Intervention de Cédric Villani

Réunion du jeudi 14 mai 2020 à 9h30
Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaCédric Villani, député, premier vice-président de l'Office :

. – Je propose à l'Office de publier la note, après qu'auront été apportées quelques précisions issues de nos échanges.

Il me semble que cette proposition recueille un consensus. Un grand merci collectif à Jean-Luc Fugit, pour cette présentation.

Je propose à présent de présenter un court résumé des auditions conduites ces derniers jours. Nous avons eu une audition, déjà très commentée dans la presse, de Guillaume Poupard, directeur général de l'Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information (ANSSI), sur les questions du traçage algorithmique, confirmant tous les points que nous avions eu l'occasion d'évoquer précédemment et insistant sur la tension entre les grands opérateurs américains (Google et Apple, en tant que fabricants des systèmes d'exploitation des téléphones) et la puissance publique. Guillaume Poupard pointait en particulier le risque de conflit d'intérêts si un opérateur, qui dispose déjà de nombreuses informations sur la santé des individus grâce aux objets connectés (notamment les montres), prend la décision de se lancer dans une activité d'assurance ; cela peut conduire à un risque de distorsion de l'ensemble du système. Guillaume Poupard a également évoqué les tensions entre les promoteurs des différents protocoles : le centralisé (Robert), le décentralisé (DP3T), et un protocole qui voudrait faire une sorte de « synthèse » entre les deux précédents (Désiré), etc. Il a également insisté sur le fait que le code de Robert allait être rendu public, pour une mise en service début juin. Les articles de la presse spécialisée publiés jusqu'à présent mettent en exergue le fait que seules quelques portions limitées de code ont été à ce stade publiées, jugées décevantes.

Plusieurs auditions ont mobilisé des interlocuteurs étrangers, notamment Ali Nouri, président de la Fédération des Scientifiques américains, ainsi qu'un collectif néozélandais réuni autour de Peter Gluckman, fondateur et président du réseau international des conseillers scientifiques de gouvernement (INGSA). D'un continent à l'autre, les approches sont très différentes. Aux États-Unis, le tableau dépeint était assez apocalyptique : un déconfinement sans concertation d'un État à l'autre, des États républicains déconfinant plus rapidement que les États démocrates (ceux‑ci insistant sur la santé, les premiers sur l'économie), des thèses complotistes circulant dans les États républicains, des discours de Donald Trump se traduisant par des sommets de confusion, un système général de santé qui n'est pas prêt déploiement des opérations de traçage, des tests qui peinent à s'organiser, une parole publique très contradictoire, etc. Malgré ce tableau calamiteux, la confiance affichée par les Américains envers leur gouvernement est supérieure à la confiance affichée par les citoyens français envers le leur, ce qui nous en dit davantage sur le pessimisme français que sur les politiques et gouvernements respectifs.

Ali Nouri et les scientifiques néozélandais insistaient également sur le fait que la parole scientifique se fait beaucoup entendre, mais dans un contexte tournant rapidement à la polémique lorsqu'elle ne s'appuie pas sur des personnes déjà identifiées et habituées au débat public. Ces polémiques entraînent une certaine confusion eu égard à la parole scientifique. La science est par ailleurs gênée par une exposition publique excessive, qui suscite des études bâclées, des prises de parole trop rapides, des publications qui se retrouvent sur le devant de la scène sans avoir été revues par les pairs, et une certaine confusion.

Les scientifiques néozélandais insistaient en outre sur le fait que les communications politiques efficaces en ce temps de confusion sont celles qui mettent l'accent sur l'explication et l'empathie. Dans tous les pays, on observe une hausse de l'inquiétude, de la tension et des problèmes de santé mentale. L'OMS a ainsi émis une alerte sur une forme de pandémie mondiale de problèmes de santé mentale. Globalement, les tensions internationales sont en nette augmentation et les institutions internationales sont affaiblies. Malgré cela, une grande partie de la population affiche un vrai désir de discuter de l'avenir, dans une époque où se pose la question de la relance. L'épidémie de Covid‑19 a renforcé les tendances qui structurent les sociétés ; dans les sociétés où la cohésion est bonne, elle s'est retrouvée renforcée ; inversement dans les sociétés fragiles ou fracturées, les divisions ont été aggravées.

En Nouvelle-Zélande, l'essentiel des mesures prises pour lutter contre l'épidémie sont des restrictions imposées aux personnes venant de l'extérieur, et les conséquences majeures sur l'économie concernent le tourisme. Dans ce pays, le dialogue démocratique a été très bien maintenu, avec un système de Parlement télévisé, des communications très régulières et une opposition qui se fait entendre et qui est régulièrement prise en compte par le gouvernement.

Une audition de Santé publique France, qui portait en particulier sur l'organisation du traçage, a montré que le dispositif français de traçage était extrêmement complexe d'un point de vue organisationnel, avec trois niveaux de traçage dans lesquels les acteurs (Santé publique France, les ARS, la CNAM, la médecine de ville, les maires et les préfets) se coordonnent grâce à des systèmes d'information interconnectés. Il nous a été impossible de comprendre exactement combien de personnes étaient impliquées. Nous avons compris qu'un protocole très clair et des règles très précises avaient été élaborés, mais cela ne rassure pas véritablement sur la capacité opérationnelle des ressources humaines et sur la visibilité du processus. Nous devrons être très vigilants sur la ressource qui sera déployée sur le terrain et la capacité de traçage, mais également sur la vitesse de remontée des informations. D'autres auditions ont montré à quel point les remontées et le croisement d'informations médicales et hospitalières pouvaient être complexes et lentes. Or 30 % au moins des contaminations du Covid‑19 résultent de personnes asymptomatiques. Le suivi devra donc être extrêmement réactif, et donner des résultats dans un délai de 24 à 48 heures au maximum. La question s'est posée de savoir si la complexité institutionnelle du montage sera compatible avec l'efficacité souhaitée et si les remontées d'informations seront suffisamment rapides. Nous devrons nous en assurer par d'autres auditions, en particulier de la CNAM et des ARS.

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