Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques
Jeudi 25 juin 2020
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Examen d'une note scientifique sur la prise en charge des variations du développement génital (M. Jean-François Eliaou, député, rapporteur)
Le premier point inscrit à l'ordre du jour concerne l'examen de la vingt-deuxième note scientifique de l'Office, qui porte sur la prise en charge des variations du développement génital. Je tiens à féliciter Jean-François Eliaou pour ce remarquable travail. Il a mobilisé l'Office sur cette question, à l'intersection des sciences et de la société, qui a été vivement débattue en première lecture du projet de loi bioéthique, dont il est rapporteur.
Les dernières révisions des lois bioéthiques ne l'avaient pas abordée, ce qui a conduit à l'écarter également du rapport d'évaluation établi pour le compte de l'Office par Jean-François Eliaou et Annie Delmont-Koropoulis. Il est d'autant plus légitime que l'Office s'en saisisse à présent. Je suis certaine que cette note contribuera à éclairer les travaux de nos collègues de la commission spéciale sur le projet de loi bioéthique, examiné en deuxième lecture à l'Assemblée nationale.
Le titre précis de cette note est : « Variations du développement génital : quelle prise en charge ? Que dit la recherche biomédicale ? »
Lors de la première lecture du projet de loi bioéthique à l'Assemblée nationale, une disposition sur ce sujet a été adoptée. Dans ce contexte, il semblait approprié de mener des auditions sous l'égide de l'Office, afin d'avoir une idée plus précise du sujet. Nous avons auditionné des médecins, chirurgiens, endocrinologues, psychiatres et pédopsychiatres, mais également des associations de patients et de parents de patients.
Il est important de comprendre la signification du terme variations du développement génital ou VDG. Les variations du développement génital regroupent en réalité un ensemble d'affections très différentes, dont le point commun est qu'elles aboutissent à la présentation d'organes génitaux externes, soit atypiques, c'est-à-dire différents des structures typiquement masculines ou féminines, soit différentes du sexe chromosomique ou gonadique de l'individu.
Le développement du système urogénital est complexe. Il dépend à la fois des gènes portés par les chromosomes sexuels et des hormones produites par les gonades – testicules et ovaires. Ainsi, l'altération de différents mécanismes biologiques peut aboutir au même phénotype, c'est-à-dire à la présentation d'organes génitaux externes atypiques. Il peut s'agir d'anomalies au niveau des chromosomes, portant sur leur nombre ou bien sur des altérations telles que la perte ou le gain d'un fragment. Il peut aussi s'agir d'altérations, plus localisées, de gènes du déterminisme sexuel, qui guident la différenciation de la gonade vers le testicule ou l'ovaire, ou bien de gènes intervenant dans la synthèse, l'interaction hormone-récepteur et la dégradation des hormones sexuelles. Ainsi, toute la chaîne peut être impliquée dans ces altérations et anomalies.
Une fois la gonade différenciée, ce sont les hormones qu'elle produit qui sont déterminantes pour le devenir des organes génitaux externes. Les mêmes tissus embryonnaires donnent des structures différentes selon les hormones détectées. C'est ce qui explique que des personnes nées XY et présentant une mutation au niveau du récepteur des androgènes développent des organes génitaux externes féminins. Concrètement, l'insensibilité des tissus à la différenciation des organes génitaux externes conduira, pour un garçon au niveau chromosomique et gonadique, à un phénotype – l'apparence du bébé – féminin.
Ces VDG donnent lieu à des phénotypes plus ou moins prononcés. Elles peuvent être associées à des troubles fonctionnels, associés à la miction et l'activité sexuelle. À long terme, il existe un risque de cancérisation surtout lorsque la gonade n'est pas différenciée, mais aussi, dans le cas des testicules, et dans une moindre mesure, lorsque qu'elles restent au niveau de l'abdomen et qu'elles ne descendent pas dans les bourses après un certain temps.
Les troubles les plus bénins sont les plus fréquents. C'est un point important. Par exemple l'hypospade, c'est-à-dire le non abouchement du méat urinaire au bout du gland, et la cryptorchidie, c'est-à-dire la non descente des testicules dans les bourses, concerneraient respectivement une naissance sur 300 et sur 100. Cette fréquence concerne tous les formes d'hypospade et de cryptorchidie. Il en existe des formes bénignes et des formes plus graves, par exemple lorsque le méat urinaire se trouve à la racine du pénis, au niveau du scrotum. Les formes les plus bénignes ne sont habituellement pas incluses dans le spectre des variations du développement génital, car elles ne sont ni diagnostiquées ni suivies. Par exemple, la cryptorchidie est bien connue chez le nouveau-né prématuré, la descente des bourses s'effectuant plus tard dans son développement.
Les variations les plus sévères sont difficilement quantifiables, parce qu'elles sont rares, qu'elles peuvent être sous-diagnostiquées, et qu'il n'existe pas de registre permettant d'en faire un suivi. Ce point est essentiel, car en France nous n'avons malheureusement pas de suivi des patients. Il n'existe pas de registre national pour quantifier et répertorier les différentes anomalies du développement génital. Ces variations peuvent faire l'objet d'une prise en charge médicale, chirurgicale ou hormonale, afin de restaurer la fonctionnalité des organes et réduire leur atypie.
La question de la prise en charge thérapeutique des enfants qui ne sont pas en âge d'exprimer un consentement éclairé a été mise en exergue dans nos échanges avec les médecins et les associations. Qu'elle soit hormonale ou chirurgicale, elle est vivement contestée par une partie du milieu associatif. La difficulté réside alors dans l'appréciation adéquate de ce qui doit être privilégié, entre une intervention à un jeune âge dans l'intérêt de l'enfant, avec des conséquences potentiellement itératives et invalidantes, et l'attente d'un âge où il est en capacité de choisir.
Une autre partie du milieu associatif souhaite que ces interventions puissent continuer à avoir lieu dans les premières années de l'enfance. Pour un certain nombre d'anomalies, il est en effet clair qu'il vaut mieux intervenir tôt que tard, parce que les tissus se réparent mieux, ou parce que l'intervention peut consister à corriger une dysfonction urologique importante, invalidante et potentiellement à l'origine d'infections.
Le corps médical estime pour sa part que les interventions dont bénéficient les enfants ne peuvent être simplement qualifiées d'opérations de normalisation ou de chirurgie esthétique, comme l'affirme parfois le milieu associatif. Ce serait négliger l'impact médical, psychologique et sociétal de l'atypie.
