Intervention de Jean-François Eliaou

Réunion du jeudi 25 juin 2020 à 8h45
Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-François Eliaou, député, rapporteur :

Le titre précis de cette note est : « Variations du développement génital : quelle prise en charge ? Que dit la recherche biomédicale ? »

Lors de la première lecture du projet de loi bioéthique à l'Assemblée nationale, une disposition sur ce sujet a été adoptée. Dans ce contexte, il semblait approprié de mener des auditions sous l'égide de l'Office, afin d'avoir une idée plus précise du sujet. Nous avons auditionné des médecins, chirurgiens, endocrinologues, psychiatres et pédopsychiatres, mais également des associations de patients et de parents de patients.

Il est important de comprendre la signification du terme variations du développement génital ou VDG. Les variations du développement génital regroupent en réalité un ensemble d'affections très différentes, dont le point commun est qu'elles aboutissent à la présentation d'organes génitaux externes, soit atypiques, c'est-à-dire différents des structures typiquement masculines ou féminines, soit différentes du sexe chromosomique ou gonadique de l'individu.

Le développement du système urogénital est complexe. Il dépend à la fois des gènes portés par les chromosomes sexuels et des hormones produites par les gonades – testicules et ovaires. Ainsi, l'altération de différents mécanismes biologiques peut aboutir au même phénotype, c'est-à-dire à la présentation d'organes génitaux externes atypiques. Il peut s'agir d'anomalies au niveau des chromosomes, portant sur leur nombre ou bien sur des altérations telles que la perte ou le gain d'un fragment. Il peut aussi s'agir d'altérations, plus localisées, de gènes du déterminisme sexuel, qui guident la différenciation de la gonade vers le testicule ou l'ovaire, ou bien de gènes intervenant dans la synthèse, l'interaction hormone-récepteur et la dégradation des hormones sexuelles. Ainsi, toute la chaîne peut être impliquée dans ces altérations et anomalies.

Une fois la gonade différenciée, ce sont les hormones qu'elle produit qui sont déterminantes pour le devenir des organes génitaux externes. Les mêmes tissus embryonnaires donnent des structures différentes selon les hormones détectées. C'est ce qui explique que des personnes nées XY et présentant une mutation au niveau du récepteur des androgènes développent des organes génitaux externes féminins. Concrètement, l'insensibilité des tissus à la différenciation des organes génitaux externes conduira, pour un garçon au niveau chromosomique et gonadique, à un phénotype – l'apparence du bébé – féminin.

Ces VDG donnent lieu à des phénotypes plus ou moins prononcés. Elles peuvent être associées à des troubles fonctionnels, associés à la miction et l'activité sexuelle. À long terme, il existe un risque de cancérisation surtout lorsque la gonade n'est pas différenciée, mais aussi, dans le cas des testicules, et dans une moindre mesure, lorsque qu'elles restent au niveau de l'abdomen et qu'elles ne descendent pas dans les bourses après un certain temps.

Les troubles les plus bénins sont les plus fréquents. C'est un point important. Par exemple l'hypospade, c'est-à-dire le non abouchement du méat urinaire au bout du gland, et la cryptorchidie, c'est-à-dire la non descente des testicules dans les bourses, concerneraient respectivement une naissance sur 300 et sur 100. Cette fréquence concerne tous les formes d'hypospade et de cryptorchidie. Il en existe des formes bénignes et des formes plus graves, par exemple lorsque le méat urinaire se trouve à la racine du pénis, au niveau du scrotum. Les formes les plus bénignes ne sont habituellement pas incluses dans le spectre des variations du développement génital, car elles ne sont ni diagnostiquées ni suivies. Par exemple, la cryptorchidie est bien connue chez le nouveau-né prématuré, la descente des bourses s'effectuant plus tard dans son développement.

Les variations les plus sévères sont difficilement quantifiables, parce qu'elles sont rares, qu'elles peuvent être sous-diagnostiquées, et qu'il n'existe pas de registre permettant d'en faire un suivi. Ce point est essentiel, car en France nous n'avons malheureusement pas de suivi des patients. Il n'existe pas de registre national pour quantifier et répertorier les différentes anomalies du développement génital. Ces variations peuvent faire l'objet d'une prise en charge médicale, chirurgicale ou hormonale, afin de restaurer la fonctionnalité des organes et réduire leur atypie.

La question de la prise en charge thérapeutique des enfants qui ne sont pas en âge d'exprimer un consentement éclairé a été mise en exergue dans nos échanges avec les médecins et les associations. Qu'elle soit hormonale ou chirurgicale, elle est vivement contestée par une partie du milieu associatif. La difficulté réside alors dans l'appréciation adéquate de ce qui doit être privilégié, entre une intervention à un jeune âge dans l'intérêt de l'enfant, avec des conséquences potentiellement itératives et invalidantes, et l'attente d'un âge où il est en capacité de choisir.

Une autre partie du milieu associatif souhaite que ces interventions puissent continuer à avoir lieu dans les premières années de l'enfance. Pour un certain nombre d'anomalies, il est en effet clair qu'il vaut mieux intervenir tôt que tard, parce que les tissus se réparent mieux, ou parce que l'intervention peut consister à corriger une dysfonction urologique importante, invalidante et potentiellement à l'origine d'infections.

Le corps médical estime pour sa part que les interventions dont bénéficient les enfants ne peuvent être simplement qualifiées d'opérations de normalisation ou de chirurgie esthétique, comme l'affirme parfois le milieu associatif. Ce serait négliger l'impact médical, psychologique et sociétal de l'atypie.

