Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques
Jeudi 9 juillet 2020
La réunion commence à 9 heures 45.
À l'ordre du jour de l'Office ce matin, nous avons une communication sur un travail qui est en cours, mais n'a pas encore abouti, qui porte sur l'intégrité scientifique, notamment sur l'intégrité des publications scientifiques. Il conviendra, le moment venu, de porter à la connaissance du grand public notre réflexion sur ce thème d'actualité.
Le sénateur Claude Huriet avait été le premier à s'y consacrer, avant que Mme Anne Genetet, députée, ne présente devant nous une communication sur le sujet, en février 2019. Le rapport dont nous examinons aujourd'hui l'état d'avancement répond quant à lui à une saisine de la commission de la culture du Sénat.
Aux termes de la circulaire Mandon du 15 mars 2017, l'intégrité scientifique est « l'ensemble des règles et valeurs qui doivent régir l'activité de recherche pour en garantir le caractère honnête et scientifiquement rigoureux ». Le champ de notre rapport est aussi large que celui de la recherche elle-même. C'est pourquoi nous-nous sommes d'abord efforcés d'en définir les jalons.
L'actualité, marquée par la crise sanitaire du coronavirus, nous a envoyé, à cet égard, comme des rappels à l'ordre : viralité des fausses informations ou infox ; rétractation d'articles scientifiques, notamment un fameux article du Lancet ; recours massif aux serveurs de prépublication ; place donnée aux conseils scientifiques dans la prise de décision politique ; elle-même source de défiance envers la parole scientifique.
Les valeurs de l'intégrité scientifique ne sont pas toutes respectées en temps de crise. Dans un récent message commun, le comité d'éthique du CNRS et sa mission à l'intégrité scientifique soulignent que trois de ses aspects fondamentaux sont mis à mal dans le contexte de crise sanitaire : le respect des principes éthiques ; l'exigence de répondre aux questionnements de la population de manière sobre et précise ; la nécessité de fonder sa démarche sur la méthode scientifique.
Permettez-moi un rapide retour en arrière sur le lancement de nos travaux, en septembre 2019. Ils trouvent leur origine dans une saisine de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication du Sénat. Le but qui leur est assigné est « d'éclairer la représentation nationale sur les choix de politique publique à opérer dans le domaine de l'intégrité scientifique ».
Tentons un rapide panorama de l'intégrité scientifique à la française. Elle repose sur le principe de l'autorégulation, qui trouve son expression dans des codes de bonne conduite et diverses chartes, guides ou vade-mecum. Depuis la publication du rapport du professeur Pierre Corvol, en 2016, différents dispositifs ont cependant été mis en place pour conforter et protéger l'intégrité scientifique en France. Ils n'ont aujourd'hui que quatre ans seulement, ce qui montre bien que la notion est encore naissante.
L'Office français de l'intégrité scientifique (OFIS) a été créé en 2016. Il remplit les fonctions d'un observatoire. Il ne traite cependant pas des dossiers individuels soulevant des problèmes concrets d'intégrité scientifique. La même année, des référents à l'intégrité scientifique ont été désignés dans une grande partie des établissements et centres de recherche. Nous en avons répertorié 128 à ce jour. Ils promeuvent l'intégrité scientifique et instruisent les cas de manquement observés dans leur établissement. Enfin, en 2017, la circulaire Mandon a institué pour les doctorants une formation obligatoire dans le domaine de l'intégrité scientifique.
Au cours des vingt-deux auditions que nous avons réalisées avec mon collègue Pierre Ouzoulias, notre attention a été attirée sur plusieurs points.
D'abord, il n'existe pas de définition légale de l'intégrité scientifique. Nous nous sommes attachés à en proposer une, susceptible d'ailleurs de supporter d'éventuelles modifications. Mais, pour l'instant, aucune définition ne fait consensus, et le code de la recherche n'en contient pas non plus.
Ensuite, le statut de l'OFIS a régulièrement fait l'objet de discussions pendant les auditions. Dépourvu de budget propre, il constitue aujourd'hui un simple département du Haut Conseil de l'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur (HCÉRES). Sa latitude de fonctionnement est réduite, notamment lorsque la présidence du Haut Conseil n'est pas pourvue.
En outre, toutes les structures de recherche n'ont pas de référent à l'intégrité scientifique, alors que cela constitue actuellement une obligation. Le statut et les missions de ces référents sont d'ailleurs mal définis, puisqu'ils varient selon les établissements et les disciplines de recherche. Certains affirment que la formation obligatoire en intégrité scientifique devrait être généralisée à toutes les activités de mentorat, y compris celles qui se déroulent dans le cadre de l'habilitation à diriger des recherches (HDR).