En effet, les personnes porteuses de variations du développement génital ont tendance à être plus sujettes aux troubles psychologiques tels que l'anxiété, la dépression et la phobie sociale. Du point de vue des psychiatres, l'atypie et la non satisfaction vis-à-vis de son corps sont des sources de mal-être. Mais pour une partie du milieu associatif, les opérations subies sont également sources de mal-être, car elles peuvent être lourdes, itératives et conduire à des complications.
L'abstention thérapeutique, en tant que choix thérapeutique et non simplement absence d'intervention résultant d'une méconnaissance des processus, est également une possibilité. De plus en plus, les professionnels de santé proposent, en concertation avec les parents, de décaler les interventions à un âge où l'enfant ou l'adolescent peut en faire la demande. Cette discussion s'instaure dès lors qu'il n'y a pas de risque vital pour l'enfant. Sa demande de prise en charge intervient ensuite lorsqu'il prend conscience de son corps, lors du début de la vie sexuelle par exemple.
Le choix entre une intervention précoce et le report jusqu'à un âge où un consentement peut être exprimé n'est pas simple. Les avis des différentes parties sont souvent assez tranchés et difficilement réconciliables. Leurs positions se reflètent dans la dénomination de ces affections : les médecins et une partie du milieu associatif préfèrent parler d'anomalies ou de troubles – en anglais, disorder – pour correspondre au registre pathologique, alors qu'une autre partie du milieu associatif préfère « dépathologiser » et parler de différences ou de variations. Le terme intersexe est également utilisé. À mon sens, il est à proscrire, l'intersexualité pouvant consister à ne s'inscrire ni dans un genre ni dans l'autre, indépendamment de la présentation des organes génitaux externes.
Dans la note, nous avons fait le choix de la dénomination « variation du développement génital », pour nous inscrire dans une démarche d'ouverture et d'apaisement, prônée par certains médecins et associations souhaitant renforcer la collaboration entre les mondes médical et associatif.
La plupart des personnes interrogées s'accordent sur le fait que l'idéal serait que la société toute entière, surtout l'environnement des enfants concernés, c'est-à-dire principalement l'école, soit suffisamment inclusive pour qu'ils puissent assumer cette différence, mais ce n'est pas le cas.
D'un point de vue strictement médical, aucune étude ne permet de trancher la question de l'âge auquel l'enfant peut être opéré, hormis pour l'hypospade sévère, une intervention pratiquée tardivement étant associée à plus de complications. Les études cliniques manquent, alors qu'elles seraient bienvenues pour guider la pratique médicale. Cette situation résulte principalement du faible nombre de personnes concernées, ainsi que de l'absence de suivi de celles en bonne santé. La recherche biomédicale s'intéresse aussi aux variations du développement génital, parce qu'elles permettent de mieux comprendre la mise en place du système urogénital, ainsi que les mécanismes de l'infertilité. Des chercheurs se préoccupent également du rôle éventuel des perturbateurs endocriniens dans les variations du développement génital légères, comme les hypospades antérieurs.
En l'absence de preuves fondées sur l' evidence-based medicine, qui guideraient la pratique, et compte tenu de la grande hétérogénéité des situations, à la fois des contextes familiaux et de la mauvaise corrélation génotype-phénotype, il est impossible d'établir des lignes directrices sous la houlette de la Haute Autorité de santé, comme cela est souvent souhaitable. Si de grands principes peuvent éventuellement être édictés, de bonnes pratiques précises ne peuvent être établies.
Il faut donc organiser la prise en charge de façon à ce que les patients soient protégés de décisions arbitraires et unilatérales. À cet égard, l'abstention thérapeutique doit faire partie des stratégies envisagées. L'orientation systématique des enfants concernés dans un centre de référence compétent est nécessaire pour que la prise en charge soit collégiale, multidisciplinaire et compétente, avec les spécialités que sont l'urologie, la néonatalogie, la pédiatrie, la psychiatrie et la génétique médicale. Ce regroupement des cas permettra aux centres de procéder à leur enregistrement et à leur suivi. Il facilitera la mise en place de travaux de recherche clinique. Il permettra également de définir, à terme, des guides de bonnes pratiques.
Finalement, dans les rares cas, de vingt-cinq à cinquante par an, où un sexe doit être assigné à la naissance, ainsi que dans ceux où une erreur est réalisée lorsque le sexe du nouveau-né est déterminé par la sage-femme ou la puéricultrice – tous les ans cette erreur dans la détermination du sexe concerne quelques petites filles présentant une hyperplasie congénitale des surrénales – la rectification du sexe à l'état civil, aujourd'hui compliquée, longue et coûteuse, doit être facilitée, sans qu'il en soit fait mention à l'état civil, lors de la délivrance des extraits ou copies intégrales d'actes de naissance. C'est une volonté des familles mais également des médecins qui les prennent en charge.
Cette demande me semblant justifiée, je déposerai deux amendements en ce sens lors de la discussion du projet de loi bioéthique en commission ou, si nécessaire, dans l'hémicycle. Pour être tout à fait transparent, j'ai rencontré hier, en tant que rapporteur, le cabinet de Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, et nous avançons très rapidement en ce sens. Il n'existe pas d'opposition de principe à ce que la procédure de changement de sexe soit grandement facilitée et non coûteuse, puisqu'il n'y a pas besoin d'avocat, et qu'il n'y ait pas de trace de changement de sexe à l'état civil, pour une demande d'extrait d'acte de naissance ou une copie intégrale.
Merci pour ce brillant exposé. Avant de donner la parole à nos collègues, je souhaite poser deux questions. Comment expliquer la difficulté pour les personnes concernées par ces atypies ou anomalies à être répertoriées par la Haute autorité de santé ou dans le domaine médical ? Est-ce parce que tout ce qui est lié au sexe est tabou ou pour d'autres raisons ? Par ailleurs, existe-t-il dans d'autres pays des répertoires ou des guides pratiques sur ces atypies ou anomalies auxquelles certains enfants sont sujets ?
S'agissant des bases de données, les données personnelles y sont anonymisées. En France, d'après certains médecins, pas moins de 50 % des patients ne seraient pas renvoyés à des centres de référencement. Faute de prise en charge, ils ne seraient donc pas non plus enregistrés dans les bases de données tenues par ces mêmes centres.
Tant le législateur que le Gouvernement doivent inciter à l'orientation des enfants vers les centres de référence. Une partie d'entre eux coopère dans le cadre d'une concertation pluridisciplinaire, en dirigeant les enfants vers celui qui est le plus approprié au traitement de leur cas. Dans chacun d'entre eux, chirurgiens, psychiatres et pédiatres prennent en charge les petits patients sur un mode collégial. La coordination n'est toutefois pas complète sur l'ensemble du territoire, dans la mesure où il n'y a pas de réunion de concertation pluridisciplinaire commune à tous les centres de référence concernés et que certains prennent leurs propres décisions de manière isolée.
