Intervention de Pierre Henriet

Réunion du jeudi 9 juillet 2020 à 9h45
Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPierre Henriet, député, rapporteur :

Aux termes de la circulaire Mandon du 15 mars 2017, l'intégrité scientifique est « l'ensemble des règles et valeurs qui doivent régir l'activité de recherche pour en garantir le caractère honnête et scientifiquement rigoureux ». Le champ de notre rapport est aussi large que celui de la recherche elle-même. C'est pourquoi nous-nous sommes d'abord efforcés d'en définir les jalons.

L'actualité, marquée par la crise sanitaire du coronavirus, nous a envoyé, à cet égard, comme des rappels à l'ordre : viralité des fausses informations ou infox ; rétractation d'articles scientifiques, notamment un fameux article du Lancet ; recours massif aux serveurs de prépublication ; place donnée aux conseils scientifiques dans la prise de décision politique ; elle-même source de défiance envers la parole scientifique.

Les valeurs de l'intégrité scientifique ne sont pas toutes respectées en temps de crise. Dans un récent message commun, le comité d'éthique du CNRS et sa mission à l'intégrité scientifique soulignent que trois de ses aspects fondamentaux sont mis à mal dans le contexte de crise sanitaire : le respect des principes éthiques ; l'exigence de répondre aux questionnements de la population de manière sobre et précise ; la nécessité de fonder sa démarche sur la méthode scientifique.

Permettez-moi un rapide retour en arrière sur le lancement de nos travaux, en septembre 2019. Ils trouvent leur origine dans une saisine de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication du Sénat. Le but qui leur est assigné est « d'éclairer la représentation nationale sur les choix de politique publique à opérer dans le domaine de l'intégrité scientifique ».

Tentons un rapide panorama de l'intégrité scientifique à la française. Elle repose sur le principe de l'autorégulation, qui trouve son expression dans des codes de bonne conduite et diverses chartes, guides ou vade-mecum. Depuis la publication du rapport du professeur Pierre Corvol, en 2016, différents dispositifs ont cependant été mis en place pour conforter et protéger l'intégrité scientifique en France. Ils n'ont aujourd'hui que quatre ans seulement, ce qui montre bien que la notion est encore naissante.

L'Office français de l'intégrité scientifique (OFIS) a été créé en 2016. Il remplit les fonctions d'un observatoire. Il ne traite cependant pas des dossiers individuels soulevant des problèmes concrets d'intégrité scientifique. La même année, des référents à l'intégrité scientifique ont été désignés dans une grande partie des établissements et centres de recherche. Nous en avons répertorié 128 à ce jour. Ils promeuvent l'intégrité scientifique et instruisent les cas de manquement observés dans leur établissement. Enfin, en 2017, la circulaire Mandon a institué pour les doctorants une formation obligatoire dans le domaine de l'intégrité scientifique.

Au cours des vingt-deux auditions que nous avons réalisées avec mon collègue Pierre Ouzoulias, notre attention a été attirée sur plusieurs points.

D'abord, il n'existe pas de définition légale de l'intégrité scientifique. Nous nous sommes attachés à en proposer une, susceptible d'ailleurs de supporter d'éventuelles modifications. Mais, pour l'instant, aucune définition ne fait consensus, et le code de la recherche n'en contient pas non plus.

Ensuite, le statut de l'OFIS a régulièrement fait l'objet de discussions pendant les auditions. Dépourvu de budget propre, il constitue aujourd'hui un simple département du Haut Conseil de l'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur (HCÉRES). Sa latitude de fonctionnement est réduite, notamment lorsque la présidence du Haut Conseil n'est pas pourvue.

En outre, toutes les structures de recherche n'ont pas de référent à l'intégrité scientifique, alors que cela constitue actuellement une obligation. Le statut et les missions de ces référents sont d'ailleurs mal définis, puisqu'ils varient selon les établissements et les disciplines de recherche. Certains affirment que la formation obligatoire en intégrité scientifique devrait être généralisée à toutes les activités de mentorat, y compris celles qui se déroulent dans le cadre de l'habilitation à diriger des recherches (HDR).

Des inquiétudes se concentrent sur le sort de la personne soupçonnée de manquements à l'intégrité scientifique. Pour elle, il n'existe pas ou peu de voie de recours ni de chambre d'appel. La défense par des avocats ou par des syndicats n'est à ce jour pas normalisée. Des réseaux de dénonciation tels que PubPeer tendent à se développer sur la Toile depuis quelque temps, sans que les accusations soient toujours fondées, ou que les scientifiques mis en cause disposent d'un droit de réponse.