Des inquiétudes se concentrent sur le sort de la personne soupçonnée de manquements à l'intégrité scientifique. Pour elle, il n'existe pas ou peu de voie de recours ni de chambre d'appel. La défense par des avocats ou par des syndicats n'est à ce jour pas normalisée. Des réseaux de dénonciation tels que PubPeer tendent à se développer sur la Toile depuis quelque temps, sans que les accusations soient toujours fondées, ou que les scientifiques mis en cause disposent d'un droit de réponse.
Tout comme l'actualité, les auditions nous ont révélé qu'il est urgent de mener une politique nationale en faveur de l'intégrité scientifique. Cette politique implique de définir la notion dans le code de la recherche, mais aussi de redéfinir le statut et les missions de l'Office français de l'intégrité scientifique. Elle doit fournir un outil de confiance en faveur de la recherche française, car les règles relatives à l'intégrité scientifique favorisent la qualité des résultats de recherche, comme l'ont mis en avant les personnes que nous avons entendues.
Cette politique volontariste, conservant la philosophie originelle de l'autorégulation, s'inscrira parfaitement dans un contexte de renforcement des règles éthiques et déontologiques. Favorisant l'intégrité de la recherche, elle renforcera le crédit des chercheurs français, tant vis-à-vis du grand public que sur la scène internationale.
C'est pourquoi nous proposons d'inscrire une définition de l'intégrité scientifique dans le code de la recherche. La définition retenue est issue du rapport du professeur Pierre Corvol. Elle s'adapte à la charte de déontologie adoptée par de nombreux organismes de recherche.
Je vais vous faire lecture d'une proposition de rédaction que nous souhaitons soumettre à l'Office parlementaire. Elle pourrait faire l'objet d'un amendement : « Art. L. 211-1 – L'intégrité scientifique désigne l'ensemble des règles et des valeurs qui garantissent le caractère honnête et scientifiquement rigoureux de l'activité de recherche. L'ensemble des travaux de recherche réalisés sur le territoire français doit être conforme aux prescriptions en matière d'intégrité scientifique définies par les établissements ou à défaut par la charte française de déontologie des métiers de la recherche de janvier 2015, ou sa version mise à jour ultérieurement. »
L'objectif, encore une fois, est de consolider les acteurs de recherche et notamment les référents intégrité scientifique (RIS) pour lesquels il est difficile, aujourd'hui, d'avoir un corpus solide, notamment quand ils sont en situation de médiation, ou quand des soucis d'intégrité voient le jour au sein des établissements.
Le deuxième point consiste à renforcer les missions de l'Office français à l'intégrité scientifique, en consolidant le rôle des instances en charge des sujets d'intégrité scientifique, pour favoriser des pratiques plus homogènes.
En matière d'intégrité, les normes viennent de la communauté scientifique elle-même. Elles ne sont pas imposées par les autorités hiérarchiques, ce qui renforce l'adhésion des chercheurs, mais peut aussi entraîner de réelles disparités sur les corpus existants, et leur mise en œuvre d'un établissement à l'autre. En renforçant le rôle de l'OFIS, la diffusion et l'homogénéisation du corpus de normes en matière d'intégrité devraient être favorisées.
Nous reviendrons sur des cas plus précis tout à l'heure, mais conforter l'OFIS est vraiment un souhait de la communauté scientifique qui travaille sur ces questions d'intégrité scientifique.
L'objectif est également de soutenir l'action des référents intégrité scientifique. L'OFIS doit pouvoir leur assurer un soutien opérationnel sur l'ensemble des établissements. Parfois les RIS sont isolés au sein de leur établissement, et le lien avec l'OFIS n'est pas optimal ou évident.
L'OFIS pourra identifier et diffuser des bonnes pratiques, notamment en matière de prise en compte des enjeux environnementaux. Ce dernier axe a été abordé dans beaucoup d'auditions, et trouve un écho de plus en plus fort au sein de la communauté scientifique.
Enfin, renforcer le rôle de l'OFIS permettrait d'accentuer les actions de formation fondamentales, à destination des doctorants mais aussi des encadrants. C'est pourquoi nous recommandons d'élargir, par voie réglementaire, l'obligation de formation à l'intégrité scientifique, qui ne concerne aujourd'hui que les doctorants, à toute nouvelle personne habilitée à diriger des recherches.