Les variations évoquées sont plus faciles à traiter lorsqu'il ne s'agit encore que de jeunes enfants. Ainsi, les parents peuvent ne pas donner de prénom trop tôt. Un guide de bonnes pratiques a été développé au fil des années.
Il n'en va pas de même quand les patients sont des adolescents qui n'ont jamais été examinés, comme pour un cas que j'ai rencontré. Il faut évoquer aussi les cas de stérilité et d'aberration chromosomique, difficiles à repérer et à enregistrer.
Il est bon que les traces d'un changement de sexe puissent être effacées à l'état civil. Mais cela peut aussi faire peser sur la personne concernée le poids d'un certain secret. Ces informations ne devraient pas non plus figurer sur le carnet de santé. En effet, certains médecins peuvent ne pas penser à la suite de son existence et au fait qu'il est consulté par des tiers à de nombreuses reprises. Des précautions méritent donc d'être prises.
Au cours d'une récente réunion avec des membres du cabinet de la ministre de la Justice, j'ai appris qu'il n'y a jamais, à proprement parler, d'effacement de l'état civil. En tout état de cause, la rectification doit être le fruit d'une décision concertée des parents et de l'enfant, s'il est en âge de donner un consentement éclairé.
Cette situation peut faire tomber sur les parents une forte charge émotionnelle. Beaucoup peuvent se contenter de donner à leur enfant un prénom unisexe, tel que Dominique, car les parents sont souvent désemparés devant les questions qui touchent au sexe de leur enfant. Les possibilités sont en effet multiples.
Certaines associations préconisent d'assumer totalement la différence de l'enfant. Mais il faut pour cela que l'enfant et son entourage l'acceptent. Le problème de la fertilité se pose toutefois. Une fois venu le temps d'avoir une activité sexuelle ou de se marier, il n'est pas possible de faire comme tout le monde.
Le cas évoqué soulève le problème de ceux qui passent au travers des mailles du filet.
Il s'agissait d'un type XXY qui aurait pu recevoir un traitement hormonal mais l'enfant n'a jamais été examiné après sa petite enfance. Sa fertilité pourrait néanmoins être restaurée par les techniques d'assistance médicale à la procréation. La téléconsultation ne permettrait d'ailleurs pas d'identifier de telles anomalies. Rien ne remplace l'examen clinique.
Des amendements seront déposés en vue de l'examen du projet de loi relatif à la bioéthique en séance publique à l'Assemblée nationale. Il faudra solliciter les députés susceptibles de les soutenir. Il en ira de même au Sénat.
L'Office autorise, à l'unanimité, la publication de la note scientifique « Variations du développement génital : quelle prise en charge ? Que dit la recherche biomédicale ? »
Présentation du rapport annuel pour 2019 de l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN)
Mesdames et Messieurs les représentants de l'IRSN, nous sommes très heureux de vous recevoir pour cette présentation de votre rapport annuel pour l'année 2019. Bien qu'elle ne soit pas prévue par la loi, l'Office parlementaire est très attaché à cette audition, l'IRSN étant une composante incontournable du dispositif de gestion de la sûreté nucléaire et de la radioprotection, dont la qualité a été maintes fois démontrée. L'Office ne peut que se féliciter de la qualité de ses échanges avec cet institut scientifique dont l'expertise de premier plan est reconnue au niveau mondial. Avec la prise de fonction en 2017 de Monsieur Jean-Christophe Niel, les liens de l'Office avec l'IRSN se sont encore renforcés. Depuis sa création par la loi du 9 mai 2001, par l'intégration de l'Office de protection contre les rayonnements ionisants et de l'Institut de protection et de sûreté nucléaire, l'IRSN a toujours réagi positivement aux sollicitations du Parlement, en lui permettant de bénéficier à chaque fois de son expertise scientifique. Notre Office a eu l'occasion de solliciter cette expertise à de nombreuses reprises. Le 22 avril 2020, à l'initiative d'Émilie Cariou, l'IRSN a ainsi répondu aux questions des parlementaires concernant les incendies dans la zone de Tchernobyl. À cette occasion, nous avons pu être rassurés sur les conséquences radiologiques de ces incendies, et nous avons constaté avec plaisir et fierté que l'IRSN parvenait à assurer, malgré l'épidémie, la continuité de son expertise scientifique.
Monsieur le Directeur général, je vous laisse la parole pour la présentation de ce bilan 2019.
C'est un devoir et un honneur pour l'IRSN de présenter son rapport d'activité devant vous. À la création de l'institut, le Parlement et le Gouvernement ont souhaité, pour des raisons liées à la sensibilité des matières traitées, que des dispositions spécifiques soient prises pour la mise en œuvre de ses missions relevant de la défense et de la sécurité. En particulier, le directeur général de l'IRSN est assisté d'un directeur général adjoint, nommé par décret pris sur rapport des ministres de la défense et de l'énergie. Notre directeur général adjoint, Louis-Michel Guillaume, est chargé de mettre en œuvre les missions de l'IRSN dans ces domaines. C'est donc lui qui répondra, s'il y a lieu, aux questions relevant de ces sujets.
L'Office nous a entendus le 22 avril et j'avais évoqué à cette occasion les enjeux relatifs à la pandémie pour la sûreté, la sécurité nucléaire et la radioprotection. Je centrerai donc mon intervention d'aujourd'hui sur le rapport d'activité.
L'IRSN est l'expert public du risque radiologique et nucléaire. Il évalue les risques liés à l'usage des rayonnements ionisants, y compris en situation accidentelle. Ces risques peuvent être attachés à la sûreté nucléaire, dans les secteurs civil et de défense. Ces risques peuvent être aussi attachés à la protection contre les rayonnements ionisants des personnes – le public, des patients ou des personnels travailleurs, dont 60 % sont dans le domaine de la santé – comme de l'environnement, à la sécurité et à la non-prolifération nucléaire et chimique, notamment en lien avec la protection contre la malveillance. Le spectre d'activités de l'IRSN est large, de la radiothérapie au détecteur de plomb, du réacteur nucléaire aux rayonnements naturels. Ses missions sont l'expertise – au profit des autorités de sécurité et de sûreté, des ministères et institutions publiques confrontées aux risques liés aux rayonnements ionisants, et la recherche finalisée alimentant l'expertise.
