Intervention de Jean-Christophe Niel

Réunion du jeudi 25 juin 2020 à 8h45
Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Jean-Christophe Niel, directeur général de l'IRSN :

C'est un devoir et un honneur pour l'IRSN de présenter son rapport d'activité devant vous. À la création de l'institut, le Parlement et le Gouvernement ont souhaité, pour des raisons liées à la sensibilité des matières traitées, que des dispositions spécifiques soient prises pour la mise en œuvre de ses missions relevant de la défense et de la sécurité. En particulier, le directeur général de l'IRSN est assisté d'un directeur général adjoint, nommé par décret pris sur rapport des ministres de la défense et de l'énergie. Notre directeur général adjoint, Louis-Michel Guillaume, est chargé de mettre en œuvre les missions de l'IRSN dans ces domaines. C'est donc lui qui répondra, s'il y a lieu, aux questions relevant de ces sujets.

L'Office nous a entendus le 22 avril et j'avais évoqué à cette occasion les enjeux relatifs à la pandémie pour la sûreté, la sécurité nucléaire et la radioprotection. Je centrerai donc mon intervention d'aujourd'hui sur le rapport d'activité.

L'IRSN est l'expert public du risque radiologique et nucléaire. Il évalue les risques liés à l'usage des rayonnements ionisants, y compris en situation accidentelle. Ces risques peuvent être attachés à la sûreté nucléaire, dans les secteurs civil et de défense. Ces risques peuvent être aussi attachés à la protection contre les rayonnements ionisants des personnes – le public, des patients ou des personnels travailleurs, dont 60 % sont dans le domaine de la santé – comme de l'environnement, à la sécurité et à la non-prolifération nucléaire et chimique, notamment en lien avec la protection contre la malveillance. Le spectre d'activités de l'IRSN est large, de la radiothérapie au détecteur de plomb, du réacteur nucléaire aux rayonnements naturels. Ses missions sont l'expertise – au profit des autorités de sécurité et de sûreté, des ministères et institutions publiques confrontées aux risques liés aux rayonnements ionisants, et la recherche finalisée alimentant l'expertise.

C'est un choix effectué par le Parlement à la création de l'Institut en 2001 – comme vous l'avez rappelé l'Office y a beaucoup contribué. Dans cette organisation très favorable à la transversalité et à la multidisciplinarité, l'évaluateur – l'IRSN – est distinct du gestionnaire du risque – les autorités de sûreté et de sécurité ou les ministères, conformément à l'approche européenne et française des risques sanitaires. L'importance de ce principe a d'ailleurs été rappelée dans un rapport récent de l'Office sur l'évaluation des risques sanitaires et environnementaux par les agences sanitaires.

L'action de l'IRSN s'exerce dans un contexte d'enjeux présents et à venir considérables en matière d'énergie, de santé, d'exigence de transparence et de démocratie environnementale. Dans ce contexte, l'Institut évolue, pour optimiser l'utilisation de ses ressources, répondre aux attentes des pouvoirs publics, de ses partenaires, de la société et de ses salariés. En 2019, dans le cadre de notre projet stratégique IRSN 2030, nous avons mis en place une nouvelle organisation et avons lancé plusieurs programmes de transformation. Nous avons par exemple dédié une structure à nos plateformes expérimentales, pour mettre pleinement en œuvre notre stratégie scientifique, renforcer les partenariats, favoriser la synergie entre expertise et recherche, valoriser cette dernière et optimiser l'utilisation de ses résultats. Nous avons aussi créé un service de valorisation des nombreuses données de l'IRSN, issues des mesures dans l'environnement, des programmes de recherche ou des relevés dosimétriques des travailleurs, qui sont suivis depuis plus de 50 ans. En 2019 et 2020, l'IRSN a été lauréat de trois appels à projets pour la transformation de l'action publique et l'expérimentation de l'intelligence artificielle dans l'administration. Deux de ces projets touchent la surveillance des travailleurs exposés aux rayonnements ionisants, en lien avec la direction générale du travail, et le troisième intéresse le traitement des événements significatifs déclarés par les exploitants nucléaires français. Il s'agit dans ces trois cas d'utiliser les outils numériques pour renforcer notre expertise.