Un autre point important : de nombreuses affaires de méconduite ne sont aujourd'hui pas instruites. Pourtant, elles ont été relayées dans la presse, même grand public, et peuvent impliquer des personnes assumant de hautes responsabilités au sein des organismes scientifiques. Les affaires sont soulevées du fait de conflits d'intérêt ou de l'absence de comité prenant en charge ces enjeux d'intégrité. Doter une instance tierce de la capacité d'évocation permettra aux responsables d'établissements de s'appuyer sur un rapport objectif pour instruire éventuellement l'affaire en interne.
Un autre point dans la procédure d'instruction serait de créer un droit d'évocation au profit d'une instance de l'OFIS. Actuellement, il existe au sein de l'OFIS un comité directeur, appelé Conseil français de l'intégrité scientifique (COFIS). Il pourrait disposer d'un droit d'évocation sur les affaires de méconduite. Chaque affaire serait ainsi instruite et débattue au sein du COFIS, qui pourrait réaliser des auditions, et solliciter une expertise confidentielle.
Bien évidemment, quand on parle d'instruction, il ne faut pas oublier le droit de recours devant l'OFIS. Le processus doit intégrer cette notion, notamment pour traiter des affaires de plagiat sur une publication, ou des problèmes de manquements à l'intégrité scientifique de manière plus générale, notamment de falsification des données. L'action est alors limitée à l'émission d'un rapport, sans lien avec l'établissement, pour éviter justement un éventuel conflit d'intérêt, mais qui peut orienter l'action de l'établissement et lui permettre de s'appuyer sur une analyse objective des faits. La finalité n'est pas de se substituer à l'autorité de l'établissement.
La recommandation que nous faisons est donc d'élargir, par voie législative, les missions de l'OFIS, en attribuant au COFIS un droit d'évocation des affaires de méconduites supposées, et de recours pour les affaires instruites dans les établissements. Le COFIS élaborerait un rapport à destination de l'établissement concerné intégrant des recommandations quant au traitement de l'affaire.
Dernier point concernant l'autonomie de l'OFIS et de son organe de gouvernance : ils dépendent aujourd'hui exclusivement du HCÉRES. Tous les actes courants et comptes rendus doivent être validés par le collège de ce dernier. Aussi, toute situation de blocage du HCÉRES entrave-t-elle l'action de l'OFIS. Par exemple, le COFIS ne peut aujourd'hui renouveler ses membres, et publier ses comptes rendus, en raison de la situation que connaît le HCÉRES, la nomination de sa présidence étant en attente. Ce point a été évoqué par l'OFIS, mais aussi par les acteurs des réseaux d'intégrité scientifique : sans l'aval du HCÉRES, rien n'est actuellement possible en matière d'intégrité scientifique. Ce rattachement, s'il présente un intérêt logistique, ne garantit pas l'indépendance intellectuelle de l'OFIS, car il rattache indirectement cette institution à l'autorité du ministère de l'Enseignement supérieur et de la Recherche.
De plus, le COFIS ne dispose d'aucun droit d'évocation. S'il est saisi d'une affaire, quelle que soit la gravité des faits, il est dépourvu de moyens d'action. Aucune affaire individuelle n'est évoquée devant le COFIS.
Nous souhaitons donc la création d'une autorité administrative indépendante au service de l'intégrité scientifique, un outil pour restaurer la confiance du grand public, des citoyens à l'égard de la science, notamment lors de ce type d'affaires de rétractation de publications, pour promouvoir une recherche intègre. Ceci implique de doter une instance indépendante de moyens pour mener une action en faveur de cette notion d'intégrité. L'OFIS nous semble être le meilleur acteur pour porter ces sujets, en collaboration avec les référents intégrité, à la fois vers la communauté scientifique et, plus ouvertement, vers le grand public.
L'autonomie permet d'endiguer les phénomènes d'éventuelles pressions extérieures ou hiérarchiques. Nous l'avons noté, dès que nous avons soulevé des cas particuliers. Nous recommandons donc de doter l'OFIS, par voie législative, d'un statut d'autorité administrative indépendante, qui n'est pas incompatible avec la poursuite de l'hébergement de l'OFIS au sein du HCÉRES.