Tout comme l'actualité, les auditions nous ont révélé qu'il est urgent de mener une politique nationale en faveur de l'intégrité scientifique. Cette politique implique de définir la notion dans le code de la recherche, mais aussi de redéfinir le statut et les missions de l'Office français de l'intégrité scientifique. Elle doit fournir un outil de confiance en faveur de la recherche française, car les règles relatives à l'intégrité scientifique favorisent la qualité des résultats de recherche, comme l'ont mis en avant les personnes que nous avons entendues.

Cette politique volontariste, conservant la philosophie originelle de l'autorégulation, s'inscrira parfaitement dans un contexte de renforcement des règles éthiques et déontologiques. Favorisant l'intégrité de la recherche, elle renforcera le crédit des chercheurs français, tant vis-à-vis du grand public que sur la scène internationale.

C'est pourquoi nous proposons d'inscrire une définition de l'intégrité scientifique dans le code de la recherche. La définition retenue est issue du rapport du professeur Pierre Corvol. Elle s'adapte à la charte de déontologie adoptée par de nombreux organismes de recherche.

Je vais vous faire lecture d'une proposition de rédaction que nous souhaitons soumettre à l'Office parlementaire. Elle pourrait faire l'objet d'un amendement : « Art. L. 211-1 – L'intégrité scientifique désigne l'ensemble des règles et des valeurs qui garantissent le caractère honnête et scientifiquement rigoureux de l'activité de recherche. L'ensemble des travaux de recherche réalisés sur le territoire français doit être conforme aux prescriptions en matière d'intégrité scientifique définies par les établissements ou à défaut par la charte française de déontologie des métiers de la recherche de janvier 2015, ou sa version mise à jour ultérieurement. »

L'objectif, encore une fois, est de consolider les acteurs de recherche et notamment les référents intégrité scientifique (RIS) pour lesquels il est difficile, aujourd'hui, d'avoir un corpus solide, notamment quand ils sont en situation de médiation, ou quand des soucis d'intégrité voient le jour au sein des établissements.

Le deuxième point consiste à renforcer les missions de l'Office français à l'intégrité scientifique, en consolidant le rôle des instances en charge des sujets d'intégrité scientifique, pour favoriser des pratiques plus homogènes.

En matière d'intégrité, les normes viennent de la communauté scientifique elle-même. Elles ne sont pas imposées par les autorités hiérarchiques, ce qui renforce l'adhésion des chercheurs, mais peut aussi entraîner de réelles disparités sur les corpus existants, et leur mise en œuvre d'un établissement à l'autre. En renforçant le rôle de l'OFIS, la diffusion et l'homogénéisation du corpus de normes en matière d'intégrité devraient être favorisées.

Nous reviendrons sur des cas plus précis tout à l'heure, mais conforter l'OFIS est vraiment un souhait de la communauté scientifique qui travaille sur ces questions d'intégrité scientifique.

L'objectif est également de soutenir l'action des référents intégrité scientifique. L'OFIS doit pouvoir leur assurer un soutien opérationnel sur l'ensemble des établissements. Parfois les RIS sont isolés au sein de leur établissement, et le lien avec l'OFIS n'est pas optimal ou évident.

L'OFIS pourra identifier et diffuser des bonnes pratiques, notamment en matière de prise en compte des enjeux environnementaux. Ce dernier axe a été abordé dans beaucoup d'auditions, et trouve un écho de plus en plus fort au sein de la communauté scientifique.

Enfin, renforcer le rôle de l'OFIS permettrait d'accentuer les actions de formation fondamentales, à destination des doctorants mais aussi des encadrants. C'est pourquoi nous recommandons d'élargir, par voie réglementaire, l'obligation de formation à l'intégrité scientifique, qui ne concerne aujourd'hui que les doctorants, à toute nouvelle personne habilitée à diriger des recherches.

Un autre point important : de nombreuses affaires de méconduite ne sont aujourd'hui pas instruites. Pourtant, elles ont été relayées dans la presse, même grand public, et peuvent impliquer des personnes assumant de hautes responsabilités au sein des organismes scientifiques. Les affaires sont soulevées du fait de conflits d'intérêt ou de l'absence de comité prenant en charge ces enjeux d'intégrité. Doter une instance tierce de la capacité d'évocation permettra aux responsables d'établissements de s'appuyer sur un rapport objectif pour instruire éventuellement l'affaire en interne.

