Un an et demi après l'extension des vaccinations obligatoires pour les nourrissons, l'Office a publié une note scientifique sur la politique vaccinale en France qui a souligné l'existence d'une défiance vis-à-vis de la vaccination, plus marquée en France que dans les pays voisins. C'est pourquoi notre premier vice-président Cédric Villani, ma collègue sénatrice Florence Lassarade et moi-même avons souhaité poursuivre et approfondir ce travail par une audition publique portant sur le thème plus spécifique de l'hésitation vaccinale. Le phénomène est multifactoriel et l'audition a permis de présenter ses origines multiples et les réponses déjà en œuvre ou envisageables qui découlent de ces observations.
Si le constat de l'ampleur du phénomène est partagé par tous, son interprétation et les solutions proposées suscitent des divergences. Il importait donc tout particulièrement que l'Office se saisisse de cette question pour l'examiner en détail, à la lumière des points de vue des différentes parties prenantes.
La défiance vis-à-vis de la vaccination est un phénomène ancien qui est aujourd'hui suivi avec beaucoup d'attention car, d'après Coralie Chevallier, il fait partie des comportements à risque qui menacent la santé publique.
Sylvie Quelet, de Santé publique France, a montré que les enquêtes à spectre large de l'agence, comme les baromètres de santé effectués à intervalles réguliers, permettent de suivre l'adhésion de la population à la vaccination. Il convient de distinguer le rejet catégorique de la vaccination de l'hésitation vaccinale, qui correspond à une attitude ambiguë, souvent caractérisée par l'accord avec le principe que la vaccination est importante pour la santé mais avec le rejet de certains vaccins ou de certains de leurs composants.
Laurent-Henri Vignaud a rappelé que la défiance envers la vaccination est un phénomène qui remonte au tout début de la vaccination et même à l'inoculation variolique, car ces deux techniques étaient associées à de réels risques pour la santé, bien qu'efficaces contre la variole, comme cela avait été démontré par les mathématiciens Bernoulli et d'Alembert.
La perspective historique a mis en exergue un certain nombre de biais cognitifs qui expliquent, encore aujourd'hui, la défiance. La mauvaise appréhension des statistiques conduit à mal estimer le rapport bénéfices/risques, bien que celui-ci se soit considérablement amélioré. Les exemples concrets ont une influence plus grande sur la décision.
Des biais spécifiques à certains vaccins ont été décrits, par exemple pour le vaccin anti-HPV (anti-papillomavirus), qui n'est prescrit quasiment qu'aux jeunes filles en France et qui est souvent associé au début de la vie sexuelle. Ainsi, on ne peut que se réjouir que le ministère de la santé ait récemment annoncé suivre l'avis de la Haute Autorité de santé d'étendre la recommandation de la vaccination aux garçons.
Des évènements comme l'épidémie de grippe H1N1 ou l'arrêt de la campagne de vaccination contre l'hépatite B, repris par Annick Opinel, sont à l'origine d'un contexte culturel de défiance vis-à-vis des institutions, et en particulier des autorités sanitaires, spécifique à la France, qui explique probablement en partie la plus grande proportion d'hésitation vaccinale en comparaison des pays voisins.
Pour Jérémy Ward, il existe une différence notable par rapport au passé : les hésitants se disent maintenant souvent partisans de la vaccination et ne rejettent que certains vaccins ou que certains composants, différents selon les pays, et ils citent souvent des travaux scientifiques pour fonder leur argumentation, ce qui a pour effet d'instiller le doute dans leur entourage et parmi ceux qui les écoutent.
La question de l'obligation de la vaccination, deux ans après, a encore suscité des débats, et les intervenants, même s'ils ne sont pas accordés sur la méthode – obligation ou non – ont tous relevé les conséquences positives de la mesure sur l'acceptation vaccinale. Le Pr. Henri Partouche a indiqué que ces obligations étaient contraires à l'idée de mission de santé publique que se font de nombreux médecins, qui préféreraient réussir à convaincre les patients de se faire vacciner plutôt que d'avoir à brandir l'argument de l'obligation.