Il s'agit de sujets souvent délicats, surtout lorsque l'on rentre dans la mécanique fine de certaines affaires, qui ont pu être révélées ou parfois restent en interne. Les référents intégrité ont beaucoup de difficultés à les gérer. Le but est de renforcer ces acteurs de l'intégrité scientifique. En effet, nous l'avons vu au travers de nos auditions, le fait que cette notion d'intégrité ne soit formalisée que depuis quatre ans montre que, pour l'instant, ils ne sont pas encore intégrés aux établissements. Ils ont besoin, à la fois par cette autonomie et par ce soutien, d'être plus présents, avec des moyens et des missions bien définis, pour que l'ensemble de la communauté scientifique puisse être épaulée lorsque l'on constate des manquements à l'intégrité scientifique.
Je n'ai rien à ajouter aux propos de Pierre Henriet, que je partage complètement. Nous avons travaillé ensemble sur tous ces aspects. J'aimerais plutôt prendre du recul par rapport au rôle de l'Office, et à ses relations complexes avec les deux chambres. Sous votre conduite, Monsieur le président, l'Office a beaucoup travaillé pendant la pandémie, avec des échos variables au sein de nos deux chambres.
Sur un sujet comme celui-là, qui touche vraiment au cœur de ce que doit être la réflexion politique sur la place de la science au sein de la société, il serait vraiment regrettable que l'Office ne soit pas entendu sur ces aspects d'intégrité scientifique, alors que le Gouvernement nous propose de discuter d'une loi de programmation pluriannuelle de la recherche, avec un calendrier pas encore parfaitement connu.
Je pense qu'au travers de ce travail se joue la position de l'Office par rapport aux deux chambres, notamment sur la science. Monsieur le président, je partage complètement votre propos liminaire : la science ne sort pas totalement grandie de la période que nous venons de vivre.
Notre statut de politiciens est même conforté par le spectacle pitoyable qu'ont donné les chercheurs. Aujourd'hui, quand on parle de la science, on se dit : vous mettez deux scientifiques dans une pièce et à la fin vous obtenez trois théories. Cette image de la science est assez catastrophique.
Toutes les disciplines ne sont pas touchées de la même manière. Dans les disciplines de la biologie et de la santé, les faits sont inquiétants. La responsable de l'intégrité scientifique à l'INSERM nous disait qu'entre quatre et cinq demandes d'informations par semaine lui étaient remontées. L'emballement manifeste de la science est un vrai problème. Il est dû à une culture de l'article, qui veut qu'il soit de plus en plus diffusé, après avoir été publié le plus rapidement possible, pour toucher de plus en plus de monde et maximiser son impact, ainsi que la notoriété de son auteur. C'est une dérive catastrophique.
En outre, notre société a tendance à donner trop d'importance aux critères quantitatifs, car ces derniers sont plus simples à manier. Nous n'allons pas non plus évoquer le nom d'un professeur qui a disposé d'une tribune médiatique forte, dans une ville du Midi connue pour être une ancienne colonie de Phocée…
Il est temps que le pouvoir politique s'empare de ce dossier. À la lumière de notre travail, il nous semble que le Parlement devrait cependant avancer avec mesure dans ce domaine. Il ne doit pas édicter des règles ne correspondant pas à la pratique, qui prend de multiples formes, du sociologue au mathématicien, variant tant par leurs habitudes de travail que par la manière de le restituer. Il est donc difficile d'édicter des normes législatives nationales.
En revanche, il nous a semblé possible de mettre à profit la louable expérience de l'Office français de l'intégrité scientifique. Nous proposons de lui donner une assise juridique plus solide. Ce serait une première étape, certes modeste, mais intéressante.
Ce sujet fait la démonstration de l'utilité absolue de l'Office lorsqu'il s'agit de préparer le débat politique. Encore faudra-t-il que le rapport à paraître adopte une présentation assez vivante et actuelle, en fournissant des exemples d'atteinte à l'intégrité scientifique, car nous avons besoin de rappeler les faits, avant d'évoquer les institutions.
Je vous livre une autre réflexion : ce n'est pas le conformisme scientifique qui fait avancer la science.
Pour aller à la rencontre de la vérité, il s'agit de sortir de la caverne décrite dans le mythe raconté par Platon, bien connu de tous, au travers du cours de philosophie de terminale. Or, la chape de plomb du conformisme peut s'abattre sur une société.
Cela se voit d'autant plus dans les sociétés nouvelles. Une société ancienne comme la nôtre a tiré des épreuves qu'elle a vécues une forme de scepticisme. Les sociétés jeunes semblent plus inquiétantes à cet égard, en particulier la plus dynamique et la plus puissante d'entre elles : la société nord-américaine. Son amour du conformisme, ou plutôt de la mode débouchant sur un certain conformisme, m'inquiète terriblement.
