Intervention de Aurélien Louis

Réunion du jeudi 3 décembre 2020 à 9h30
Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Aurélien Louis, sous-directeur de l'industrie nucléaire :

Merci pour cette invitation. En introduction de mon propos liminaire, voici quelques éléments de contexte. Vous avez très bien rappelé l'essentiel, je vais donc simplement apporter quelques compléments.

La qualification en « matière » ou en « déchet », qui est centrale, a été définie par le Parlement. C'est la loi qui définit les notions de matière et de déchet. Qu'est-ce qui, concrètement, différencie dans leur gestion les matières et les déchets ?

Les matières et les déchets, du point de vue de la sûreté, sont gérés de la même manière : je fais référence au contrôle de l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN). Il est important de garder en tête qu'il n'y a pas de divergence d'exigences entre les matières et les déchets au regard de leur gestion, notamment pour leur entreposage.

Ce qui distingue leur gestion respective est le fait que les propriétaires de déchets doivent travailler à l'identification de solutions de gestion définitives – c'est-à-dire de stockage – appropriées aux caractéristiques radioactives et de durée de vie de ces déchets. Les matières ayant vocation à être réutilisées, leur propriétaire n'a pas à travailler sur cet aspect.

C'est le premier point, essentiel. Il en découle éventuellement des différences dans le traitement comptable. Je dis « éventuellement » car la distinction entre matière et déchet est prise en application du code de l'environnement et que les règles comptables répondent à leur propre logique de prudence, indépendante de ce code. Il peut parfois y avoir des divergences, mais à partir du moment où nous considérons qu'un déchet radioactif doit in fine être stocké, les exploitants ou détenteurs de ces déchets doivent provisionner dans leurs comptes le coût de ces solutions de gestion définitive, ce qui peut entraîner pour eux des conséquences financières ou comptables.

La qualification première de la substance en matière ou déchet relève de l'exploitant ou du détenteur de la substance : il dit s'il envisage ou prévoit une valorisation. Mais cela se fait sous contrôle de la puissance publique : la loi a donné la faculté au Gouvernement de requalifier une matière en déchet ou un déchet en matière, après avis de l'ASN. Pour l'heure, c'est une faculté que nous n'avons pas encore employée.

Concernant l'uranium appauvri – je pense que cela sera confirmé par mes collègues – nous disposons d'un stock d'environ 350 000 tonnes, essentiellement détenues par Orano. Aujourd'hui, l'uranium appauvri est utilisé dans la fabrication du combustible MOX. Il en est le support principal. Cela représente un débouché relativement faible par rapport à la quantité produite. D'autres usages pourraient être envisagés, notamment si nous engageons, comme la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) le prévoit, le multi-recyclage en réacteur à eau pressurisée (REP). Dans ce cas, l'uranium appauvri serait également utilisé en tant que support dans ces futurs combustibles et, à plus long terme, en support des combustibles des réacteurs à neutrons rapides (RNR). C'est une première catégorie d'usage en vigueur actuellement : l'utilisation de l'uranium appauvri dans des combustibles qui entrent dans un cadre de recyclage ou de multi-recyclage.

Le deuxième type d'usage – Orano a dû vous en parler – est le réenrichissement, à savoir la possibilité d'introduire de l'uranium appauvri dans des cascades d'enrichissement, afin de refaire de l'uranium enrichi destiné à être utilisé dans des combustibles classiques. Aujourd'hui, ce n'est pas une voie utilisée en France. Elle pourrait l'être si les conditions économiques étaient différentes, puisque cela relève d'un arbitrage de l'exploitant entre le coût de l'uranium naturel et celui de l'enrichissement. Pour réenrichir de l'uranium appauvri, il faut beaucoup plus d'enrichissement que pour enrichir de l'uranium naturel. Les conditions économiques ne s'y prêtent pas, les cours de l'uranium naturel étant très faibles. Néanmoins, c'est une possibilité technique.

Le sujet avait été regardé par le Haut Comité pour la transparence et l'information sur la sécurité nucléaire (HCTISN) en son temps, qui avait produit un excellent rapport sur le cycle du combustible. Nous avions pu déterminer que le ré-enrichissement du stock actuel de 350 000 tonnes serait équivalent à la production de près de 60 000 tonnes d'uranium naturel, ce qui correspond à huit années de fonctionnement du parc nucléaire français.

Il y a cependant un bémol : le ré-enrichissement produit de l'uranium très appauvri. Dès que nous enrichissons, nous obtenons ce sous-produit, partie appauvrie de la matière entrée dans les cascades d'enrichissement. C'est donc un usage qui produirait des substances dont la qualification de matière serait à examiner. Orano a peut-être dû vous en parler : le groupe et d'autres acteurs travaillent à des voies de R&D pour trouver des valorisations possibles de l'uranium très appauvri.

Pour conclure mon propos, voici un point sur l'état de nos réflexions. Nous sommes en train de préparer la prochaine édition du PNGMDR. Il était ressorti du débat public mené en 2019 que la qualification des matières et déchets serait un sujet central du prochain PNGMDR. Dans le cadre de la concertation post-débat public, nous avons proposé des modalités de gestion nouvelles, rénovées, de cette qualification des matières et déchets. Nos propositions sont sur le site Internet de la concertation. Nous avons commencé à en débattre avec les parties prenantes. Nous envisageons de renforcer le contrôle effectué par la puissance publique sur les recherches de pistes de valorisation menées par les exploitants. C'est particulièrement vrai pour l'uranium appauvri. J'évoquais les pistes de R&D suivies par Orano sur la valorisation de l'uranium appauvri et de l'uranium très appauvri. Nous voulons qu'Orano s'engage sur des jalons précis de son programme de R&D, que la puissance publique et toutes les parties prenantes puissent suivre. Les délais de gestion étant très longs, il est important de se fixer collectivement des jalons clairs et un plan d'action qui pourrait être suivi, pour s'assurer que nous progressons bien vers des voies de valorisation de ce qui est identifié aujourd'hui comme matière.

Notre implication va au-delà de l'action de contrôle. Dans le cadre du plan de relance, nous comptons lancer un appel à projets pour financer des projets de R&D en vue d'identifier des solutions innovantes de gestion des déchets, et nous inclurons dans cet appel à projets un volet sur la valorisation des matières. L'idée est aussi d'accompagner les programmes de R&D menés par les exploitants avec un soutien de l'État, dans le cadre du plan de relance.

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