Tous les intervenants se sont accordés sur le fait que la question de l'information était une question centrale pour comprendre et pour trouver des solutions à l'hésitation vaccinale. Plusieurs facteurs jouent : présence des scientifiques ou des médecins dans les médias, écrits très documentés de scientifiques et de journalistes spécialisés pour vulgariser les connaissances sur le sujet, etc.
L'analyse détaillée de Manon Berriche et Sacha Altay portant sur l'interaction des internautes avec un site internet souvent décrit comme « modèle » de désinformation en santé, a laissé entendre que les internautes ne sont pas si crédules, et que les publications qui sont vraiment de la désinformation en santé sont finalement celles qui suscitent le moins d'interaction. Les médias plus traditionnels restent les principales sources d'information, conclusion qui était partagée par Jérémy Ward. Cyril Drouot a complété en indiquant que le discours du journaliste spécialisé, qui est parfois un médecin, est celui qui suscite le plus l'adhésion. C'est un point de stimulation sur lequel il est possible d'agir.
Plusieurs intervenants ont souligné que le biais cognitif, qui incite à considérer avec plus d'attention l'exemple concret que la démonstration statistique, pouvait être atténué par une amélioration de la littératie scientifique à l'école et une amélioration de l'appréhension des concepts statistiques. Jérémy Ward a, quant à lui, indiqué que la confiance dans la vaccination était avant tout une délégation de l'expertise du citoyen vers le médecin et les autorités de santé.
Plusieurs intervenants, dont le Pr. Alain Fischer et plusieurs parlementaires, ont suggéré de revenir à une vaccination par la médecine scolaire, qui serait assortie d'une éducation aux bonnes pratiques de santé. Sans que tous les intervenants s'accordent sur cette proposition, il est ressorti des discussions que l'école peut être un lieu d'éducation à la santé, ce qui serait un renouveau.
Coralie Chevallier et le Pr. Henri Partouche ont indiqué que trop chercher à rassurer des personnes suspicieuses peut paradoxalement conduire à les inquiéter encore plus. De plus, les maladies à prévention vaccinale sont généralement mal connues du grand public, par nature, puisque peu fréquentes du fait de la vaccination. Il conviendrait donc de focaliser la communication sur les risques associés à ces maladies plutôt que chercher à déployer des efforts considérables pour éteindre les controverses.
Coralie Chevallier a précisé que l'intuition n'était d'aucune aide pour élaborer des campagnes de vaccination, qu'il fallait toujours les tester en amont de façon à ce qu'elles soient plus efficaces et les « post-tester » de façon à évaluer leur impact effectif.
Isabelle Bonmarin a présenté l'initiative de Santé publique France pour informer le grand public qu'est le site internet vaccination-info-service.fr, dont on peut regretter que seulement 5 % des personnes interrogées l'aient déjà consulté.
Coralie Chevallier a indiqué que des mesures d'ordre organisationnel ou relationnel permettaient d'atténuer l'hésitation des patients : mise à disposition des vaccins dans les cabinets médicaux, possibilité pour les pharmaciens de vacciner, etc. L'attitude du médecin a également une grande influence sur la réalisation de la vaccination.
Nous proposons finalement que l'Office adopte les recommandations suivantes :
La facilitation de la réalisation des vaccinations en officine, par le pharmacien, ou en cabinet par un médecin, par la mise à disposition des vaccins sur place, devrait être mise en œuvre rapidement.
Le service sanitaire des étudiants en santé étant un moyen d'éduquer les enfants aux bonnes pratiques de santé, par des interventions dans les écoles, il est nécessaire que ces étudiants soient formés sur la bonne façon de promouvoir la vaccination, en particulier en insistant plus sur les risques liés aux maladies à prévention vaccinale. La maternité, qui accueille des jeunes parents très réceptifs car très sensibles à la santé de leur nouveau-né, peut constituer un lieu privilégié d'information sur la vaccination.
Il conviendrait d'encourager la recherche comportementale, d'une part pour mieux apprécier les effets des infox circulant sur les réseaux sociaux sur le comportement des personnes et adapter la modération à la menace réelle qu'elles représentent, d'autre part pour assurer l'efficacité du message en santé publique, jusqu'à la décision effective du citoyen.
Plus généralement, il y a lieu d'encourager les médias et les maisons d'édition à se doter d'une expertise scientifique interne pour veiller à un traitement scientifiquement juste des informations liées à la vaccination.