Soyons donc très clairs sur les atteintes à l'intégrité scientifique, notamment le plagiat. Ce dernier est aujourd'hui détectable grâce à l'intelligence artificielle. Un chercheur allemand, qui était aussi homme politique, en a fait les frais voici une petite dizaine d'années. Mais il faut évoquer également la falsification des données, et les pressions extérieures sur les chercheurs, qu'elles soient explicites ou tacites, car la volonté de plaire ne s'observe pas que dans l'arène politique. Enfin, la désinvolture de certaines publications témoigne d'un manque de rigueur scientifique. Dans le rapport que nous adopterons, n'hésitons pas à user d'exemples concrets, et de cas révélateurs qui fassent réfléchir.
L'absence d'intégrité peut découler de l'intention délibérée d'obtenir un résultat, mais aussi d'une forme de désinvolture, d'un manque de mesure, d'un défaut de formation, ou d'une absence de recul du chercheur par rapport à son travail. Prenons le cas de l'autodidacte. Au stade de l'apprentissage, il est mû par une passion susceptible d'apporter quelque chose, mais lorsqu'il diffuse ses idées, il peut également être source d'erreur pour des gens qui n'y connaîtraient rien, et n'hésiteraient pas à le suivre.
Concernant les institutions, il faudrait s'intéresser à ce qui se passe ailleurs. Ce serait utile pour nous évaluer et nous situer, mais aussi pour relativiser, car, en tant qu'hommes politiques, nous devons être à la fois exigeants et prudents.
Nous vivons dans un contexte très défavorable à l'intégrité scientifique. Il résulte d'une tendance de fond très forte ces dernières années, tendance qui s'est accentuée pendant la période de la Covid-19. Le sujet est donc très actuel.
Le problème de l'intégrité scientifique doit son acuité tant au développement de la communauté scientifique internationale et à la montée en puissance de la Chine, qu'aux pressions à la publication s'exerçant sur les chercheurs, ou encore aux classements variés qui fleurissent dans toutes les spécialités. Les enjeux sociétaux font également sentir leur poids sur la science. Voici quelques années, un ouvrage tel que la Souris truquée évoquait déjà la fraude scientifique, en montrant qu'elle ne constituait pas qu'un épiphénomène. Or, ce phénomène s'est ensuite accru dans des proportions considérables.
Toutefois, l'intégrité scientifique concerne non seulement la fraude proprement dite, mais aussi les connivences entre auteurs, rapporteurs et experts arbitres, ou referee. Comment savoir qui est indépendant dans ce contexte d'explosion des références ? Les chercheurs sont aussi exposés à une forme de harcèlement lorsqu'ils sont entraînés dans une course effrénée à la publication. Il faut se rappeler que la science a fondamentalement besoin de temps et de sérénité, pour s'épanouir au sein d'une discussion contradictoire, privilège que l'époque actuelle tend à lui ôter.
Trop tardives et encore timides, les institutions sont indispensables pour répondre à ce mal de notre époque. L'OFIS a un rôle important. Il doit être considérablement renforcé sur le plan de l'indépendance et des moyens. Son indépendance doit trouver une base dans les textes, qui doivent aussi bien définir sa gouvernance. Il faudrait donc prévoir une meilleure répartition des rôles s'agissant de la gestion des cas individuels, et des voies de recours.
Le fait que l'INSERM comptabilise entre quatre et cinq remontées d'information par semaine traduit probablement l'existence de centaines de cas similaires dans la communauté scientifique nationale, soit des milliers chaque année. Il est donc indispensable de disposer d'une structure irréprochable. Celle-ci doit aussi autoriser la flexibilité. À l'image des recommandations que l'Office a adoptées au sujet des cultes, l'État devra, en ce domaine aussi, ne définir que des règles générales. Chaque communauté scientifique pourra alors décliner ces principes généraux en son sein, et définir ses propres règles.
Il est important qu'il y ait des exemples et des cas frappants dans le rapport. J'en profite pour mettre sur la table un cas très prégnant en 2017, celui d'Anne Peyroche, directrice par intérim du CNRS, accusée de falsification. Le feuilleton médiatique n'est toujours pas fini. Le débat est plus complexe qu'il n'y paraît. Il s'agissait tout de même de la plus haute position scientifique en France. Or, les accusations formulées sont graves. Il paraît difficile d'avancer sereinement sur la question de l'intégrité scientifique si le dossier n'est pas clos.
