sondages en Suisse est bien plus faible qu'ailleurs, et particulièrement en France. Peu de sondages sont réalisés avant le scrutin, et ce notamment parce que notre système fédéral impliquerait que ces sondages soient effectués dans chacun des cantons. L'intérêt des sondages est assez limité, surtout pour les élections, puisqu'ils sont effectués à l'échelle nationale et ne donnent qu'une image globale des rapports de force. Les sondages pré-élections et pré-votations ne sont pas effectués par l'État, mais ils reposent sur le financement par la télévision suisse publique et par un groupe de presse, Tamedia, qui regroupe un ensemble de journaux quotidiens romands et alémaniques. L'État, à travers le Fonds national suisse de la recherche scientifique, finance depuis 1995 un dispositif important d'enquêtes, l'étude électorale suisse ou Swiss Election Study (Selects), qui repose sur une vaste opération d'enquêtes tous les quatre ans, à la fois avant et après les élections fédérales. Nous bénéficions par ailleurs d'enquêtes après les votes de démocratie directe, financées par la Chancellerie fédérale, afin de comprendre les ressorts de la participation et du vote pour ou contre l'objet soumis au vote.
Pour les votations fédérales, avant tout vote de démocratie directe, chaque citoyen reçoit la traditionnelle brochure du Conseil fédéral, qui présente les objets soumis au vote ainsi que la position des autorités, à savoir le Conseil fédéral et le Parlement. Ils exposent donc leurs recommandations ainsi que les raisons de celles-ci. Par ailleurs, les conseillers fédéraux et les parlementaires interviennent dans des débats publics ou des conférences et prennent position sur les objets pour essayer de former l'opinion et d'amener les citoyens à voter conformément aux souhaits des autorités. Dans la démocratie directe suisse, pour trois votations populaires sur quatre, le peuple donne raison aux autorités. Les animateurs des campagnes (partis politiques, groupes d'intérêts, associations) interviennent également pour tenter d'influencer l'opinion.
Comme je l'ai déjà mentionné, on observe de fortes disparités dans les taux de participation d'un scrutin à l'autre. Cela s'explique en premier lieu par le contexte du vote, c'est-à-dire l'intensité de la campagne référendaire. En effet, d'une part, plus la campagne est intense, plus nombreuses sont les informations délivrées dans l'espace public, et donc plus nombreux sont les messages et les possibilités pour les électeurs de se forger une opinion puis d'aller voter. D'autre part, l'intensité de la campagne agit comme le signal qu'un évènement important est en train de se produire, ce qui mérite que l'on s'informe et que l'on vote. Nous disposons d'une quantité d'informations moindre concernant les élections, beaucoup moins fréquentes. On relève néanmoins ici aussi un lien positif entre intensité des campagnes et taux de participation. Le second facteur explicatif du taux de participation dans le cadre des votations est la complexité de l'objet qui, lorsqu'elle est forte, retient certains citoyens de donner leur opinion.
Les études montrent que le niveau de compétences – perçu ou objectif – est un puissant facteur de participation : les individus non compétents ont ainsi tendance à s'abstenir de voter. Ce constat de la rationalité est plutôt rassurant en termes de gouvernabilité puisque cela permet d'éviter les résultats aléatoires.
Une faible participation ne constitue donc pas nécessairement un problème. De plus, considérer que la légitimité du vote repose sur le taux de participation n'est pas entièrement exact. En effet, si la participation est faible mais distribuée de manière équilibrée parmi tous les segments de la population, le vote est représentatif. Le problème se pose avant tout lorsque la participation est inégalement distribuée, c'est-à-dire lorsque certains segments sont systématiquement sous-représentés parce qu'ils votent moins et que, par conséquent, leurs préférences ne sont pas correctement prises en compte. C'est le cas en Suisse, avec la faible représentation des jeunes, des personnes les moins éduquées et les moins riches ainsi que des personnes issues de l'immigration.
En Suisse, la tradition du vote et l'adhésion au principe de démocratie directe sont telles que la remise en cause d'un vote est un phénomène très rare. Malgré les inévitables déceptions, le verdict est généralement bien accepté, la démocratie directe apportant une très grande légitimité aux décisions politiques. Fait remarquable, cela a même tendance à s'étendre aux objets qui n'ont pas été votés par le peuple. La démocratie directe représente donc à mon sens un instrument très moderne qui permet l'adhésion de la population aux décisions prises par les autorités. Nous connaissons ainsi beaucoup moins de manifestations d'opposition en Suisse que dans d'autres pays, beaucoup moins de grèves, beaucoup moins de démonstrations dans la rue, certainement grâce à cette possibilité de codécision offerte à la population.