L'année 2019 a été charnière pour l'IRSN et a été très active en sûreté et sécurité nucléaire, en protection des personnes et de l'environnement contre les rayonnements ionisants dans nos différents domaines.

Ce rapport d'activité ne vise pas à l'exhaustivité, mais à la présentation de quelques temps forts illustratifs de notre action. Je commencerai par la protection contre les rayonnements ionisants. Dans ce domaine, nous avons publié plusieurs bilans, dont le bilan des expositions professionnelles des 390 000 travailleurs que nous suivons dans les secteurs de la santé, du nucléaire, de l'industrie, de la recherche et du transport aérien. Ce bilan montre une faible évolution de ces expositions. Il confirme la nécessité du maintien d'une surveillance particulière dans les domaines du démantèlement, de la sous-traitance et de la radiologie interventionnelle.

L'imagerie médicale apporte un bénéfice incontestable à la prise en charge des patients, mais elle est le principal contributeur à l'exposition aux rayonnements ionisants d'origine artificielle. Les enfants y sont particulièrement sensibles. En 2019, nous avons publié notre deuxième rapport sur l'exposition des enfants en imagerie médicale de 2010 à 2015. Ce rapport met en évidence une nette diminution de l'exposition radiologique des enfants en France, à nombre d'actes à peu près constant. C'est le fruit d'une évolution des technologies, d'une optimisation des pratiques et d'une sensibilisation des praticiens.

Sous l'égide de l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA), l'IRSN a également contribué, avec l'hôpital des Armées Percy, à la prise en charge d'un patient géorgien irradié accidentellement il y a 20 ans et souffrant de complications sévères. Il a bénéficié d'un traitement associant chirurgie réparatrice et thérapie cellulaire. Un nouveau protocole médical a été mis en œuvre à cette occasion, fruit de travaux de recherche auxquels l'Institut participe activement.

L'IRSN a aussi rendu en 2019 son bilan de l'état radiologique de l'environnement pour 2010 à 2015, qui montre une grande stabilité des niveaux de radioactivité mesurés dans l'environnement.

Notre baromètre annuel sur la perception des risques et de la sécurité par les Français montre que nos concitoyens témoignent d'une attention accrue aux problématiques santé – environnement. En 2019, l'IRSN a été sollicité par les autorités sanitaires, pour les aider à comprendre l'observation locale d'excès de pathologies, comme des cancers ou des malformations, potentiellement liées à des pollutions environnementales.

Enfin, vous vous souvenez sans doute de cette détection de tritium dans la Loire à un niveau exceptionnellement élevé, bien que sans impact sanitaire. Nous avons engagé des investigations pour comprendre cette mesure réalisée par l'Association pour le contrôle de la radioactivité dans l'Ouest. Celles-ci comprenaient une campagne de prélèvements et de mesures avec des associations et EDF. Malheureusement, la pandémie a conduit à reporter cette action, qui, pour des raisons de régime hydrologique, doit se faire plutôt en hiver.

L'IRSN est impliqué dans les expertises de sûreté sur des enjeux au long cours, par exemple la mise en service de nouvelles installations, la prolongation d'exploitation d'autres installations, les réexamens périodiques, les améliorations post-Fukushima, les démantèlements ou les retours d'expérience. En parallèle, l'IRSN est aussi mobilisé sur des événements imprévus, d'ampleur variable, comme les défauts de réalisation des soudures des lignes vapeur principales de l'EPR de Flamanville, les conséquences du séisme du Teil survenu le 11 novembre 2019 ou encore le détensionnement des soudures de certains générateurs de vapeur. L'ampleur des sujets et l'imprévisibilité de certains d'entre eux conduisent l'IRSN à s'adapter en permanence pour répondre aux attentes et aux questions des autorités.