Concernant le calendrier, il est important de veiller au projet de loi de programmation pluriannuelle de la recherche, dont l'examen est le prochain rendez-vous, car il serait impensable que la question de l'intégrité scientifique n'y soit pas traitée à la hauteur des enjeux, d'autant que les moyens nécessaires à l'OFIS seront minimes, par rapport aux moyens d'ensemble demandés par le Gouvernement.
L'absence de crédibilité peut stériliser des efforts considérables. L'intégrité de nos chercheurs doit être reconnue sur le plan international.
Le sujet a une dimension fondamentalement internationale. Les rapporteurs, très actifs en sciences humaines et sociales, pensent-ils que l'Office est bien outillé pour traiter davantage ces sujets ?
Il ne s'agit que d'un rapport d'étape. Effectivement, l'international est l'un des enjeux fondamentaux pour la suite de nos travaux. Nous souhaitons poursuivre une analyse comparative, prenant en compte les critères de l'intégrité scientifique au sein de la communauté internationale. D'ailleurs, certains laboratoires sont même communs à plusieurs établissements, à la fois français et internationaux.
L'intégrité est la base première de la science. Cette notion, liée à celle de réfutabilité, s'affirme comme l'un de ses critères distinctifs. Elle participe à son essence même. Tout l'enjeu est que cette confrontation puisse se dérouler au bon endroit. L'actualité récente l'a montré, parfois a contrario. Cela engage l'éthique de la science, même si cela ne veut pas dire que la science ne doive pas s'ouvrir davantage.
Nous apporterons une attention toute particulière à étoffer le rapport d'exemples. Mais la plupart des affaires sont encore en cours d'instruction, ce qui nous interdit de les évoquer pour le moment.
Des écarts s'observent en effet entre disciplines. La notion d'éthique est d'ailleurs plus large que celle de l'intégrité à laquelle fait référence le code de la santé publique. Pour les manquements correspondants, les notions réglementaires et législatives font défaut.
Sur l'intégrité au plan international, je pense que la France peut servir de modèle, notamment aux sociétés nord-américaines. Il faut montrer que d'autres méthodes sont possibles. Le sérieux et l'exemplarité du chercheur français doivent être reconnus sur le plan international. Les exigences en matière d'intégrité scientifique seront sûrement bien plus importantes à l'avenir. Si on peut renforcer cette notion au sein de la communauté scientifique française, cela peut se révéler fondamental pour maximiser sa crédibilité.
Les différences entre disciplines scientifiques ont aussi beaucoup été abordées, notamment en ce qui concerne le domaine des sciences humaines et sociales. Les retours d'information adressés par les référents à l'intégrité scientifique montrent que cette notion y est délicate à mettre en œuvre, car il n'est pas toujours possible de mener une analyse quantitative d'un sujet de sciences humaines et sociales
Il est certain que la loi de programmation pluriannuelle de la recherche offrira la possibilité d'inscrire dans les textes l'intégrité sous ses différentes formes
Concernant les cas, je partage complètement la démarche pédagogique que nous devons suivre vis-à-vis de nos collègues. Nous devons définir ce qu'est réellement la méconduite scientifique. Mais il y a très peu de cas rendus publics pour lesquels l'affaire est allée jusqu'à son terme. Or, c'est sur ces cas que nous pourrions bâtir un argumentaire.
Il y a toutefois le cas du biologiste Olivier Voinnet, médaille d'argent du CNRS, et médaille d'or de l'organisation européenne de biologie moléculaire (EMBO). À son époque, il a été considéré comme l'un des spécialistes mondiaux de la biologie des ARN. À la suite de différents signalements, il a rétracté huit de ses articles, et corrigé une vingtaine.
Conscient des méconduites commises, il s'est livré à plusieurs reprises, lors de séminaires, sur le mécanisme qui l'a entraîné à commettre ces fautes. Après avoir fait une dépression sévère, en parler était, pour lui, la seule façon de se sortir de cette situation, sur le plan moral et personnel. Il a décrit une situation où il était grisé par le succès. Sa renommée lui a valu d'être utilisé par les institutions qui le finançaient, pour obtenir elles-mêmes des financements. Il s'est retrouvé à encadrer une quarantaine de doctorants, répartis dans trois instituts, en France, en Suisse et ailleurs. Dans cette situation, il ne faisait plus le métier de chercheur mais « vendait du Voinnet ».
