C'est notre deuxième rencontre, et c'est un plaisir pour nous d'être devant vous ce matin pour évoquer le sujet des matières valorisables et, plus spécifiquement, celui de l'uranium appauvri.
L'ASN a rendu un avis le 8 octobre sur le sujet des matières en général, dans le cadre de la préparation du cinquième PNGMDR 2021-2025, préparé actuellement par la direction générale de l'énergie et du climat (DGEC), dont Aurélien Louis vient de parler.
Ce qui guide l'ASN en matière de gestion de déchets est que l'ensemble des déchets dispose d'une filière de gestion, et que cette gestion soit sûre à chaque étape. À cette fin, nous intervenons, d'une part en contrôlant les installations de stockage des déchets, comme le centre de stockage de l'Aube ou celui de la Manche, exploités par l'Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (ANDRA), et d'autre part en évaluant régulièrement la stratégie de gestion des déchets des exploitants.
Nous contribuons activement à l'élaboration du PNGMDR, notamment par les avis que nous rendons, sujet par sujet. C'est ainsi que cet été nous avons rendu des avis sur les déchets de très faible activité (TFA) et sur les déchets de faible activité à vie longue (FAVL).
Je ne vais pas revenir sur la définition des matières. Aurélien Louis insistait sur un point important, à savoir que la qualification de matière en déchet est bien du ressort du Gouvernement.
Notre avis est élaboré sur la base de nombreuses études remises dans le cadre du quatrième plan, qui couvrait la période 2016-2018. Nous avons également pris en compte les éléments sortis du débat public de 2019. Le sujet des matières a d'ailleurs été assez discuté pendant le débat, qui a montré le besoin de renforcer la transparence et de préciser les conditions de valorisation des matières.
Nous avons souhaité éclairer notre appréciation du caractère valorisable des matières. La définition d'une matière valorisable n'est pas très précise, donc éminemment sujette à interprétation. Nous avons essayé de préciser quelques critères sur ce qui, de notre point de vue, rend une matière valorisable ou pas. La valorisation d'une matière est plausible s'il existe une filière industrielle d'utilisation réaliste à un horizon d'une trentaine d'années et si elle porte sur des volumes cohérents avec les stocks des matières détenues et prévisibles. Pour une perspective allant au-delà de trente ans, il est nécessaire d'anticiper les besoins d'entreposage dans des conditions sûres et d'étudier la gestion possible de la substance en tant que déchet. En tout état de cause, si à l'échelle d'un siècle il n'y a pas de perspectives d'utilisation, cela doit conduire à la requalification d'une substance en déchet.
Nous pointons également le fait que si des perspectives de valorisation apparaissent alors qu'une matière a été qualifiée en déchet, il faut pouvoir faire en sorte que ce soit réversible, c'est-à-dire avoir une procédure qui permette de requalifier un déchet en matière.
Nous passons en revue les différentes matières détenues en France. Les principales matières sont issues de la filière uranium-plutonium, donc de l'industrie électronucléaire. Il existe d'autres matières non liées à cette dernière, telles que les matières thorifères, qui ne font pas l'objet de la table ronde. L'uranium naturel est enrichi en vue d'une utilisation dans les centrales. Mécaniquement, l'enrichissement de l'uranium produit à la fois de l'uranium enrichi et de l'uranium appauvri, dans un rapport de 85 % à 15 % à peu près. Il existe aussi en France un retraitement des combustibles usés sortant des centrales nucléaires, ce qui produit mécaniquement de nouvelles matières, qui sont l'uranium de retraitement et le plutonium.
L'uranium appauvri est emblématique en ce qui concerne les matières. Les quantités sont importantes. L'inventaire de l'ANDRA recense 318 000 tonnes d'uranium appauvri à fin 2018. Mécaniquement, par l'enrichissement, 6 700 tonnes nouvelles d'uranium appauvri sont produites par an en France. Au regard des critères d'appréciation des matières valorisables, une quantité substantielle de cet uranium appauvri doit être dès à présent requalifiée en déchet. Une fraction de cet uranium est valorisable, mais les flux prévisionnels d'utilisation ne sont pas en adéquation avec les quantités détenues et les flux prévisionnels de production. Un des débouchés de l'uranium appauvri aujourd'hui est la fabrication de combustibles MOX, à hauteur d'une centaine de tonnes par an. Il est également possible de ré-enrichir l'uranium produit par le retraitement. Ce n'est pas possible sur plusieurs cycles, mais si nous ré-enrichissons, nous produisons une quantité importante d'uranium appauvri. Cela ne change donc pas complètement la donne sur le total d'uranium appauvri. Existerait aussi la perspective d'utilisation de cet uranium dans une filière de réacteurs à neutrons rapides. Mais il n'y a pas de perspective industrielle de développement d'ici 2050. C'est pourquoi il nous semble qu'il faut travailler dès aujourd'hui à des perspectives de stockage sûr pour l'uranium appauvri.
La nécessité de travailler sur la faisabilité du stockage d'uranium appauvri n'est pas une nouveauté. Cela a déjà été envisagé, dès le premier PNGMDR 2007-2009. Dans les prescriptions consécutives au précédent plan, il avait été demandé à l'ANDRA de réfléchir à la faisabilité d'un tel stockage. Je ne vais pas aller plus loin sur l'uranium appauvri. Voilà notre position, précisée dans notre avis du 8 octobre.
Dans cet avis, d'autres sujets sont abordés, notamment, d'une part la nécessité d'un entreposage sûr des combustibles usés – en effet, d'ici à 2030, si rien n'est fait pour augmenter les capacités d'entreposage, nous allons arriver à une saturation, et d'autre part le lien entre le PNGMDR et la politique énergétique. Nous demandons que lors de la prochaine PPE il soit donné des indications claires sur la poursuite du retraitement des combustibles usés. Aujourd'hui, il est dit que le retraitement est poursuivi jusqu'à l'horizon 2040. Concernant les matières et déchets, nous sommes dans le domaine du temps long. Cela met du temps à se mettre en place, il faut donc anticiper dès à présent.