C'est un choix effectué par le Parlement à la création de l'Institut en 2001 – comme vous l'avez rappelé l'Office y a beaucoup contribué. Dans cette organisation très favorable à la transversalité et à la multidisciplinarité, l'évaluateur – l'IRSN – est distinct du gestionnaire du risque – les autorités de sûreté et de sécurité ou les ministères, conformément à l'approche européenne et française des risques sanitaires. L'importance de ce principe a d'ailleurs été rappelée dans un rapport récent de l'Office sur l'évaluation des risques sanitaires et environnementaux par les agences sanitaires.
L'action de l'IRSN s'exerce dans un contexte d'enjeux présents et à venir considérables en matière d'énergie, de santé, d'exigence de transparence et de démocratie environnementale. Dans ce contexte, l'Institut évolue, pour optimiser l'utilisation de ses ressources, répondre aux attentes des pouvoirs publics, de ses partenaires, de la société et de ses salariés. En 2019, dans le cadre de notre projet stratégique IRSN 2030, nous avons mis en place une nouvelle organisation et avons lancé plusieurs programmes de transformation. Nous avons par exemple dédié une structure à nos plateformes expérimentales, pour mettre pleinement en œuvre notre stratégie scientifique, renforcer les partenariats, favoriser la synergie entre expertise et recherche, valoriser cette dernière et optimiser l'utilisation de ses résultats. Nous avons aussi créé un service de valorisation des nombreuses données de l'IRSN, issues des mesures dans l'environnement, des programmes de recherche ou des relevés dosimétriques des travailleurs, qui sont suivis depuis plus de 50 ans. En 2019 et 2020, l'IRSN a été lauréat de trois appels à projets pour la transformation de l'action publique et l'expérimentation de l'intelligence artificielle dans l'administration. Deux de ces projets touchent la surveillance des travailleurs exposés aux rayonnements ionisants, en lien avec la direction générale du travail, et le troisième intéresse le traitement des événements significatifs déclarés par les exploitants nucléaires français. Il s'agit dans ces trois cas d'utiliser les outils numériques pour renforcer notre expertise.
L'année 2019 a été charnière pour l'IRSN et a été très active en sûreté et sécurité nucléaire, en protection des personnes et de l'environnement contre les rayonnements ionisants dans nos différents domaines.
Ce rapport d'activité ne vise pas à l'exhaustivité, mais à la présentation de quelques temps forts illustratifs de notre action. Je commencerai par la protection contre les rayonnements ionisants. Dans ce domaine, nous avons publié plusieurs bilans, dont le bilan des expositions professionnelles des 390 000 travailleurs que nous suivons dans les secteurs de la santé, du nucléaire, de l'industrie, de la recherche et du transport aérien. Ce bilan montre une faible évolution de ces expositions. Il confirme la nécessité du maintien d'une surveillance particulière dans les domaines du démantèlement, de la sous-traitance et de la radiologie interventionnelle.
L'imagerie médicale apporte un bénéfice incontestable à la prise en charge des patients, mais elle est le principal contributeur à l'exposition aux rayonnements ionisants d'origine artificielle. Les enfants y sont particulièrement sensibles. En 2019, nous avons publié notre deuxième rapport sur l'exposition des enfants en imagerie médicale de 2010 à 2015. Ce rapport met en évidence une nette diminution de l'exposition radiologique des enfants en France, à nombre d'actes à peu près constant. C'est le fruit d'une évolution des technologies, d'une optimisation des pratiques et d'une sensibilisation des praticiens.
Sous l'égide de l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA), l'IRSN a également contribué, avec l'hôpital des Armées Percy, à la prise en charge d'un patient géorgien irradié accidentellement il y a 20 ans et souffrant de complications sévères. Il a bénéficié d'un traitement associant chirurgie réparatrice et thérapie cellulaire. Un nouveau protocole médical a été mis en œuvre à cette occasion, fruit de travaux de recherche auxquels l'Institut participe activement.
L'IRSN a aussi rendu en 2019 son bilan de l'état radiologique de l'environnement pour 2010 à 2015, qui montre une grande stabilité des niveaux de radioactivité mesurés dans l'environnement.
Notre baromètre annuel sur la perception des risques et de la sécurité par les Français montre que nos concitoyens témoignent d'une attention accrue aux problématiques santé – environnement. En 2019, l'IRSN a été sollicité par les autorités sanitaires, pour les aider à comprendre l'observation locale d'excès de pathologies, comme des cancers ou des malformations, potentiellement liées à des pollutions environnementales.
Enfin, vous vous souvenez sans doute de cette détection de tritium dans la Loire à un niveau exceptionnellement élevé, bien que sans impact sanitaire. Nous avons engagé des investigations pour comprendre cette mesure réalisée par l'Association pour le contrôle de la radioactivité dans l'Ouest. Celles-ci comprenaient une campagne de prélèvements et de mesures avec des associations et EDF. Malheureusement, la pandémie a conduit à reporter cette action, qui, pour des raisons de régime hydrologique, doit se faire plutôt en hiver.
L'IRSN est impliqué dans les expertises de sûreté sur des enjeux au long cours, par exemple la mise en service de nouvelles installations, la prolongation d'exploitation d'autres installations, les réexamens périodiques, les améliorations post-Fukushima, les démantèlements ou les retours d'expérience. En parallèle, l'IRSN est aussi mobilisé sur des événements imprévus, d'ampleur variable, comme les défauts de réalisation des soudures des lignes vapeur principales de l'EPR de Flamanville, les conséquences du séisme du Teil survenu le 11 novembre 2019 ou encore le détensionnement des soudures de certains générateurs de vapeur. L'ampleur des sujets et l'imprévisibilité de certains d'entre eux conduisent l'IRSN à s'adapter en permanence pour répondre aux attentes et aux questions des autorités.
Concernant la prolongation d'exploitation des réacteurs de 900 MW au-delà de 40 ans, l'IRSN a rendu le 31 mars son avis de synthèse à l'ASN. Ce travail considérable a nécessité 200 000 heures de travail sur les trois dernières années, la rédaction de plus de 30 avis rendus publics et la préparation de 14 groupes permanents. Ce travail a fait émerger deux sujets de sûreté particulièrement importants : le risque de percée du radier par le corium en cas d'accident grave et la recirculation de l'eau de refroidissement accumulée au fond de l'enceinte de confinement du réacteur en cas d'accident de brèche sur le circuit primaire.
En ce qui concerne l'EPR, et plus particulièrement les soudures affectées par les non-conformités largement évoquées publiquement, l'IRSN a considéré que, pour des raisons techniques, EDF devait, plutôt que de chercher à justifier leur acceptabilité en l'état, procéder à la remise en conformité des huit soudures situées au droit des traversées de l'enceinte de confinement, dont la réparation est complexe. En effet, la démarche d'exclusion de rupture qui doit s'appliquer à ces soudures repose sur une excellente qualité de réalisation et sur un haut niveau de confiance dans celle-ci. C'est au final la décision prise par l'ASN.