Sans juger de sa sincérité, on peut rapporter son interprétation de la survenue de la fraude : cet élan collectif pourrait avoir incité les étudiants qu'il encadrait à arranger les résultats, pour qu'ils se conforment à la pensée de leur maître et de leur laboratoire, pensée qui était reconnue à l'échelle internationale. Aujourd'hui, il continue son travail de recherche dans un seul laboratoire, et encadre quatre ou cinq étudiants. Il estime qu'il fait maintenant un bon travail de recherche et qu'il vit mieux, tout en reconnaissant que sa précédente conduite est condamnable.
Remarquons que celui qui est considéré comme un bon explorateur est quelqu'un qui passe en réalité quinze jours en Amazonie et six mois à la salle Pleyel.
C'est le même problème avec les personnes qui ont écrit une thèse sur un sujet, et sont toujours considérées comme des spécialistes quarante ans plus tard, bien qu'elles n'aient fait que participer à des chroniques à la radio depuis.
Un problème qui devrait être traité dans la loi de programmation pluriannuelle de la recherche est celui du conflit d'intérêt. Il apparaît souvent que les personnes les plus qualifiées travaillent avec les entreprises qui ont besoin d'elles. Ces personnes perdent-elles pour autant leur intégrité ? C'est plausible, mais pas certain.
Il y a un problème avec la recherche de financements également, je le vois avec les universités de ma région. L'intégrité scientifique ne se résume pas qu'à l'intégrité intellectuelle. En tout cas, l'intégrité intellectuelle peut être biaisée par la préférence donnée à des intérêts à court terme, le besoin de trouver des financements pour son laboratoire. Ce lien avec l'économie réelle figurera-t-il dans votre rapport ?
Nous en avons parlé à plusieurs reprises à l'Office, notamment lors des travaux que nous avons menés sur le glyphosate. Je partage l'avis du président : ce n'est parce que quelqu'un travaille pour une entreprise que ses compétences doivent être remises en cause.
Il me semble qu'il faudrait créer les conditions pour que les scientifiques qui sont des fonctionnaires puissent être complètement indépendants, ce qui pourrait être réalisé par l'intermédiaire de la loi de programmation pluriannuelle de la recherche. Cela nécessite de faire bénéficier les laboratoires de financements récurrents d'une part, et de financements sur appel à projet d'autre part, de façon à garantir l'indépendance du chercheur et l'absence de conflit d'intérêt sur un sujet pour lequel il pourra être invité dans les médias.
La structuration économique et sociale de la recherche, notamment sur l'exemple des sciences dures, conduit à un excès de formalisme dans l'évaluation des chercheurs, étendu à tous les champs de connaissance. Je ne suis pas opposé aux traditions, notamment en matière disciplinaire, car elles sont formatrices. En revanche, la normalisation conduit à un formatage aberrant dans le champ des sciences humaines et sociales. Par exemple, les chercheurs sont évalués sur la base des articles qu'ils publient, alors que dans ce domaine c'est l'ouvrage qui fait référence. L'ouvrage représente cinq à six années de travail. Il ne sera certes pas lu par un grand nombre, mais c'est une production qui reste dans le temps. Pourtant, il n'existe pas dans les normes quantitatives de l'évaluation scientifique. Le poids scientifique associé à l'article se mesure en nombre de références, ce qui est impossible à connaître pour l'ouvrage.
Évaluer Thomas Piketty sans prendre en compte ses ouvrages, c'est passer à côté de l'essentiel.
Permettez-moi de vous livrer un autre exemple. À ma demande, le secrétaire général du Sénat a recensé le nombre de chercheurs du CNRS ayant été auditionnés par toutes les commissions du Sénat confondues ; ce chiffre s'est monté à quatre-vingts pour l'année 2018. Il s'agit donc de quatre-vingts experts venus partager leur savoir sur des questions très précises. Or, le CNRS est incapable de donner ce chiffre, car ce n'est pas un critère figurant dans la fiche d'évaluation du chercheur.
Il est absolument nécessaire que l'évaluation des chercheurs soit qualitative, qu'elle reflète le travail produit, et non seulement quantitative, basée sur les données issues des publications dans les revues. Cela fera partie de notre mission.
Par ailleurs, il existe un réel problème associé aux revues internationales. Leur rentabilité est tout à fait exceptionnelle, entre 10 et 15 %, alors qu'il s'agit d'une captation de l'argent public.
Il s'agit des grands éditeurs comme Elsevier, Springer, etc., avec lesquels les instituts mènent des négociations très conflictuelles au sujet des abonnements.
