Intervention de Stéphane Sarrade

Réunion du jeudi 3 décembre 2020 à 9h30
Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Stéphane Sarrade, directeur des programmes Énergies du CEA :

Je vous remercie de cette invitation. Je vais être amené à revenir sur des choses qui ont déjà été évoquées, mon objectif étant de les placer dans un contexte scientifique et technique, correspondant au point de vue du CEA.

Ce qui a été évoqué est la stratégie française du cycle du combustible. Les éléments relatifs aux flux ayant été partiellement exposés, je vais les préciser. Le flux d'uranium naturel en France représente à peu près 8 000 tonnes par an, traitées, puis enrichies de manière à produire 6 700 tonnes d'uranium appauvri et un peu moins de 1 000 tonnes d'uranium enrichi, qui va être utilisé en centrale nucléaire. Cet uranium enrichi, une fois devenu combustible usé, sera retraité pour récupérer du plutonium destiné au combustible MOX. Dans ce cycle annuel, un peu plus d'une centaine de tonnes d'uranium appauvri sont mobilisées pour la fabrication de ce combustible MOX. Cela donne une idée des flux annuels.

À l'heure actuelle, le stock est d'environ 318 000 tonnes. Ce sont les chiffres donnés par l'ASN fin 2018. Cet uranium appauvri est sous la forme d'un oxyde stable, l'octaoxyde de triuranium (U3O8). Certains pays, comme les États-Unis, stockent leur uranium appauvri sous forme gazeuse : l'hexafluorure d'uranium (UF6), mais nous avons fait le choix de mettre cet uranium appauvri sous une forme stable. Il est stocké dans les centres de Bessines et de Pierrelatte.

Je vois deux grandes temporalités pour le devenir de ce stock. La première est plutôt une vision à court ou moyen terme – soit sur les dizaines d'années à venir. Quelles sont les options possibles ? Un consortium français, les industriels et le CEA, travaillent sur une option de R&D : le multi-recyclage en réacteur à eau pressurisée, qui mobiliserait des quantités non encore définies d'uranium appauvri. Ce projet bénéficie dans le plan de relance d'un financement qui va accélérer son avancée. Une autre option est présentée par Orano : le réenrichissement. De quoi parlons-nous ? D'un uranium appauvri contenant environ 0,25 % d'isotope fissile, l'uranium 235. L'objectif est de ré-enrichir cet uranium, de manière à pouvoir générer de l'uranium « naturel » qui sera remis dans le système.

Cette option a été évoquée par Aurélien Louis : 350 000 tonnes d'uranium appauvri permettraient de générer 60 000 tonnes environ d'uranium naturel, ce qui représente pour la France un stock d'un peu plus de huit ans. Ce qui va gouverner les options industrielles d'Orano est que cette opération est fortement liée au contexte économique. Selon Orano, ré-enrichir ce type d'uranium ne peut s'imaginer qu'à un coût de l'uranium compris entre 30 et 45 dollars la livre. La contrainte économique sera de toute façon très importante pour justifier ces éléments.

D'un point de vue technique, ce qu'évoque Orano a déjà été fait, par Orano et dans des usines d'enrichissement russes. Leur stratégie serait liée au fait que, dans les quarante années à venir, notre besoin en uranium naturel sur un parc stable est de l'ordre de 300 000 tonnes. L'objectif d'Orano, dans la mesure où le coût de l'uranium atteindrait des valeurs suffisamment élevées pour justifier le réenrichissement, serait de traiter chaque année 15 000 tonnes d'uranium appauvri, pour produire plus de 3 000 tonnes d'uranium naturel. Cela signifie que sur les 300 000 tonnes d'uranium nécessaires, 100 000 tonnes pourraient être produites dans un délai de quarante ans.

Le fait de ré-enrichir l'uranium appauvri va générer – en 2060, si nous suivons le scénario présenté par Orano – un stock d'uranium appauvri, qui aurait une teneur inférieure ou égale à 0,1 % en isotope 235, et ne serait donc pas intéressant en termes de ré-enrichissement. Le déploiement des réacteurs à neutrons rapides refroidis au sodium implique la mobilisation de ce type de ressources. À l'équilibre, pour un parc français qui produirait environ 400 térawattheures, nous imaginons une utilisation d'uranium appauvri comprise entre 40 et 50 tonnes par an. En regard du stock prévisible, cela signifie que nous aurions une autonomie, en termes de matières, de plusieurs milliers d'années.

L'uranium appauvri a des voies de valorisation alternatives : on évoque à l'heure actuelle la réalisation de blindages radiologiques, par exemple pour le médical, ou le développement de matériaux utiles aux énergies nouvelles : pour le stockage de chaleur, pour les panneaux photovoltaïques, pour les batteries, en tirant profit des propriétés semi-conductrices de l'uranium. Il est aussi proposé de développer des procédés de catalyse. Ces voies ont été précisées et certaines pourraient mobiliser des volumes annuels importants. Le niveau de recherche et développement consacré à ce sujet est encore assez faible.

L'uranium appauvri est une ressource qui a une valeur stratégique. En termes de souveraineté, c'est important. Ce qui est au cœur de la discussion est la gestion adaptée de cette ressource sur des temporalités à deux niveaux : quelques dizaines d'années ou des milliers d'années. Des travaux ou des réflexions seront nécessaires pour identifier la gestion de ce type de ressources.

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