En appui de l'Autorité de sûreté nucléaire de défense, l'IRSN a poursuivi en 2019 l'examen des dispositions de sûreté du premier sous-marin nucléaire d'attaque du programme Barracuda, avec la mise à l'eau du Suffren. L'IRSN a aussi engagé les analyses du référentiel de sûreté du futur sous-marin nucléaire lanceur d'engins, le SNLE de troisième génération.
La gestion de crise est un axe stratégique de l'Institut, comme cela est inscrit dans son contrat d'objectifs. En 2019, nous avons gréé pour la première fois notre nouveau centre de crise qui tire les enseignements de la gestion de l'accident de Fukushima. Il a été gréé une fois en situation réelle à l'occasion du séisme du Teil, 10 fois pour des exercices nationaux et 18 fois pour des exercices locaux ou internes. Dans ce domaine, l'IRSN a aussi été un acteur important au niveau international dans le cadre de deux exercices de mesures sur le terrain, au Japon et en Chine.
Notre expertise s'enrichit de la recherche menée par l'IRSN, souvent dans le cadre de collaborations sur nos installations ou celles de partenaires. L'objectif est de disposer des connaissances nécessaires à l'évaluation des risques radiologiques et nucléaires. Cette recherche est indispensable à notre expertise et à la pérennité de celle-ci. L'année 2019 a été riche de réalisations, comme celle du programme AMORAD financé par l'ANR et prolongé jusqu'en 2022, qui vise à prédire par la modélisation la dispersion des radionucléides dans l'environnement et à évaluer leur impact sur le milieu marin et les écosystèmes. Le projet XBONE lancé en 2019 ambitionne de développer de nouvelles stratégies de thérapie cellulaire pour limiter les effets secondaires induits sur les os par les radiothérapies lors du traitement des cancers des voies respiratoires et digestives supérieures. Le projet PRIODAC, coordonné par l'IRSN, vise à déterminer la posologie et la fréquence d'administration d'iode stable aux personnes se trouvant dans une zone de rejet accidentel radioactif prolongé ou répété. Il s'agit aussi d'évaluer les effets secondaires de cette prise d'iode répétée pour les différentes catégories de population.
Pour la recherche en sûreté des jalons importants ont été franchis, dans le cadre de programmes placés sous l'ombrelle de l'OCDE – sur les feux ou les termes sources en cas d'accident, de financements de la Commission européenne – par exemple sur le refroidissement du corium ou sur les effets secondaires de la radiothérapie, de programmes post-Fukushima de l'ANR – sur l'infiltration des rejets de produits de fission, sur le dénoyage des piscines et sur le refroidissement d'un cœur de réacteur, la France étant l'un des rares pays, sinon le seul, à avoir mobilisé des budgets spécifiques pour la recherche suite à Fukushima, ou d'une coopération avec le Département de l'énergie américain – sur les bétons, la co-activité et la criticité. Enfin, un programme international piloté par l'IRSN, avec 20 partenaires de 18 pays et l'AIEA, vise à développer des outils et des méthodes pour évaluer les accidents sur divers types de réacteurs, anticiper les rejets associés, et mettre en œuvre des outils faciles à utiliser en cas de situation de crise.
Dans nos activités et l'exercice de nos missions, je suis particulièrement attentif à ce que l'IRSN interagisse fortement avec tous ses interlocuteurs, en France et à l'étranger : au premier rang desquels les parlementaires auxquels nous rendons compte, les autorités de sûreté et de sécurité, les ministères pour lesquels nous intervenons, ou nos tutelles, les partenaires de recherche, les industriels, dans le respect des règles de déontologie, et la société.
L'ouverture à la société est l'un des quatre axes stratégiques de l'IRSN depuis la création de l'institut en 2001. Le rapport de l'Office sur l'évaluation des risques sanitaires et environnementaux par les agences souligne d'ailleurs l'importance de celle-ci ainsi que de l'implication des citoyens dans l'évaluation du risque. Cette démarche d'ouverture à la société s'appuie sur une charte d'ouverture cosignée par sept autres organismes, dont l'INERIS, le BRGM, l'IFREMER et l'ANSES. Elle se décline dans nos relations avec les commissions locales d'information et l'Association nationale des comités et commissions locales d'information (ANCCLI). Elle peut prendre la forme de dialogues techniques, par exemple dans le cadre des débats sur la prolongation d'exploitation des réacteurs de 900 MW, la cuve de l'EPR et CIGÉO. Une attention particulière est portée aux scolaires. La recherche est aussi concernée par cette ouverture à la société, au travers de notre Comité d'orientation des recherches, avec des projets de recherche participative. Récemment, l'IRSN s'est impliqué dans le débat public sur le Plan national de gestion des matières et des déchets radioactifs (PNGMDR). Nous avons aussi contribué au dispositif de concertation public mis en place par le Haut Comité pour la transparence et l'information sur la sécurité nucléaire (HCTISN) sur la prolongation de l'exploitation des réacteurs de 900 MW. Nous avons participé à 23 réunions publiques sur le PNGMDR et 13 sur la prolongation d'exploitation. Ces échanges avec la société sont l'occasion de développer de nouveaux modes d'interaction. Par exemple, à la demande de la Commission nationale du débat public (CNDP), nous avons fourni deux rapports dans le cadre du débat sur le PNGMDR, l'un en complément d'un rapport préparé pour le Parlement sur l'entreposage des combustibles à sec ou sous eau, l'autre sur les alternatives au stockage géologique. Autre démarche innovante, nous avons intégré dans nos avis, en lien avec l'ASN, les principales questions posées par le public.
Je souhaiterais conclure sur les enjeux dits de santé – environnement. L'actualité montre une attention croissante de nos concitoyens à ces derniers, avec l'accident de l'usine de Lubrizol, les débats sur les produits phytosanitaires, etc. Notre baromètre de perception des risques et de la sécurité par les Français le confirme. L'IRSN a d'ailleurs été auditionné par les commissions parlementaires sur ces sujets.
Le modèle de l'IRSN, tel que voulu par la représentation nationale en 2001, comporte des éléments de nature à renforcer la confiance dans la gestion du risque avec : une évaluation du risque distincte de la gestion du risque ; une évaluation du risque radiologique et nucléaire sous toutes ses facettes : sûreté, sécurité, protection des personnes et de l'environnement contre les rayonnements ionisants, et s'inscrivant dans la durée ; une évaluation comportant l'expertise et la recherche – recherche alimentée par l'expertise et en retour recherche confortant une expertise basée sur la connaissance ; enfin une évaluation en interaction avec la société – il ne s'agit pas de co-expertise, les responsabilités des acteurs devant être clairement définies, mais de la capacité à accepter les questionnements et à expliquer.