En effet, les personnes porteuses de variations du développement génital ont tendance à être plus sujettes aux troubles psychologiques tels que l'anxiété, la dépression et la phobie sociale. Du point de vue des psychiatres, l'atypie et la non satisfaction vis-à-vis de son corps sont des sources de mal-être. Mais pour une partie du milieu associatif, les opérations subies sont également sources de mal-être, car elles peuvent être lourdes, itératives et conduire à des complications.

L'abstention thérapeutique, en tant que choix thérapeutique et non simplement absence d'intervention résultant d'une méconnaissance des processus, est également une possibilité. De plus en plus, les professionnels de santé proposent, en concertation avec les parents, de décaler les interventions à un âge où l'enfant ou l'adolescent peut en faire la demande. Cette discussion s'instaure dès lors qu'il n'y a pas de risque vital pour l'enfant. Sa demande de prise en charge intervient ensuite lorsqu'il prend conscience de son corps, lors du début de la vie sexuelle par exemple.

Le choix entre une intervention précoce et le report jusqu'à un âge où un consentement peut être exprimé n'est pas simple. Les avis des différentes parties sont souvent assez tranchés et difficilement réconciliables. Leurs positions se reflètent dans la dénomination de ces affections : les médecins et une partie du milieu associatif préfèrent parler d'anomalies ou de troubles – en anglais, disorder – pour correspondre au registre pathologique, alors qu'une autre partie du milieu associatif préfère « dépathologiser » et parler de différences ou de variations. Le terme intersexe est également utilisé. À mon sens, il est à proscrire, l'intersexualité pouvant consister à ne s'inscrire ni dans un genre ni dans l'autre, indépendamment de la présentation des organes génitaux externes.

Dans la note, nous avons fait le choix de la dénomination « variation du développement génital », pour nous inscrire dans une démarche d'ouverture et d'apaisement, prônée par certains médecins et associations souhaitant renforcer la collaboration entre les mondes médical et associatif.

La plupart des personnes interrogées s'accordent sur le fait que l'idéal serait que la société toute entière, surtout l'environnement des enfants concernés, c'est-à-dire principalement l'école, soit suffisamment inclusive pour qu'ils puissent assumer cette différence, mais ce n'est pas le cas.

D'un point de vue strictement médical, aucune étude ne permet de trancher la question de l'âge auquel l'enfant peut être opéré, hormis pour l'hypospade sévère, une intervention pratiquée tardivement étant associée à plus de complications. Les études cliniques manquent, alors qu'elles seraient bienvenues pour guider la pratique médicale. Cette situation résulte principalement du faible nombre de personnes concernées, ainsi que de l'absence de suivi de celles en bonne santé. La recherche biomédicale s'intéresse aussi aux variations du développement génital, parce qu'elles permettent de mieux comprendre la mise en place du système urogénital, ainsi que les mécanismes de l'infertilité. Des chercheurs se préoccupent également du rôle éventuel des perturbateurs endocriniens dans les variations du développement génital légères, comme les hypospades antérieurs.

En l'absence de preuves fondées sur l' evidence-based medicine, qui guideraient la pratique, et compte tenu de la grande hétérogénéité des situations, à la fois des contextes familiaux et de la mauvaise corrélation génotype-phénotype, il est impossible d'établir des lignes directrices sous la houlette de la Haute Autorité de santé, comme cela est souvent souhaitable. Si de grands principes peuvent éventuellement être édictés, de bonnes pratiques précises ne peuvent être établies.

Il faut donc organiser la prise en charge de façon à ce que les patients soient protégés de décisions arbitraires et unilatérales. À cet égard, l'abstention thérapeutique doit faire partie des stratégies envisagées. L'orientation systématique des enfants concernés dans un centre de référence compétent est nécessaire pour que la prise en charge soit collégiale, multidisciplinaire et compétente, avec les spécialités que sont l'urologie, la néonatalogie, la pédiatrie, la psychiatrie et la génétique médicale. Ce regroupement des cas permettra aux centres de procéder à leur enregistrement et à leur suivi. Il facilitera la mise en place de travaux de recherche clinique. Il permettra également de définir, à terme, des guides de bonnes pratiques.

Finalement, dans les rares cas, de vingt-cinq à cinquante par an, où un sexe doit être assigné à la naissance, ainsi que dans ceux où une erreur est réalisée lorsque le sexe du nouveau-né est déterminé par la sage-femme ou la puéricultrice – tous les ans cette erreur dans la détermination du sexe concerne quelques petites filles présentant une hyperplasie congénitale des surrénales – la rectification du sexe à l'état civil, aujourd'hui compliquée, longue et coûteuse, doit être facilitée, sans qu'il en soit fait mention à l'état civil, lors de la délivrance des extraits ou copies intégrales d'actes de naissance. C'est une volonté des familles mais également des médecins qui les prennent en charge.

Cette demande me semblant justifiée, je déposerai deux amendements en ce sens lors de la discussion du projet de loi bioéthique en commission ou, si nécessaire, dans l'hémicycle. Pour être tout à fait transparent, j'ai rencontré hier, en tant que rapporteur, le cabinet de Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, et nous avançons très rapidement en ce sens. Il n'existe pas d'opposition de principe à ce que la procédure de changement de sexe soit grandement facilitée et non coûteuse, puisqu'il n'y a pas besoin d'avocat, et qu'il n'y ait pas de trace de changement de sexe à l'état civil, pour une demande d'extrait d'acte de naissance ou une copie intégrale.

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