Concernant la prolongation d'exploitation des réacteurs de 900 MW au-delà de 40 ans, l'IRSN a rendu le 31 mars son avis de synthèse à l'ASN. Ce travail considérable a nécessité 200 000 heures de travail sur les trois dernières années, la rédaction de plus de 30 avis rendus publics et la préparation de 14 groupes permanents. Ce travail a fait émerger deux sujets de sûreté particulièrement importants : le risque de percée du radier par le corium en cas d'accident grave et la recirculation de l'eau de refroidissement accumulée au fond de l'enceinte de confinement du réacteur en cas d'accident de brèche sur le circuit primaire.

En ce qui concerne l'EPR, et plus particulièrement les soudures affectées par les non-conformités largement évoquées publiquement, l'IRSN a considéré que, pour des raisons techniques, EDF devait, plutôt que de chercher à justifier leur acceptabilité en l'état, procéder à la remise en conformité des huit soudures situées au droit des traversées de l'enceinte de confinement, dont la réparation est complexe. En effet, la démarche d'exclusion de rupture qui doit s'appliquer à ces soudures repose sur une excellente qualité de réalisation et sur un haut niveau de confiance dans celle-ci. C'est au final la décision prise par l'ASN.

En appui de l'Autorité de sûreté nucléaire de défense, l'IRSN a poursuivi en 2019 l'examen des dispositions de sûreté du premier sous-marin nucléaire d'attaque du programme Barracuda, avec la mise à l'eau du Suffren. L'IRSN a aussi engagé les analyses du référentiel de sûreté du futur sous-marin nucléaire lanceur d'engins, le SNLE de troisième génération.

La gestion de crise est un axe stratégique de l'Institut, comme cela est inscrit dans son contrat d'objectifs. En 2019, nous avons gréé pour la première fois notre nouveau centre de crise qui tire les enseignements de la gestion de l'accident de Fukushima. Il a été gréé une fois en situation réelle à l'occasion du séisme du Teil, 10 fois pour des exercices nationaux et 18 fois pour des exercices locaux ou internes. Dans ce domaine, l'IRSN a aussi été un acteur important au niveau international dans le cadre de deux exercices de mesures sur le terrain, au Japon et en Chine.

Notre expertise s'enrichit de la recherche menée par l'IRSN, souvent dans le cadre de collaborations sur nos installations ou celles de partenaires. L'objectif est de disposer des connaissances nécessaires à l'évaluation des risques radiologiques et nucléaires. Cette recherche est indispensable à notre expertise et à la pérennité de celle-ci. L'année 2019 a été riche de réalisations, comme celle du programme AMORAD financé par l'ANR et prolongé jusqu'en 2022, qui vise à prédire par la modélisation la dispersion des radionucléides dans l'environnement et à évaluer leur impact sur le milieu marin et les écosystèmes. Le projet XBONE lancé en 2019 ambitionne de développer de nouvelles stratégies de thérapie cellulaire pour limiter les effets secondaires induits sur les os par les radiothérapies lors du traitement des cancers des voies respiratoires et digestives supérieures. Le projet PRIODAC, coordonné par l'IRSN, vise à déterminer la posologie et la fréquence d'administration d'iode stable aux personnes se trouvant dans une zone de rejet accidentel radioactif prolongé ou répété. Il s'agit aussi d'évaluer les effets secondaires de cette prise d'iode répétée pour les différentes catégories de population.

Pour la recherche en sûreté des jalons importants ont été franchis, dans le cadre de programmes placés sous l'ombrelle de l'OCDE – sur les feux ou les termes sources en cas d'accident, de financements de la Commission européenne – par exemple sur le refroidissement du corium ou sur les effets secondaires de la radiothérapie, de programmes post-Fukushima de l'ANR – sur l'infiltration des rejets de produits de fission, sur le dénoyage des piscines et sur le refroidissement d'un cœur de réacteur, la France étant l'un des rares pays, sinon le seul, à avoir mobilisé des budgets spécifiques pour la recherche suite à Fukushima, ou d'une coopération avec le Département de l'énergie américain – sur les bétons, la co-activité et la criticité. Enfin, un programme international piloté par l'IRSN, avec 20 partenaires de 18 pays et l'AIEA, vise à développer des outils et des méthodes pour évaluer les accidents sur divers types de réacteurs, anticiper les rejets associés, et mettre en œuvre des outils faciles à utiliser en cas de situation de crise.