Un autre point dans la procédure d'instruction serait de créer un droit d'évocation au profit d'une instance de l'OFIS. Actuellement, il existe au sein de l'OFIS un comité directeur, appelé Conseil français de l'intégrité scientifique (COFIS). Il pourrait disposer d'un droit d'évocation sur les affaires de méconduite. Chaque affaire serait ainsi instruite et débattue au sein du COFIS, qui pourrait réaliser des auditions, et solliciter une expertise confidentielle.

Bien évidemment, quand on parle d'instruction, il ne faut pas oublier le droit de recours devant l'OFIS. Le processus doit intégrer cette notion, notamment pour traiter des affaires de plagiat sur une publication, ou des problèmes de manquements à l'intégrité scientifique de manière plus générale, notamment de falsification des données. L'action est alors limitée à l'émission d'un rapport, sans lien avec l'établissement, pour éviter justement un éventuel conflit d'intérêt, mais qui peut orienter l'action de l'établissement et lui permettre de s'appuyer sur une analyse objective des faits. La finalité n'est pas de se substituer à l'autorité de l'établissement.

La recommandation que nous faisons est donc d'élargir, par voie législative, les missions de l'OFIS, en attribuant au COFIS un droit d'évocation des affaires de méconduites supposées, et de recours pour les affaires instruites dans les établissements. Le COFIS élaborerait un rapport à destination de l'établissement concerné intégrant des recommandations quant au traitement de l'affaire.

Dernier point concernant l'autonomie de l'OFIS et de son organe de gouvernance : ils dépendent aujourd'hui exclusivement du HCÉRES. Tous les actes courants et comptes rendus doivent être validés par le collège de ce dernier. Aussi, toute situation de blocage du HCÉRES entrave-t-elle l'action de l'OFIS. Par exemple, le COFIS ne peut aujourd'hui renouveler ses membres, et publier ses comptes rendus, en raison de la situation que connaît le HCÉRES, la nomination de sa présidence étant en attente. Ce point a été évoqué par l'OFIS, mais aussi par les acteurs des réseaux d'intégrité scientifique : sans l'aval du HCÉRES, rien n'est actuellement possible en matière d'intégrité scientifique. Ce rattachement, s'il présente un intérêt logistique, ne garantit pas l'indépendance intellectuelle de l'OFIS, car il rattache indirectement cette institution à l'autorité du ministère de l'Enseignement supérieur et de la Recherche.

De plus, le COFIS ne dispose d'aucun droit d'évocation. S'il est saisi d'une affaire, quelle que soit la gravité des faits, il est dépourvu de moyens d'action. Aucune affaire individuelle n'est évoquée devant le COFIS.

Nous souhaitons donc la création d'une autorité administrative indépendante au service de l'intégrité scientifique, un outil pour restaurer la confiance du grand public, des citoyens à l'égard de la science, notamment lors de ce type d'affaires de rétractation de publications, pour promouvoir une recherche intègre. Ceci implique de doter une instance indépendante de moyens pour mener une action en faveur de cette notion d'intégrité. L'OFIS nous semble être le meilleur acteur pour porter ces sujets, en collaboration avec les référents intégrité, à la fois vers la communauté scientifique et, plus ouvertement, vers le grand public.

L'autonomie permet d'endiguer les phénomènes d'éventuelles pressions extérieures ou hiérarchiques. Nous l'avons noté, dès que nous avons soulevé des cas particuliers. Nous recommandons donc de doter l'OFIS, par voie législative, d'un statut d'autorité administrative indépendante, qui n'est pas incompatible avec la poursuite de l'hébergement de l'OFIS au sein du HCÉRES.

Il s'agit de sujets souvent délicats, surtout lorsque l'on rentre dans la mécanique fine de certaines affaires, qui ont pu être révélées ou parfois restent en interne. Les référents intégrité ont beaucoup de difficultés à les gérer. Le but est de renforcer ces acteurs de l'intégrité scientifique. En effet, nous l'avons vu au travers de nos auditions, le fait que cette notion d'intégrité ne soit formalisée que depuis quatre ans montre que, pour l'instant, ils ne sont pas encore intégrés aux établissements. Ils ont besoin, à la fois par cette autonomie et par ce soutien, d'être plus présents, avec des moyens et des missions bien définis, pour que l'ensemble de la communauté scientifique puisse être épaulée lorsque l'on constate des manquements à l'intégrité scientifique.

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