Il est pour l'instant gelé depuis deux ans en raison de la découverte d'une faille de sécurité dans l'un des deux systèmes utilisés. Le Conseil fédéral a donc décidé de l'arrêt de cette modalité de vote et a demandé la réalisation d'améliorations technologiques, exigeant la vérifiabilité universelle – c'est-à-dire que chaque votant puisse vérifier, à titre personnel, ce qu'il a voté, mais aussi la confirmation de la comptabilisation de son vote – condition sine qua non à la reprise du vote par internet sous forme de projet pilote. L'idée de généraliser le vote par internet à l'ensemble du territoire dans le futur demeure d'actualité malgré l'opposition d'une certaine partie de la population à laquelle elle fait face et malgré les enjeux de sécurité, qui demeurent plus élevés que lors d'un vote par correspondance. Si celui-ci n'est pas totalement dénué de risques (perte des enveloppes, tentative de fraude des personnes qui chercheraient à voter plusieurs fois, notamment dans les familles où souvent une personne vote pour tous), il reste en effet d'ampleur limitée en comparaison d'une éventuelle cyberattaque avec manipulation des votes.
Votre exposé montre que le vote est le résultat d'une culture politique. La comparaison entre la situation de la Suisse et celle de la France donne à réfléchir. Vous avez décrit le vote suisse comme plutôt rationnel. En France, on observe souvent des votes « d'humeur », familièrement qualifiés de dégagisme, où le vote repose davantage sur un rejet des personnalités politiques que sur la question posée. Comment sortir de ce type de comportement, sachant qu'un changement du système de vote sans évolution parallèle de la culture politique pourrait aboutir à des résultats surprenants ?
La césure concernant l'abstention se situe selon vous dans les années 1970. N'observe-t-on pas des tendances plus récentes ?
En France, la progression de l'abstention est potentiellement liée à des phénomènes plus larges de politisation nouvelle, ou en tout cas du recul du clivage entre la gauche et la droite. Les observations sont-elles similaires en Suisse ?
Inversement, quels sont les votes les plus propices à la participation ? Quels thèmes mobilisent le plus ?
En France, globalement, chacun constate que le système dysfonctionne et nécessite des ajustements mais en dépit de cette observation, les idées nouvelles sont peu nombreuses (votes proportionnels, constituante formée de personnes tirées au sort) et expriment davantage un malaise qu'une recherche d'options concrètes. Un débat de fond se joue-t-il en Suisse ? Le cas échéant, porte-t-il sur des solutions pratiques très matérielles ou plutôt sur une réflexion philosophique sur le rapport au vote qui envisagerait des modifications constitutionnelles ou électorales ?
Vous avez indiqué que le taux de participation en Suisse était peu élevé en raison de la fréquence des votes. L'une des solutions proposées au cours de la présente mission d'information est le regroupement des scrutins. Pensez-vous que cette mesure pourrait s'avérer pertinente ?
En France, une véritable prise en compte du vote blanc est plébiscitée par une assez large partie de la population. En Suisse, est-il comptabilisé à part ? Est-il intégré aux suffrages exprimés ?
Avez-vous évoqué le sujet des machines à voter mises à disposition dans certains cantons ?
On a observé un déclin de la participation entre les années 1930 et les années 1970, suivi d'une stabilisation. Je confirme l'absence d'érosion supplémentaire depuis cette période, pas plus qu'on ne constate d'augmentation spectaculaire. Nous avons connu une légère augmentation au cours des années 1990, qui s'est ensuite tassée. Nous nous situons donc toujours autour de 45 % de participation pour les élections nationales et, concernant les votes de démocratie directe, le taux de participation oscille davantage d'un vote à l'autre, mais nous atteignons toujours une moyenne stable de 45 à 50 %.
Certaines thématiques de votes sont particulièrement mobilisatrices mais c'est plutôt la question posée et l'intensité de la campagne qui s'avèrent déterminantes. Si la question porte sur l'immigration, qu'elle est à l'initiative de l'Union démocratique du centre (UDC), le parti de la droite conservatrice, s'il s'agit d'un sujet particulièrement polémique qui peut – comme cela s'est déjà produit – remettre en cause les relations bilatérales avec l'Union européenne, la campagne référendaire est alors très intense, dans le camp du oui comme dans celui du non, et conduit à une forte participation. L'immigration est un thème qui donne souvent lieu à des votes animés, de même que la politique européenne et les initiatives populaires, qui sont souvent assez innovantes – et donc polémiques – et rencontrent des résistances d'un point de vue économique. Nous voterons ce dimanche 28 novembre sur des questions très importantes, notamment sur la loi covid, qui inclut la question du passe sanitaire, ainsi que sur une initiative visant à améliorer le salaire et la formation des infirmiers. Le taux de participation va donc probablement dépasser les 50 %.
En Suisse, nous ne connaissons pas de recul du clivage entre la gauche et la droite, mais plutôt une accentuation de celui-ci, plus forte qu'il y a trente ans. Ce constat est imputable à la montée en puissance de l'UDC qui, contrairement à son nom, est un parti de droite national populiste. Notre vie politique compte par conséquent parmi les plus polarisées en Europe. Ce phénomène n'explique donc certainement pas le déclin de la participation mais plutôt, au contraire, ce léger rebond des années 1990 évoqué précédemment.
