Intervention de Jean-Luc Fugit

Réunion du jeudi 14 mai 2020 à 9h30
Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Luc Fugit, député :

. – Globalement, oui. Le taux de diminution est fonction des pays. Il s'agit par ailleurs de tendances. Je rappelle que dans la note scientifique que j'avais élaborée et que l'Office avait adoptée à l'automne 2019 sur « les satellites et leurs applications », le sujet du CO2 était évoqué. En effet, nous ne disposons pas aujourd'hui de mesures satellitaires fiables permettant de suivre les flux de CO2 de manière performante. Fin 2021, nous devrions disposer, dans le cadre du projet Microcarb , de moyens permettant de réaliser de telles mesures de flux de CO2 et de distinguer ainsi entre les émissions anthropiques et les émissions biogéniques de CO2 ; ceci permettra de vérifier si les engagements pris par un pays sont tenus.

Le projet Merlin, quant à lui, permettra le suivi du méthane, émis par les bovins mais aussi par des activités humaines. La contribution de ce gaz à l'effet de serre n'est pas négligeable, et nous avons donc besoin de satellites permettant d'en mesurer les concentrations. Ce projet devrait être prêt pour un lancement fin 2021.

S'agissant des polluants (dioxyde d'azote, particules fines, monoxyde de carbone), la diminution des activités les plus polluantes telles que le trafic routier et le trafic aérien a eu un impact mesurable sur les concentrations atmosphériques en oxydes d'azote et en monoxyde de carbone. Je rappelle que celui‑ci n'a pas d'impact sur la santé dès lors que l'on n'est pas en milieu confiné. L'intoxication au monoxyde de carbone s'explique par le fait que celui‑ci prend la place du dioxygène sur l'hémoglobine, qui ne peut donc plus jouer son rôle de transporteur d'oxygène. En revanche, en air extérieur, un risque sanitaire en raison du monoxyde de carbone est quasiment impossible. Le monoxyde de carbone apparaît dans des phénomènes de combustion incomplète et contribue à former du CO2, donc à alimenter l'effet de serre, mais aussi l'ozone de la troposphère, qui est agressif. Les émissions de monoxyde de carbone ont connu une diminution de 50 % en Chine sur la période observée, ce n'est pas surprenant, puisque le charbon y est très utilisé en temps normal. En Italie du Nord ou aux États-Unis, les diminutions sont moindres et n'atteignent que 10 à 20 %. Pour les oxydes d'azote, qui constituent le polluant principal du trafic routier à énergies fossiles, une diminution moyenne de 30 % a été observée en Europe et une diminution de 50 % dans les 100 plus grandes villes françaises. En région parisienne, la diminution a été de 30 à 40 %.

Concernant les particules fines, il ne fallait pas s'attendre à une diminution importante des émissions. Nous avons tendance à penser qu'elles sont associées au trafic routier. En réalité, 20 % seulement sont émises par le trafic routier, et 80 % par d'autres sources, naturelles ou anthropiques : chauffage résidentiel non performant, épandages agricoles, brûlage de déchets verts, etc. La baisse de certaines activités a, en l'occurrence, suffi pour observer une diminution significative de ces particules. En revanche, un pic de pollution a été observé dans la région Hauts‑de‑France, avec des valeurs assez élevées. Ce pic était lié à des poussières telluriques venues d'Europe de l'Est, au début des épandages agricoles printaniers. Si un tel pic était survenu en juillet ou novembre, sa teneur en particules aurait été moins élevée, mais il y aurait eu davantage d'ozone. En fonction du polluant et de la saison, l'impact n'est pas le même. Tous les polluants, en effet, n'ont pas le même comportement tout au long de l'année.

L'ammoniac est un précurseur des particules fines, fortement lié à la pratique des épandages agricoles. Il réagit avec les oxydes d'azote, qui sont principalement émis par l'activité routière. En conséquence, des particules se sont formées. Il n'a pas été observé de chute importante des émissions de particules fines issues d'ammoniac.

Certains acteurs du suivi de ces pollutions ont fait part d'un autre aspect positif du confinement : la baisse du trafic routier et d'une partie de l'activité économique a permis de mieux caractériser et quantifier les autres sources de pollution aux particules. En particulier, le Latmos a indiqué avoir pu mieux caractériser certaines spécificités régionales, notamment en Île‑de‑France.

En conclusion de cette première partie, si le confinement a eu des effets quantifiables sur la qualité de l'air, la réponse diffère en fonction du polluant considéré, des phénomènes météorologiques et du moment. Il est donc nécessaire d'expliquer clairement les phénomènes observés et de poursuivre les recherches et le suivi observationnel. Il sera intéressant d'étudier les impacts du déconfinement progressif sur le plus long terme, notamment sur le secteur aérien, dont la reprise sera probablement progressive et très lente.

La seconde partie de la note porte sur l'impact de la pollution de l'air sur la résistance au virus et sur la propagation du virus. Les articles de presse ont montré une certaine confusion.

Le premier sujet consiste à savoir si la pollution de l'air favorise ou non la propagation du virus. La note rappelle que le mode de propagation du virus est plutôt interhumain, de proximité, et qu'il repose sur les gouttelettes émises par les personnes contaminées et inhalées, directement ou non, par les personnes saines, d'où l'importance des gestes barrière et de la désinfection. Il ne semble pas que les polluants de l'air puissent jouer un rôle dans la propagation du virus, mais une étude italienne a mis en évidence une relation possible entre le niveau de pollution aux particules fines et la progression du nombre de cas de Covid‑19. L'idée que les particules fines soient un vecteur facilitant le transport du virus n'est cependant pas retenue à ce stade par les experts, faute d'éléments suffisamment probants. L'étude italienne établit un lien entre les deux variables que sont la concentration en particules fines et les nouveaux cas de Covid, mais une corrélation n'est pas une causalité. On peut notamment remarquer que les régions les plus polluées sont aussi les plus peuplées. La densité de population pourrait sans doute expliquer la dynamique de propagation du virus en Italie du Nord. Rien n'est donc démontré à ce jour en matière de transport du virus par les particules. La question de la viabilité du virus sur les particules n'est d'ailleurs pas tranchée. Des doutes persistent et des études sont nécessaires sur ce sujet.

