Intervention de Jean-Pierre Pervès

Réunion du jeudi 3 décembre 2020 à 9h30
Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Jean-Pierre Pervès, membre du conseil scientifique de Sauvons le climat :

Je vous remercie. Nous allons surtout regarder ce sujet à l'aune du climat. Beaucoup de choses ont déjà été dites sur le fait que nous sommes face à une réserve stratégique considérable. Pour donner deux ordres de grandeur, si nous remplacions toute la potentialité de cet uranium par du charbon, ce serait équivalent à 60 années des émissions mondiales actuelles de CO2. En termes d'énergie, cela représente 500 fois la quantité de charbon utilisée depuis le XIXe siècle pour produire de l'électricité. C'est considérable. Tant le Président de la République que le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) ont identifié le nucléaire comme un potentiel de réduction massive à long terme des émissions de gaz à effet de serre. Il ne faut pas l'oublier.

Quel est le problème ? Une quantité de matière relativement minime – l'U3O8 – solide, chimiquement stable, incombustible, insoluble, non corrosive et légèrement radioactive. Nous ne sommes pas du tout face à ce que nous appellerions un produit dangereux. Il existe aujourd'hui deux entreposages, sous forme d'installations classées pour la protection de l'environnement (ICPE), de 5 000 mètres carrés. Pour donner un ordre de grandeur l'entreposage de ces milliers de tonnes représente moins qu'un terrain de football, qui fait 9 000 mètres carrés. Nous ne sommes pas face à un problème majeur nécessitant une décision urgente.

Pourquoi estimons-nous qu'une requalification en déchet n'est pas appropriée ? Les différentes utilisations possibles ont été énumérées précédemment. Mais le rôle d'un État est de gérer des risques. Nous avons déjà connu un risque d'approvisionnement de pétrole, à différentes époques. Il peut y avoir un jour un tel risque pour l'uranium, puisque nous savons que plusieurs pays ont engagé des programmes nucléaires sensibles.

Que représente ce stock d'uranium ? Il s'agit de huit, dix, douze ans de production de toute l'électricité française. Nous parlons d'une réserve stratégique importante, ce qui est unique. Pour le gaz, elle est de trois mois ; pour les autres matériaux énergétiques, elle est négligeable. C'est le seul stock stratégique important que nous ayons sur le territoire et dont nous sommes propriétaires. Au-delà, on pense aux usages futurs pour les réacteurs de quatrième génération, qui offrent des quantités d'énergie considérables.

Pourquoi requalifier l'uranium appauvri en déchet ? Le ministère nous parle de sûreté nucléaire et d'enjeux urgents. Je ne vois pas pourquoi. L'ASN, prudemment, nous dit qu'il faut dès à présent requalifier en déchet. Je ne comprends pas non plus pourquoi « dès à présent », s'agissant d'une ICPE trois fois plus petite que le moindre stockage d'Amazon. Une telle décision fait courir un vrai risque. On affirme pouvoir faire d'une matière un déchet, puis d'un déchet une matière. Je connais la réglementation française et les usages administratifs. Une fois que vous aurez transformé la matière en déchet, je vous promets un cauchemar, en cas de choc sur l'uranium, pour en refaire une matière. Cela ne me paraît pas prudent. Les critères sont contestables. On a parlé du délai de trente ans. Ce délai repose sur la loi sur la transition énergétique. Vous devriez relire ce qu'écrivait la Cour des comptes en 2018 sur la qualité de cette loi et son incapacité à offrir un cadre prévisible et consolidé en matière énergétique pour les trente ans à venir. Est-ce là-dessus que nous allons nous appuyer ?

Par ailleurs, quand nous parlons d'une vision à cent ans, je rappelle que le problème climatique est multi-centennal, avec toujours de grandes incertitudes. Quel va être l'effet du dégel du permafrost ? Quel va être l'effet de la fonte des glaces du Groenland ou de la disparition des glaces de mer dans l'Arctique ? Ces faits sont connus, modélisés, mais avec un grand niveau d'incertitude. Dans quinze ou vingt ans, nous pourrions avoir besoin d'actions décisives, comme celle de Pierre Messmer en 1973.

Il est très difficile de comprendre l'urgence alléguée. Nous sommes dans une crise économique majeure. Est-ce le moment de lancer des études sur le stockage profond d'une matière qui pourrait être réutilisée ? Les prochains gouvernements doivent garder toute souplesse d'accéder à une réserve stratégique rapidement. Il faut le plus possible laisser ouverte aux générations futures l'utilisation des ressources. Aujourd'hui, le risque présenté par l'installation d'entreposage ne justifie pas d'efforts considérables.

En conclusion, l'uranium appauvri est une bonne réserve d'énergie. En faire un déchet, n'est-ce pas un écocide, pour suivre les mots à la mode aujourd'hui ? En termes politiques, il faudra se demander un jour qui est propriétaire d'une matière utilisable durant 300, 400 ou 500 ans. Ou si, plutôt que d'en faire un déchet, il ne vaudrait pas mieux la vendre aux Chinois qui l'utiliseront intelligemment pour le climat. Nous pouvons nous poser de telles questions, nous sommes dans la politique. Où est notre vision à très long terme de l'énergie ? Cette vision à très long terme va bien au-delà des objectifs du PNGMDR.

La France a été l'un des leaders du nucléaire. Quel message allons-nous faire passer au monde en disant que l'uranium appauvri est un déchet ? Je pense que c'est désastreux. Il faut regarder ce que sont aujourd'hui nos efforts sur le climat. Les émissions de CO2 liées à la consommation d'énergie ont encore augmenté de 1,1 % par an au cours de la dernière décennie. Dire que nous progressons sur le climat est loin d'être parfaitement exact.

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