Je commencerai par quelques questions. Qu'en est-il à l'IRSN des sujets ressources humaines : expertise, attractivité des carrières, recrutement d'étudiants ou de jeunes chercheurs, etc. ? Ces dernières années, dans la filière nucléaire, de nombreux problèmes se posent, moins liés à la question de l'expertise scientifique qu'à celle des ressources humaines : nombre de personnes recrutées, motivation, conscience professionnelle, etc.
Ma deuxième série de questions concerne l'intelligence artificielle. Dans quels domaines recourez-vous à ces techniques ? Sur quels projets avez-vous travaillé en la matière ?
Ma troisième question porte sur le suivi post-Fukushima des mesures de sûreté et sur les études que vous menez dans ce cadre.
Nous avons constaté, notamment après l'accident de Fukushima, une perte d'attrait pour les filières éducatives en lien avec le nucléaire. La sûreté nucléaire n'y a pas échappé. Depuis plusieurs années, nous sommes confrontés à une augmentation des démissions de l'Institut. Ce n'est pas un sujet d'inquiétude sur la capacité à atteindre la masse critique, néanmoins il s'agit d'un signal défavorable. Aussi, avons-nous engagé des mesures d'attractivité pour attirer les talents, notamment autour de la qualité de vie au travail. Le double champ d'expertise et de recherche est également déterminant pour attirer des collaborateurs au sein de l'IRSN. L'expertise peut revêtir une certaine aridité, alors que la recherche laisse davantage la place à l'innovation. Outre les actions que nous avons engagées, nous devons aussi nous poser la question de la rémunération.
Comme pour d'autres organismes similaires, notre masse salariale augmente progressivement et nous avons engagé un processus pour permettre à des agents proches de la retraite de partir en retraite. Si ce dispositif peut favoriser le recrutement de personnes plus jeunes, il convient de veiller à éviter toute perte de compétence et de connaissance. Notre action de gestion des connaissances, ambitieuse et performante, est d'ailleurs reconnue au niveau international.
Au sujet de l'intelligence artificielle (IA), je pourrais citer l'utilisation de cette technologie pour mettre à disposition des experts des outils simplifiés d'évaluation du risque incendie dans les installations. Les logiciels de simulation incendie générant énormément de résultats, une démarche de type IA permet de les exploiter quasi instantanément et très efficacement dans une expertise. Pour trois projets, nous avons été lauréats du Fonds pour la transformation de l'action publique : le projet PIREX vise à extraire des nombreux événements significatifs déclarés à l'ASN par les exploitants nucléaires français des signaux faibles qu'une analyse traditionnelle ne permet pas d'identifier ; un projet de modernisation de l'outil d'exploitation de la base de données recensant les doses reçues par les travailleurs – un million et demi y sont enregistrés ; un projet d'analyse de données massives pour affiner l'identification des situations anormales, non en regard des valeurs réglementaires mais du contexte de travail.
Le dixième anniversaire de Fukushima approche et l'IRSN aura l'occasion de revenir de manière approfondie sur cet accident. En France, les conséquences sont la mise en œuvre de mesures de sûreté durcies, intégrées dans l'amélioration de sûreté des installations, notamment des réacteurs de 900 MW à l'occasion de la quatrième visite décennale.
Au Japon, le combustible fondu dans trois réacteurs continue d'être refroidi, de même que les piscines. La température est aujourd'hui de l'ordre de 30°C et le refroidissement ne nécessite plus que quelques mètres cubes d'eau quotidiens. Le combustible de la piscine du réacteur 4 – le seul à l'arrêt – a également été évacué et, sur les trois autres réacteurs, les travaux sont en cours selon des rythmes différents. Le traitement du corium est délicat et donne lieu pour l'instant à une phase d'exploration et de définition des travaux à mener. L'IRSN est impliqué dans un travail de recherche à ce titre, en lien avec ses compétences sur les aérosols, pour quantifier les aérosols qui seraient générés par la découpe du corium au laser.
S'agissant des enjeux de sûreté, le sujet de l'eau contaminée est crucial, pour éviter de contaminer la nappe. Chaque jour un peu d'eau se contamine au tritium. Cette eau est aujourd'hui entreposée mais la capacité de plus d'un million de mètres cubes a été atteinte, le site arrivant à saturation. Le traitement de cette eau constitue donc un sujet de préoccupation, son rejet dans l'océan étant un sujet majeur pour les Japonais.
En ce qui concerne les impacts sanitaires, des suivis de cohortes ont été mis en place, ce qui n'avait pas été le cas à Tchernobyl. Aujourd'hui, le suivi de la population pour le cancer de la thyroïde, qui était le signal le plus fort à Tchernobyl, ne permet pas d'associer, à ce stade, des décès et des maladies à une origine radio-induite. L'enquête se poursuit. Des travaux ont également été menés sur les impacts non cancéreux sur la santé des Japonais, mettant en évidence des effets sur l'obésité, l'hypertension, etc.
Je relaie à présent, avec leurs remerciements pour la qualité de votre intervention, les questions de Philippe Bolo et de Gérard Longuet, transmises par écrit.
Philippe Bolo rappelle que s'agissant de la charte d'ouverture à la société et du boîtier de mesure de la radiation open radiation, vous aviez signalé des difficultés pour mobiliser la population. Des progrès ont-ils été constatés ? Ce boîtier peut-il être utilisé dans une approche de science participative, dans les territoires concernés par le radon ?
Philippe Bolo, qui est vice-président du groupe d'amitié France-Japon, aimerait en savoir plus sur les apports des coopérations de l'IRSN avec le Japon, en particulier sur l'axe de gestion de crise prévu dans le contrat d'objectifs de 2019.
Le président Gérard Longuet, très familier de votre action, pose la question de CIGÉO. Il demande si la démarche de DUP, qui devrait bientôt être engagée, vous semble pertinente.
Avec la charte d'ouverture à la société, plusieurs organismes s'engagent à informer la société de leurs actions, en associant les parties prenantes à certaines d'entre elles.