Le deuxième sujet consiste à savoir si la pollution de l'air aggrave l'épidémie en rendant le Covid‑19 plus mortel pour les personnes atteintes. Cette question mérite d'être posée, en raison des effets sanitaires d'ores et déjà bien connus de la pollution de l'air. La France doit en effet déplorer 48 000 morts par an dues à la pollution de l'air, il y en a 500 000 en Europe, et l'impact financier peut être évalué à plusieurs dizaines de milliards d'euros, comme en atteste un rapport du Sénat de 2015. Les pics de pollution sont des déclencheurs de problèmes sanitaires : irritation de la sphère ORL, aggravation des maladies respiratoires chroniques, etc. L'exposition prolongée à des polluants atmosphériques est aussi la cause de multiples pathologies, comme l'asthme, les accidents vasculaires ou la capacité de l'organisme à se défendre. Santé publique France suit ces sujets. Une étude chinoise avait établi que, lors de l'épidémie de SARS de 2002‑2003, le risque de décès était fortement augmenté dans les régions connaissant un niveau élevé de pollution. Pour le Covid‑19, il convient de se poser deux questions : d'une part, l'exposition à une pollution atmosphérique immédiate forte aggrave‑t‑elle la crise, augmente‑t‑elle la mortalité et entraîne-t-elle un pic d'épidémie ? D'autre part, l'exposition chronique (la pollution habituelle à laquelle beaucoup d'entre nous sommes soumis) augmente‑t‑elle l'impact du Covid‑19 pour les personnes malades ? Les travaux conduits offrent des débuts de réponse.

L'effet d'une exposition de court terme aux polluants sur la mortalité par le Covid‑19 est assez peu documenté. Une étude chinoise en cours de publication laisse à penser qu'il existe un lien positif, mais certains biais devraient être éliminés, notamment l'exposition à long terme. Nous avons donc besoin de travaux complémentaires en la matière, ainsi que d'une grande rigueur scientifique. Je suis d'ailleurs préoccupé par les nombreuses publications scientifiques qui ont été rendues publiques sans être revues par les pairs.

Le rôle de l'exposition chronique, de longue durée, commence à être mis en évidence. Une étude assez complète, publiée par des chercheurs de Harvard, tend à montrer qu'une variation même assez faible du niveau d'exposition chronique aux particules très fines entraîne une hausse de 8 % de la mortalité par le Covid‑19. La méthodologie choisie pour cette étude tend à neutraliser les autres paramètres pour atteindre un résultat fiable. Une étude chinoise conclut elle aussi qu'un niveau plus élevé de particules fines entraîne plus de mortalité par le Covid‑19. D'autres études concluent que le dioxyde d'azote serait responsable, dans des proportions encore plus importantes, d'un excès de mortalité par le Covid‑19. Notre note cite une étude allemande, une étude chinoise et une étude récente de l'Université de Cambridge. Les premiers résultats de ces études laissent donc à penser que les polluants atmosphériques ont un effet délétère sur les patients atteints de Covid‑19.

Toutes ces études doivent cependant être appréhendées avec prudence, en ce qu'elles n'ont pas fait l'objet d'une revue par les pairs. Nous disposons néanmoins d'une masse importante d'informations sanitaires environnementales qui devraient permettre d'affiner ces analyses dans les mois et les années à venir. En fin d'année, l'Office pourrait analyser à nouveau ces éléments. En connaissant mieux l'impact des polluants atmosphériques en période de crise sanitaire, les autorités pourront ajuster l'arsenal des réponses à la crise et élaborer des stratégies de confinement différentes en fonction du niveau et des caractéristiques de la pollution atmosphérique dans différents territoires. Dans cette optique, et conformément à l'orientation prise depuis plusieurs années autour des questions de santé environnementale, il conviendra probablement d'assurer une meilleure interconnexion entre les systèmes d'information sur les questions de qualité d'air et ceux sur les données de santé.

En conclusion, ces premières études ont permis de mettre en évidence des interactions entre la pollution de l'air, les gaz à effet de serre et la crise sanitaire liée à l'épidémie de Covid‑19. Ces informations restent cependant partielles, et sont donc probablement incomplètes. Le travail doit dès lors être poursuivi, amplifié et comparé. Les travaux de recherche devraient être revus par les pairs. Le ministère de l'Enseignement supérieur, de la Recherche et de l'Innovation, doit aider les instituts et organismes de recherche à poursuivre leurs travaux. En 2003, plus de six mois après l'épisode caniculaire, il a été démontré qu'une proportion non négligeable des décès enregistrés au cours de l'été n'étaient pas liés à la chaleur mais à l'ozone. Les fortes températures avaient fait augmenter la concentration en ozone à des niveaux extrêmement élevés entre le 3 et le 14 août 2003. Dans certaines villes, 70 à 75 % des décès étaient liés à l'impact direct de l'ozone, substance très agressive pour l'organisme, qui réduit la taille des vaisseaux sanguins et perturbe fortement le système respiratoire.

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