En effet, les coûts associés aux revues sont faramineux : pour le CNRS, environ trente millions d'euros par an. Les chercheurs doivent, de surcroît, payer pour pouvoir être publiés. Le contribuable français, finalement, paye l'article plusieurs fois.
Il y a de célèbres problèmes d'intégrité scientifique, parfois subtils, notamment en matière de paléontologie. La fameuse falsification de l'homme de Piltdown consistait en la création d'un chaînon manquant dans l'histoire humaine, complètement imaginaire. Nous avons eu, ces dernières années, des affaires médiatisées qui ont fait couler énormément d'encre, car plus subtiles qu'il n'y paraît.
La première est l'affaire Benveniste, ou de la mémoire de l'eau, très complexe, dans laquelle je me suis plongé. J'y ai trouvé tous les ingrédients qui mènent à des problèmes d'intégrité scientifique : la compétition entre pays, le rôle des statistiques toujours difficiles à interpréter, la médiatisation, les rapports entre politiques et sciences, les questions de financement, de conflit d'intérêt, en somme tous les aspects. Benveniste y a d'ailleurs laissé sa vie. Il est décédé, rongé par l'ampleur de l'affaire qui l'avait complètement dépassé.
La seconde est l'affaire Séralini, du nom du biologiste qui a voulu apporter la preuve de la cancérogénicité des organismes génétiquement modifiés (OGM). Là aussi la question des statistiques était prégnante, et il s'agissait d'un sujet d'actualité. Plus récemment, dans le cadre de la pandémie, le professeur Montagnier, pourtant Prix Nobel de médecine, est aussi intervenu dans le débat public de manière extrêmement déstabilisante. Cela rappelle que l'autorité scientifique n'est jamais une chose acquise : Luc Montagnier et Didier Raoult sont ou ont été tous deux d'éminents scientifiques.
Un autre cas est l'affaire de falsification de l'Institut RIKEN au Japon, qui s'est terminée par le suicide du chercheur, bien que les manquements auraient été dus à des personnes de son équipe, et que lui-même était potentiellement nobélisable. Cela rappelle l'importance de la pression comme facteur déterminant des manquements à l'intégrité.
Un cas plus anecdotique est celui de la révélation à la presse des conclusions du rapport sur les agences par notre collègue Pierre Médevielle, qui en était co-rapporteur. La cancérogénicité du glyphosate avait été comparée à celle de la charcuterie. Ce cas interroge sur la façon dont on doit définir le conflit d'intérêt. En réalité, y a-t-il jamais absence réelle de conflit d'intérêt ? Être sénateur dans un département rural peut influencer son opinion.
L'homme politique est dans un environnement. Il doit être prudent, car il ne connaît pas sa dépendance à celui-ci.
Nous avons tous des liens d'intérêt, et il serait contreproductif d'essayer d'en faire toute la liste. Il faut un haut niveau d'exigence, et s'efforcer d'atteindre cette indépendance.
Je vous rappelle qu'il existe un grand point de tensions entre le monde de la défense et le monde scientifique, au sujet duquel nous avons mené des auditions, sur la question des zones à régime restrictif (ZRR), pour lesquelles il y a une tentative de contrôle par l'État, mal perçue des scientifiques.
Je souhaite rendre hommage aux journalistes qui se sont emparés du sujet de l'intégrité scientifique avec beaucoup d'exigence, comme Hervé Morin, David Larousserie, Sylvestre Huet, ou encore Michel de Pracontal. Dans le monde politique, le sénateur Huriet a été précurseur. Il a été à l'origine des premières avancées de la loi à ce sujet.
Nous sommes tout à fait confiants dans la capacité de votre équipe à faire un travail important pour l'Office et pour le Parlement. La France doit rester un pays de raison.
La France demeure en meilleure position que les États-Unis, pays qui s'est formé à partir de générations de mystiques.
L'affaire Benveniste vient d'ailleurs d'une rivalité franco-britannique. D'ailleurs, Isaac Newton est lui-même suspecté de fraude dans sa vérification de la loi de la gravité universelle. Je salue chaleureusement le dévouement des rapporteurs.
La réunion est close à 11 h 05.
Membres présents ou excusés
Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques
Députés
Présents. - M. Pierre Henriet, M. Cédric Villani
Excusés. - M. Jean-François Eliaou, M. Jean-Luc Fugit, M. Claude de Ganay
Sénateurs
Présents. - M. Gérard Longuet, M. Pierre Ouzoulias