Intervention de Pascal Sciarini

Réunion du jeudi 25 novembre 2021 à 10h10
Mission d'information visant à identifier les ressorts de l'abstention et les mesures permettant de renforcer la participation électorale

Pascal Sciarini, politologue, professeur à l'université de Genève :

On a observé un déclin de la participation entre les années 1930 et les années 1970, suivi d'une stabilisation. Je confirme l'absence d'érosion supplémentaire depuis cette période, pas plus qu'on ne constate d'augmentation spectaculaire. Nous avons connu une légère augmentation au cours des années 1990, qui s'est ensuite tassée. Nous nous situons donc toujours autour de 45 % de participation pour les élections nationales et, concernant les votes de démocratie directe, le taux de participation oscille davantage d'un vote à l'autre, mais nous atteignons toujours une moyenne stable de 45 à 50 %.

Certaines thématiques de votes sont particulièrement mobilisatrices mais c'est plutôt la question posée et l'intensité de la campagne qui s'avèrent déterminantes. Si la question porte sur l'immigration, qu'elle est à l'initiative de l'Union démocratique du centre (UDC), le parti de la droite conservatrice, s'il s'agit d'un sujet particulièrement polémique qui peut – comme cela s'est déjà produit – remettre en cause les relations bilatérales avec l'Union européenne, la campagne référendaire est alors très intense, dans le camp du oui comme dans celui du non, et conduit à une forte participation. L'immigration est un thème qui donne souvent lieu à des votes animés, de même que la politique européenne et les initiatives populaires, qui sont souvent assez innovantes – et donc polémiques – et rencontrent des résistances d'un point de vue économique. Nous voterons ce dimanche 28 novembre sur des questions très importantes, notamment sur la loi covid, qui inclut la question du passe sanitaire, ainsi que sur une initiative visant à améliorer le salaire et la formation des infirmiers. Le taux de participation va donc probablement dépasser les 50 %.

En Suisse, nous ne connaissons pas de recul du clivage entre la gauche et la droite, mais plutôt une accentuation de celui-ci, plus forte qu'il y a trente ans. Ce constat est imputable à la montée en puissance de l'UDC qui, contrairement à son nom, est un parti de droite national populiste. Notre vie politique compte par conséquent parmi les plus polarisées en Europe. Ce phénomène n'explique donc certainement pas le déclin de la participation mais plutôt, au contraire, ce léger rebond des années 1990 évoqué précédemment.

Le taux de participation ne constitue pas une réelle préoccupation en Suisse, la faiblesse de celui-ci étant vraisemblablement liée à la fréquence des scrutins. La légitimité des votes n'est pas davantage remise en cause en raison de cette faible participation. Nous n'avons donc pas le projet de modifier ni de moderniser les conditions de vote. Nous observons en revanche quelques velléités de complexification du recours au vote de démocratie directe par l'augmentation du nombre de signatures requises pour déclencher une initiative ou un référendum. Comme il m'arrive de l'affirmer de façon quelque peu polémique, si l'on souhaitait voir augmenter le taux de participation, il faudrait réduire le nombre de votes. Or ceci ne fait pas vraiment sens, dans la mesure où les questions posées doivent être prises en compte. La Suisse compte un seul canton où le vote est obligatoire, à savoir le canton de Schaffhouse et où la non-participation implique une pénalité de six francs. De fait, le taux de participation y est systématiquement le plus élevé, dépassant de 15 à 20 points le pourcentage national moyen. Pour autant, personne n'envisage de rendre le vote obligatoire dans l'ensemble du pays. Celui-ci est en effet considéré comme un droit et non comme une obligation. La question du tirage au sort est quant à elle parfois évoquée. Une initiative soumise au vote ce week-end vise à ce que les juges du Tribunal fédéral, la plus haute instance juridique, soient désignés par un tel procédé. Par ailleurs, l'un de mes collègues expérimente actuellement la constitution d'un jury populaire qui interviendrait en amont des votes de démocratie directe. Pour ce faire, il réunit des citoyens pendant deux week-ends pour les faire discuter et les amener à rédiger un texte d'explication du vote, distinct de l'explication officielle du Conseil fédéral, qui illustre le sujet tel qu'il est perçu par des citoyens représentatifs de la population.

Si l'on introduisait maintenant une démocratie directe en France, il est évident que l'on assisterait à ces manifestations de mauvaise humeur que vous avez évoquées. Cela s'est également produit en Suisse. L'avènement de la démocratie directe dans notre pays a donné lieu à des premiers scrutins assez particuliers. Les autorités ont ainsi d'abord essuyé quelques échecs et il a fallu du temps avant que notre culture politique et que le vote raisonnable se développent. En France, il existe le cas particulier du référendum, qui est dit plébiscitaire parce qu'il est à l'initiative du Président, qui demande le soutien de la population. Or dans cette situation, comme on l'a vu en 1992 pour Maastricht ou en 2005 pour le vote sur la constitution européenne, il se produit une confusion entre l'objet soumis au vote d'une part et un vote de sanction ou d'approbation du gouvernement en place d'autre part. Nous ne connaissons pas ce problème en Suisse car nous disposons d'autres modalités de vote de démocratie directe. Il serait à mon avis tout à fait envisageable en France de réfléchir à certaines formes de démocratie directe qui, progressivement, octroieraient davantage de droits de codécision aux électeurs sans forcément donner lieu à des effets d'humeur.

Regrouper les scrutins est à mon sens recommandable en Suisse dans la mesure où l'on vote très souvent. Il ne me semble cependant pas que le problème de participation en France réside dans la répétition des votes, mais qu'il a plutôt à voir avec l'enjeu politique d'une part, et la méfiance à l'égard de la classe politique d'autre part. On pourrait certes éventuellement assister à un effet d'entraînement qui bénéficierait aux scrutins les moins importants. Il convient par ailleurs de ne pas surcharger les votes par un nombre de scrutins trop important, ce qui pourrait paraître trop compliqué en termes de réflexion et aurait un effet potentiellement dissuasif.

Le vote par internet n'a pas été suivi d'effets au niveau agrégé car un vote par correspondance extrêmement confortable et facile à utiliser existait déjà. Dans certains cantons, il suffit de glisser l'enveloppe dans la boîte postale sans même avoir à y coller un timbre. Cependant, dans un contexte où il faut encore se rendre aux urnes physiquement, cela pourrait avoir des conséquences positives.

Le vote blanc ne représente pas un enjeu en Suisse. D'ailleurs, j'ignore comment il est pris en compte exactement. Il me semble qu'il est comptabilisé en termes de participation mais pas au niveau du résultat du vote. En fait, les différences de participation d'un vote à l'autre ne sont imputables qu'en toute petite partie au vote blanc (de l'ordre d'un point seulement) qui est utilisé à la marge et pas du tout comme vote de protestation.

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