Le taux de participation ne constitue pas une réelle préoccupation en Suisse, la faiblesse de celui-ci étant vraisemblablement liée à la fréquence des scrutins. La légitimité des votes n'est pas davantage remise en cause en raison de cette faible participation. Nous n'avons donc pas le projet de modifier ni de moderniser les conditions de vote. Nous observons en revanche quelques velléités de complexification du recours au vote de démocratie directe par l'augmentation du nombre de signatures requises pour déclencher une initiative ou un référendum. Comme il m'arrive de l'affirmer de façon quelque peu polémique, si l'on souhaitait voir augmenter le taux de participation, il faudrait réduire le nombre de votes. Or ceci ne fait pas vraiment sens, dans la mesure où les questions posées doivent être prises en compte. La Suisse compte un seul canton où le vote est obligatoire, à savoir le canton de Schaffhouse et où la non-participation implique une pénalité de six francs. De fait, le taux de participation y est systématiquement le plus élevé, dépassant de 15 à 20 points le pourcentage national moyen. Pour autant, personne n'envisage de rendre le vote obligatoire dans l'ensemble du pays. Celui-ci est en effet considéré comme un droit et non comme une obligation. La question du tirage au sort est quant à elle parfois évoquée. Une initiative soumise au vote ce week-end vise à ce que les juges du Tribunal fédéral, la plus haute instance juridique, soient désignés par un tel procédé. Par ailleurs, l'un de mes collègues expérimente actuellement la constitution d'un jury populaire qui interviendrait en amont des votes de démocratie directe. Pour ce faire, il réunit des citoyens pendant deux week-ends pour les faire discuter et les amener à rédiger un texte d'explication du vote, distinct de l'explication officielle du Conseil fédéral, qui illustre le sujet tel qu'il est perçu par des citoyens représentatifs de la population.
Si l'on introduisait maintenant une démocratie directe en France, il est évident que l'on assisterait à ces manifestations de mauvaise humeur que vous avez évoquées. Cela s'est également produit en Suisse. L'avènement de la démocratie directe dans notre pays a donné lieu à des premiers scrutins assez particuliers. Les autorités ont ainsi d'abord essuyé quelques échecs et il a fallu du temps avant que notre culture politique et que le vote raisonnable se développent. En France, il existe le cas particulier du référendum, qui est dit plébiscitaire parce qu'il est à l'initiative du Président, qui demande le soutien de la population. Or dans cette situation, comme on l'a vu en 1992 pour Maastricht ou en 2005 pour le vote sur la constitution européenne, il se produit une confusion entre l'objet soumis au vote d'une part et un vote de sanction ou d'approbation du gouvernement en place d'autre part. Nous ne connaissons pas ce problème en Suisse car nous disposons d'autres modalités de vote de démocratie directe. Il serait à mon avis tout à fait envisageable en France de réfléchir à certaines formes de démocratie directe qui, progressivement, octroieraient davantage de droits de codécision aux électeurs sans forcément donner lieu à des effets d'humeur.
Regrouper les scrutins est à mon sens recommandable en Suisse dans la mesure où l'on vote très souvent. Il ne me semble cependant pas que le problème de participation en France réside dans la répétition des votes, mais qu'il a plutôt à voir avec l'enjeu politique d'une part, et la méfiance à l'égard de la classe politique d'autre part. On pourrait certes éventuellement assister à un effet d'entraînement qui bénéficierait aux scrutins les moins importants. Il convient par ailleurs de ne pas surcharger les votes par un nombre de scrutins trop important, ce qui pourrait paraître trop compliqué en termes de réflexion et aurait un effet potentiellement dissuasif.
Le vote par internet n'a pas été suivi d'effets au niveau agrégé car un vote par correspondance extrêmement confortable et facile à utiliser existait déjà. Dans certains cantons, il suffit de glisser l'enveloppe dans la boîte postale sans même avoir à y coller un timbre. Cependant, dans un contexte où il faut encore se rendre aux urnes physiquement, cela pourrait avoir des conséquences positives.
Le vote blanc ne représente pas un enjeu en Suisse. D'ailleurs, j'ignore comment il est pris en compte exactement. Il me semble qu'il est comptabilisé en termes de participation mais pas au niveau du résultat du vote. En fait, les différences de participation d'un vote à l'autre ne sont imputables qu'en toute petite partie au vote blanc (de l'ordre d'un point seulement) qui est utilisé à la marge et pas du tout comme vote de protestation.
La séance est levée à 11 heures 05.
Membres présents ou excusés
Présents. - M. Erwan Balanant, M. Xavier Breton, M. François Cornut-Gentille, Mme Jacqueline Dubois, Mme Monique Iborra, Mme Jacqueline Maquet, M. Sylvain Templier, M. Stéphane Travert