Le boîtier open radiation permet à tout un chacun de mesurer un débit de dose gamma. Nous continuons de travailler sur ce sujet, après avoir créé en janvier la communauté des utilisateurs d' open radiation. À cette occasion, nous avons lancé une démarche demandant aux acteurs de cette communauté de partager le plus grand nombre de mesures. Il est cependant difficile de mobiliser les populations, comme nous l'avons constaté à l'issue du débat public sur le PNGMDR. Il avait été demandé aux acteurs de ce débat de faire part de leurs conclusions. Nous avions quant à nous trouvé ce débat très positif, notamment s'agissant des innovations dans le débat public, par exemple l'atelier de controverses permettant de formaliser celles-ci et de les clarifier. Nous avons regretté, avec d'autres, que le débat public soit resté limité aux personnes qui étaient intéressées par le sujet, mais il est difficile de mobiliser au-delà de cette sphère. L'action d'ouverture à la société de l'IRSN vise en outre à favoriser une pédagogie de la culture du risque.
En ce qui concerne le radon, nous avons aussi engagé des actions d'ouverture à la société. J'avais évoqué notamment une action menée en Haute-Vienne, visant à inciter des personnes résidant dans les zones à risque radon à procéder aux mesures. Cette année, nous avons mené une action commune avec des partenaires suisses, dans le Jura, pour partager des mesures de radon dans des habitations.
En termes de coopération internationale, l'IRSN est fortement engagé au niveau européen, au travers du réseau européen des organismes techniques de sûreté ETSON (European Technical Safety Organisation Network) et des projets de recherche financés par la Commission européenne. Nous avons évidemment des relations fortes avec l'AIEA et également quelques relations bilatérales privilégiées, avec les États-Unis, la Chine et le Japon. Historiquement, le Japon est un pays avec lequel l'IRSN a toujours eu beaucoup de relations. Celles-ci se sont renforcées après Fukushima, par exemple en matière de préparation à la gestion post-accidentelle d'un accident nucléaire. En termes de sûreté, l'autorité de sûreté nucléaire japonaise, la NRA (Nuclear Regulation Authority), a financé un programme de recherche relatif aux feux de boîtes à gants. Le Japon est également impliqué dans le programme de recherche CABRI sur le comportement des combustibles nucléaires lors d'un accident d'injection de réactivité. En ce qui concerne la radioprotection, nos relations se renforcent au travers d'accords avec les universités de Fukushima, Nagasaki et Hiroshima, sur des problématiques de recherche, comme l'épidémiologie, l'effet des faibles ou des fortes doses, etc. Le Japon est donc l'un de nos partenaires privilégiés à l'international.
Pour en venir à la question sur la DUP, l'IRSN est consulté par l'ASN sur la dimension technique des projets. Nous avons analysé le dossier d'options de sûreté de CIGÉO et nous avons indiqué que nous considérons qu'il a atteint une maturité correspondant à l'avancement du projet. Des progrès substantiels ont été accomplis dans la conception et l'acquisition de connaissances dans la démonstration de sûreté. Nous avons conservé quelques points d'attention, notamment sur la maîtrise du risque incendie des colis de bitume ‑ 48 000 colis correspondant à 18 % de l'inventaire des déchets. L'ANDRA travaille avec les opérateurs producteurs de déchets bitumés sur leur comportement en cas d'incendie. Nous serons destinataires des résultats à fin d'analyse. Notre prochain rendez-vous aura trait au dossier d'autorisation de création, une fois que ce dernier sera déposé.
Nous avons été alertés sur le fait qu'à l'horizon 2030, nous courrions un risque de saturation des capacités de stockage des combustibles usés. Quel est l'avis de l'IRSN sur ce point ?
En ce qui concerne la déclaration de San Francisco, que vous avez signée, que change-t-elle en pratique dans le contexte général de l'évaluation par les pairs et de la montée de la défiance envers les publications scientifiques pendant l'épisode de pandémie ?
Récemment, le CNRS a obtenu de meilleures notes que l'IRSN et l'ASN dans l'évaluation de la confiance des citoyens en matière de nucléaire. Comment analysez-vous cette situation ? Y a-t-il des conséquences à en tirer, notamment dans vos liens avec les organismes universitaires ?
À intervalles réguliers, depuis la fin des années 1990, l'ASN demande aux industriels du nucléaire d'élaborer un document appelé « dossier impact cycle », qui permet d'avoir une vision des flux et des entreposages des installations, afin d'éviter des constats trop tardifs sur d'éventuels phénomènes d'engorgement. Il s'agit donc d'une démarche de précaution. Dans le domaine du nucléaire, une durée de dix ans constitue une bonne base pour la construction d'une installation. Dès lors, pour éviter toute situation difficile, il convient d'anticiper à cet horizon. Lors du dernier exercice de la sorte, l'IRSN avait conclu à un risque de saturation des piscines de l'établissement de la Hague à l'échéance 2030.
Le calcul de la vitesse de remplissage des piscines est multiparamétrique Des combustibles sortent des installations, à hauteur d'un peu moins de 1 200 tonnes par an, restent un certain temps dans les piscines des réacteurs, puis sont envoyés à l'usine de la Hague, où une grande partie est retraitée. De l'ordre de 66 tonnes de combustibles non retraités s'accumulent annuellement en régime permanent. De ce fait, il existe un risque de saturation à terme. Pour réduire le volume des combustibles entreposés, ORANO pourrait accélérer le retraitement, mais cela conduirait à générer du plutonium et il faudrait s'assurer que la capacité d'entreposage de ce dernier est suffisante. Par ailleurs, le retraitement est destiné à fabriquer des combustibles MOX utilisés dans les 32 réacteurs susceptibles de les recevoir. Huit combustibles usés étant nécessaires pour réaliser un combustible MOX, en fabriquer permet de désencombrer la piscine de la Hague. Aujourd'hui, la sortie des combustibles de la Hague est moins rapide en raison d'une moindre fabrication de combustibles MOX à l'usine MELOX, du fait de difficultés techniques liées aux procédés.
Il reste que l'évaluation de l'IRSN montrait qu'en régime normal, sans aléa, la saturation arriverait aux alentours de 2030. Par contre, en cas d'aléas dans l'usine MELOX ou celle de la Hague, la saturation pourrait être beaucoup plus rapide. Dans son rapport, l'ASN a ainsi rappelé la nécessité de disposer de capacités supplémentaires d'entreposage à cette échéance de 2030. Le PNGMDR prévoit qu'EDF doit déposer un dossier d'autorisation de création d'une nouvelle installation d'entreposage sous eau en fin d'année. Le ministère de l'écologie et l'ASN ont demandé qu'une étude d'entreposage à sec soit également effectuée.