Dans nos activités et l'exercice de nos missions, je suis particulièrement attentif à ce que l'IRSN interagisse fortement avec tous ses interlocuteurs, en France et à l'étranger : au premier rang desquels les parlementaires auxquels nous rendons compte, les autorités de sûreté et de sécurité, les ministères pour lesquels nous intervenons, ou nos tutelles, les partenaires de recherche, les industriels, dans le respect des règles de déontologie, et la société.

L'ouverture à la société est l'un des quatre axes stratégiques de l'IRSN depuis la création de l'institut en 2001. Le rapport de l'Office sur l'évaluation des risques sanitaires et environnementaux par les agences souligne d'ailleurs l'importance de celle-ci ainsi que de l'implication des citoyens dans l'évaluation du risque. Cette démarche d'ouverture à la société s'appuie sur une charte d'ouverture cosignée par sept autres organismes, dont l'INERIS, le BRGM, l'IFREMER et l'ANSES. Elle se décline dans nos relations avec les commissions locales d'information et l'Association nationale des comités et commissions locales d'information (ANCCLI). Elle peut prendre la forme de dialogues techniques, par exemple dans le cadre des débats sur la prolongation d'exploitation des réacteurs de 900 MW, la cuve de l'EPR et CIGÉO. Une attention particulière est portée aux scolaires. La recherche est aussi concernée par cette ouverture à la société, au travers de notre Comité d'orientation des recherches, avec des projets de recherche participative. Récemment, l'IRSN s'est impliqué dans le débat public sur le Plan national de gestion des matières et des déchets radioactifs (PNGMDR). Nous avons aussi contribué au dispositif de concertation public mis en place par le Haut Comité pour la transparence et l'information sur la sécurité nucléaire (HCTISN) sur la prolongation de l'exploitation des réacteurs de 900 MW. Nous avons participé à 23 réunions publiques sur le PNGMDR et 13 sur la prolongation d'exploitation. Ces échanges avec la société sont l'occasion de développer de nouveaux modes d'interaction. Par exemple, à la demande de la Commission nationale du débat public (CNDP), nous avons fourni deux rapports dans le cadre du débat sur le PNGMDR, l'un en complément d'un rapport préparé pour le Parlement sur l'entreposage des combustibles à sec ou sous eau, l'autre sur les alternatives au stockage géologique. Autre démarche innovante, nous avons intégré dans nos avis, en lien avec l'ASN, les principales questions posées par le public.

Je souhaiterais conclure sur les enjeux dits de santé – environnement. L'actualité montre une attention croissante de nos concitoyens à ces derniers, avec l'accident de l'usine de Lubrizol, les débats sur les produits phytosanitaires, etc. Notre baromètre de perception des risques et de la sécurité par les Français le confirme. L'IRSN a d'ailleurs été auditionné par les commissions parlementaires sur ces sujets.

Le modèle de l'IRSN, tel que voulu par la représentation nationale en 2001, comporte des éléments de nature à renforcer la confiance dans la gestion du risque avec : une évaluation du risque distincte de la gestion du risque ; une évaluation du risque radiologique et nucléaire sous toutes ses facettes : sûreté, sécurité, protection des personnes et de l'environnement contre les rayonnements ionisants, et s'inscrivant dans la durée ; une évaluation comportant l'expertise et la recherche – recherche alimentée par l'expertise et en retour recherche confortant une expertise basée sur la connaissance ; enfin une évaluation en interaction avec la société – il ne s'agit pas de co-expertise, les responsabilités des acteurs devant être clairement définies, mais de la capacité à accepter les questionnements et à expliquer.

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