Au sujet de l'impact de la pandémie sur l'entreposage des piscines, un sujet ne nous semble pas préoccupant : l'arrêt de l'usine de la Hague pendant un mois. Celle-ci n'étant pas au maximum de sa capacité, il ne semble pas qu'il y ait des difficultés à rattraper ce retard. EDF a cependant fait une annonce récente sur ses prévisions de production : 300 TWh pour 2020, 330 TWh pour 2021 et 360 TWh pour 2022, contre 420 TWh en régime normal. Sur trois ans, le manque à gagner équivaut donc à 270 TWh, soit l'équivalent de 1 500 assemblages combustibles qui ne seront pas brûlés en réacteur. Si les combustibles non consommés sont à l'uranium naturel, cette diminution réduira l'entreposage en piscines. S'il s'agit de MOX, l'effet sera inverse. Cet objectif 2030 reste donc pertinent et ne traite pas la question de l'aléa. Il y a donc un véritable besoin de capacité d'entreposage supplémentaire. Quant à l'évaluation précise du rythme de saturation des piscines, les textes prévoient que, six mois après la publication du décret relatif à la PPE, EDF remette ses prévisions à jour. Après cet épisode de pandémie, il me semble fondamental qu'EDF fasse une nouvelle évaluation de la saturation de ses piscines.
Par ailleurs, la déclaration de San Francisco appuie l'idée que le jugement sur la qualité scientifique des chercheurs ne doit pas reposer uniquement sur la volumétrie – le nombre de publications effectuées – mais doit également s'intéresser au contenu des travaux et à leur qualité intrinsèque, ce qui renvoie à des modes d'évaluation par les pairs. Nous comptons environ 300 chercheurs et 100 doctorants et, comme de nombreux autres organismes, nous adhérons à cette idée. Le Haut Conseil de l'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur (HCÉRES) permettant qu'un organisme de recherche puisse se doter d'un processus d'auto-évaluation vérifié par lui, nous avons mis en place un comité de visite qui permet, sur l'ensemble de nos quinze groupes thématiques de recherche, d'assurer une évaluation qualitative par des pairs extérieurs à l'Institut, dans le respect de règles déontologiques précises. Nous espérons que cette déclaration de San Francisco aura un effet sur les publications et nous essayons de nous l'appliquer à nous-mêmes.
Le baromètre de perception des risques et de la sécurité par les Français comprend plusieurs parties, dont une évaluation d'un couple compétences/crédibilité des acteurs. Effectivement, le CNRS apparaît en tête de ce graphique. Nous avons cependant constaté cette année que les positions de l'ASN et de l'IRSN avaient progressé, ce qui est encourageant. L'amélioration de cette perception ne peut passer que par l'interaction avec les parties prenantes et une démarche d'ouverture à la société. Dans sa deuxième partie, ce baromètre suit également l'opinion que les Français ont des experts. Au travers de ce sondage réalisé sur 1 000 personnes, il ressort que cette opinion est plutôt bonne. Les Français mettent ainsi en avant la compétence des experts, l'indépendance, etc.
Le baromètre 2019 a été réalisé avant la pandémie. Nous avons toutefois souhaité reposer un certain nombre des questions en mai 2020 à 1 000 personnes par Internet, notamment celle relative à l'opinion sur les experts. Ce sondage a montré que les bonnes opinions restaient à un niveau élevé de 44 %, contre 12 % de mauvaises opinions, mais en dégradation par rapport au baromètre 2019. Il reste qu'au final, les Français conservent une bonne opinion des experts scientifiques.
Pour les quelques minutes restantes, Monsieur Louis-Michel Guillaume pourrait évoquer les grands chantiers de votre Institut en matière de défense, en attendant une audition de l'Office plus spécifiquement consacrée à ces enjeux.
En matière de nucléaire de défense, le système est à la croisée des chemins, avec de nouveaux programmes, comme les premiers sous-marins de la classe Suffren et les chantiers à terre associés, et les premières études sur la nouvelle génération de sous-marins nucléaires lanceurs d'engins (SN3G). À ce titre, nous commençons les travaux relatifs au rapport préliminaire de sûreté et aux options de conception. Il faudra donc examiner les évolutions à conduire sur le système de soutien de ces sous-marins.
Dans le domaine des activités de recherche, nous pouvons citer le réacteur d'essai de Cadarache, entré en service il y a quelques mois et pour lequel études et travaux se poursuivent.
Outre ces nouveaux programmes, il faut évoquer des opérations de jouvence sur des installations de parfois plusieurs dizaines d'années, comme à Cadarache, à Marcoule ou à Valduc. De réexamens de sûreté sont à conduire pour s'assurer que ces installations continuent d'être à un niveau acceptable dans le domaine de la sûreté.
Il faudra aussi conduire quelques opérations de démantèlement d'installations anciennes, qui ne sont plus utilisées aujourd'hui, avec un volet déchets, sur lequel nous travaillons en étroite synergie avec la partie civile de l'Institut, les déchets étant destinés aux mêmes installations.
En parallèle, pour le volet sécurité et non-prolifération, nous accompagnons le ministère de la transition écologique dans le domaine des installations nucléaires civiles, par des études des dispositions proposées par les exploitants ou dans le cadre d'inspections et de contrôles destinés à s'assurer que les prescriptions techniques sont bien respectées et produisent les effets attendus. Un important programme d'amélioration de la sécurité a été lancé il y a plusieurs années dans ce domaine.
Enfin, un volet important a trait au réexamen de sûreté, de manière à permettre l'instruction par l'ASN du renouvellement d'autorisations de plusieurs installations.
Je vous remercie beaucoup pour la qualité et l'exhaustivité de vos réponses, la solidité dont vous faites preuve, votre ouverture à l'international, la lucidité avec laquelle vous mettez en coordination les sujets d'évaluation, de recherche et de contrôle, et de façon générale la conscience professionnelle avec laquelle vous assurez vos missions. Nous voici au terme de cette audition. L'année qui vient de s'écouler a été riche en péripéties. L'année qui arrive ne le sera sans doute pas moins et il sera très important de maintenir ce lien de confiance entre nous.
Merci, Monsieur le Président. L'IRSN remercie l'Office de l'attention constante portée à nos travaux. Nous restons à votre disposition.
La visioconférence est close à 10 h 55.
Membres présents ou excusés
Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques
Réunion du jeudi 25 juin 2020 à 8 h 45
Députés
Présents. - M. Philippe Bolo, M. Jean-François Eliaou, M. Thomas Gassilloud, Mme Huguette Tiegna, M. Cédric Villani
Excusés. - Mme Émilie Cariou, M. Claude de Ganay
Sénateurs
Présents. - M. Jérôme Bignon, M. Roland Courteau, Mme Florence Lassarade, M. Gérard Longuet, M. Stéphane Piednoir, Mme Angèle Préville, M. Bruno Sido
Excusés. - Mme Laure Darcos, Mme Catherine Procaccia